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Moi (littérature)
Pour les articles homonymes, voir Moi (homonymie).L’évolution des styles littéraires a toujours suivi l’évolution des modes de vie et des coutumes. C’est ainsi qu’au XVIIIe siècle, la littérature n’est plus uniquement prétexte à accorder des origines divines à des civilisations, à raconter des tragédies, à distraire ou à véhiculer une idéologie politique, mais voit pour la première fois des auteurs parler d’eux-mêmes dans leurs ouvrages. Historiquement, Rousseau est l’un des premiers à parler clairement de lui dans ses œuvres en employant le « je ». Cette personnification des ouvrages, qui intervient de manière novatrice et inattendue, amène la critique à s’en prendre à ces écrivains d’un genre nouveau qui affirment leur foi en l’homme. On a du mal à émerger, en littérature, de ce siècle de référence qu’est le XVIIe siècle où, comme l’affirme Blaise Pascal, « le moi est haïssable ». Aussi est-il intéressant de se demander si ces critiques ont lieu d’être, de s’interroger sur les raisons amenant Rousseau à utiliser et à défendre la première personne, et si cela fait de lui un écrivain préromantique.
Les écrivains classiques du XVIIe siècle n’utilisent pas la première personne dans leurs ouvrages. Mais ceci non pour des convictions personnelles, mais pour des raisons pratiques. Les lecteurs sont en effet à l’époque moins nombreux qu’au XVIIIe siècle de Jean-Jacques Rousseau et constituent une minorité privilégiée qui aime les œuvres tragiques. Il est inconcevable de voir s’imposer un livre dont le sujet est les états d’âmes de son auteur, et les écrivains classiques n’iront jamais à l’encontre de ce dogme. La valorisation du « je » est insensée au XVIIe siècle, où l’individu n’existe pas sous le pouvoir absolutiste. Or, il se trouve que le public croît énormément entre le XVIIe siècle des classiques, et le XVIIIe siècle des Lumières : le peuple devient peu à peu lui aussi lecteur. Par ailleurs, la société n’est plus considérée uniquement dans son ensemble, la notion d’individu se précise : Toute personne est importante et a un rôle à jouer. La mauvaise situation de l’homme et ses souffrances deviennent des sujets importants pour cette société prérévolutionnaire qui évolue dans un environnement libéral et consentant à d’éventuelles nouveautés. C’est ainsi que tout ouvrage écrit à la première personne devient acceptable. Aussi serait-il déplacé de reprocher à Rousseau une phrase faite par des écrivains du siècle le précédant, le contexte historique ayant fortement évolué.
Rousseau, historiquement, rédige pour la première fois un ouvrage autobiographique avec les Confessions. Dans ce livre, il ne personnalise pas le sujet dans le but de décrire des sentiments ou des états d’âmes, comme le feront plus tard les romantiques, mais pour se justifier, et pour se décrire tel qu’il est vraiment : « Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme, ce sera moi. » (Les Confessions). Dans cet ouvrage, où Rousseau ne dissimule ni noms ni conflits, seul le désire de démontrer les erreurs de ses adversaires l’emporte. Le « je » y est uniquement introduit pour que Jean-Jacques puisse se comparer aux autres : « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus » (Les Confessions). À la lecture de ce seul ouvrage, conséquence du constant besoin de son auteur de se justifier, il serait donc impossible de qualifier Rousseau d’écrivain préromantique, puisque seul le désire de convaincre apparaît : « […], c’est ce dont on ne peut juger qu’après m’avoir lu. » (Les Confessions).
Toutefois, même si son premier grand ouvrage écrit à la première personne apparaît comme une vaste autobiographie justificative où les sentiments ne sont pas vraiment présents, on peut constater que les œuvres de Rousseau, d’une manière générale, tendent vers le romantisme. En 1761, dans la Nouvelle Héloïse, Rousseau aborde une première fois la nature et en fait l’éloge, il y fait évoluer une société utopique. En 1764, dans les confessions c’est cette fois-ci le « je » qui est introduit. En 1782, dans les Rêveries du promeneur solitaire, Rousseau reprend ces deux éléments, et forme ainsi une œuvre préromantique où il renonce au dialogue, écrivant pour lui en méditant sur sa situation dans la solitude et le détachement. Dans cet ouvrage, il exprime un amour réel envers la nature où ses promenades et son intérêt pour l’herborisation lui permettent ses rêveries. Son état d’âme varie selon les saisons, c’est ainsi que par exemple, dans les Rêveries du promeneur solitaire, Rousseau, en observant la nature en automne, réfléchit sur son passé et sur la fin de sa vie : « Je me voyais au déclin d’une vie innocente et infortunée, l’âme encore pleine de sentiments vivaces et l’esprit encore orné de quelques fleurs, mais déjà flétries par la tristesse et desséchées par les ennuis ».Quelques années plus tard, les écrivains romantiques tels que Lamartine ou Chateaubriand, eux aussi sensibles à la nature, s’inspireront de Rousseau, comme nous le montre cet extrait de l’isolement de Lamartine, où l’auteur fait clairement référence aux rêveries du promeneur solitaire de Rousseau en décrivant l’automne : « Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire ».
Cette volonté très vigoureuse chez Rousseau de défendre le « moi » l’amène souvent à être considéré comme égocentrique, comme pourraient le faire croire certains passages comme cet extrait des Confessions : « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus (Les hommes), et j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent », mais l’emploi de la première personne est souvent prétexte à tenter des réponses aux éternelles questions métaphysiques « Qui suis-je » et « Où vais-je ». Rousseau, en valorisant le « je », renforce la conception de l’individu et s’inscrit ainsi également dans le mouvement les Lumières qui inspireront la Révolution française quelques années plus tard : tous dénoncent des inégalités sociales et des abus à travers de vagues comparaisons, mais Rousseau, volontairement ou non, n’en est pas moins efficace en valorisant le « je ». En effet, l’homme n’est plus simplement un parmi tant d’autres, mais un individu à part entière, qui par son existence, peut lui aussi changer le cours de l’histoire.
Voir aussi
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