Massacre de deir yassin

Massacre de deir yassin

Massacre de Deir Yassin

Le massacre de Deir Yassin s'est produit le 9 avril 1948 durant la guerre de Palestine. Il a été perpétré par 120 combattants Israeliens de l'Irgoun et du Lehi. Certains historiens évaluent aujourd'hui le nombre de tués aux alentours de 100 à 120 personnes[1] avec une majorité de civils, femmes et enfants. À l'époque, la presse et différents commentateurs rapportèrent le nombre de 254 victimes[2].

Selon les historiens et commentateurs, ce massacre a eu des répercussions importantes sur la suite du conflit, notamment en favorisant l'exode palestinien et augmentant la pression sur les dirigeants arabes des pays voisins pour intervenir dans le conflit.

Il est resté un symbole dans l'histoire du conflit israélo-arabe.

Sommaire

Contexte

L'épisode se produit au début de la 2e phase de la guerre israélo-arabe de 1948. À ce moment, le pays est toujours sous le contrôle des autorités britanniques mais leur départ est prévu pour le 15 mai.

Fin mars, la situation du Yichouv (la communauté juive de Palestine) est précaire. La guerre des routes entamée par Abd al-Kader al-Husseini et la Jaysh al-Jihad al-Muqaddas porte ses fruits : la ville de Jérusalem, où habitent cent mille Juifs, soit un sixième de la communauté juive palestinienne, est assiégée et ne peut plus être ravitaillée.

Début avril, la Haganah passe à l'offensive. La première opération est l'opération Nahshon qui débute dans la nuit du 2 au 3 avril et qui a pour but de désenclaver et de ravitailler la ville en permettant aux convois de réemprunter la route Tel Aviv-Jérusalem. L'opération est rapidement couronnée de succès et se poursuivra jusqu'au 20 avril. Le 8 avril, le commandant palestinien Abd al-Kader al-Husseini est d'ailleurs tué au cours des combats.

Deir Yassin est un village arabe situé à 5 km à l'ouest de Jérusalem. Il compte 610 habitants, tous musulmans. D'autres sources parlent de 400 à 1200 habitants[3]. En janvier, ses habitants ont conclu des accords avec leurs voisins juifs de Givat Saul et ont signé un pacte de bon voisinage avec eux après avoir chassé des hommes du Najada hors du village. À plusieurs reprises, les habitants empêcheront des hommes de la Jaysh al-Jihad al-Muqaddas ou de l'Armée de libération arabe d'utiliser leur village comme base [4],[5].

Le village n'est pas stratégique et ne fait pas partie des villages à prendre dans le cadre de l'opération Nahshon. Néanmoins, malgré les réticences de David Shealtiel, responsable du secteur de Jérusalem, et finalement avec son accord, les miliciens juifs de l'Irgoun et du Lehi rassemblent 120 combattants pour attaquer le village[6]. Des combattants de la Haganah et du Palmach prendront également part plus tard aux opérations, après l'échec de la première attaque[7].

Selon Yoav Gelber, les motivations de l'Irgoun et du Lehi pour l'attaque de ce village stratégiquement insignifiant sont de montrer qu'ils sont eux aussi capables d'occuper un village arabe (en rapport avec les succès de la Haganah dans l'opération Nahshon) mais également sur fond de vengeance suite à la « crise des convois »[3].

Événements

L'attaque est lancée le 9 avril au matin. L'opération est mal préparée et de nombreux incidents se produisent. Les combattants palestiniens offrent une résistance plus importante que prévue. Les combattants de l'Irgoun et du Lehi ne sont pas entraînés pour une opération qui consiste à prendre un village en plein jour. Ils comptabilisent rapidement 5 morts et 35 blessés dont plusieurs « officiers ». Ils font alors appel à la Haganah pour évacuer leurs blessés.[réf. nécessaire]

Une section du Palmach intervient aux alentours de midi et tire au mortier de 2 pouces sur la maison du Moukhtar dans l'espoir de faire cesser la riposte palestinienne. Mais ces tirs sont sans effet et les combattants continuent à se battre même après que le reste du village a été pris ou que les villageois se sont rendus.[8]. Toutefois, selon Marius Schatner, la « section [...] [du Palmach] rédui[t] sans problème le principal noyau de résistance. Vendredi midi, elle se retire, laissant le soins aux combattants de l'Irgoun et du groupe Stern de ratisser le village[9] ». Lors de ce ratissage, les hommes de l'Irgoun et du Lehi prennent les habitations une par une, les nettoyant souvent à la grenade[8]. Ils font également sauter plusieurs maisons à l'explosif[10].

Bien que conscient de la situation, aucun renfort n'est envoyé de Jérusalem par le Comité National. Les Palestiniens sont occupés par les préparatifs de l'enterrement d'Abd al-Kader al-Husseini. Les Britanniques sont également approchés pour intervenir mais sans réelle insistance. Ce n'est qu'à la fin de l'après-midi, quand des premiers réfugiés -des femmes et des enfants- arrivent à Jérusalem que le comité d'urgence presse l'armée britannique d'intervenir[8].

À l'époque, La presse relayera le chiffre de 254[11] victimes civiles. Les historiens évaluent aujourd'hui le massacre aux alentours de 100 à 120 personnes dont une majorité de civils, femmes et enfants[12],[13]. Yoav Gelber relate que l'historien palestinien Kan'ana comptabilise un total de 11 morts parmi les 100 villageois qui disposent d'armes tandis que 70% des victimes sont non combattantes. Morris parle de 100 à 120 victimes ainsi que de prisonniers qui sont exécutés[14]. Jacques de Reynier, quant à lui, parle d'environ 350 morts.

Témoignages

Le colonel Meir Païl témoin du massacre relate :

« Il était midi quand la bataille se termina. Le calme régnait mais le village ne s’était pas rendu. Les irréguliers de l’Irgoun et du Stern sortirent de leurs caches et commencèrent les opérations de nettoyage. Faisant feu de toutes leurs armes, ils balançaient également des explosifs dans les maisons. Ils abattirent ainsi toutes les personnes qu’ils y trouvèrent, y compris les femmes et les enfants. Par ailleurs, près de vingt-cinq hommes qui avaient été sortis de chez eux furent chargés dans un camion et exposés, à la romaine, à travers les quartiers de Mahahneh Yehuda et Zakron Josef. Après quoi ils furent emmenés dans une carrière de pierre et abattus de sang-froid[15]. »

D'après le commandant adjoint de l'Irgoun à Jérusalem, Yeouda Lapidot, c'est le Lehi qui aurait proposé de « liquider les résidents du village après sa conquête [afin de] briser le moral des Arabes, et relever celui des juifs, affectés par la tournure des événements »[16].

Réactions

Ce massacre suscite l'indignation de la communauté internationale. Ben Gourion le condamne[17] ainsi que les principales autorités juives : la Haganah, le Grand Rabbinat et l'Agence juive qui envoie une lettre de condamnation, d'excuses et de condoléances au roi Abdullah[18]. « Mais aucune action concrète ne sera entreprise contre les organisations dissidentes, et la direction sioniste entérine le même jour un accord de coopération entre la Haganah et l'Irgoun [négocié avant Deir Yassin], en vue de l'intégration de ses forces dans la future armée de l'État juif »[19].

Menahem Begin nie tout massacre, parlant d’une « propagande mensongère » mais se félicite par contre du résultat : « ce ne fut pas ce qui s’est passé à Deir Yassin, mais bien ce qui a été inventé (...) qui nous a aidé à nous ouvrir un chemin vers des victoires décisives (...) Les Arabes pris de panique s’enfuirent aux cris de "Deir Yassin" »[20].

Nathan Yalin Mor, responsable politique du Lehi et membre du « centre » (sa direction) semble avoir été choqué par le massacre. Il le condamnera un an plus tard[19], après la fin des combats, seul parmi les anciens dirigeants de l'organisation.

Conséquences

Sur l'exode palestinien

Les historiens ne nient pas le massacre mais considèrent que l'ampleur qu'on lui a donnée à l'époque a été amplifiée par toutes les parties : Ben Gourion veut discréditer l'Irgoun et le Lehi qui s'opposent à son autorité ; les Arabes cherchent l'appui de la communauté internationale et veulent discréditer le Yichouv ; les leaders de l'Irgoun et du Lehi ont un intérêt à exagérer la panique générée par l'épisode pour augmenter leur prestige ([I], p.315; [II], p.239).

Selon Morris, néanmoins, l'épisode a un « effet plus durable que n'importe quel autre événement de la guerre dans la précipitation de l'exode palestinien » ([II], p.239). Il considère également que « l'effet immédiat le plus important du massacre et de la campagne médiatique sur l'atrocité qui suivit fut de déclencher et de promouvoir la peur et plus tard la fuite panique des villages et villes de Palestine » ([II], p.239). Il cite plusieurs rapports d'analystes de l'époque qui vont dans ce sens : « Deir Yassin fut un des deux événements pivots dans l'exode des Arabes palestiniens » ou encore que « Deir Yassin [fut] un facteur décisif d'accélération dans l'évacuation générale » ([II], p.240).

Lapierre et Collins partagent cette analyse dans leur ouvrage sur la guerre de 1948. Suivant leurs termes : « et comme les Français et les Belges avaient répandu sur les chemins de leur exode les récits de viols et de massacres, les Arabes accrurent leur débâcle par le rappel des atrocités de Deir Yassin » ([III], pp.514-515).

Gelber ne partage apparemment pas tout à fait ce point de vue. Selon lui, « les rumeurs entourant les événements - réels, fabriqués ou imaginés - de ce qui se produisit à Deir Yassin pourraient avoir encouragé des Palestiniens à s'enfuir quand les combats approchaient leurs maisons les semaines suivantes », mais il estime néanmoins que le rôle du massacre a été exagéré dans l'explication du mécanisme menant à l'exode de masse ([III], p.317). Cependant, il écrit également : « Les rumeurs du massacre (sic) de Deir Yassin pourraient avoir terrifié des Palestiniens et [les avoir poussés à la] fuite mais son rôle dans la provocation de l'exode de masse a été trop utilisé (overstated) » ([III], p.116).

Sur l'intervention des pays arabes

Une autre conséquence importante est la répercussion au sein de la population arabe des États voisins qui augmente encore la pression sur leurs dirigeants pour s'engager dans le bataille et venir à l'aide des Palestiniens ([II], p.239; [III], p.528).

Controverses

Le massacre de Deir Yassin est souvent dépeint par les Palestiniens ou leurs soutiens comme un exemple d'application du Plan Daleth, prouvant que celui-ci était bien la directive de nettoyage ethnique qu'il est accusé d'être[21].

Cette accusation est parfois reprise par des historiens. Par exemple, Ilan Pappé, avec certaines nuances, considère que les responsables du massacre de Deir Yassin pouvaient justifier leurs actes en se référant au Plan Daleth puisque ce dernier acceptait le principe de destruction de toutes les « bases ennemies » jugées stratégiques, que tous les villages aux alentours étaient considérés comme des bases ennemies et que la destruction d'un village implique bien d'en chasser les habitants ([IV], pp.131-133).

Gelber estime par contre que « la tentative par des historiens Palestiniens et des propagandistes de mettre en avant Deir Yassin comme une preuve d'une conspiration planifiée par le Yichouv pour expulser les Palestiniens (…) est tout à fait infondée ». Selon lui, « le massacre de Deir Yassin (…) fut un concours presqu'inévitable de circonstances - la nature des combattants des deux camps, leur organisation et position, leur niveau d'entraînement, le déploiement et la maîtrise du commandement et du contrôle, l'absence de cibles militaires claires, la présence d'un nombre important de civils (…) et le stress inhérent à ce type de combat inter-communautaire ».

Au delà de cette analyse, Gelber estime que la communication sur Deir Yassine a été exagérée par rapport à l'importance de l'évènement. En effet, d'autres massacres ont été plus sanglants, comme celui de 240 Juifs à Kfar Etzion ou de 250 Arabes à Lydda.

B. Morris analyse différemment de Gelber l'impact de la communication concernant le massacre dans la peur des populations, et donc dans l'exode palestinien. Mais tout comme Gelber, il relativise également l'importance des faits, en qualifiant les événements de « petite opération de l'Irgoun et du Lehi entreprise avec le consentement (…) réticent de la Haganah » ([I], p.318; [II], p.237).

Représailles

En représailles, le 13 avril, un convoi médical se dirigeant vers l'hôpital Hadassah du mont Scopus à Jérusalem sera attaqué par les Arabes. Quatre-vingts médecins et infirmières seront massacrés. Quelques soldats britanniques essaieront d'intervenir pour arrêter le massacre, mais sans succès.

Annexes

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. par exemple, Yoav Gelber, Palestine 1948, 2006, p.311 . Ce chiffre est également confirmé par l'Université de Beir Zeit
  2. Yoav Gelber, Palestine 1948, Sussex Academic Press, 2006, p.311.
  3. a  et b Yoav Gelber, Palestine 1948 (2006), p.309
  4. Yoav Gelber, Palestine 1948 (2006), p.306
  5. Benny Morris, The Birth revisited, 2003, p.91, p.97.
  6. L'Irgoun, 80, et le Lehi, 40, selon Benny Morris
  7. Benny Morris, The Birth revisited, 2003, p.237.
  8. a , b  et c Yoav Gelber, Palestine 1948, 2006, p.310.
  9. Marius Schatner, histoire de la droite israélienne, p.240.
  10. Benny Morris, The Birth ... revisited, 2003, p.237.
  11. tiré de Out of Crisis Comes Decision, p.269, Milstein
  12. Yoav Gelber, Palestine 1948, 2006, pp.311-312
  13. Benny Morris, The Birth ... revisited, 2003, p.238.
  14. Benny Morris, The Birth ... revisited, 2003, p.238.
  15. Il y a cinquante ans, Deir Yassine - l'Humanite
  16. D'après Eric Silver, dans Begin, a biography, londres, Wiedenfeld and Nicolson, 1984, P. 88 à 96.
  17. Yoav Gelber, Palestine 1948, 2006, p.317
  18. Benny Morris, The Birth ... revisited, 2003, p.239.
  19. a  et b Marius Schattner, Histoire de la droite israélienne, Éditions complexe, 1991, p.242 et suivantes.
  20. Menahem Begin, La révolte d’Israël, p.200 ; Benny Morris, The Birth... revisited, 2003, p.239 rapporte également du même ouvrage d'autres propos de Menahem Begin comme « la légende valait une demi-douzaine de bataillons aux forces d'Israël » ; « la panique submergea les Arabes d'Israël », ...
  21. Voir par exemple la reprise de cette accusation s sur mideastweb, accusations souvent reprise sur divers sites internet ou publications.
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