- Massacre de Kafr Qassem
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Le massacre de Kafr Qassem fait référence à une tuerie perpétrée dans la soirée du 29 octobre 1956, veille de l'opération Kadesh, par des hommes du Magav (en), la police des frontières israélienne, près du village de Kafr Qassem en Israël. Il fit 47 morts parmi les civils arabes israéliens pris pour cible, dont 15 femmes et 11 enfants âgés de 8 à 15 ans[1].
Depuis octobre 2006 toutes les écoles en Israël commémorent chaque année le massacre de Kafr Qassem par une journée d’étude et de réflexion sur la nécessité de désobéir à des ordres illégaux[2]. En Décembre 2007, le président d'Israël Shimon Peres, a officiellement présenté ses excuses[3].
Sommaire
Contexte
Suite à la guerre de 1948 et les accords d'armistice israélo-jordanien, la zone frontalière dite du « Triangle » qui comprend le village de Kafr Qassem est cédée à Israël. Elle comprend une quinzaine de villages arabes pour environ 12 000 habitants[4],[5] et est placée sous administration militaire dans le cadre de « Lois d'urgence » qui donnent tout pouvoir aux militaires pour le contrôle de la population[6].
Entre 1949 et 1956, les plans israéliens d'installation des nouveaux immigrants sont mis à mal par les « infiltrations frontalières » menées par les Palestiniens et les bédouins, bien que pas toujours à des fins violentes. On décompte ainsi chaque année entre 10 000 et 15 000 incidents. Au total, ils provoqueront la mort de plus de 200 Israéliens et entre 2 700 et 5 000 infiltrés[7].
En octobre 1956, suite à la montée des tensions avec l'Égypte, les Israéliens préparent conjointement avec les Français et les Britanniques une offensive contre Gaza et le Sinaï qui doit les conduire jusqu'aux portes du Canal de Suez. De manière à parer d'éventuelles incursions de groupes armés venant de Jordanie, les unités du Magav, la police des frontières, se voient confier la mission de surveiller le front oriental et en particulier les villages arabes israéliens du « Triangle »[8]. Les services de renseignement israéliens s'attendant à ce que la Jordanie entre dans la guerre au côté de l’Égypte après l'attaque israélienne[9].
Mise en place du couvre-feu
Le Magav est sous les ordres du colonel Issachar Shadmi, de Tsahal. Dans la journée du 29 octobre, il donne l'ordre pour que soit appliqué un couvre-feu sur 8 villages arabes du Triangle et que l'on tire sur toute personne qui ne le respecterait pas[8].
Vers 13 heures, le commandant du bataillon des gardes-frontières, Shmuel Malinki réunit ses officiers et leur transmet les ordres, ceux-ci devant être appliqués dès 17 heures. Certains objectent que des ouvriers arabes sont au travail dans leurs champs et qu'ils ne sont pas au courant du couvre-feu. S'ensuit alors une discussion. A la question : « Que faire dans ce cas ? », le commandant répond en arabe : « Allah Yarhamhum », ce qui signifie « Que dieu les prenne en miséricorde ». Quant à savoir ce qu'il faut faire pour les femmes et les enfants, Shmuel Malinki répond : « Sans sentiments », argumentant qu'il « [est] préférable que, dès le premier soir, il y ait des morts dans chaque village parce que cela facilitera le maintien du couvre-feu et aidera à l'exécution de la mission dans les jours qui suivr[o]nt »[8].
Massacre
Le lieutenant Gabriel Dahan est responsable de l'application du couvre-feu à Kafr Qassem[8]. Il notera plus tard : « il était évident qu'il ne s'agissait pas de forces combattantes ou hostiles, mais de gens de retour à leur village qui ne cherchaient pas à se cacher, ils étaient en tenue de travail et portaient des corbeilles dans leurs mains[8]. »
Il interprète les instructions au pied de la lettre à plusieurs occasions[8].
- Un camion transportant des femmes est arrêté. Elles demandent grâce. Elles sont abattues[10].
- 15 personnes à bicyclettes sont interceptés et priés de descendre puis « sont criblés de balles »[10].
- Plusieurs camions transportant des ouvriers sont successivement arrêtés. À chaque fois, passagers et conducteur sont abattus[10].
Sur quelques heures, ce sont 47 (ou 49[8]) villageois qui sont abattus à bout pourtant par les hommes de Malinsky, dont 15 femmes et 11 enfants âgés de 8 à 15 ans[1],[10].
Poursuites
Les policiers responsables furent jugés et eurent de courtes peines de prisons. L'événement suscita une importante réflexion en Israël dans le domaine judiciaire (sur la question pour les militaires et les policiers de désobéïr aux ordres illégaux). Ce fut également à l'origine d'un changement politique sur les responsabilités des gouvernements israéliens vis-à-vis de leurs citoyens d'origine arabe[5]. Onze policiers des frontières et les soldats impliqués dans le massacre ont été accusés d'assassinat. Le 16 Octobre 1958, huit d'entre eux ont été reconnus coupables et condamnés à des peines de prison. Malinki fut condamné à 17 ans d'emprisonnement, Dahan à 15 ans. Le fait que d'autres commandants locaux désobéirent à l'ordre Shadmi a été cité par la Cour comme l'une des raisons pour rejeter l’allégation de Dahan qu'il « n'avait pas le choix ». Suite à diverses remises de peine, Malinki et Dahan restèrent emprisonnés 5 ans.
Implications légales, éthiques et culturelles
En Octobre 2006, Yuli Tamir, ministre de l'éducation en Israël, a ordonné aux écoles à travers le pays de commémorer le massacre de Kafr Qassem et de réfléchir sur la nécessité de désobéir à des ordres illégaux. En Décembre 2007, le président d'Israël Shimon Peres a présenté des excuses pour le massacre. Lors d'une réception dans le village pour la fête musulmane de l'Aïd al-Adha, il a déclaré qu'il est venu à Kafr Qassem pour demander aux villageois leur pardon. « Un événement terrible qui s'est passé ici dans le passé, et nous sommes sincèrement désolés » a-t-il dit.
Annexes
Documentation
Ouvrages
- Samy Cohen, Tsahal à l'épreuve du terrorisme, Le Seuil, 2009 (ISBN 9782020838238), « massacre de Kfar Qassem », p. 66-70
- Ilan Pappé, La guerre de 1948 en Palestine, La fabrique éditions, 2000 (ISBN 226404036X)
- Benny Morris, Victimes. : Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste [« Righteous Victims: A History of the Zionist-Arab Conflict, 1881-1999 »], Paris, Éditions Complexe, coll. « Histoire du temps présent », 16 février 2003 (1re éd. 1999), 800 p. (ISBN 978-2870279380)
- (en) Benny Morris, The Birth Of the Palestinian Refugee Problem Revisited, Cambridge University Press, 2003 (ISBN 0521009677)
Articles de presse
- Dalia Karpel, Do the right thing, Ha'aretz, 18 octobre 2008.
- Tom Segev, Apology in Kafr Qasem, Ha'aretz, 27 décembre 2007; traduit sur le site de la Paix Maintenant.
- Yoav Stern, 50 years after massacre, Kafr Qasem wants answers, Ha'aretz, 30 octobre 2006.
Notes et références
- Benny Morris, Israel's border wars, 1949-1956: Arab infiltration, Israeli retaliation, and the Countdown to the Suez War, Oxford University Press, p.433.
- (en) http://www.haaretz.com/print-edition/news/education-minister-orders-schools-to-commemorate-kafr-qasem-massacre-1.203212
- (en) http://www.haaretz.com/news/president-peres-apologizes-for-kafr-qasem-massacre-of-1956-1.235632
- Ilan Pappé, La Guerre de 1948 en Palestine, 2000, pp.252-256.
- Benny Morris, The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited, 2003, pp.530-532.
- Tom Segev, The First Israelis, Owl Books, 1986, pp.50-51.
- Benny Morris, Victimes, (2003), pp.285-286
- Sami Cohen, Tsahal à l'épreuve du terrorisme (2009), pp.66-70.
- (en) Benny Morris, Righteous Victims, p.289
- John Conroy, Unspeakable Acts, Ordinary People: The Dynamics of Torture, University of California Press, 2001, pp.138-139.
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