- Lèse-majesté
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Crime de lèse-majesté
Le crime de lèse-majesté est une notion juridique mal définie qui a évolué dans le temps, recouvrant différentes qualifications juridiques. Pour l'essentiel, il était relié aux atteintes au souverain, quel qu'il soit (le peuple, un monarque, un principe fondateur, etc.), et aux signes de sa majesté (objets, décisions, personnes y compris leurs représentants, etc.).
Sommaire
La maiestas romaine
Ce crime apparaît à Rome sous la République et selon Tacite (Annales, I, LXXII, 2-4) recouvrait les crimes de « trahison envers l’armée, sédition à l’égard de la plèbe, enfin mauvaise gestion des affaires publiques, nuisible à la majesté du peuple romain ». La maiestas c'est la grandeur du peuple romain dans son ensemble.
Cicéron emploie cette notion dans deux affaires :
- Dans sa seconde action contre Verrès ( Discours- T IV, 88), il qualifie le vol du Mercure de Tyndaris de lèse-majesté (en même temps que crime de concussion, de détournement d'une propriété publique, de sacrilège et de cruauté)
- « Il y a lèse-majesté, car il a osé renverser et emporter les souvenir de notre domination. »
- Dans sa défense de Cluentius (Pro Cluentio, 97), il emploie ce terme à propos d'une tentative de soulèvement militaire.
- « Il fut établi (...) qu'il avait cherché à soulever une légion en Illyrie : telle était l'action qui relevait proprement du ressort de ce tribunal, tel était le fait qui tombait sous la loi de majesté. »
Toujours selon Tacite (Annales, I, LXXII, 2-4) : « les actes étaient mis en cause, les paroles restaient impunies ».
La majesté impériale
Avec l'Empire, l'empereur devient la personnification de la maiestas du peuple romain. Tacite et Suétone démontrent bien l'évolution de la notion de ce crime de lèse-majesté, sous Auguste puis Tibère, pour condamner les propos portant atteinte à la personne impériale - qui depuis que Auguste a reçu la puissance tribunicienne à vie est sacrosanctus.
- « Auguste le premier se couvrit de cette loi pour engager une instruction sur les libelles scandaleux, indigné par la licence de Cassius Severus qui, s’en prenant à des hommes et à des femmes de rang illustre, les avait diffamés dans des écrits insolents ; puis Tibère, consulté par le préteur Pompeius Macer sur la recevabilité des accusations pour lèse-majesté, répondit que les lois devaient être appliquées. Lui aussi avait été exaspéré par des vers anonymes qui couraient sur sa cruauté, son orgueil et sa mésintelligence avec sa mère. » (Tacite, Annales, I, LXXII, 2-4)
- « Vers le même temps, comme un préteur demandait à Tibère s’il voulait faire poursuivre les crimes de lèse-majesté, il répondit « qu’il fallait appliquer les lois », et il les appliqua de la manière la plus atroce. Quelqu’un avait enlevé la tête d’une statue d’Auguste pour lui en substituer une autre ; l’affaire fut débattue au Sénat et, comme il y avait doute, on eut recours à la torture. L’inculpé ayant été condamné, ce genre d’accusation fut insensiblement porté si loin qu’on fit un crime capital même d’avoir battu un esclave ou changé de vêtements près d’une statue d’Auguste, d’avoir été aux latrines ou dans un lieu de débauche avec une pièce de monnaie ou une bague portant son effigie, d’avoir critiqué l’une de ses paroles ou de ses actions. Enfin on alla jusqu’à faire périr un citoyen qui s’était laissé investir d’une magistrature dans sa colonie, le même jour où l’on avait autrefois décerné des charges à Auguste. » (Suétone, Vies des douze Césars, « Tibère », LVIII).
Certains chercheurs considèrent que, justement sous le règne de Tibère, Ponce Pilate condamna Jésus sous ce chef d'inculpation de lèse-majesté, le titre de « roi des Juifs », portant atteinte à la majesté du peuple romain et à l'empereur.
Au Moyen Âge
L'attentat contre le pape Léon III avant le couronnement impérial de Charlemagne en l'an 800 fut qualifié de reus majestatis (« accusé de [lèse]-majesté »).
En 1199, avec la décrétale Vergentis in senium, le pape Innocent III, bouleverse le sens du crime de lèse-majesté en y assimilant l'hérésie. Désormais la lèse-majesté comportera une facette religieuse en qualifiant l'hérésie, le blasphème, le sacrilège, et toute autre opinion déviante.
En 1313, l'empereur Henri VII, donne une définition moderne de la lèse-majesté au travers du texte Qui sint rebelles.
Contestation par les Lumières
La notion de lèse-majesté a été très violemment contestée par les Lumières :
- d'une part en raison de la contestation de toute notion de divinité sur terre, à une époque où la lèse-majesté était explicitement liée à la religion ;
- d'autre part considérant que la répression de ce crime était la porte ouverte à tous les arbitraires, en raison du flou inhérent à sa définition, de sa procédure hors du droit commun (parfois même absente), et de l'absence de limite dans les châtiments possibles. De fait, certains ont utilisé ce chef pour attaquer leurs adversaires (et parfois réussi à les faire condamner), au motif par exemple que se plaindre c'était contester une décision royale, donc s'attaquer à la majesté du roi.
Cette contestation s'est avérée efficace, la notion de lèse-majesté a fortement reculé depuis.
Époque contemporaine
La révision du code pénal en 1832 fit disparaître la mention de lèse-majesté en France [1]. Il a été néanmoins ressuscité par la Troisième République, sous le nom d'offense au chef de l'État, encore en vigueur aujourd'hui.
Elle s'est maintenue dans d'autres États.Crimes rattachés à la lèse-majesté
- Délit d'offense à chef d'État étranger
- Trahison et haute trahison
- Sédition
- Faux-monnayage
- Blasphème
- Hérésie
- Sacrilège
- Régicide
Cas qualifiés de lèse-majesté célèbres
- Gauthier et Philippe d'Aunay (19 avril 1314) ;
- François Ravaillac (1610) condamné à l'écartèlement, a été accusé du pire des forfaits dans la hiérarchie des délits : "Le crime de lése-majesté divine et humaine au premier chef", en assassinant Henri de Bourbon (Henri IV) ;
- Henri de Talleyrand-Périgord, comte de Chalais, impliqué dans la « conspiration de Chalais » à l'encontre du cardinal de Richelieu (1626) ;
- Henri II de Montmorency, prince de Condé, pour s'être joint à la rébellion contre Louis XIII (1632)
- Henri de la Tour d'Auvergne-Bouillon, vicomte de Turenne (1649) ;
- Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz (1657) ;
- Nicolas Fouquet, surintendant des finances (procès de 1661 à 1664) ;
- Robert François Damiens (1757) pour son agression sanglante sur la personne de Louis XV.
Références
- ↑ Proposition de loi visant à abroger le délit d'offense au Président de la République, présentée par M. Jean-Luc Mélenchon, Sénateur, Annexe au procès-verbal de la séance du 19 novembre 2008.
Voir aussi
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