- Lingua Tertii Imperii
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LTI - Lingua Tertii Imperii: Notizbuch eines Philologen (1947) est un livre de Victor Klemperer, professeur à l'université de Dresde, spécialiste de littérature française et italienne, protestant (agnostique) de religion, mais juif pour les nazis. Le titre, précédé d'un sigle dont les abus sont aussi dénoncés par Klemperer, comporte une partie en latin et une autre en allemand. Il signifie Langue du Troisième Reich : Carnets d'un philologue.
Lingua Tertii Imperii étudie la façon dont la propagande nazie modifie la langue allemande pour soutenir l'idéologie nationale-socialiste. Le livre reprend l'ensemble des notes personnelles recensant, au jour le jour, tout ce qui a trait à l'utilisation et au détournement du langage effectué par le régime nazi, transmis par les journaux, la radio, et finalement repris par les gens eux-mêmes.
La LTI manipula les âmes par les mots dont elle altéra la signification, mais aussi par des tournures et une syntaxe que le régime, maître de toute parole, imposa à longueur de discours et de colonnes de journaux. Personne n'y échappa. Victor Klemperer raconte une traversée de la mer Baltique au cours de laquelle le mal de mer se répandit de proche en proche à tous les voyageurs rassemblés sur le pont. Il observait la scène avec amusement avant que vînt son tour et que lui aussi fût obligé de courir au bastingage et de vomir.
Sommaire
Chapitres
Selon la traductrice, Elisabeth Guillot (1996), il semble qu'un certain déséquilibre règne entre les chapitres de ce livre : alternance de récits, d'expériences vécues, de dialogues et de tentatives de conceptualisation. Ces écrits proviennent de notes tenues clandestinement entre 1933 et 1945, ordonnées et complétées entre 1945 et 1947.
- Héroïsme, en guise d'introduction
- 1. LTI
Quel fut le moyen de propagande le plus puissant de l'hitlérisme ? Étaient-ce les discours isolés de Hitler et de Goebbels, leurs déclarations à tel ou tel sujet, leurs propos haineux sur le judaïsme, sur le bolchevisme?
Non, incontestablement, car beaucoup de choses demeuraient incomprises par la masse ou l'ennuyaient, du fait de leur éternelle répétition.[...]
Non, l'effet le plus puissant ne fut pas produit par des discours isolés, ni par des articles ou des tracts, ni par des affiches ou des drapeaux, il ne fut obtenu par rien de ce qu'on était forcé d'enregistrer par la pensée ou la perception.
Le nazisme s'insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s'imposaient à des millions d'exemplaires et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente. »
— Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, pp 39-40, Pocket Agora, 1996, Albin Michel. (ISBN 2-266-13546-5)
- 2. Prélude
- 3. Qualité foncière: pauvreté
La LTI est une langue pauvre dépourvue de différence entre oral et écrit : tout est discours. Elle ignore toute différence entre le privé et le public, s'efforce de faire perdre à l'individu toute trace d'individualité. "[E]lle enseigne les moyens de fanatiser et de pratiquer la suggestion de masse."
- 4. Partenau
Partenau est le titre d'un roman de Max René Hesse, paru en 1929. Klemperer écrit à son sujet : "Quelle anticipation de la langue, des convictions propres au Troisième Reich [nécessité de trouver un Führer; volonté de déporter les non-germaniques pour donner leurs terres aux Allemands] !" Il poursuit en montrant que ces convictions et cette langue étaient déjà banals en 1929 dans l'armée allemande.
L'auteur mentionne aussi dans ce chapitre l'ouvrage de Houston Stewart Chamberlain, Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhunderts (Les Fondements du XIXe siècle), paru en 1899.
- 5. Extraits du journal de la première année
- 6. Les trois premiers mots nazis
- 7. Aufziehen [monter]
- 8. Dix ans de fascisme
Le film et la radio rendirent au discours l'importance qu'il avait eue à Athènes. Mais ici le discours "devait être compris de tous et, par conséquent, devenir plus populaire. Ce qui est populaire, c'est le concret ; plus un discours s'adresse aux sens, moins il s'adresse à l'intellect, plus il est populaire. Il franchit la frontière qui sépare la popularité de la démagogie ou de la séduction d'un peuple dès lors qu'il passe délibérément du soulagement de l'intellect à sa mise hors circuit et à son engourdissement."
- 9. Fanatique
- 10. Contes autochtones
- 11. Effacement des frontières
- 12. Ponctuation
- 13. Noms
- 14. Chip'charbon [Kohlenklau]
- 15. Knif
Sur l'usage des abréviations qui donnent le sentiment d'appartenir au groupe des initiés. Les abréviations sont répandues parce que le régime technicise et organise.
- 16. En une seule journée de travail
- 17. Système et organisation
- 18. «Je crois en lui »
Dans le chapitre XVIII, l'auteur montre que les Allemands ont eu la foi en Hitler, le nazisme était une religion dont la langue a emprunté à celle du catholicisme : culte des martyrs du parti, résurrection (de l'empire grand-allemand), etc. Hitler se présente comme le Sauveur, il est guidé par la Providence, il est Dieu. Le chapitre se termine sur la rencontre de l'auteur avec un de ses anciens élèves, après l'effondrement de l'Allemagne : le jeune homme avoue qu'il croit toujours en Hitler !
- 19. Petit mémento de LTI: les annonces du carnet
- 20. Que restera-t-il ?
- 21. La racine allemande
Dans le chapitre XXI, Klemperer définit l'antisémitisme comme pilier du système nazi. L'antisémitisme était la forme de la rancune de ce déchu qu'était Hitler, c'est une donnée fondamentale de sa vision politique formée à l'époque de Karl Lueger et Georg Ritter von Schönerer, c'est un moyen de propagande pour le parti, "la concrétisation ... de la doctrine raciale." Klemperer montre que l'antisémitisme du Troisième Reich est nouveau et unique (l'antisémitisme semblait avoir disparu depuis longtemps ; il apparaît moderne - organisation, technique de l'extermination ; la haine du Juif se fonde sur l'idée de race). L'origine de cette résurgence de l'antisémitisme: l'œuvre du Français Joseph Arthur de Gobineau et le romantisme allemand : "Car tout ce qui fait le nazisme se trouve déjà en germe dans le romantisme: le détrônement de la raison, la bestialisation de l'homme, la glorification de l'idée de puissance, du prédateur, de la bête blonde..."
- 22. Radieuse Weltanschauung
- 23. Quand deux êtres font la même chose
Chapitre XXIII : Klemperer note la profusion de termes techniques, de termes qui mécanisent l'homme. Il observe le même phénomène chez les bolcheviques, mais si ces derniers mécanisent la société, c'est pour apporter aux habitants de meilleures conditions matérielles et ainsi libérer leur esprit, alors qu'avec la LTI l'objectif est l'asservissement de l'esprit.
- 24. Café Europe
Chapitre XXIV : Klemperer contraste la notion d'Europe due à Paul Valéry ("La crise de l'esprit", dans Variété, Gallimard, 1924 p. 46 sqq) à ce qu'en ont fait les nazis. Chez le premier, "L'Europe était dégagée de son espace d'origine, ... elle signifiait tout domaine ayant reçu l'empreinte de cette triade : Jérusalem, Athènes et Rome."
Chez les nazis, le mot "est à prendre au sens parfaitement spatial et matériel" et exclut de plus la Russie et le Royaume-Uni. Ce vaste espace a en son centre l'Allemagne qui défend la "forteresse Europe'".
- 25. L'étoile
Chapitre XXV : A partir du 19 septembre 1941 et sous peine de mort, les Juifs durent porter l'étoile jaune, ce qui les empêcha désormais de passer inaperçus. Certains ouvriers juifs furent dispensés de cette obligation (et d'aller habiter dans des "maisons de Juifs"): il s'agissait de personnes ayant contracté un mariage mixte et dont les enfants n'appartenaient pas à la communauté juive. Il y avait beaucoup d'hostilité entre privilégiés et non privilégiés.
- 26. La guerre juive
- 27. Les lunettes juives
- 28. La langue du vainqueur
Chapitre XXVIII L'auteur montre que la plupart des Juifs ont adopté la langue des vainqueurs (la LTI) - sans que cela signifie pour autant une adhésion à leurs doctrines, mais cela ne signifie pas que la LTI ne modelait pas leur façon de voir le monde.
Au milieu du chapitre, Klemperer note qu'après la première guerre "les Allemands et les Juifs avaient commencé à s'éloigner les uns des autres, le sionisme s'était établi dans le Reich".
- 29. Sion
Chapitre XXIX Le sionisme est le sujet de ce chapitre. Herzl était un inconnu même pour beaucoup de Juifs allemands cultivés. Mais Klemperer pense qu'il a influencé Hitler : "La doctrine nazie a sûrement été à maintes occasions stimulée et enrichie par le sionisme".
- 30. La malédiction du superlatif
- 31. Renoncer à l'élan du mouvement...
Dans les chapitres XXX et XXXI l'auteur montre l'emploi constant du superlatif pour qualifier tout acte des nazis pour engourdir les esprits - à tel point que le superlatif fut interdit dans les annonces commerciales. Hyperbolisme aussi dans l'emploi du mot Welt (monde : "le monde écoute le Führer"), ou d'"historique" - ou de leur composition : Welthistorisch (universellement historique). Ceci se combine au besoin de mouvement : "on veut agir et ne jamais lâcher "la loi de l'action" (...) Dans un style soutenu et pour montrer qu'on est cultivé, on dit qu'on veut être "dynamique"." La notion d'assaut est partout présente. Au moment des premiers échecs des armées allemandes apparaît une nouvelle tournure : "guerre de défense mobile" - permettant de maintenir l'impression d'avancée. Puis apparaissent de nombreux euphémismes pour signaler les avancées des ennemis.
- 32. Boxe
Quelques considérations sur le sport sous le troisième Reich qui place la performance physique au-dessus de l'intellectuelle à tel point que pendant les Jeux olympiques d'été de 1936 Helena Mayer (juive) a sa place dans l'équipe allemande d'escrime tandis que Jesse Owens (Noir américain) est fêté.
Les discours empruntent souvent leurs images au sport, en particulier à la boxe : "Nous devons parler la langue que le peuple comprend. Celui qui veut parler aux hommes du peuple doit, comme dit Martin Luther, "considérer leur gueule" (dem Volk aufs Maul sehen)" déclare Goebbels en 1934.
- 33. La suite [Gefolgschaft]
La LTI se caractérise par l'enflure sentimentale, destinée à supplanter la pensée et provoquer "un état d'hébétement, d'aboulie et d'insensibilité" qui permet de trouver "la masse nécessaire des bourreaux et des tortionnaires".
"Que fait une parfaite Gefolgschaft? Elle ne pense pas, et elle ne ressent pas non plus - elle suit."
L'enflure sentimentale se nourrit de tradition vieille-allemande, fait appel au spontané, à l'instinct, à l'héroïsation de la paysannerie - et déconsidère l'intellectuel.
- 34. Une seule syllabe
Il est question ici des chants patriotiques et des slogans, et de leurs mérites respectifs, et plus particulièrement d'un chant dans lequel un vers a perdu une syllabe entre l'édition de 1934 et celle de 1942. Le texte de 1934 disait : "Aujourd'hui l'Allemagne nous appartient [gehören] et demain le monde entier" et celui de 1942 : Et aujourd'hui l'Allemagne nous écoute [hören] et demain le monde entier". Le chant qui prônait en 1934 la conquête au moment même où Hitler tenait des discours de paix s'était travesti, après la destruction de l'Europe (et après la bataille de Stalingrad (1942-43) qui avait rendu la victoire improbable), en un chant de paix.
- 35. La douche écossaise
La LTI mélange vocabulaire allemand (voire même vieil allemand) et emprunts aux langues étrangères. Ces derniers ont un caractère plus ronflant, et permettent de cacher certaines choses à l'auditeur. Hitler, doté d'une culture générale très déficiente, étale son mépris pour "la prétendue culture d'autrefois" et fait parade de mots étrangers inconnus pour beaucoup d'Allemands. "Le mot étranger impressionne, il impressionne d'autant plus qu'il est moins compris ; n'étant pas compris, il déconcerte et anesthésie, il couvre la pensée."
Le sommet est atteint par Goebbels qui anesthésie tout esprit critique en passant constamment d'un extrême à l'autre: érudit / rustaud; sobriété / ton du prédicateur; raison / sentimentalité.
- 36. La preuve par l'exemple
Ce chapitre relate le bombardement de Dresde qui commença le 13 février 1945 et permit aux derniers Juifs de la ville (ceux qui étaient en couple mixte) d'échapper à la déportation qui avait été décidée le matin même. Les habitants durent fuir, l'auteur arriva dans un village près d'Aichach, en Bavière, à plus de 400 km de Dresde, après bien des difficultés.
Quelques remarques sur la LTI encore : c'est une langue pauvre qui ne renforce le message qu'à force de le matraquer. Ou : ne pas dire : ""le paysan" ou "le paysan bavarois", n'oublie jamais qu'on a dit : "le Polonais", "le Juif" !
Quelques considérations sur les catholiques, et sur différents livres.
- Pour des mots, un épilogue
Les mots de la LTI
- [Weltanschauung ] : une vision du monde par intuition (ou une philosophie)
- [Organisch ] : organique - spontané - instinct - fanatique et fanatisme - aveuglément
- [artfremd ] étranger à l'espèce - total
- [Volk ] : peuple
- [Volksfest ]: fête du peuple
- [Volksgenosse ]: camarade du peuple , compatriote
- [volksfremd ] : étranger au peuple
- [Rassengenossen ] : camarades de race
- [völkisch ]: raciste (le concept de völkisch est fondé sur l'opposition entre Aryens et Sémites)
- [Strafexpedition] : expédition punitive
- [Staatsakt ] : cérémonie officielle
- [Aktion ]: expédition de tuerie
- [Sturm ]: assaut , tempête, groupe de combat
- [Sturmabteilung ]: ( SA ) section d'assaut
- [Schutzstaffel ]: ( SS ) échelon de protection
- [Betriebszellen ]: cellules d'entreprise - Système
- [Aufziehen ] : Monter (un coup)
- [Sonnig ]: radieux
- [Vermassung ]: massification
- [Gleichschalten ] : mettre au pas , synchroniser
- [Führerprinzip ]: principe d'autorité...
Adaptation cinématographique
- Stan Neumann La Langue ne ment pas, film tiré des journaux de Victor Klemperer écrits de 1933 à 1945 avec de nombreux extraits du livre Langue du Troisième Reich : Carnets d'un philologue.
Bibliographie
- Jean-Pierre Faye, Langages totalitaires, Hermann, Paris 1972 ;
- Jean-Pierre Faye, Le langage meurtrier, Hermann, Paris 1996 ;
- Jacques Dewitte, Le pouvoir de la langue et la liberté de l'esprit.
- Colloque de Cerisy : http://www.ccic-cerisy.asso.fr/klemperer10.html
Le journal
- Mes soldats de papiers, journal 1933- 1941
- Je veux témoigner jusqu'au bout, Journal de 1942-1945
- Traduit de l'allemand par Ghislain Riccardi, Michèle Kiintz-Tailleur et Jean Tailleur, Le Seuil
- Des Tagesbuch, journal 1945-1949
- Victor Klemperer, LTI, la langue du Troisième Reich. Carnets d'un philologue, Paris, Albin Michel, coll. Bibliothèque Idées, [1947] 1996, 375 p. Traduit et annoté par Elisabeth Guillot.En livre de poche Agora Pocket n° 202, ISBN 2-266-13546-5. Voir sur Wikipedia Lingua Tertii Imperii
- Victor Klemperer: LTI - Lingua Tertii Imperii. Reclam Verlag Leipzig, (ISBN 3-379-00125-2)
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
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