- Limbes
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Dans la religion catholique, les limbes (du latin limbus, « marge, frange ») correspondent à deux lieux de l'au-delà situés aux marges de l'enfer. Par extension, ils désignent un état intermédiaire et flou.
Le 20 avril 2007, la commission théologique internationale de l'Église catholique romaine publie ses conclusions sur la question, déclarant que les limbes reflètent une vue indûment restrictive du Salut, et ne peuvent pas être considérées comme une « vérité de foi[1] ».
Sommaire
Origine
Le mot n'apparaît ni dans la Bible, ni chez les Pères de l'Église[2]. Il émerge au XIIIe siècle dans la pensée scolastique, qui distingue deux limbes.
Limbe des patriarches
Le limbus patrum (limbe des patriarches) reçoit les âmes des justes morts avant la résurrection de Jésus Christ. Il correspond au « sein d'Abraham » mentionné dans l'Évangile selon Luc (16:22)[3]. Ces âmes, qui ne pouvaient entrer au paradis, scellé depuis la faute d'Adam, sont libérées par Jésus lors de sa descente aux enfers entre le Vendredi saint et le jour de Pâques. La tradition scolastique se fonde ici sur la première épître de Pierre, laquelle indique que Jésus « est allé prêcher aux esprits en prison » (3:19).
Limbe des enfants
Le limbus puerorum (limbe des enfants) reçoit les âmes des enfants morts avant d'avoir reçu le baptême. Il constitue une réponse théologique à la question du devenir de ces âmes qui, sans avoir mérité l'enfer, sont néanmoins exclues du paradis à cause du péché originel. Cette question, qui remonte aux premiers temps du christianisme, reçoit une réponse relativement floue de la part des premiers Pères de l'Église. Grégoire de Nysse (Sur les enfants morts prématurément) comme Grégoire de Nazianze (Discours, XL, 23) affirment que ces âmes ne sont pas destinées à souffrir dans l'au-delà, mais sans autre précision.
Pour Augustin d'Hippone, il n'existe aucune possibilité de destin intermédiaire entre le paradis et l'enfer : les âmes des enfants non baptisées sont vouées à l'enfer, ce qui explique l'insistance d'Augustin en faveur d'un baptême immédiat des enfants. En réaction au pélagianisme, il fait condamner au concile de Carthage (418) l'idée d'un lieu intermédiaire accueillant les enfants morts sans baptême.
Si Augustin précise que ces âmes ne souffrent en enfer que de la « peine la plus douce » (Enchiridion, 103), sa rigueur explique le revirement des théologiens du bas Moyen Âge. Dans le limbe des enfants, les âmes se trouvent dans un état intermédiaire : elles n'encourent pas les souffrances de l'enfer mais sont privées de la béatitude du paradis. La nature précise de cet état fait l'objet d'une controverse scolastique ; la question est de savoir si ces âmes souffrent du dam, c'est-à-dire de la privation de cette béatitude. Thomas d'Aquin estime d'abord dans le Scriptum super sententias qu'elles sont résignées puis, dans le De malo (q.5, art. 1-3), argumente en faveur de leur ignorance radicale de cette privation[4]. En comparaison, explique-t-il, l'homme ne souffre pas de ne pouvoir voler dans les airs. Pour Thomas, les âmes de ces enfants jouissent donc d'un bonheur naturel : « toute douleur est exclue de leur peine ».
Les limbes dans la doctrine catholique
Les limbes, en particulier les limbes des enfants, n'ont jamais été définis comme un dogme de l'Église catholique au sens strict. Ils ont toutefois fait partie pendant longtemps de la doctrine catholique officielle et en particulier de l'enseignement.
En effet, avant même la venue de Thomas d'Aquin, le pape Innocent III se démarque de la thèse augustinienne en disant, dans une lettre à l'archevêque d'Arles, que ceux qui meurent avec le seul péché originel souffriront de la privation de la vue de Dieu mais ne subiront pas d'autres peines[5].
Le Catéchisme de saint Pie X mentionne le limbe des Pères en son chapitre 6 consacré au cinquième article du Symbole de Nicée :
« Les limbes [sont le] lieu où étaient les âmes des justes en attendant la Rédemption de Jésus-Christ. (…) Les âmes des justes ne furent pas introduites dans le paradis avant la mort de Jésus-Christ, parce que le paradis avait été fermé par le péché d’Adam et qu’il convenait que Jésus-Christ, dont la mort le rouvrait, fût le premier à y entrer. »
En revanche, il n'évoque pas du tout le limbe des enfants.
La notion de limbes a initialement émergé dans la pensée théologique comme conséquence logique de l'existence du péché originel et du baptême en tant qu'instrument de salut.
L'existence des limbes, selon le Dictionnaire de théologie catholique[6], se déduit logiquement d'un principe dogmatique dégagé lors du concile de Vatican I, selon lequel ceux qui meurent avec le seul péché originel sont privés de la vision béatifique, tandis que ceux qui ont commis personnellement des péchés graves subiront en plus les châtiments de l'enfer. Cette position, par rapport à l'affirmation d'Innocent III, intègre l'apport de Thomas d'Aquin : la privation de la vision béatifique n'est pas explicitement désignée comme une souffrance.
La réflexion théologique moderne, mettant plus volontiers en avant l'idée de divine miséricorde et de salut universel, a poursuivi l'évolution vers un possible salut des enfants morts sans baptême. Le IIe concile œcuménique du Vatican affirme ainsi dans la constitution dogmatique Gaudium et Spes (§22-5) « puisque le Christ est mort pour tous, et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit-Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal. »
Le Catéchisme de l'Église catholique n'utilise plus le terme de « limbes » quand il évoque le sort des enfants morts sans baptême :
« Quant aux enfants morts sans baptême, l'Église ne peut que les confier à la miséricorde de Dieu, comme elle le fait dans le rite des funérailles pour eux. En effet, la grande miséricorde de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés, et la tendresse de Jésus envers les enfants, qui Lui a fait dire « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas » (Mc 10:14) nous permettent d'espérer qu'il y ait un chemin de salut pour les enfants morts sans baptême. D'autant plus pressant est aussi l'appel de l'Église à ne pas empêcher les petits enfants de venir au Christ par le don du saint baptême. (CEC-1261) »
Dès 1984, le cardinal Ratzinger (futur Benoît XVI), alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, considérait à titre personnel que la notion de limbes n'était qu'une hypothèse et que cette hypothèse pouvait être abandonnée. En 2004, la Commission théologique internationale a entamé une réflexion sur ce sujet. Lors de son assemblée plénière du 2 au 6 octobre 2006, elle a déclaré que « l'idée des limbes, comme lieu auquel sont destinées les âmes des enfants morts sans baptême, peut être abandonnée sans problème de foi. » Cette conclusion sur les limbes des enfants est confirmée en 2007. D'après le document final, la privation de la vision de Dieu pour ceux qui sont marqués par le péché originel, ainsi que l'avait affirmé Innocent III, demeure un article de foi. La Commission estime toutefois que la privation de la vision de Dieu pour les enfants morts sans baptême et l'existence des limbes sont des « thèses théologiques » ou des « enseignements courants », mais ils n'ont pas la valeur d'un article de foi : « il y a lieu de croire que Dieu pourvoit au salut de ces enfants, précisément parce qu'il n'a pas été possible de les baptiser[7] ». L'existence des limbes n'est pas complètement écartée mais demeure une possibilité parmi d'autres.
Pèlerinages et Embryologie sacrée
Jusqu'à la décision du pape Benoît XVI[8] le cas des enfants morts sans baptême était souvent une torture morale pour les parents croyants. La dévotion populaire a mis en place ce qu'on appelait des « sanctuaires à répit » : on considérait que les enfants y ressuscitaient miraculeusement le temps nécessaire pour recevoir l'eau sainte. C'est le cas par exemple à Avioth (Meuse) dans l'église Notre-Dame d'Avioth[9], ou bien de la chapelle Notre-Dame de la Vie à Saint-Martin de Belleville, en Savoie[10]. Dans l'actuelle Seine-et-Marne la Vierge noire de Pringy était invoquée à cette fin[11]. Il y avait aussi à Saint-Martin-d'Heuille, dans le Nivernais, un oratoire (ou un autel ?) consacré à Notre-Dame de Pitié et le 24 octobre 1879 un enfant mort y aurait été ressuscité et aurait pu recevoir le baptême[12].
Mais que faire des embryons et des fœtus ? C'est sur ce problème que s'est penché un certain François-Emmanuel Cangiamila dont l'Embriologia sagra, traduite en français par l'abbé Dinouart en 1775 a fait longtemps autorité. Il fallait vérifier dans ce qu'avait rejeté la femme s'il ne se trouvait pas un embryon, même minuscule, et le baptiser sub conditione (car on n'était pas sûr qu'il était vivant) en disant : « Si tu vivis… » ; lorsqu'on n'était pas sûr qu'il s'agissait d'une forme humaine on précisait encore : « Si tu es homo et vivis… » ou « Si tu es homo et capax…[13] ».
Quand l'accouchement était difficile et mettait en péril la vie de l'enfant, il ne fallait pas hésiter à baptiser sur le premier membre qui se présentât, la main par exemple. Mais comme on n'était pas sûr de la validité de ce baptême, il fallait le réitérer au cas où l'enfant naissait vivant : « Si tu non es baptizatus… ». Si l'accouchement se révélait trop difficile, on allait jusqu'à introduire de l'eau tiède avec la main ou une seringue afin de toucher l'enfant (ou au moins son enveloppe) en même temps qu'on prononçait les paroles sacramentelles. Ce qui n'empêchait pas ensuite un nouveau baptême sub conditione.
Les Limbes dans le Coran
Dans la tradition musulmane, les limbes sont un lieu intermédiaire entre le paradis et l'enfer. Le Coran[14] décrit cette scène, au jour du jugement dernier, tous les humains seront ressuscités par Allah et se tiendront debout et nus sur Terre, quand ceux dont le poids des bonnes actions sera plus grand que celui des mauvaises seront aux paradis et que ceux dont les mauvaise œuvres seront plus lourdes que les bonnes seront en Enfer, il y aura ceux dont les bonnes et mauvaises actions auront un poids équivalent eux se trouveront sur Al-Araf qui décrit comme une immense plateforme ou un mont. Ils regarderont les croyants qui sont aux paradis et diront Salamoun 'alaykoum et leurs visages seront tournés de force vers l'Enfer et ils y verront les mécréants et reconnaîtront d'entre eux et leur diront à rien ne vous a servi votre orgueil et votre bien. Puis Allah par sa miséricorde leur accordera le paradis.
- Et entre les deux, il y aura un mur, et, sur al-Araf seront des gens qui reconnaîtront tout le monde par leurs traits caractéristiques. Et ils crieront aux gens du Paradis : "Paix sur vous! " Ils n'y sont pas entrés bien qu'ils le souhaitent.
- Et quand leurs regards seront tournés vers les gens du Feu, ils diront : "Ô notre Seigneur! Ne nous mets pas avec le peuple injuste".
- Et les gens d'al-Araf, appelant certains hommes qu'ils reconnaîtront par leurs traits caractéristiques, diront : "Vous n'avez tiré aucun profit de tout ce que vous aviez amassé et de l'orgueil dont vous étiez enflés!
- Est-ce donc ceux-là au sujet desquels vous juriez qu'ils n'obtiendront de la part d'Allah aucune miséricorde...? - Entrez au Paradis! Vous serez à l'abri de toute crainte et vous ne serez point affligés.
Une vision critique : le spiritisme
Le spiritisme admet de multiples niveaux dans l'au-delà, mais réfute l'idée de limbes éternelles. Ainsi Allan Kardec écrit dans Le Ciel et l'Enfer, à propos de la doctrine des Limbes :
« La simple logique repousse une pareille doctrine au nom de la justice de Dieu. La justice de Dieu est tout entière dans cette parole du Christ : « À chacun selon ses œuvres . » ; mais il faut l'entendre des œuvres bonnes ou mauvaises que l'on accomplit librement, volontairement, les seules dont on encourt la responsabilité, ce qui n'est le cas ni de l'enfant, ni du sauvage, ni de celui de qui il n'a pas dépendu d'être éclairé. »
— Allan Kardec, Le Ciel et l'Enfer, chapitre IV, paragraphe 8, Les limbes.
Selon la philosophie spirite, aucune situation n'est figée et immuable dans l'au-delà, au contraire tout dépend des efforts de chacun pour progresser[15].
Représentation dans les arts
Dans la peinture
- par Andrea Mantegna : La Descente dans les limbes
- par Andrea di Bonaiuto da Firenze (1343-1377),
- par Benvenuto di Giovanni del Guasta (1491),
- par Hans Raphon (1499),
- par Gerolamo di Romano dit Il Romanino (1533-1534),
- par Domenico Beccafumi, Pinacothèque nationale de Sienne.
Par la sculpture
- par Andrea Briosco (bas-reliefs)
Dans la littérature
- par Charles Baudelaire dans Les Fleurs du mal, d'abord intitulé Les Limbes
- par Antonin Artaud dans L'Ombilic des Limbes
- par Michel Tournier dans Vendredi ou les limbes du Pacifique
- par Andre Malraux dans Le Miroir des limbes
- par J. K. Rowling dans Harry Potter et les Reliques de la Mort, chapitre XXXV
Théâtre
- Luc et Christian Boltanski, Les Limbes (opéra-installation) livret (ISBN 9782915794144), mai 2006.
Cinéma
- Inception
- Pirates des Caraïbes
- Au-delà de nos rêves
- Harry Potter et les Reliques de la Mort : 2e partie
Séries télévisuelles
Jeux Vidéo
Langue française
Au figuré, les limbes indiquent un état incertain, indécis[16] que l'on retrouve dans l'expression « ce projet est resté dans les limbes.»
Notes et références
- Le pape Benoît XVI autorise l’abandon de l’hypothèse des limbes
- Didier Lett, article « Limbes » du Dictionnaire du Moyen Âge (dir. Claude Gauvard, Alain de Libera et Michel Zink), Presses Universitaires de France, 2002, p. 834.
- Louis Segond (1910), de même que les autres citations de la Bible dans l'article. « Le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham. » Extrait de la traduction de
- Serge-Thomas Bonino, « La théorie des limbes et le mystère du surnaturel chez saint Thomas d'Aquin », Revue thomiste, vol. 101 (2001), p. 131-166.
- (en) Catholic Encyclopedia, article « Limbo » (1913). Voir par exemple
- Dictionnaire de théologie catholique, article « Limbes », col. 767, qui se réfère à un document du concile Vatican I : Constitution dogmatique sur la religion dogmatique, Collection Lacensis, tome VII, p. 565.
- (en) The Hope of Salvation for Infants Who Die Without Being Baptized, document final de la Commission théologique internationale (site Catholic Culture). Voir également (en) un entretien avec Sara Butler, membre de la Commission (magazine Inside the Vatican).
- [1] le 20 avril suivant cette brève du journal le Monde
- Article sur le pèlerinage
- Chapelles, menhirs et fontaines miraculeuses
- http://www.mairie-pringy77.fr/pageLibre00010015.html Site municipal de Pringy
- le 24 octobre dans l'histoire Voir
- On trouve ces formules dans le Rituale Romanum (ed. 1952), au titre II chapitre i Praenotanda de sacramento baptismi rite administrando, rubriques 19 à 22. elles ne sont pas reprises dans le rituel moderne.
- apocalypse=ce qui est dévoilé. Sourate 7, Al-Araf (« Les limbes »), versets 42-51. Al-Araf vient du mot Araf en arabe qui veut dire reconnaitre ou connaitre. C'est la même logique étymologique que
- Allan Kardec, Le Ciel et l'Enfer, chapitre VI, paragraphe 22. « Selon la doctrine spirite, d'accord avec les paroles même de l'Évangile, avec la logique et la plus rigoureuse justice, l'homme est le fils de ses oeuvres, pendant cette vie et après la mort; il ne doit rien à la faveur. Dieu le récompense de ses efforts, et le punit de sa négligence aussi longtemps qu'il est négligent. »
- entrée Limbes du CNRTL
Sources
- Jacques Gélis, Les enfants des limbes. Mort-nés et parents dans l'Europe chrétienne, Paris, Audibert, 2006.
- Giordano Berti, « Le Limbe », in Les Mondes de l'Au-Delà, Gründ, Paris 2000.
- Coran, sourate 7 : Al-Araf.
Liens externes
- Inside the Vatican : interview de Sœur Butler, membre de la commission théologique internationale.
- Article du Figaro : Le Vatican ne croira bientôt plus aux limbes
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- Représentation de la descente aux Limbes
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