La Terre Wallonne

La Terre Wallonne

La Terre Wallonne fondée en octobre 1919 par Élie Baussart est une revue mensuelle régionaliste de gauche qui paraîtra régulièrement jusqu'en avril 1940, interrompue seulement par le deuxième grand conflit mondial.

Sommaire

Un professeur catholique de gauche

Baussart était professeur au Collège du Sacré-Cœur de Charleroi. Conscient de l'indifférence du monde catholique wallon au Mouvement wallon, voire à la problématique des rapports Flandre-Wallonie, il lança cette revue.

En 20 années d'existence, la revue connut plus de 400 collaborateurs: le jésuite Pierre Charles, le journaliste Désiré Denuit, l'historien Félix Rousseau Albert Delpérée, Paul Struye, Willy Bal, Maurice Piron, Jules Destrée, Jean-Maurice Remouchamps, Marie Delcourt, etc... Sans oublier de grands noms étrangers comme L.Sturzo, le Dominicain Stratmann, K.Turmer, J.M. de Semprun, G.Ferrari, le comte Sforza, G.Lombroso, etc...

Élie Baussart était viscéralement démocrate, attaché aux institutions démocratiques, avec un sens profond du peuple, de l'homme en tant qu'être social: l'homme-individu a des droits imprescriptibles, les hommes, le(s) peuple(s) jouissent également de ces mêmes droits. A la 28e Semaine sociale wallonne du Mouvement ouvrier chrétien de 1946, consacrée aux lignes de faîte de la Démocratie, il rappela les exigences de ce régime: la liberté car les droits que l'homme sont inaliénables et imprescriptibles, la justice, comme le dit Gonzague de Reynold : “ La démocratie a enraciné dans les consciences individuelles ou collectives que tout homme est une personne, une valeur, doit être traité comme tel et que le devoir de la société est de lui fournir les moyens d'accomplir ... son ascension sociale. ” Il s'ensuit que la démocratie respecte la dignité de l'homme, de cet homme qui, en politique, passe de l'état d'objet dont on dispose à celui de “ sujet qui agit. ”. La démocratie l'appelle à des responsabilités qu'il dépend de lui d'exercer avec conscience et, souvent, de les multiplier.

La préoccupation pour la Wallonie et le dialogue avec la Flandre

En mars 1914, E.B. en appelle à la création “ d'un mouvement wallon d'origine et de tempérament catholiques ”

Les revendications linguistiques et culturelles des Flamands ont permis que se constitue un Bloc flamand par delà les barrières idéologiques et politiques. Il le répète après la guerre : ce Bloc fait craindre pour la Wallonie: si les Flamands présentent un front uni, eux qui de surcroît sont majoritaires au Parlement, ils seront capables d'imposer des mesures qui nuiraient aux intérêts wallons (article de novembre 1919 dans La Terre Wallonne). La loi sur l'emploi des langues dans l'Administration de 1921, marquée par le bilinguisme est à ses yeux une illustration de cette crainte:

«  nous avons le sentiment de n'être plus libres de déterminer ce qui nous convient ou non[1] »

Baussart préconise cependant le dialogue entre le Mouvement flamand et le Mouvement wallon et pense que les droits des Flamands au point de vue linguistique sont légitimes (articles mars 1920 et octobre 1922). Et le Fédéralisme:

«  Par l'extension des libertés des provinces et des communes, par l'association directe des collectivités à l'activité municipale, régionale et nationale, [la décentralisation] n'assainirait-elle pas notre vie politique, sociale et économique ?[2] »

Selon lui, poser la question c'est y répondre. Au seuil des années 1930, la revendication-symbole des Flamands, en l'occurrence la flamandisation de l'Université de Gand, est rencontrée. L'homogénéité linguistique des Régions, prélude à l'homogénéité culturelle. Un point de non retour est atteint. La Terre Wallonne s'en réjouit. En 1930, Baussart publie ses Lettres à un Wallon sur la question linguistique. Il rompt avec l'Assemblée wallonne qu'il voit murée dans un antiflamingantisme stérile et injuste et rejoint la Concentration wallonne qui se veut fédératrice de nombreux groupements wallons et réfléchit sur le fédéralisme. Il constate la symbiose entre Mouvement flamand et peuple flamand mais décèle au nord du pays un vent de mysticisme qui tend à alimenter des ferments nationalistes, d'où l'idée qui se répand que la Flandre peut se suffire à elle-même.

Baussart est fédéraliste parce que démocrate: il considère qu'une Belgique fédérale n'a en soi rien de subversif à condition que la “ majorité du peuple flamand ” et la “ majorité du peuple wallon ” veuillent le fédéralisme. Mais cette impérieuse condition n'est pas remplie (La Terre Wallonne article octobre 1931).

Une revue antimaurassienne

L'Entre-deux-Guerres, les années 1930, virent la démocratie et ses institutions bousculée: instabilité gouvernementale avec 19 gouvernements dont 10 furent des tripartites. Aux contraintes des négociations s'ajoute le dosage communautaire et des tendances internes (surtout le Parti catholique. Il y a l'apparition de partis nationalistes et/ou autoritaires...sans compter les influences du fascisme italien qui dans le monde catholique aura des sympathisants, sans parler du nazisme. Dans La démocratie enrayée François Perin consacre un chapitre aux Réformes et réformateurs en Belgique, qui montre combien la mise en cause des institutions fut une réalité et leur réforme envisagée pas toujours dans un sens démocratique.

Au point de vue idéologique, l'Action française de Charles Maurras et le fascisme de Mussolini, se caractérisent tous deux par un anti-démocratisme certain, mais influencent le monde catholique. Certains y échappèrent comme l'équipe de La Terre Wallonne.

En 1925, la revue publia un long article du juriste catholique Fernand Passelecq, Pour ou contre le régime parlementaire? (Anne Morelli a montré que Passelecq lutta avec beaucoup d'énergie contre l'Action Française et fut le catholique belge qui épaula le mieux les antifascistes italiens). Sans nier les dérapages, le fonctionnement déficient du Parlement ou des corrections stigmatise l'aventure anti-parlementaire :

«  Conclusion doctrinale : c'est que l'institution parlementaire, avec ses défauts, ses tares et ses abus réels ou possibles, apparaît encore, à tout prendre et compte tenu des nécessités de gouvernement, comme le moindre mal politique. Conclusion d'ordre pratique : et c'est qu'il est d'une importance extrême pour tenir le régime parlementaire à la hauteur de sa mission ou pour l'y ramener, de travailler sans cesse à instruire, à réformer, à relever l'opinion publique, qui en est le principe originel et la source de renouvellement, constamment jaillissante[3] »

Cette position sans équivoque est publiée en 1925, soit avant la condamnation par Rome du mouvement. Dans une brochure reprenant l'avis d'une soixantaine de personnalités catholiques, dont plusieurs de La Terre Wallonne, réaction à l'enquête menée parmi la jeunesse catholique belge, qui révélait que Maurras était placé largement en tête des écrivains des 25 dernières années. Après on voit apparaître dans La Terre Wallonne les signatures de L.Sturzo, fondateur en 1919 du Parti Populaire Italien, et de F.Ferrari, avocat à la Cour de Cassation italienne, membre de la direction du P.P.I.adversaires farouches du fascisme et en exil pour cette raison.

La crise et l'apparition des fascismes

La grave crise économique des années 1930 n'en finit pas. En Flandre, en 1931, c’est la fondation du Verdinaso dont le but est de créer un État thiois (Flandre et Pays Bas. En 1933 c’est la création du VNV qui outre l'adhésion au principe du Chef, était anti-belge et revendiquait l'autonomie de la Flandre. En Wallonie, le mouvement rexiste s'organise dans ces années là. Le pays connaît quatre coalitions des catholiques et libéraux jusqu'en mars 1935 suivies d'une tripartite sous la houlette de Paul Van Zeeland. Le 30 janvier 1933 Hitler est chancelier. Le 3 octobre 1935, Mussolini envahit l'Éthiopie. L'orientation sociale et internationale de La Terre Wallonne s'accentue sans délaisser la Wallonie. La signature de nouveaux collaborateurs apparaît: Désiré Denuit, ancien jociste,qui enseigna en Flandre de 1926 à 1929.Cette année-là, il entre au journal Le Soir comme rédacteur parlementaire. Dans La Terre Wallonne, il tiendra des chroniques régulières jusqu'à la veille de la guerre. La démocratie est en danger

La dictature c'est la fin de la démocratie parlementaire. Mais elle n'est pas un phénomène fatal pour La Terre Wallonne et son directeur : la pratique des Pouvoirs spéciaux fait le lit de la dictature (pouvoirs spéciaux demandés en décembre 1932 puis au printemps 1933). La revue est sévère à l'égard des Démocrates chrétiens qui les ont acceptés, des libéraux et des catholiques conservateurs :

« A les entendre, nos difficultés financières n'avaient-elles pas leur source dans notre législation sociale? Le Parlement n'avait-il pas prouvé surabondamment son impuissance et sa nuisance? N'était-il pas urgent de refaire par d'autres méthodes la santé et la prospérité du pays? Attaques combinées et contre le statut ouvrier et contre le régime - cela au moment où un vent de fascisme souffle sur l'Europe, quand l'Allemagne libérale est étranglée par Hitler. On voudrait préparer le lit du dictateur qu'on ne s'y prendrait pas autrement. [La loi] des pleins pouvoirs ne pouvait être votée par les représentants d'un parti qui se revendique de la démocratie ouvrière chrétienne. De savoir si une majorité parlementaire démocratique confierait un pouvoir législatif étendu, et temporairement sans contrôle, à un exécutif dans lequel l'élément conservateur domine et qui n'échappe pas aux influences financières. Par ce fait, et dans une ambiance qui sue l'appel au dictateur, de déconsidérer le Parlement - pas seulement les méthodes parlementaires, le système démocratique lui-même - frappé d'un verdict d'incapacité et d'impuissance[4]. »

Le Plan De Man et l'opposition à Léon Degrelle

Lors de la publication du Plan du Travail d'Henri De Man, La Terre Wallonne s'interroge sur la réponse qu'y donneront les démocrates chrétiens. S'ils disent oui, c'est la rupture de l'Union catholique, mais “ l'unité du front du travail ” serait réalisée.

« Quelle force au moment où des coalitions obscures s'élaborent qui menacent notre statut politique et nos conquêtes sociales! Qu'ils y viennent alors les bourgeois apeurés et les fanatiques de la force, partisans de quelque fascisme honteux ou avoué[5]. »

Or, les démocrates chrétiens rejetèrent le Plan De Man!

La parution de l'ouvrage de Robert Poulet La révolution est à droite provoque la colère de la revue. Dès 1935, on y lit:

« A La Terre Wallonne nous n'avons aucune confiance dans le mouvement rexiste.  »

Les années précédant la guerre furent parmi les plus angoissantes au plan international, mais aussi inquiétantes au plan intérieur. L'équipe de La Terre Wallonne poursuit son combat. De nouvelles signatures apparaissent. Tel est le cas du juriste catholique, l'Espagnol Mendizabal et celui du Basque catholique Semprun y Gurréa. Ils confortent la conviction la revue : la guerre déclenchée par Franco, en juillet 1936, n'est pas la croisade de restauration catholique contre le Marxisme comme on voudrait le faire croire, en particulier dans les milieux catholiques.

Au plan intérieur, 1936 est marquée par un large mouvement de grève (juin) qui aboutit à la satisfaction de certaines revendications ouvrières. Un mois plus tôt, le résultat des élections législatives il y a 21 rexistes et 16 nationalistes flamands à la Chambre.

Le premier gouvernement Van Zeeland mis en selle en mars 1936 était une tripartite. Jusqu'à la guerre il y en aura 4 autres (sauf 2 bipartites éphémères entre février et le 3 septembre 1939). Cette pratique fut considérée de façon fort critique comme un dissolvant pour la démocratie.

Deux ans plus tard, qu'une troisième tripartite: Baussart affine sa critique. Ce type de gouvernement pouvait se justifier pour éviter la catastrophe, notamment en décidant la dévaluation. Mais

«  L'union nationale en se prolongeant au-delà des besoins qui l'ont fait naître, devient un danger pour les institutions démocratiques. Que dire quand elle se décompose dans un gouvernement tripartite qui, subrepticement, se substitue à elle, ou, publiquement, la continue, ou en tient lieu? C'est le règne du bon plaisir du parlement, pratiquement incontrôlé, de la république des camarades, par un échange de concessions et de services réciproques... Ce qui devrait la faire redouter des véritables démocrates, c'est qu'elle achemine à l'idée du parti unique,...une des assises des régimes totalitaires... En tout cas, la pratique abusive de l'union nationale supprime le contrôle du pouvoir par les Chambres et tend à faire considérer comme anormale l'alternance des partis au pouvoir, deux conditions essentielles du régime parlementaire[6]. »

Pour un Front populaire en Belgique

Mais Henry Bauchau estime que la jeunesse ouvrière est peu touchée par le rexisme contrairement à la jeunesse intellectuelle et bourgeoise (La Terre Wallonne article juillet 1936). La classe ouvrière non plus n'est guère touchée, en raison de sa “ défiance ” et de son “ irréductible hostilité ” au fascisme (article novembre 1936). La campagne rexiste Rex ou Moscou constitue un danger mortel pour le pays. (article octobre 1936)

Le duel entre Paul Van Zeeland et Léon Degrelle, en avril 1937 à Bruxelles est un échec pour Degrelle et cela ne peut que réjouir l'équipe de La Terre Wallonne. Arsène Soreil appelle Degrelle le démagogue gallophobe et hitlérophile de Rex qui

«  s'est chargé lui-même de se tuer : lui-même a choisi le jour et le mode de son exécution. La menace immédiate d'une dictature ... ne pèse plus sur le pays et sur notre politique. La classe ouvrière... nous en a sauvés - elle seule. Mais si le rexisme est mort, la réaction de droite elle, ne l'est pas. La tendance conservatrice du parti catholique est forte. Et si les rexistes la rejoignaient? Ce serait un véritable Cheval de Troie dans le Bloc catholique: la passion anti-démocratique se renforcerait[7]. »

Alors que le printemps 1936 avait vu deux Fronts populaires gagner les élections: en France et en Espagne (là avec les suites que l'on sait), que la campagne électorale rexiste s'était faite aussi sur la base d'un Front populaire (mais pas le même que dans les deux pays précités), qu'après les législatives de mai l'idée d'une Concentration catholique flamande (Front catholique) gagnait du terrain, le directeur de La Terre Wallonne reprend l'idée d'un rassemblement en Belgique sous l'appellation de Front populaire également. Selon lui, les ouvriers ont spontanément réalisé ce Front, lors des grèves de juin qui prirent de court les organisations syndicales. Il ne faut donc pas qu'il se perde. Mais la position des partis à cet égard est frileuse: les démocrates chrétiens ne veulent rien entendre d'un accord associant les communistes; les socialistes veulent cependant des gages de leur sincérité communiste. Et pourtant, la réalisation de ce Front démocratique est urgente pour éviter que la bourgeoisie ne tente de reprendre de qu'elle a dû concéder. Il revient donc aux organisations syndicales d'en préparer la réalisation et aux mouvements de jeunes ainsi qu'aux intellectuels d'en populariser l'idée (La Terre Wallonne article août 1936).

Le rôle de la Wallonie

Au Nord du pays, un bouillonnement d'idées, d'événements ne laissent pas d'inquiéter l'équipe de La Terre Wallonne. L'idée et la tentative d'une Concentration (catholique) flamande font leur chemin dans les mois qui suivent les élections. Elle serait fondée sur le Fédéralisme et le Corporatisme (ce qui n'aboutira pas). Outre le Verdinaso, un rapprochement entre le VNV et rexisme s'opère en été 36. Désiré Denuit s'interroge: La Flandre, nation autoritaire ou démocratique? (article août 1936 et février 1937) tandis qu'E.Baussart craint que ces évolutions flamandes vers le totalitarisme ne contraignent encore plus le Pays wallon à réclamer l'autonomie. Mais la Wallonie ne sera pas seule dans ce combat car il subsiste en pays flamand d'immenses réserves démocratiques dans lesquelles il inclut les masses socialistes (article février 1937). En 1938, Baussart dresse le bilan de l'aventure entamée en octobre 1919. Mais pour le moment présent, une question domine toutes les autres: c'est le salut de la démocratie. Car après le fascisme, après l'avènement du national-socialisme c'est à qui ne jurera plus que par le principe et les méthodes autoritaires. La démocratie a ses faiblesses et ses défauts, mais elle est le dernier et l'unique rempart de la liberté; aussi nous la supplions de se défendre, et elle ne peut se sauver que par son propre principe, la liberté (article septembre 1938). L'équipe de La Terre Wallonne est inquiète et son animateur ne l'est pas moins. Avec Willy Bal, Baussart fait paraître dans les n° d'octobre et novembre 1938, un long article en faveur d'un puissant rassemblement wallon dont la base ne peut être que la défense de la démocratie. En mai 1940, c'est l'invasion: les collaborateurs de La Terre Wallonne cassèrent leur plume... et l'aventure de La Terre Wallonne se termina. Mais plusieurs se retrouvèrent au lendemain de la Libération pour reprendre la tâche, notamment au sein du Congrès national wallon.

Notes

  1. Article de La Terre Wallonne en août 1921
  2. article de La Terre Wallonne septembre 1923
  3. La Terre Wallonne juin 1925.
  4. la Terre Wallonne article juillet 1933
  5. la Terre Wallonne (article février 1934)
  6. La Terre Wallonne (article janvier 1938).
  7. La Terre Wallonnearticle janvier 1937

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article La Terre Wallonne de Wikipédia en français (auteurs)

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