La Marquise d'O... (roman)

La Marquise d'O... (roman)
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La Marquise d’O... (Die Marquise von O...) est une nouvelle du romancier allemand Heinrich von Kleist (1777-1811) qui parut pour la première fois en février 1808, année où elle fut publiée dans un magazine littéraire. Un film du même titre est sorti en 1976, réalisé par Éric Rohmer.

Sommaire

Autour de l’œuvre

Bien que Heinrich von Kleist préférât l’art dramatique en tant que domaine de production littéraire, il consentit finalement à la rédaction d’une nouvelle afin de dissiper une pénurie de moyens financiers.

La nouvelle relate la grossesse d’une marquise, événement qui scandalise la bonne société au moment où il est annoncé. La marquise a pourtant été fécondée à son insu, les conditions exactes de la procréation de l’enfant demeurant mystérieuses. Différentes figures de style ajoutent une impression d’authenticité à la narration des événements de la nouvelle, comme le fait par exemple le sous-titre « L’histoire n’est pas fictive, et les lieux de son déroulement ont été déplacés du nord au sud[1] ». En outre, les noms des personnages et des lieux ont été abrégés, de sorte que rien que leurs initiales ne sont connues. L’abréviation des noms suggère que les personnages concernés ont réellement existé, l’auteur ayant apparemment omis de révéler leur véritable identité pour ne pas porter atteinte à leurs vies privées. En dépit de tout cela, la véracité de la nouvelle reste discutable.

L’histoire se déroule en Italie lors de la guerre de la Deuxième Coalition (1798-1800).

Une source potentielle est un essai rédigé par Michel de Montaigne en 1588. Montaigne y narre l’anecdote d’un valet enivré qui viole une paysanne endormie. La paysanne finit par épouser le violeur après qu’il lui a confessé son forfait. Il est également possible que Kleist ait lu le récit « Gerettete Unschuld » (Innocence sauvée, 1798) ainsi qu’un passage du roman épistolaire Julie ou la Nouvelle Héloïse publié par Jean-Jacques Rousseau en 1761. Kleist en aurait inclus quelques éléments dans sa propre nouvelle, en particulier la relation entre père et fille qu’il a méticuleusement dépeinte.

Résumé

Au début de l’histoire, la marquise d’O... est déjà veuve et mère de deux enfants. Elle et sa famille ne sont pas épargnées des horreurs de la guerre qui sévit en Italie. Lors de la mise à sac de sa ville, la marquise est attaquée par une brigade de soldats qui s’apprêtent à la brutaliser, mais elle est sauvée par un officier russe, qui nous est présenté comme étant le comte F... Or, celui-ci ne parvient pas à mater sa luxure et viole la marquise. Ce faisant, il la rend enceinte. La marquise perd conscience, de sorte que tout souvenir du viol est effacé de sa mémoire. Une fois que sa grossesse illégitime a été révélée au grand jour, sa famille se résout à la chasser. La situation empire pour la marquise qui vit dans un milieu où l’intransigeance des règles sociales surplombe même la vie familiale et où l’intolérance envers les mères célibataires est à son acmé. Désespérée, la marquise publie une annonce dans laquelle elle déclare qu’elle sera prête à épouser le père de son enfant si celui-ci se présente chez elle ...

Les personnages

La marquise d’O... : La marquise d’O..., le personnage central de l’histoire, est issue d’une famille de nobliaux italiens. Elle est assujettie au joug de la domination patriarcale ; en tant que veuve, elle est par exemple obligée de se retirer dans le foyer paternel où elle vit asservie à l’emprise de son père. Elle doit toujours baisser pavillon devant la suprématie de ce dernier. En outre, elle ne peut rien décider à propos de la demande en mariage du comte F..., elle s’abstient d’objectiver son opinion sur cette affaire qui est pourtant cruciale pour le reste de sa vie conjugale. Sa proscription du giron familial que décrète son père fulminant est le seul événement dans sa vie qui l’incite à échafauder une existence autonome. Lorsque la marquise devient l’épouse du comte F..., cette nouvelle vie s’effondre néanmoins sans avoir duré longtemps. La marquise a ainsi échoué dans ses tentatives de devenir indépendante, elle a finalement pris la décision définitive de se ployer aux normes sociales qui stipulent qu’une femme doit museler sa propre volonté et se prosterner devant les desseins de son père ou de son conjoint.

Herr von G... : Herr Lorenzo von G..., le père de la marquise, est un colonel. Ayant gravi les échelons de la hiérarchie militaire, il est en bonne posture sur un plan professionnel. Le succès qui nimbe sa carrière semble retentir sur son attitude envers sa femme et ses enfants : il agence les affaires familiales de manière dominante, voire tyrannique. Par exemple, il gère tout à propos de la gravidité et des noces de sa fille. Impérieux et autoritaire, le colonel est le souverain de la famille qui communique des oukases auxquels chacun doit céder. Étant donné qu’il a le pouvoir d’imposer son autorité quelle que soit la situation, la réintégration de la marquise dans l’enceinte familiale dépend entièrement du suffrage du colonel. En plus, c’est lui qui entre en pourparlers avec le comte F... et qui est préposé à la défense de sa famille lors de la guerre.

Frau von G... : La mère de la marquise est elle aussi contrainte de plier devant l’omnipotence de son mari. Bien qu’elle puisse extérioriser ses desiderata et son avis quand elle le désire, le droit d’influer sur le lot de ses proches lui est dénié. Craignant les brocards publics, elle veille à ce que sa réputation reste vierge de toutes avanies. Cependant, elle abjure son attitude gourmée après que sa fille a été frappée de désocialisation. Elle décide de joindre la marquise en personne afin d’éventer le secret de sa grossesse. Sitôt qu’elle a découvert que le coït dont est né l’enfant illégitime n’était pas imputable à un moment d’égarement de la marquise, elle la réintègre dans la famille. La mère de la marquise a donc commencé à développer une certaine confiance en soi : elle a géré l’affaire sans avoir recours à ses habituelles objurgations pour fléchir son mari.

À l’instar des autres membres de la famille, le frère de la marquise est assujetti à l’ascendant de son père. Contrairement à sa mère et à sa sœur, il prête main-forte au patriarche pendant que celui-ci entame les négociations avec le comte F... Il est de plus chargé de remettre des messages de la part de son père à la marquise. Encore qu’il ait les mains liées, il lui arrive de manifester un amour fraternel envers sa sœur.

Le comte F... : Le comte F... est un personnage extrêmement sibyllin et insaisissable ; ce protée semble osciller sans cesse entre le bien et le mal. Les traits les plus saillants de son caractère sont la dextérité avec laquelle il manœuvre les situations les plus scabreuses et sa sagacité qui lui permet de circonvenir les autres personnages et d’augurer leurs réactions. Toutefois, ce comportement méphistophélique n’est que la surface de son vrai caractère. Au fil de l’histoire, le comte essaie maintes fois de dévoiler à la marquise sa véritable identité, mais finit toujours pas atermoyer cette divulgation. Étant donné qu’il était venu à résipiscence juste après avoir rudoyé la marquise, les tentatives du comte de s’amender prouvent que sa culpabilité l’a supplicié durant toute l’histoire. La repentance qui crucifie le comte F... témoigne la passion sincère qu’il ressent pour la marquise.

Les éléments

La violence est un élément récurrent dans la nouvelle. Elle domine la scène lors de laquelle la marquise est attaquée et violée et que ses agresseurs sont fusillés. La guerre qui sévit au début du récit est elle aussi un élément lié à la violence. En plus, la façon brutale dont la marquise est conquise en tant que femme, l’irrespect envers sa vie privée et l’inclusion d’un personnage nommé Leopardo der Jäger (Leopardo le chasseur) dans le récit sont des aspects de l’histoire qui signalent que la violence en est un élément latent.

La culpabilité et la honte sont deux sentiments dont sont imprégnés quelques-uns des personnages, quoique pour différentes raisons. Au fil de toute l’histoire, le comte F... est obnubilé par sa honte secrète qui l’entraîne à courtiser la marquise et à la demander en mariage. Cette même émotion pousse la mère de la marquise à s’excuser auprès de sa fille et à l’absoudre publiquement. En plus, c’est un sentiment de culpabilité qui convie le patriarche à se réconcilier avec la marquise.

L’histoire contient aussi des motifs religieux. Lors de la première rencontre entre le comte F... et la marquise, celle-ci le perçoit comme un ange qui l’a sauvée des griffes de ses offenseurs. Néanmoins, une fois qu’il lui a révélé qu’il est l’homme qui l’a fécondée et qu’il est cause de tout le calvaire qu’elle a subi, l’image séraphique qu’elle s’était faite de lui se transforme instantanément en une image luciférienne. D’autres éléments religieux discernables dans l’histoire sont la pureté et la chasteté, généralement attribuées à la Sainte Vierge. La procréation de l’enfant de la marquise paraît analogue à l’insémination pure de la Sainte Vierge. L’élément de la pureté réapparaît une autre fois lorsque le comte F... narre le mythe d’un cygne dont le plumage est d’un blanc étincelant. Selon la légende, quelqu’un aurait lancé des boules de fèces en direction du cygne, qui aurait alors plongé dans les eaux du lac afin de décrasser ses plumes souillées. En réalité, les selles qu’on a jetées sur le cygne symbolisent l’anathème qu’on a jeté sur la marquise.

Parmi les éléments religieux se trouve aussi l’innocence. La marquise et son enfant sont l’un comme l’autre parfaitement irrépréhensibles, même si la première n’est blanchie qu’après avoir été longuement calomniée par le grand public et ses parents.

À part cela, les disparités entre les régions urbaines et les régions champêtres sont notables à travers le récit. La ville symbolise la dépendance de la famille et la sujétion aux tâches sociales. La vie à l’intérieur de l’enceinte de la cité est dominée par l’autorité paternelle et est envenimée par la guerre. Par contraste avec la vie urbaine, les séjours à la campagne offrent à la marquise l’occasion de vivre en indépendance et de retrouver son équilibre psychologique dans une atmosphère paradisiaque et paisible.

L’amour est une émotion dont sont marqués la liaison entre le comte F... et la marquise d’O..., le lien entre la mère et la fille, celui entre la mère et les enfants et les rapports entre le père et la fille. À l’opposé des autres relations, le rapport entre le colonel et la marquise est empreint d’un amour incestueux.

La réconciliation est un sentiment qui, parallèlement à l’amour, met un terme à la chaîne des événements qui se sont succédé avant qu’une solution idéale ne soit trouvée pour la marquise : celle-ci se réconcilie avec sa famille et épouse le comte F...

L’incorporation de ces différents éléments dans l’histoire est parfois enrobée dans des métaphores animales. Par exemple, l’innocence de la marquise est comparée à un cygne dont le plumage éburnéen évoque la pureté et la netteté. À part celui-ci, Kleist utilise le chien, le renard et la chienne en tant qu’animaux représentatifs.

Interprétation

Les thèmes auxquels l’œuvre de Kleist fait allusion sont multiples. D’un côté, il décrit à quel point une personne peut être traumatisée par la guerre en nous dépeignant la scélératesse inhumaine que commet le comte F... au début de l’histoire. Ce dernier ne parvient pas à juguler le désir brûlant de violer une femme après avoir vécu des transes infernales pendant un conflit armé qui est toujours en train de faire des ravages. Au fond, il s’agit d’un être secourable et compatissant qui éprouve pour la marquise une passion sincère ; il consent à l’épouser sans aucune récrimination.

La brutalité et le manque d’égards avec lesquels sont marginalisées et vilipendées les femmes qui ont donné naissance à un enfant illégitime occupent eux aussi une place insigne dans le récit de Kleist.

L’auteur parodie de façon précise et incisive l’inexorabilité de l’ordre social bourgeois et bien sûr la faillite de celui-ci. La famille est bien loin d’offrir à ses membres réprouvés un endroit où ils peuvent se réfugier et où ils sont acceptés malgré l’opprobre que l’on a jeté sur eux. Au contraire, elle est, à l’instar du reste de la société, assujettie à des règles draconiennes. On accorde au maintien d’une conduite bienséante une importance nettement supérieure à celle que l’on attribue aux besoins personnels d’un individu. La marquise n’y peut rien changer non plus. Elle est finalement contrainte à s’adapter aux conventions prédominantes et à les accepter, quoiqu’elle ne s’y accoutume qu’avec beaucoup de difficultés.

Le père, qui est pourtant censé représenter le patriarche et un protecteur acharné en tant que personnage central de l’histoire, échoue d’une manière piteuse. Il ne réussit pas à empêcher que sa fille soit violée. Selon les normes sociales de l’époque, le père est particulièrement responsable de la répression des désirs charnels, de la luxure et même des pensées lubriques lorsque celles-ci éclosent dans l’esprit de ses filles. Le père de la marquise est cependant loin d’être un parangon de pudicité, vu sa façon légèrement libidineuse dont il traite sa fille. Les rapports entre le patriarche et la marquise rappellent vaguement une liaison d’amour.

Son nom brocarde ses faillites risibles de façon épigrammatique. La carrière de Lorenzo, d’un « auréolé de gloire », vire à l’échec lorsqu’il perd la forteresse qu’il était censé protéger pendant la guerre. Le destin lui ôte aussi le contrôle sur sa vie privée quand les circonstances le privent du droit de côtoyer sa fille honnie. Sa réaction dédaigneuse à l’égard de sa grossesse qui pourrait trahir un sentiment de jalousie nuit davantage à l’image que le lecteur acquiert de lui.

Le comportement de la populace ressemble beaucoup à celui de la noblesse qu’elle abomine et dont elle a une vision stéréotypée. À cause des nombreux mariages de convenance et des maintes liaisons extra-conjugales qui en résultent, la sexualité est difficile à dissimuler dans les hautes sphères de la société.

On peut en conclure que Kleist essaie d’inoculer au lecteur l’importance qu’il accorde à la mise en place d’une société où les idéaux civils sont réellement respectés, où l’on accorde plus d’importance à l’amour familial qu’à sa réputation et où l’on est protégé des contraintes du monde. Il est difficile de définir l’attitude de Kleist envers l’émancipation féminine ; il faut prendre en considération que son portrait de la société d’antan n’est qu’une parodie. L’échec de la marquise dans ses tentatives de se réintégrer dans la société pourrait néanmoins être perçu comme un appel à une réforme des conventions qui décident des droits des femmes. Si l’on réformait ces conventions, les femmes deviendraient plus indépendantes et seraient moins opprimées qu’auparavant.

Réactions

Au moment où Phöbus, le magazine littéraire qui publia la nouvelle, annonça fièrement la publication de La Marquise d’O..., les réactions que les lecteurs manifestèrent à l’égard de cette œuvre furent pour la plupart négatives et trahirent l’indignation du public. Selon l’avis général, la nouvelle narrait une histoire exécrablement insipide qu’aucune femme ne pouvait lire sans que son visage ne devienne rubicond d’embarras. Même des critiques aussi bienveillants que Karl August Varnhagen censurèrent l’histoire.

Les seules louanges que Kleist reçut pour sa nouvelle furent celles que témoignèrent ses proches amis parmi lesquels figurait l’éditeur Adam Müller. Ce dernier magnifiait le style de l’œuvre.

Notes

  1. Traduction libre.

Voir aussi

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