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L'Amour victorieux (Caravage)
Amor Vincit Omnia
L'Amour victorieuxLe Caravage, 1602 huile sur toile 154 × 110 cm Gemäldegalerie (Berlin) Amor Vincit Omnia (l'amour triomphe de tout) généralement traduit par L'Amour victorieux est une œuvre peinte en 1602 par l'artiste italien Michelangelo Merisi da Caravaggio dit le Caravage, et actuellement exposée à la Gemäldegalerie de Berlin.
Sommaire
Iconographie
Le Caravage peint cette œuvre entre 1601 et 1603 sur commande de Vincenzo Giustiniani, aristocrate et riche banquier de Rome. À partir de cette époque, le peintre concentre son travail sur des œuvres religieuses commandées par le clergé, et c'est donc ici l'une de ses dernières œuvres pour un commanditaire privé.
Le tableau représente Cupidon (équivalent dans la mythologie romaine de l'Éros grec), allégorie de l'Amour, sous les traits d'un garçon brun, nu, portant de larges et sombres ailes d'aigle[1]. Il est juché en équilibre sur ce qui semble être une table recouverte d'un drap, une jambe avancée vers le spectateur et l'autre repliée vers l'arrière; son bras gauche est lui aussi caché vers l'arrière. La pose n'est pas sans rappeler Le génie de la Victoire (1532-1534), sculpture de Michel Ange pour le tombeau de Jules II.
Dans la main droite il porte des flèches, attributs classiques de Cupidon. Autour de lui et sur le sol ont été placés des emblèmes des passions humaines: un violon et un luth, une armure, un sceptre et une couronne, une équerre et un compas, une plume et une partition de musique, des feuilles, un globe astral... La musique, la guerre, le pouvoir, le savoir sont donc aux pieds de l'Amour.
Le tableau illustre ainsi un des poèmes des Bucoliques de Virgile (églogue X, Gallus, v. 69): « Omnia vincit amor et nos cedamus amori », l'Amour vainc tout et nous aussi, cédons à l'amour.
La partition de musique montre la lettre V, probablement en référence au commanditaire Vincenzo Giustiniani . Il a été suggéré que la couronne soit en référence aux ambitions de Giustiniani concernant l'île de Chios sur laquelle sa famille gênoise rêgnait (avant domination turque)[2]; ainsi, tous les objets le concerneraient, les instruments pour son amour de la musique et des arts, l'armure pour ses futures conquêtes...
Le peintre Orazio Gentileschi baptisera le tableau Amour terrestre, et ce fut immédiatement un succès dans les cercles intellectuels de Rome. Un poète écrivit trois madrigals et un autre un épigramme latin reprenant le vers de Virgile Omnia Vincit Amor; mais ce n'est que lorsque le critique Giovanni Pietro Bellori écrira une biographie du Caravage en 1672 que l'œuvre prendra ce titre.
L'allégorie à l'épreuve du réalisme
Cette représentation de Cupidon étonne par son caractère réaliste. Techniquement tout d'abord, le Caravage utilise la technique du clair-obscur de façon poussée. Le fond est quasiment noir et la seule lumière vient de la carnation claire du personnage et du tissu blanc sur lequel il est assis. La palette ne reprends que des tons bruns et blancs. Le réalisme est d'autant plus marquant que le personnage est quasiment de taille réelle (la toile mesure 1 mètre 56 de hauteur sur 1 mètre 16 de largeur).
Alors que les représentations habituelles, de l'époque jusqu'à nos jours, représentent Cupidon sous les traits d'un jeune garçon angélique et idéalisé parfois assexué, il prend ici les traits d'un garçon au regard plus aguicheur que charmeur, pas réellement beau, aux allures d'un enfant des rues. L'allégorie est ici mêlée au réel, à tel point que l'on peut se demander s'il s'agit réellement d'une représentation de Cupidon ou du garçon déguisé en Cupidon.
Erotisme et pédérastie
De nombreux critiques ont mis en avant l'érotisme de cette peinture ou la relation et attirance pédéraste supposée[3] du Caravage envers ce modèle. En effet, la position de Cupidon et son regard peuvent revêtir un caractère sexuel ambigu pour le spectateur. Toutefois, il semble que l'allusion soit récente et que les contemporains du tableau, Giustiniani de premier chef, n'y aient rien trouvé de choquant; Celui-ci placera l'œuvre en bonne place dans sa collection. D'autre part, l'approche à la nudité des enfants et à la sexualité n'avaient rien de commun au XVIIe siècle avec celles que nous pouvons avoir de nos jours[4].
Concernant la relation entre le modèle et le Caravage, Richard Symonds, un visteur anglais à Rome en 1649/51 décrit le personnage comme étant un servant du Caravage[5]. Selon l'historien Giani Pappi, ce garçon, qui apparaît dans plusieurs peintures du Caravage, ne serait autre que Cecco Boneri dit Cecco del Caravaggio, lui-même peintre apparaîssant plus tard.
Œuvres dans lesquelles figurerait ce garçon
L'Amour Divin et l'Amour Profane
En 1602, peu après que le tableau eut été terminé, le Cardinal Benedetto Giustiniani (frère de Vincenzo et collaborateur de sa collection) commanda une peinture à Giovanni Baglione.
Le peintre et critique Giovanni Baglione qui admirait le Caravage pour sa technique et s'en est beaucoup inspiré, était aussi son ennemi déclaré et a souvent eu maille à partir avec lui. En réponse à l'Amour Victorieux, il peint plusieurs versions d'un tableau intitulé L'Amour Divin et l'Amour Profane mettant en scène le même jeune garçon surpris par un ange divin lors de frasques sexuelles avec un satyre ou un démon, et ce dans un style calqué sur celui du Caravage. Dans l'une de ces versions conservée à Rome, le satyre tourne la tête vers le spectateur, et l'on peut y reconnaître les traits du Caravage caricaturé par Baglione.
Références
- Catherine Puglisi, Caravaggio, Phaidon, London/New York, 1998.
- Peter Robb, M:The Caravaggio Enigma, Duffy & Snellgrove, Sydney, 1998.
- ↑ Description de Joachim von Sandrart (1606-1688) citée par Peter Robb, dans M, p. 194: « A life size Cupid after a boy of about twelve...[who] has large brown eagle's wings, drawn so correctly and with such strong colouring, clarity and relief that it all comes to life »
- ↑ Puglisi, Caravaggio, p. 201-202
- ↑ L'historien d'art Richard E. Spear souligne que les allusions à l'homosexualité ou à la pédérastie du Caravage n'apparaîssent pas chez ses commentateurs contemporains, elles ne sont apparues que dans les critiques modernes.
- ↑ David Carrier, Principles of Art History, 1er février 1993 lien
- ↑ « ye body and face of his (Caravaggio's) owne boy or servant thait (sic) laid with him » Richard Symonds cité par Peter Robb, M, p. 194
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