Algérianisme

Algérianisme

Lalgérianisme est un mouvement intellectuel et culturel en Algérie, dans la première moitié du XXe siècle.

Sommaire

Algérie, Algériens, Algérianistes, Algérianisme

Algérie

Il est dérivé du nom « Algérie ». Ce nom a été donné officiellement en 1839 par la France[1], aux territoires dAfrique du Nord situés entre le Royaume du Maroc à lOuest et le Beylicat de Tunis à lEst. Quelques décennies après 1830, sa population civile dorigine française et européenne commençant de sétoffer par de modérés et réguliers apports extérieurs[2], le nombre de ses naissances sélevant, il se manifesta une discrète prise de conscience que lon pourrait aujourdhui qualifier didentitaire.

1860-1900 : lAlgérie continua de se peupler de nouveaux habitants venant dEurope. Comment ces nouveaux arrivants allaient-ils se nommer eux-mêmes, dautant que les naissances commençaient de prendre le pas sur lhécatombe de décès des tout premiers temps ?

Algériens

Du nom « Algérie » découla alors le vocable « Algérien ». Pourtant non reconnu par les autorités, il senracina rapidement. Il traduisait un attachement affectif à cette terre nouvelle qui, pour beaucoup, devenait terre natale. Ainsi se désignèrent les européens de ce nouveau pays. Français dorigine, Français par naturalisation, et maintenant Français de souche, en se donnant cette nouvelle identité, ils engageaient sans le savoir la première quête, la première réflexion sur leur destin de Français dAlgérie.

Ce terme dAlgérien navait cependant aucune connotation politique, se déduisant simplement dune réalité géographique. Dès lors que se tournait définitivement une page personnelle souvent difficile et parfois douloureuse, et quil y avait une vie à y construire, on se revendiqua Algériens en Algérie comme Alsaciens en Alsace.

Malgré tout, les ambiguïtés nétaient point absentes. Ainsi, ce territoire ressenti comme neuf, était simultanément reconnu comme très ancien par la complexité et la variété de son histoire.

Ensuite, cette population se percevant comme française, se concevait cependant comme nouvelle et presque sans passé. Difficile de faire plus contradictoire.

Pour lheure, on y naissait, on venait sy implanter définitivement pour y construire une aventure originale, mais à vivre sur une terre au passé foisonnant. De ce melting-pot humain ne pouvait que naître un peuple nouveau.

Peuple de pionniers qui avait tout à inventer, tout à retrouver, tout à établir, avant de parvenir lui-même à se définir, puis à exprimer sa propre maturité.

La nouvelle Algérie ne cesse daffirmer son originalité au fil des ans. Sa nouvelle population progressant en nombre, et en conscience delle-même. Provinciaux dune nouvelle province, tous étaient donc Français. Tout en se ressentant « Algériens ». Car cest ce terme optimiste et profondément révolutionnaire qui unissait et réunissait anciens Espagnols, anciens Italiens Siciliens et Sardes, anciens Maltais, Grecs et Levantins parfois, à limportant groupe des « Français de France ».

Sans oublier cette poussière de peuplement en provenance de lEurope entière. Sans oublier aussi et surtout limportante communauté israélite.

Leur apport culturel et humain se révéla très rapidement dune immense et profonde qualité. Ils acquirent collectivement la qualité de citoyens français par le décret Crémieux en 1870[3]. Quant aux populations locales, Berbères dorigine, romanisés, christianisés puis islamisés et arabisés, auxquels sajoutaient les descendants des conquérants arabo-musulmans, le vocable « Algérien » ne les désignait pas à cette époque. Le terme étant alors indissociable du caractère novateur de cette « Algérie » naissante.

Ces populations avaient vocation à rejoindre la nouvelle entité qui se constituait. Dès lors que, comme tous les groupes sociaux successifs qui lavaient construite ou déjà rejointe, elles se reconnaissaient et entraient dans les valeurs républicaines.

De ces paramètres ne pouvait émerger quun ensemble original. Point nest besoin de rappeler avec quelle force la nature dun terroir, et ses caractéristiques géographiques, peuvent influencer les modes dexpression dune culture nouvelle. Et jusquà cette culture elle-même.

Le port dOran au début du XXe siècle

Ce sont les paysages, et le cadre de nature, qui orientent et engendrent lessence de tout éveil artistique. Le reste nest affaire que de temps. Pour quenfin lépoque et la situation puissent se prêter à cet épanouissement, et pour que les idées rencontrent les hommes capables de leur donner chair et de les faire vivre.

LAlgérie ne pouvant par ailleurs que bénéficier de cette euphorie de progrès qui saisissait lEurope à la jonction des XIXe et XXe siècles. Progrès social, technique, scientifique, artistique et humain. Cest ainsi que lon vit, sur ce territoire vierge dinfrastructures, affluer les ingénieurs de tous corps, tant étaient immenses les besoins déquipements sur ce sol qui nen possédait aucun[4]. Les médecins[5] et les enseignants[6]nétaient pas en reste, tandis quarchéologues et explorateurs, comme lon disait à lépoque, poussaient leurs investigations vers le grand Sud en quête de ce Sahara mythique et de ses mystères.

Algérianistes

Sur ce territoire nouveau mais doté dune extraordinaire richesse antique[7],[8], une structure hybride à la fois mi-colonie et mi-province française commençait de sétablir. A la fois nouvelle et française, sa population sadaptait à ces aspects inconciliables, tout en évoluant administrativement dans ces trois départements désormais français.

Passé le cap de 1900, lalgérianisme arrive au terme de sa longue et complexe gestation. Le mot apparaît dabord sous son dérivé « algérianiste ». On le trouve contenu dans le titre dun roman paru en 1911, Les Algérianistes[9]. Celui-ci est lœuvre de lAlgérois Robert Arnaud. Il est en 1873, dune famille déjà bien implantée. Mais il nen est pas à son coup dessai, puisquil a publié dès 1907 son premier roman « algérien » intitulé Les Colons. On découvre dans ce livre la vision davenir et de progrès que lauteur avait déjà de lAlgérie.

Ce roman souvre par une préface révélatrice signée de Marius Ary-Leblond. Celui-ci dit demblée de cette œuvre : « Cest le premier essai de la constitution dune mentalité algérienne, consciente de sa composition, volontaire, et raffinée »[10]. Cette phrase pouvant être vue comme une première réponse à cette interrogation identitaire soudain devenue dactualité : « En quoi lAlgérien diffère-t-il de lEuropéen ? »

Algérianisme

Robert Randau va se lier dune amitié profonde avec Jean Pomier. Celui-ci, à Toulouse en 1886, sera de fait le véritable père du terme « algérianisme ». Cest lui qui fonde en 1921 lAssociation des écrivains algériens ainsi que la revue littéraire Afrique. Rappelons quà lépoque, et jusquà la fin des années cinquante, le terme « Afrique » est souvent utilisé comme substitut romantique à « Algérie » par les écrivains de ce nouveau territoire.

Cest surtout en 1921 que lalgérianisme va être défini et formulé par Robert Randau lui-même, dans sa vigoureuse préface écrite pour une Anthologie de treize poètes africains (Il convient dentendre « algériens »). Cette préface prit demblée lallure et le ton dun véritable manifeste.

Manifeste appelant à cette Algérie future, d ils voient surgir un futur « Peuple franco-berbère ». Étayant en cela leurs espoirs par lévolution souhaitée des autochtones musulmans vers une société de moins en moins théocratique. Pour Randau et ses amis, ce futur peuple franco-berbère « sera de langue et de civilisation françaises ».

Ni orientalistes, ni régionalistes, ni passéistes

Orientalistes ?

LAlgérie et sa nouvelle population commencent datteindre à cette maturité qui va les faire peuple et patrie. Cest ainsi quau fil des décennies, cette société nouvelle ayant progressivement assuré ses nécessités vitales commença de voir apparaître les premiers fruits de son dynamisme. Elle se découvrit alors un nouveau besoin et un nouveau champ daction : le domaine culturel. aussi, tout était à découvrir, à imaginer et à inventer, particulièrement en matière de peinture et surtout de littérature.

Le monde de lart. Quel était lexact état des lieux. Depuis 1830 et lengouement qui avaient saisi les artistes de la Métropole pour ces nouveaux horizons, lesprit dit orientaliste y avait régné sans partage. Une inspiration artistique, certes de grande qualité, navait pu sextraire des limites dun folklore fixé une bonne fois pour toutes.

Le présent en marche se satisfaisait encore dun passé séloignant de plus en plus vite. Cest ainsi quau terme de leur séjour algérien, les artistes métropolitains ramenaient dans leurs malles des œuvres et des chef-dœuvres cependant marqués par ce décalage. Paysages exotiques et grandioses quils donnaient à admirer à la société européenne ; mais reflétant lâme dun univers éternel et figé, marqué par quelques stéréotypes de base.

Presque sans exception, la peinture offrait alors le spectacle dune société idéalisée, dun monde féminin reclus et limité aussi à quelques stéréotypes, et dun archaïsme patriarcal somnolant sous des cieux immuables. Contrepoints proposés aux rêves dune Europe surpeuplée, en proie à lagitation, et à la montée de lindustrialisation. Il est clair que ce reflet que lAlgérie donnait delle, ne correspondait plus à sa nouvelle nature profonde.

Régionalistes ?

La naissance de lalgérianisme officiel va demander encore quelques années, aidée en cela par la progressive « constitution dune mentalité algérienne ». Littérature et art vont enfin parvenir à trouver leurs sources originales. Lautonomie culturelle va ainsi manifester ses premiers balbutiements.

Ce besoin identitaire sétoffant après Les Colons paru en 1907 et Les Algérianistes en 1911, par Cassard le Berbère paru en 1926 et Diko, frère de la côte en 1929. Ces quatre romans furent très vite ressentis et perçus comme « Romans de la patrie algérienne ».

Cette moderne personnalité artistique devant être entendue non comme une école au sens strict, mais comme une force libre. Force libre soutenue et nourrie par ces hommes et ces femmes dAlgérie, présentant la caractéristique commune dêtre des « énergiques ».

Dans ce but clairement conçu, Randau le visionnaire réclame une « autonomie esthétique ». Sappuyant sur la réalité concrète et incontournable dun « peuple en formation », il écrit prophétiquement que «lHomme est fonction des horizons qui lentourent».

Robert Randau savait de quoi il parlait. Administrateur civil, il fit lessentiel de sa carrière en Afrique profonde. Séjournant à Dakar et Tombouctou, ainsi quen Mauritanie saharienne. Son œuvre et son action, loin dêtre limitées à lAlgérie, lui valurent dêtre appelé le « Kipling africain ».

Passéistes ?

Lalgérianisme doit beaucoup et se réfère souvent à Louis Bertrand, vu comme un précurseur. Toutefois, lauteur du Sang des races, de Devant lIslam et de la série des souriants Pépète, avait quitté lAlgérie dès 1900. Avant de gagner la métropole et lAcadémie française, il avait développé la thèse dune latinité retrouvée par delà les siècles obscurs, voyant dans la colonisation moderne une réminiscence dun passé antique, exaltant « les générations mortes ». Sans renier les pages glorieuses et les traces de la civilisation romaine, celle des « Villes dor[11] », les algérianistes insistent sur les préoccupations du présent, de lactuel, du brûlant, sur les problèmes de ce moment crucial que constituent les années trente. Ainsi, hommes et femmes se refusant à souscrire au pittoresque orientaliste, rejetant le «régionalisme littéraire», et sans être obnubilés par le passé, fondent sur leur sol natal une esthétique nouvelle qui rende compte de loriginalité algérienne.

Écrivains algérianistes

Alger, à cette époque, bouillonnait desprit et dinitiatives artistiques. Outre Robert Randau et Jean Pomier, le mouvement littéraire algérianiste compta dans sa mouvance de nombreux écrivains.

Cest avec Abdelkader Fikri que Randau publie en 1933 Les Compagnons du jardin, un aréopage représentatif débat sans tabou de toutes les questions qui agitent la société algérienne.

Louis Lecoq, à Alger en 1885 ; Charles Hagel, également en Algérie en 1882. Lecoq et Hagel écrivirent régulièrement ensemble, notamment le recueil de nouvelles : Broumitche et le Kabyle.

Lincontestable talent de Louis Lecoq le fit connaître rapidement des milieux littéraires parisiens. Il mourut prématurément en 1932 à lâge de 47 ans. Charles Hagel décéda à 56 ans en 1938. Ces deux disparitions firent défaut, non seulement à lalgérianisme, mais à lensemble de la littérature française.

A leurs côtés, nous trouvons les noms de Paul Achard, auteur de Lhomme de mer, saga maltaise haute en couleurs (1931), Charles Courtin qui écrivit La brousse qui mangea lhomme (1929), et René Janon avec Hommes de peine et filles de joie (1936).

Noublions pas également Laurent Ropa, quittant avec ses parents Malte pour lAlgérie à lâge de deux ans ; correspondant de la revue Afrique et auteur de Le chant de la noria en 1932.

Nous sommes au cœur des années 1930. A tous points de vue, le ciel européen et africain commençait de se charger de terribles nuages. Tout comme en Europe, le second conflit mondial y exerça ses ravages et son rôle daccélérateur de destins. Lecoq et Hagel disparus, Pomier commençait de vieillir, tandis que Randau avait atteint un grand âge, et Louis Bertrand séteignait à son tour loin des préoccupations algériennes.

Lalgérianisme sétiole dans la guerre et laprès-guerre. Le « méditerranéisme » élargit les perspectives.

Déjà Albert Camus et Emmanuel Robles ainsi que quelques autres étaient pris dans les vertiges parisiens de laprès-guerre. Camus, comme Gabriel Audisio, ne cesseront ensuite de réguliers retours au pays, avec toujours autant damour pour cette terre et les peuples qui avaient ensemble à y vivre. Comme devait le dire Camus à Stockholm en recevant son prix Nobel « Cest un Français dAlgérie que vous couronnez ». A limage de ses héros, lui aussi devait connaître une mort absurde et prématurée.

Exceptés la prémonitoire pièce Le Malentendu, et le roman L'Étranger, son livre le plus profondément « algérianiste » reste sans conteste son dernier manuscrit, dailleurs inachevé. Le Premier Homme, œuvre posthume, fut publié en effet trente-quatre ans après sa disparition. Peut-on y lire une analyse de la fatalité ?

Durant la guerre de 1954-1962, le mouvement algérianiste se trouva naturellement amené à une nette mise en veilleuse de ses manifestations désormais inadaptées. Les armes étouffant lesprit. Œuvre tardive, mais totalement pénétrée de lesprit algérianiste, Cette haine qui ressemble à lamour, du grand Jean Brune est publiée en 1961.

Jean Pomier est mort, à la fois chez lui dans sa ville natale de Toulouse, et en exil loin de cette Algérie qui la fait fondateur de lalgérianisme. Ce mouvement était-il disparu avec ses créateurs et les espoirs des Français dAlgérie ? Nétait-ce pas un défi que dimaginer une culture se perpétuant coupée du terroir qui lui a donné naissance ?

Notes et références

  1. « Le pays occupé par les Français dans le nord de lAfrique sera, à lavenir, désigné sous le nom dAlgérie » décrète, en 1839, Antoine Schneider, ministre de la Guerre.
  2. Pierre Goinard, Algérie, lœuvre française, Robert Laffont, 1984 (ISBN 2.221.04209.3), « 6 "Le peuplement européen" » .
  3. décret n°136 du 24 octobre 1870 (dit "Décret Crémieux")
  4. Pierre Goinard, Algérie, lœuvre française, Robert Laffont, 1984 (ISBN 2.221.04209.3), « 12 "Mise en valeur et équipement" » .
  5. Pierre Goinard, Algérie, loeuvre française, Robert Laffont, 1984 (ISBN 2.221.04209.3), « 13 "La médecine" » .
  6. Pierre Goinard, Algérie, lœuvre française, Robert Laffont, 1984 (ISBN 2.221.04209.3), « 14 "Lenseignement" » .
  7. Gilbert Charles-Picard, La civilisation de lAfrique romaine, Plon, 1959 
  8. Eugène Albertini, LAfrique Romaine, imprimerie OFFICIELLE, 1955 
  9. Robert RANDAU, Les Algérianistes, Tchou éditeur, coll. « LAlgérie heureuse », 1979 (ISBN 2.7107.0195.2) .
  10. Robert RANDAU, Les Colons, Tchou éditeur, coll. « LAlgérie heureuse », 1979 (ISBN 2.7107.0172.3) 
  11. Louis Bertrand, Les villes dor, Arthème Fayard & Cie Editeurs, coll. « Le cycle africain », 1921 

Lien externe

Site officiel du Cercle algérianiste national


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Algérianisme de Wikipédia en français (auteurs)

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