Hémoglobinurie paroxystique nocturne

Hémoglobinurie paroxystique nocturne

L'hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN) , aussi appelée maladie de Marchiafava et Michelli est une cause rare d'anémie.

Sommaire

Épidémiologie

L'HPN est une maladie identifiée un peu avant la Seconde Guerre mondiale. À ce jour, on en a diagnostiqué à peine 500 cas en France.

Physiopathologie

Elle est causée par une mutation dans le gène PIG-A, impliqué dans la synthèse de Phosphatidyl-Inositol Glycane (PIG). Le PIG (et son dérivé le GPI) est lui-même nécessaire à l'ancrage membranaire de plusieurs protéines de membrane des cellules sanguines, en particulier le CD 59 ou Protectine et le CD 55 ou Decay Accelerating Factor (DAF). CD 55 et CD 59 sont deux protéines de surface des hématies et des monocytes qui inhibent la constitution du complexe d'attaque membranaire du complément. Le déficit en PIG provoque donc une perte d'ancrage membranaire de CD 55 et CD 59, donc un défaut de protection de la membrane des hématies contre la lyse par le complément.

Le complément étant plus actif en milieu acide, donc en deuxième moitié de nuit (le pH sanguin est alors plus bas), l'hémolyse (lyse des hématies) se produit donc de façon plus importante durant la nuit.

Historique

C’est à la fin du XIXe siècle que Gull puis Strübing décrivent le cas de patients présentant une hémoglobinurie intermittente accompagnée d’hémolyse intravasculaire. Marchiafava et Nazani en 1911, puis Michelli en 1931, établissent le tableau clinique classique de la maladie.

L’hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN), ou maladie de Marchiafava & Michelli, est aujourd’hui considérée comme une maladie de la cellule souche hématopoïétique. Depuis le début des années 1980 les progrès de la cytométrie en flux puis, plus récemment, de la biologie moléculaire ont conduit à une réelle avancée dans la connaissance de la physiopathologie de cette maladie rare

Dès les premières descriptions de la maladie, au début du siècle, la sensibilité anormale des globules rouges à l’action lytique de complément (protéines du système immunitaire) a été considérée comme la caractéristique princeps de la maladie.

Au début des années 1980, plusieurs équipes ont démontré que 2 protéines, dont le rôle est d’inhiber l’action du complément, n’étaient pas exprimées à la surface des globules rouges de patients atteints d’HPN. Ces 2 molécules sont le DAF (decay accelerating factor) ou CD55 et le MIRL (membrane inhibitor of reactive lysis) ou CD59.

A la suite de ces travaux montrant le défaut d’expression du CD55 et du CD59 d’autres déficits moléculaires ont été identifiés sur les cellules de patients atteints d’HPN. Toutes ces molécules ont un élément structurel commun : elles sont attachées à la membrane par une ancre glycosyl-phosphatidylinositol (GPI).

Alors même que les protéines qui sont exprimées physiologiquement à la membrane des cellules sanguines sont normalement synthétisées, elles ne sont donc pas exprimées dans l’HPN par défaut de synthèse de leur système d’ancrage GPI.

Récemment, une étape fondamentale dans la compréhension de la maladie a été franchie grâce au groupe du Dr Kinoshita qui a démontré que l’HPN était liée à des anomalies d’un gène nommé PIG-A. Le gène PIG-A est situé sur le chromosome X.

Ces découvertes fondamentales ont ouvert la voie d’études moléculaires de l’HPN. Plusieurs équipes ont démontré que des altérations moléculaires du gène PIG-A sont retrouvées chez tous les patients atteints d’HPN à ce jour.

Mais, point important, les mutations décelées à ce jour, se situent sur l’ensemble du gène. Il n’existe donc pas de « point chaud » de mutation dans PIG-A. Ainsi, malgré le fait que de telles études sont indispensables pour l’extension de nos connaissances sur le plan fondamental, il semble illusoire à ce jour de croire au développement d’un diagnostic moléculaire en pratique clinique.

L’ensemble des travaux conduit depuis de nombreuses années dans cette maladie ont conduit Rotoli et Luzzatto à proposer un modèle dans lequel la population médullaire GPI- (issue d’une ou quelques cellules souches) possède un avantage de croissance (ou de survie) intrinsèque face à un mécanisme d’agression responsable d’une aplasie médullaire

Symptômes

La forme la plus classique, sinon la plus courante, de la maladie est celle d’une anémie hémolytique acquise, apparaissant chez un adulte jeune, accompagnée d’urines foncées le matin et parfois d’un ictère modéré. L’anémie est accompagnée d’un signe de régénération modéré (réticulocytose) et souvent d’un certain degré d’insuffisance médullaire.

Au diagnostic, dans la série de la Société Française d’Hématologie (SFH), la moyenne d’âge était 33 ans mais près de 15 % des patients étaient des enfants (moins de 16 ans). Seul un tiers des patients avait une anémie isolée et un tiers des patients se présentait initialement avec une pancytopénie, généralement modérée.

Le problème majeur qui vient grever l’évolution des patients atteints d’HPN sont les thromboses (qui peuvent être inaugurales).

L’incidence actuelle des thromboses dans la série de la SFH est de 25 % à 5 ans. Les deux localisations les plus fréquentes de ces thromboses sont les veines sus-hépatiques (syndrome de Budd-Chiari) et le système nerveux central. Deux autres complications sont aussi fréquemment rencontrées (chacune chez 20 % des malades) : des crises douloureuses abdominales (d’étiologie incertaine ; microthromboses mésentériques) et des infections récurrentes.

Le maître symptôme est l'hémoglobinurie matinale (présence dans les premières urines du matin de l'hémoglobine libérée des hématies, lorsque celles-ci ont éclaté durant la nuit). Ainsi, les urines du matin ont une couleur brun-rouge comparable à la couleur du Coca-Cola ou du porto.

Ceci s'accompagne de douleurs lombaires, en regard des reins, qui peuvent être intenses, surtout en début de journée.

Et bien sûr, il y a tous les signes classiques de l'anémie chronique (le diagnostic est souvent fait au bout de quelques mois seulement) :

L'hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN) doit être évoquée en cas de :

  • Urines rouges attribuées à une hémoglobinurie (cette hémoglobinurie est souvent intermittente et à prédominance nocturne mais ce caractère est inconstant).
  • Anémie hémolytique (évoluant par poussées) à test de Coombs négatif, sans anomalie morphologique des globules rouges sur le frottis sanguin (et sans déficit en G6PD chez un patient originaire d'une zone où cette anomalie génétique est fréquente).
  • Maladie thrombotique artérielle (en particulier cérébrale) ou veineuse (en particulier mésentérique ou en cas de syndrome de Budd-Chiari). L'association maladie hémolytique - maladie thrombotique doit faire évoquer le diagnostic comme dans notre observation.
  • Aplasie médullaire idiopathique voire myélodysplasie (une étude récente montre que des cellules caractéristiques de I'HPN sont retrouvées dans 22% des cas d'aplasie médullaire idiopathique et 23% des cas de myélodysplasie[1].

L'anémie hémolytique de l'HPN peut n'être pas régénérative en cas de carence martiale liée à l'hémosidérinurie.

La leuconeutropénie est associée dans la moitié des cas. La thrombopénie est observée dans 80% des cas mais reste généralement modérée.

En pratique courante, l'HPN est diagnostiquée dans 2 circonstances :

  • la maladie hémolytique et thrombosante classique que l'on peut appeler l'HPN "primitive" ou "de novo".
  • la découverte d'un clone HPN chez un patient atteint d'aplasie médullaire traité quelques mois ou années auparavant par immunosuppression (sérum antilymphocytaire et/ou ciclosporine). La mise en évidence d'une telle complication après un traitement immunosuppresseur des aplasies médullaires est de plus en plus fréquente, en particulier grâce à l'utilisation récente de la cytométrie en flux comme outil diagnostique.

Évolution

Il existe des risques de transformation en Leucémie Aiguë au bout de quelques années. Il peut par ailleurs se produire une sidération médullaire, c'est-à-dire un blocage de l'hématopoïèse dans la moëlle osseuse, de mécanisme inconnu, mais probablement liée à l'hémolyse intra-médullaire qui accompagne l'hémolyse intra-vasculaire sus-décrite, les cellules hématopoïétiques portant elles-aussi du CD 55 et du CD 59.

Diagnostic immunocytologique ou tests de Ham-Dacie et sucrose[2]

Une des découvertes majeures de ces dernières années dans la compréhension de la physiopatogénie des HPN a été que l'hémolyse était liée au défaut d'expression à la surface cellulaire des 2 protéines érythrocytaires :

  • le DAF (decay accelerating factor) ou CD55
  • le MIRL (membrane inhibitor of reactive lysis) ou CD59.

Ces 2 proteines jouent un rôle majeur dans la protection des cellules contre l'action lytique du système du complément. Après la mise évidence du rôle des molécules CD55 ET CD59, il a été démontré que les patients atteints d'HPN étaient déficients en autres molécules exprimées normalement par les érythrocytes mais aussi, pour certaines, par d'autres lignées hématopoïétiques.

Comment alors expliquer le fait que les molécules dont les fonctions sont apparemment aussi éloignées que, par le exemple, CD55 et la molécules d'adhésion CD58 soient manquantes dans l'HPN ? La réponse à cette question a été apportée par la découverte que toutes ces molécules ont un élément structurel commun : elles sont attachées à la membranes par une ancre glycosyl-phosphatidylinositol (GPI).

Cette ancre GPI confère aux protéines membranaires une grande mobilité latérale. Bien que mes molécules GPI liées puissent être étudiées dans des extraits cellulaires par méthodes radio-immunologique ou par ELISA, l'outil le plus performant est l'étude immunocytologique par cytométrie en flux. Cette technique permet l'analyse rapide des différentes populations leucocytaires à partir de sang total. Les résultats obtenus peuvent être exprimés en pourcentage de cellules négatives(importance relative du clone)et/ou en moyenne d'intensité de fluorescence (unité arbitraire en échelle logarithmique).

Cette dernière manière est utile d'une part, pour l'étude de certaines molécules comme le CD16 ou le CD58 dont l'expression physiologique est faible, d'autre part, dans la mise en évidence de populations dites "intermédiaires" ou PNH II (population cellulaires exprimant à leur surface un niveau faible, mais non nul d'une molécule GPI donnée).

La sensibilité de la cytométrie en flux dans le diagnostic d'un déficit des molécules GPI permet de détecter des clones (populations anormales)dont l'importance n'excède pas quelques pourcent. En pratique pour la majorité des molécules étudiées, un déficit peut être considéré comme significatif lorsque le pourcentage de cellules négatives est supérieur à 5%.

Quelle est donc la place de la cytométrie en flux rapport aux tests classiques de Ham-Dacie et sucrose ? L'ensemble des auteurs s'accordent pour dire que la cytométrie en flux est une méthode plus sensible et spécifique que les tests classiques. D'autre part, si, dans le diagnostic des formes de novo, les résultats des tests classiques sont dans l'immense majorité des cas, tout à fait concordants avec ceux de la cytométrie en flux.

Le test Ham-Dacie est basé sur l'acidification du sérum.

Bilan biologique

  • En premier lieu, c'est l'hémogramme qui pose le diagnostic d'anémie macrocytaire.
  • On fera aussi un comptage des réticulocytes (comme pour toute anémie).
  • Ensuite, il faut prouver que l'anémie est bien de cause hémolytique, en dosant dans le sang :
    • la bilirubine totale et la bilirubine libre,
    • la LDH,
    • l'haptoglobine,
    • éventuellement l'hémoglobine.
    • De plus, il faut réaliser un frottis sanguin par prélèvement au doigt pour affirmer de façon sûre l'hémolyse.
  • Enfin, si toutes ces causes sont éliminées, on recherchera une HPN par des tests de résistance à l'hémolyse : test au saccharose, test en milieu acide, test au chlorure de sodium.

Mais aujourd'hui, ces tests ne sont presque plus pratiqués. Ils sont remplacés par l'analyse moléculaire par cytométrie en flux de CD55 et de CD59.

Traitement des symptômes

La rareté de cette maladie rend difficilement évaluable les bénéfices des thérapeutiques utilisées. Certains grands traits se dégagent tout de même.

  • En cas d'anémie sévère et/ou mal tolérée, les concentrés globulaires demeurent indispensables.
  • Hormis les transfusions, certains patients peuvent bénéficier de supplémentation en fer car la perte urinaire journalière 20mg de fer sous forme d'hémosidérine. Mais la prise de fer peut provoquer des douleurs abdominales.
  • Il est également d'usage de supplémenter en acide folique (vitamines B9)tous les patients présentant une anémie hémolytique chronique du fait de l'hyper production médullaire compensatrice.
  • Les facteurs de croissance
    • le GCSF peut être prescrit dans les formes aplasiques, on observe des résultats mitigés.
    • Certaines équipes médicales ont essayé l'érythropoïétine (EPO) qui peut aider à limiter les transfusions.
  • Les immunosuppresseurs sont potentiellement utiles.
    • En effet la ciclosporine
    • et le sérum anti-lymphocytaire ont été employés avec succès dans certaines formes très pancytopéniques (numéation formule sanguine basse).
  • Les androgènes semblent avoir une certaine efficacité bien que leur mécanisme d'action ne soit pas très bien connu.
  • Les corticoides aussi sont parfois efficaces. Ils auraient un intérêt dans les formes hémolytiques mais n'auraient pas d'effet sur l'hémotopoïése. Un traitement de 6 semaines inefficace doit être interrompu.
  • L'utilisation d'anti coagulants est prônée en cas de précédent de thrombose.
  • En cas de douleurs abdominales, maux de tête provoqués par les crises hémolytiques, sont prescrits des antalgiques plus ou moins puissants.

Certains patients se plaignent également de spasmes oesophagiens, cette physiopathie reste encore mal connue mais il semble que la présence l'hémoglobine libérée dans le sang réduise les concentrations efficaces locales d'acide nitrique connu pour relaxer les fibres musculaires lisses. En cas de nausées souvent est préconisé le primpéran et autres anti nauséeux.

  • Les infections sont souvent récurrentes (sphère ORL et pulmonaire) et traitées par antibiotiques.
  • La greffe de moelle osseuse reste la seule thérapeutique curative mais elle est grevée d'une lourde mortalité et surtout réalisée à partir de donneur de la fratrie le plus souvent.
  • Récemment, l'Eculizumab, anticorps monoclonal se liant à la molécule du complément C5, a montré son efficacité en diminuant l'hémolyse, le risque de thrombose et en améliorant la qualité de vie. Il est commercialisé par le laboratoire Alexion sous le nom de Soliris. C'est le médicament le plus cher au monde : 34125 dollars par mois de traitement.

Notes et références

  1. (Dunn D.E. et al. Paroxysmal nocturnal hemoglobinuria cells in patients with bone marrow failure syndrome. Ann Intern Med 1999; 131 : 401 - 408)
  2. Extrait d'article écrit par les Prof. G. Socié, E. Gluckman, A. Griscelli-Bennaceur, F. Signaux, Hématolgie 1995 ; 1 ; 65-68

Articles connexes

glycosylphosphatidylinositol, GPI.

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