- Hypothèse de Sapir-Whorf
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Hypothèse Sapir-Whorf
Pour les articles homonymes, voir Sapir.En linguistique, l’hypothèse Sapir-Whorf (HSW) est une dénomination faisant référence aux problèmes liés à la relativité linguistique (c’est-à-dire la variabilité [ou non] des représentations et des catégorisations du monde dans les langues. Mais cette appellation est trompeuse sur plusieurs points :
- Il ne s'agit pas d'une hypothèse mais d'une observation d'un fait linguistique qui avait déjà été observé antérieurement à Sapir ;
- Benjamin Whorf n'est pas le co-auteur de la thèse d'Edward Sapir ; mais il la reprend et la radicalise.
L’hypothèse Sapir-Whorf peut également être perçue comme une théorie controversée. Mais cette controverse est certainement plus due à des raisons autres que celles qui préoccupent les linguistes qu'à celles visant à décrire le fonctionnement du discours et des langues.
Sommaire
La thèse
La thèse de Sapir est exposée dans cet extrait souvent cité :
« The fact of the matter is that the "real world" is to a large extent unconsciously built up on the language habits of the group. No two languages are ever sufficiently similar to be considered as representing the same social reality. The worlds in which different societies live are distinct worlds, not merely the same world with the different labels attached. (Mandelbaum 1951 : 162) »
En voici une traduction :
« Le fait est que la "réalité" est, dans une grande mesure, inconsciemment construite à partir des habitudes linguistiques du groupe. Deux langues ne sont jamais suffisamment semblables pour être considérées comme représentant la même réalité sociale. Les mondes où vivent des sociétés différentes sont des mondes distincts, pas simplement le même monde avec d'autres étiquettes. (Détrie, Siblot, Vérine 2001 : 138) »
Le débat autour de la relativité linguistique est embrouillé par l'ambigüité, maintenue, autour des notions de champ notionnel et de champ sémantique.
La relativité linguistique invalide la compréhension essentialiste du nom qui implique que : « Pour certaines personnes la langue, ramenée à son principe essentiel, est une nomenclature, c'est-à-dire une liste de termes correspondant à autant de choses (Saussure, 1916/1971 : 97) » (Siblot 2001 : 139). Pour passer d'une langue à une autre, il suffirait alors de changer d'étiquettes. La difficulté de la traduction automatique montre encore de nos jours à quel point la tâche est peu aisée.
Quelques faits
- Le langage affecte les perceptions (des couleurs) sur la partie droite du champ visuel, mais pas la gauche (Université de Chicago, résumé en anglais)
Le paradoxe structuraliste
L'approche anthropologique d'une linguistique de la production du sens
Autres points de vue et exemples associés
- Mot ayant un sens différent
- En français, un Américain sera presque toujours compris comme « un habitant des États-Unis d’Amérique ».
- En espagnol, un Americano signifiera toujours « un habitant de l’ensemble du continent américain », cela étant dû au lien culturel entre l’Espagne et les pays hispanophones du continent américain.
- Notre Américain courant se traduira en espagnol par estadounidense (de Estados Unidos), traduisible en « Étasunien », utilisé toutefois, mais plus rarement qu'« Américain ».
- Mot n'existant pas
- En allemand, le verbe aller n'existe pas. Dans la construction des phrases, il sera remplacé par un verbe précisant le mode de déplacement, fahren (aller en conduisant), gehen (aller à pied), fliegen (aller en avion). Ainsi le concept de déplacement sans précision du moyen n'est pas accessible à un Allemand.
- En français, l'équivalent du mot anglais cheap n'existe pas. Si l'expression bon marché est quelque fois employée, on lui préfèrera le plus souvent la négation pas cher.
L’hypothèse Sapir-Whorf serait-elle elle-même le résultat d’une ambigüité de l’anglais ?
Voici un paragraphe trouvé sur Internet et visant à expliciter l’hypothèse Sapir-Whorf : "This [il s'agit de l'hypothèse Sapir-Whorf] states that language is not simply a way of voicing ideas, but is the very thing which shapes those ideas. One cannot think outside the confines of their language. The result of this process is many different world views by speakers of different languages."
Si l'on traduit ce paragraphe en français, on aboutit à : « L'hypothèse énonce que le langage n'est pas seulement la capacité d'exprimer oralement des idées, mais est ce qui permet la formation même de ces idées. Quelqu'un ne peut penser en-dehors des limites de son propre langage. Le résultat de cette analyse est qu'il y a autant de visions du monde qu’il y a de langages différents. »
Il sera par exemple plus difficile d'expliquer les probabilités (du mathématicien) à une personne familiarisée depuis la petite enfance avec le concept de chance tel que l'entend un joueur passionné.
En anglais, le mot language signifie à la fois langage, c’est-à-dire la faculté d'expression ou le système de signes permettant l'expression (dans ce cas ayant un sens proche de langue) , et langue, c’est-à-dire le code utilisé par les humains pour se comprendre. En français, les deux concepts de langue et de langage sont bien distincts. En français, la phrase « Quelqu’un ne peut penser en-dehors des limites de son propre langage. » n’a pas de sens, si le mot langage est pris dans le sens de système. Puisque l’on pense différemment en utilisant une autre langue que sa langue maternelle (à la condition que l’on ait appris les concepts existant dans cette autre langue et n’existant pas dans la langue maternelle), c’est bien la preuve que la pensée n’est pas figée par la langue maternelle. Dans ce cas, le mot langue peut également être utilisé. De même, pour la phrase « Le résultat de cette analyse est qu’il y a autant de visions du monde qu'il y a de langues différentes. ».
Ici, on peut donc se demander si l’hypothèse Sapir-Whorf ne repose pas sur l’ambigüité du mot language en anglais. L’hypothèse Sapir-Whorf, reposant relativement à l’influence particulière de la langue maternelle sur le cerveau (c’est-à-dire le langage en tant que système d'expression), est donc fausse dans ce cas.
En revanche, si le mot language est pris dans le sens de faculté d'expression, il devient évident qu'un individu dont la faculté de conception est réduite ne peut accéder à des signifiants dont il ne conçoit pas l'existence et ce quelle que soit la langue d'expression.
Dans ce cas, la phrase « Quelqu’un ne peut penser en-dehors des limites de son propre langage. » prend tout son sens, puisque sa capacité de conception et donc de langage reste toujours limitée dans n'importe quelle langue. De même, pour la troisième phrase « le résultat de cette analyse est qu’il y a autant de visions du monde qu'il y a de langages différents. ;».
Il est vrai que la pensée d’un individu est, au moins en partie, dépendante des langues qu’il connaît, et en particulier de leurs précisions. Ce que l’on appelle « apprendre une langue », c’est la création d’une série de liens entre signifiants (mots) et signifiés (concepts). Si un signifiant est absent (si nous ne connaissons pas l’existence d’un mot), alors le signifié (le concept exprimé par ce mot) pourra parfois être également absent. Mais il n’y a aucune implication forte entre la pensée et la langue, ni dans un sens, ni dans l’autre. Il est possible d’oublier la signification d’un mot, et il est possible de ne pas trouver un mot correspondant à un concept que l’on a en tête.
Pour illustrer l'influence de la précision des langues sur la qualité de la pensée, prenons un exemple concret : « Tout ce qui brille n'est pas or ». Cette phrase est souvent utilisée par les professeurs de mathématiques pour introduire la logique du premier ordre et en montrer l'utilité. Si l'on traduit la phrase de départ dans une langue où la négation se met devant le mot concerné, la difficulté disparaît. C'est le cas en espéranto. Dans cette langue, la phrase de départ, traduite littéralement, est « Ĉio, kio brilas, ne estas oro. ». Cela peut se comprendre par : « Parmi tout ce qui brille, il n'y a rien qui soit de l'or ». On voit immédiatement que ce n'est pas vrai. En revanche, si l'on déplace la négation en début de phrase, on obtient : « Ne ĉio kio brilas, estas oro. ». L'espéranto permet de mettre la négation (ne) devant le mot signifiant tout au début de la phrase, et non sur le mot signifiant or, alors que le français ne le permet pas. On en déduit donc que la phrase « Tout ce qui brille n'est pas or » est la négation de « Tout ce qui brille est de l'or ». Le prédicat correspondant est donc :
La conclusion est donc que plus on connaît un grand nombre de langues différentes, plus on est capable de penser clairement et précisément.
Citations
- The basic tool for the manipulation of reality is the manipulation of words. If you can control the meaning of words, you can control the people who must use the words. Philip Kindred Dick
(L'outil de base pour manipuler la réalité est la manipulation des mots. Si l'on est capable de contrôler le sens des mots, on est capable de contrôler les gens qui ont à s'en servir)
- Quand les hommes ne peuvent plus changer les choses, ils changent les mots. Jean Jaurès
Conclusion
L'hypothèse de Sapir-Whorf se révèle être la prise en compte du problème posé par la variabilité des représentations et des catégorisations du monde dans les langues introduit en linguistique par W. von Humboldt, problème immédiatement perçu par les traducteurs.
Concevoir la variabilité du découpage du réel par les langues comme interne au système (structuralisme) permet à Saussure d'en tirer le principe de l'arbitraire du signe. Au contraire, la prise en compte de cette observation (hypothèse de Sapir-Whorf) dans une linguistique de la production du sens permet d'illustrer la notion de logosphère qui est la représentation du réel dans le lexique. Cette notion nous rappelle que l'accès au réel, jusque dans nos perceptions, ne se fait que par l'intermédiaire de sa représentation et de son interprétation. L'hypothèse de Sapir-Whorf est le constat de l'action de cette logosphère.
« [...] Le lexique n'est pas une nomenclature de dénominations qui désigneraient les mêmes êtres et les mêmes objets à travers le monde, le temps, les milieux sociaux... Il est la sommation d'actes de parole conjoncturels, d'actes de nominations [...] [dans lesquels] s'expriment des points de vue, par définition relatifs, et dont la relativité linguistique constitue un des aspects (Siblot 2001 : 140) ».
Bibliographie
- (en) Mandelbaum D. G. (éd), 1951, The Selected Writing of Edward Sapir, Berkeley : University of California Press. [Consultable en ligne via book.google.fr > Selected Writings of Edward Sapir in Language, Culture and Personality > "real world" (p. 162)]
- Détrie C., Siblot P., Vérine B., 2001, « Hypothèse de Sapir-Whorf », Termes et concepts pour l'analyse du discours. Une approche praxématique, Paris : Honoré Champion.
- Saussure F. de, 1916/1972, Cours de linguistique générale, Paris : Payot.
Fiction
- Vance, J. Les langages de Pao
Voir aussi
- Sémantique générale
- Lojban (langue construite créée pour vérifier l’hypothèse)
- Loglan (langue antérieure de même but)
- Novlangue (qui montre que l’idée était déjà dans l’air en 1948 dans le roman 1984 de George Orwell)
- Roland Barthes (pour qui toute langue est une oppression)
- Ferdinand de Saussure, linguiste, fondateur du structuralisme.
Liens externes
Catégorie : Théorie linguistique
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