Hutu Power

Hutu Power

Le Hutu Power est une idéologie avancée par l’Akazu et d’autres extrémistes Hutus au Rwanda. Son nom tient du mot d'ordre utilisé par ces dignitaires pour exprimer en anglais le pouvoir exclusif des Hutus sur un Rwanda purifié de la présence des Tutsis et a d’ailleurs contribué au Génocide au Rwanda contre les Tutsis et Hutus modérés en 1994[1].

Le Hutu Power fut fondé en février 1993 à la suite d'une attaque du Front patriotique rwandais qui mit les forces gouvernementales en déroute et provoquèrent la fuite d'un million de civils. Son noyau, l’Akazu, est d’ailleurs constitué de proches de la famille de l’ancien président Rwandais Juvénal Habyarimana et de celle de son épouse, feu Agathe Habyarimana[2].

Le mouvement a animé le gouvernement intérimaire rwandais, constitué dans les jours qui suivirent l’attentat du 6 avril 1994 contre le président Habyarimana. Ce gouvernement a entraîné dans son action exterminatrice un grand nombre de paysans, instituteurs, médecins, universitaires, commerçants, juges, religieux, bourgmestres, préfets, grâce à une campagne médiatique puissante et efficace lancée depuis 1990, par la "Radio des 1000 collines", et la formation en 1992 d’une milice de jeunes, les Interahamwe[2].


Sommaire

Contexte

Le royaume rwandais était traditionnellement gouverné par un mwami, ou roi, Tutsi ; tout indique que les peuples Hutu et Twa étaient inclus au sein du gouvernement, bien que le peuple Twa fut beaucoup moins représenté que le peuple Hutu qui était plus nombreux en termes de population. La division entre Tutsis et Hutus fait souvent référence à un système de castes. Ainsi, un Hutu pouvait atteindre le rang de Tutsi via le mariage ou son succès. Les Tutsis, étant principalement pastoralistes, avaient une place de valeur au sein de la société Rwandaise à comparer les agriculteurs Hutus et les chasseurs-cueilleurs et potiers Twas.

La société créa des conceptions de statuts sociaux basés sur les traditions de chaque groupe :

  • Les Twas, travaillant majoritairement directement avec la terre (via la poterie), étaient considérés impurs ;
  • Les Hutus, qui travaillent aussi avec la terre, mais moins que les Twas, étaient considérés comme moins « purs » que les Tutsis, qui ne travaillaient pas directement avec la terre[3].

Lorsque l’Allemagne et plus tard, la Belgique, colonisèrent le royaume, ils réinterprétèrent la stratification comme une division de races ou d’ethnies, perçus à travers les hypothèses hamitiques. Des auteurs européens comme John Hanning Speke ont écrit des Tutsis comme étant d’origine ‘hamitique’, ayant constitué une invasion nilotique de l’Éthiopie moderne, amenant la civilisation à la ‘race’ nègre[4]. Cela a eu comme résultat un favoritisme envers les Tutsis, aux dépens des Hutus et Twas par l’administration coloniale. De plus, ils imposèrent un système de cartes d’identité et de classification ethnique en recensement, ce qui renforça la division ethnique artificielle et contribua aux tensions entre les groupes[5].


Changement dans la domination coloniale belge

Vers la fin de la domination belge, le gouvernement commença à favoriser le groupe Hutu, qui s’organisait pour plus d’influence. Les fonctionnaires coloniaux flamands, hostiles vis-à-vis leurs voisins Français en Europe, sympathisèrent avec le peuple Hutu, puisqu’ils voyaient des similarités d’oppression. De façon plus significative, l’administration belge craignait la monté du communisme et d’un régime socialiste panafricain mené par Patrice Lumumba de la République démocratique du Congo. Puis, le haut résidant Guillaume Logiest[6] organisa les premières élections démocratiques au Rwanda afin d’éviter d’autres politiques radicales. En tant que population majoritaire, les Hutus élurent leurs candidats à la majorité des postes au sein du nouveau gouvernement[7].

Création du Hutu Power

Le premier président élu, Grégoire Kayibanda, d’ethnie Hutu, utilisa les tensions ethniques afin de préserver son propre pouvoir. Des radicaux Hutus, travaillant avec son groupe (puis contre lui plus tard), cooptèrent l’hypothèse hamitique, décrivant le peuple Tutsi comme des étrangers, envahisseurs et oppresseurs du Rwanda. Quelques radicaux Hutus demandèrent même à ce que les Tutsis soient « renvoyés en Éthiopie », en référence à leur supposée terre natale. Ce nouveau concept de Hutu Power idéalisa une pré-« invasion » du Rwanda : un territoire « ethniquement pur » dominé par les Hutus[8].

Sous Habyarimana

En 1973, le général et ministre de la défense, Juvénal Habyarimana, d’origine Hutu, supporté par des Rwandays plus radicaux du Nord, renversa Kayibanda en ordonnant de le faire tuer, lui et sa femme. Beaucoup de ses supporteurs venaient de son district du nord, descendants des royaumes Hutus qui ont été semi-autonomes avant la période de colonisation. L’administration sortante donna raison aux Tutsis, alors que la violence soutenue par le gouvernement était plus sporadique que sous Kayibanda.

Avec des conditions économiques difficiles et les menaces d’invasion de la RPF, Habyarimana se mit à encourager les tensions ethniques[9].

Voix du Hutu Power

Le Hutu Power acquit une variété de porte-paroles. Hassan Ngeze, un entrepreneur recruté par le gouvernement pour combattre la publication Tutsi Kanguka, créa et édita Kangura, un journal radical du mouvement Hutu Power. Il publia les "10 commandements Hutu", qui incluait entre autres:

  • Les Hutus et Tutsis ne devraient pas se marier ensemble;
  • Le système d’éducation se doit d’être composé d’une majorité Hutu (reflétant la population); et
  • Les forces armées rwandaises devraient être exclusivement Hutu.

Radio Télévision Libre des Mille Collines diffuse des émissions de radio suggérant de ne plus tolérer le peuple Tutsi, répétant les 10 commandements Hutu, et créant du support à l’idéologie du Hutu Power. Il s’agissait là d’une tentative de mobilisation de la population pour aider à éradiquer les Tutsis, qui étaient alors considérés comme des menaces à l’ordre social et politique atteint depuis l’indépendance, et tel qu’envisagé par l'Akazu[10],[11]. Le politicien Léon Mugesera fit un discours:

"Do not be afraid, know that anyone whose neck you do not cut is the one who will cut your neck...Let them pack their bags, let them get going, so that no one will return here to talk and no one will bring scraps claiming to be flags!" [12]

“Ne soyez pas effrayés, sachez que quiconque à qui vous ne brisez pas le cou brisera le vôtre… Laissez-les faire leurs bagages, laissez-les aller, pour que personne ne revienne ici pour parler et que personne ne ramène de restes réclamant d’être drapeaux ! »

Les programmes radio référaient fréquemment aux Tutsis comme inyenzi, un mot kinyarwanda qui signifie 'cafard'[13].

Mobilisation pour génocide

Durant les tentatives de négociation (Accords d'Arusha) entre le gouvernement rwandais et le RPF, des radicaux hutus commencèrent à rapporter qu’Habyarimana se faisait manipuler par des Tutsis et des Hutus modérés. Ils calomnièrent la Première ministre du moment Agathe Uwilingiyimana[14].

Suivant l’assassinat d’Habyarimana, un geste que les gens ont d’abord spéculé avoir été fait par des extrémistes tutsis, les forces du Hutu Power mobilisèrent les milices, plus particulièrement Interahamwe, ainsi que la populace, afin de transporter les milliers de corps résultant des massacres du génocide rwandais. La garde présidentielle tua la Première ministre Uwilingiyimana ainsi que de nombreux autres officiers modérés du gouvernement[15].

Conséquences

Plusieurs porte-paroles du Hutu Power ont été arrêtés après le génocide, accusés et convoqués à des procès.

  • Ngeze fut arrêté et condamné à 35 ans d’emprisonnement.
  • En 2005, Mugesera fut déporté du Canada au Rwanda afin d’obtenir procès pour son rôle dans le massacre[16],[17].

Voir aussi

Notes et références

  1. (en)"Hutu Power"
  2. a et b Jean-Paul Kimonyo, « Rwanda, un génocide populaire ». Consulté le 18 janvier 2011
  3. (en) Christopher Taylor, Sacrifice as Terror, Berg Publishers, 2001 
  4. Philip Gourevitch, , Picador, 1999 
  5. (en)"Hutu Power - Background"
  6. "Belgian residents", Rwanda, World Statesmen, accessed 18 jan 2010
  7. (en) "Hutu Power - Shift in Belgian colonial rule"
  8. (en) "Hutu Power – Formation of Hutu Power"
  9. (en) "Hutu Power – Under Habyarimana"
  10. (en) Joan and Dixon Kamukama (2000). "Kakwenzire", in The Path of a Genocide: The Rwanda Crisis from Uganda to Zaire, Howard Adelman and Astri Suhrke (eds). London: Transaction Publishers, p. 75
  11. (en) Chalk, Frank (2002). "Hate Radio in Rwanda", in The Path of a Genocide: The Rwanda Crisis from Uganda to Zaire, Howard Adelman and Astri Suhrke (eds). London: Transaction Publishers.
  12. (en) Supreme Court of Canada - Decisions - Mugesera v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration)
  13. (en) "Hutu Power – Voices of Hutu Power"
  14. Jones, Bruce (2000). "The Arusha Peace Process", in The Path of a Genocide: The Rwanda Crisis from Uganda to Zaire, Howard Adelman and Astri Suhrke (eds). London: Transaction Publishers. Page 146
  15. (en) "Hutu Power – Mobilization for genocide"
  16. CTV.ca | "Top court upholds Mugesera deportation order", CTV Canada
  17. (en) "Hutu Power – Aftermath"

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Hutu Power de Wikipédia en français (auteurs)

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