Hanotte Xavier

Hanotte Xavier

Xavier Hanotte

Xavier Hanotte est un écrivain belge francophone à Mont-sur-Marchienne le 31 octobre 1960. Germaniste de formation, il s'est spécialisé dans l'informatique après avoir travaillé quelque temps dans l'édition juridique. Il est le traducteur de l'auteur anversois Hubert Lampo et du poète anglais Wilfred Owen. Ses romans sont publiés aux éditions Belfond. Des critiques étrangers le rapprochent de Simenon ou Michaux [1].

Sommaire

Panorama des publications

Xavier Hanotte publie son premier roman, Manière noire, en 1995. Il sagit du premier volume mettant en scène linspecteur bruxellois Barthélemy Dussert, alter ego avoué de lécrivain. Leur principal trait commun est de traduire les vers de Wilfred Owen, météore de la poésie anglaise, décédé au front de la Somme en 1918. Le héros traîne également derrière lui une lourde déception sentimentale. Elle sappelle Anne, et la éconduit sept ans plus tôt. Cet événement justifierait son engagement dans la police. Dans ce premier récit, Dussert enquête sur le retour parmi les vivants dun malfrat prétendument décédé, André Maghin.

Trois ans plus tard, De secrètes injustices remet en service linspecteur Dussert et ses collègues, cette fois pour résoudre le meurtre dun négationniste, Rudiger Hubermann. Dussert est préoccupé par ses traductions dOwen, quil compte publier, et par une histoire damour sans lendemain avec Aline, rencontrée lors de laffaire précédente. En outre, entre les chapitres du roman sintercalent des parties en italiques représentant le travail décriture de linspecteur à propos des victimes de la première guerre mondiale. Lintrigue policière sefface peu à peu pour laisser place aux préoccupations centrales de lécrivain et de son double.

Dans Derrière la colline, en 2000, lautre côté du miroir est atteint. La narration a pour cadre le front de la Somme pendant la Grande Guerre, et met en scène un jeune homme poète à ses heures, Nigel Parsons, de son nom de plume Nicholas Parry, qui sengage aux côtés de son ami William Salter. Ici aussi, des parties placées entre les chapitres sortent du déroulement du récit. Il sagit de lettres de William Salter adressées à son fils. Mais le lecteur apprend au fil de lhistoire que Nigel Parsons a pris lidentité de son camarade à lissue dune bataille. Dans la partie annexe en fin de roman se trouvent une lettre de lépouse française de Parsons devenu Salter, et une autre du chef de laboratoire de la police judiciaire de Bruxelles, toutes deux adressées à Barthélemy Dussert. Linspecteur est donc en quelque sorte protagoniste de la narration mais en négatif, alors que lon devine quil sest intéressé à léchange didentités entre les deux hommes. Le roman devient explicitation de sa thèse.

Changement de registre en 2002 avec Les lieux communs, linspecteur Dussert laissant la vedette à Serge, un petit garçon parti en excursion au parc dattraction Bellewaerde avec sa tante Bérénice, et Pierre Lambert, un soldat canadien montant au front au même endroit en 1915. auparavant, la coupable des déceptions amoureuses des protagonistes était léternelle absente, cest elle qui est ici à lavant-plan : la tante Béré a quitté son compagnon Pierre, et se comporte de façon plutôt frivole. Le petit garçon et le soldat, en tant que narrateurs, prennent chacun à leur tour un chapitre en charge, leurs dimensions tendant à se confondre.

Deux ans plus tard, Ours toujours étonne avec une sortie en apparence totale des sentiers hanottiens : Owen et la première guerre mondiale seffacent au profit dune bande dours civilisés, contraints de jouer la comédie pour le public qui vient les observer dans leur réserve naturelle. Le narrateur diffère des précédents, qui, comme Dussert et Parsons, étaient ces êtres nostalgiques déçus par lamour et poètes. Un tel personnage est tout de même à nouveau présent dans le roman sous les traits de lours Onésime.

En 2005 sort le recueil Larchitecte du désastre, qui reprend deux romans courts dont le récit donnant son titre à louvrage, et plusieurs nouvelles éditées auparavant dans des revues. Le recueil de nouvelles est divisé en trois parties comptant chacune trois nouvelles. Ces parties caractérisent le temps dans chaque récit. La première partie, « Les temps enfuis », comprend des nouvelles prenant place durant les deux guerres mondiales. La dernière partie, « Les temps présents », met en scène une héroïne actuelle, Donatienne, inspecteur de police, en quelque sorte pendant féminin de Barthélemy Dussert. Quant à la deuxième partie, elle sintitule « Les temps poreux » et contient des nouvelles dans lesquelles le passé et le présent se rejoignent.

« Larchitecte du désastre », premier roman court, narre une mission de lofficier allemand Eberhard Metzger en Belgique occupée lors de la deuxième guerre mondiale. Celui-ci est chargé de juger la qualité artistique dun monument aux victimes des gaz du conflit précédent, décidant ainsi de son sort. Lofficier se fait violence pour écrire un rapport positif, bien quil trouve le groupe sculpté de piètre valeur. Malgré cela, le mémorial est dynamité par larmée allemande. Lors de son séjour dans les Flandres, Metzger se remémore un voyage en Angleterre quil a fait en solitaire des années plus tôt, avant son mariage qui fut un échec. Il y avait rencontré une jeune Écossaise dont il était tombé amoureux, et qui avait depuis périr dans le bombardement par lAllemagne de sa ville de résidence, Coventry. Ce récita connu en 2006 une réédition sous le titre Un goût de biscuit au gingembre.

« Sur la place » expose un groupe de soldats anglais de passage à Mons en 1914. Ils se confrontent à la complexité linguistique du Plat Pays.

« La finale du capitaine Thorpe » retrace lhistoire de lattaque de Montauban en 1916, lors de laquelle les Anglais auraient chargé la tranchée ennemie, motivés par des tirs de ballons de football.

« Passé le pont » est le second roman court du recueil. Il sagit dune intervention sur le terrain de Barthélemy Dussert et sa collègue Trientje Verhaert. Ils se trouvent en planque à une quinzaine de kilomètres de Bruxelles, près dun canal, un exploit a été accompli lors de la première guerre mondiale. Un homme étrange hante les lieux, influençant le cours de la mission des deux policiers. Deux dimensions temporelles se rejoignent à nouveau, comme cela a été le cas dans Les lieux communs.

« Près des fleuves de Babylone  » se déroule en Irak contemporaine. Des soldats anglais visitent un cimetière de victimes de la Mesopotamian Expeditionary Force, des compatriotes présents dans la région en 1919.

« À la recherche de Wilfred » est le compte-rendu dun voyage de Dussert à Bordeaux, Owen a séjourné avant la guerre.

« Le reste est silence », « Sauce chasseur », et « Les justes  » mettent en scène la nouvelle héroïne Donatienne, elle aussi inspecteur de police à Bruxelles, filant sans arrêt ses bas nylon, comme dailleurs la plupart des personnages féminins de Xavier Hanotte. Elle cache son métier à son compagnon quelle a lintention de quitter.

Certaines nouvelles publiées dans différentes revues nont jamais été éditées en recueil : Drapeau blanc en 1998, Demain, le temps sera pluvieux en 1999, et. en 2003, Un casque sur le trottoir. Cette nouvelle a pour narrateur un soldat écossais. Le vieil homme est en visite dans les Ardennes belges, il vient saluer la tombe dun camarade tué en 1944. Il se remémore également sa rencontre, alors quil était en poste en Palestine, avec un jeune reporter belge, roux, accompagné dun petit chien blanc

Comment jai rencontré Xavier Hanotte, datée de février 2005, place le lecteur dans une situation surréaliste. Cette nouvelle est signée Barthélemy Dussert, et narre la rencontre au cimetière des Remparts à Ypres entre lécrivain et son alter ego de plume.

Enfin, en tant que traducteur de Wilfred Owen, Hanotte a publié en 2001 Et chaque lent crépuscule, une édition bilingue de certains poèmes et lettres. Sa propre production poétique se retrouve dans Poussières dhistoires et bribes de voyages, un recueil de 2003 dans lequel on peut retrouver les thèmes chers à lécrivain. Chaque poème est précédé dun paragraphe introductif en prose, qui en explique le propos.

Wilfred Owen

Ce jeune poète britannique est une figure emblématique de lœuvre de Xavier Hanotte, tant elle est liée à la fois à la vie de lauteur et à celle de son héros narrateur, linspecteur Barthélemy Dussert. Lécrivain et lhomme de papier ont en commun dêtre traducteurs des poèmes de guerre de Wilfred Owen. Cest à travers lui que sera dabord amené le thème également central de la première guerre mondiale. Lintérêt de Xavier Hanotte pour le jeune poète anglais se marque par sa présence dans les trois premiers romans de lauteur, mais aussi par la suite, quil sagisse dallusions à son histoire ou même dapparitions en tant que protagoniste de la narration.

Objet de traduction

Wilfred Owen est dabord présent dans les romans comme lauteur des vers traduits par le héros narrateur, linspecteur de police Barthélemy Dussert. Cela renvoie directement à Xavier Hanotte lui-même, qui a traduit les textes du poète. Il ne se cache dailleurs pas dune identification à son héros. Dans le premier chapitre de Manière Noire, il réfléchit dailleurs à la traduction exacte à donner à la fin dun vers : « And each slow dusk, a drawing-down of blinds », « Et chaque lent crépuscule… ». Cette interrogation revient périodiquement dans tout louvrage et ne trouvera sa réponse quà la toute fin : « … un volet qui se ferme », et qui clôt également le roman ! Dans le second ouvrage de la trilogie, De Secrètes Injustices, Dussert est en pleine négociation en vue déditer les poèmes de guerre dOwen. Il envisage dy joindre des extraits de sa correspondance, ce que lon retrouve précisément dans le livre bien réel des traductions de Wilfred Owen par Xavier Hanotte, Et chaque lent crépuscule. Mais dans ce second volume, la traduction perd de son importance pour le héros, face à laffaire criminelle qui loccupe et une liaison sentimentale. De même, il estime se servir du texte à des fins personnelles et donc le trahir. Le principal poème traduit cette fois par le héros est celui dont a été tiré le titre, Adieux ou The Send-Off, « De secrètes injustices » étant la traduction donnée par Hanotte de « wrongs hushed up ». Cette traduction de Dussert est mise en musique par sa collègue mélomane Trientje Verhaert à la fin de De secrètes injustices. Lauteur original est peu connu et Dussert est donc gentiment taquiné par ses collègues sur cet « obscur poète rosbif  ». La seule personne y prêtant un semblant dattention est Sébastien Delcominette, qui est aussi son ami. Celui-ci a tenu à accompagner Dussert à Ors. Linspecteur a coutume de sy recueillir sur la tombe du poète chaque année. Son compagnon, lui, profite dune ambiance à la Maigret pour se mettre en scène, coiffant le chapeau mou et fumant la pipe, sous la bruine et le vent dautomne :

Debout devant la tombe dOwen, nous avions observé une brève minute de silence puis, après un détour par les berges du canal tout proche, nous étions allés sécher nos frusques dans lun des deux cafés du patelin, le dos tourné à la salamandre, juste le temps de savourer un petit crème en savourant le plaisir de jouer ensemble, pas nécessairement dans la même pièce[1] .

Clins d'oeil

Notons ensuite ce qui fait souvent sourire le lecteur attentif, à savoir les liens que Xavier Hanotte crée dans ses romans entre faits et personnages. lls peuvent être vus comme des sortes de clins doeil : tout dabord, le personnage secondaire de jardinier dans Derrière la colline se nomme « William Salter », « Salter » faisant partie du nom complet de Wilfred Owen. Ensuite, quand la voiture dun suspect est retrouvée au fond dun canal dans Manière noire, il sagit de celui dOrs, à proximité duquel est décédé le poète . Dans le même livre, lorsque Dussert se retrouve devant un mémorial dédié à sept parachutistes tchèques, il reconnaît à lun deux une ressemblance troublante avec Owen ; il sagit justement de celui qui porte le même nom que son collègue pragois, Kubis . Autre identification, celle que le policier fait entre Wilfred Owen et un contrôleur de tram, lorsquil imagine son parapluie être la badine que lofficier devait autrefois tenir sous le bras . Dussert dit également quil a découvert la réalité dans la police comme Owen la découverte dans larmée . Et lorsquil se retrouve à la fin du récit sur le toit dun immeuble pour coffrer Maghin, un orage tonne au loin :

Des roulements de tonnerre vaguaient à lhorizon, si loin, si faibles quils avaient lair de mauvaises imitations. Des éclairs de chaleur fulguraient sans bruit dans les intervalles. Lassaut viendrait du nord. Les batteries tonnaient déjà. Du côté de Landrecies, songeai-je[2] .

Cet épisode fait écho au rêve de Dussert, au chapitre douze dans le même récit. Le chapitre souvre en effet dans un autre temps, en 1918, à quelques minutes de lassaut qui coûtera la vie à Wilfred Owen. Lidentité du narrateur est inconnue, jusquau réveil brutal de linspecteur Dussert qui identifie lépisode comme un songe. Il y est fait allusion une première fois à Landrecies, commune des bords de Sambre, et à sa position septentrionale par rapport à laction :

Au loin, vers le nord, du côté de Landrecies, les grosses batteries allemandes grondaient sans relâche, avec la persistance têtue dun phénomène atmosphérique[3] .

Enfin, Owen est présent dans deux épisodes fantastiques de la vie de linspecteur Dussert, pouvant être qualifiés de réalisme magique, quil sagisse du rêve détaillé ci-dessus ou dun autre dans De secrètes injustices, Owen en personne vient rendre visite à son traducteur

Derrière la colline est lui aussi honoré de la présence du poète. Nigel Parsons est en effet envoyé en convalescence à lhôpital Craiglockhart à Edinburgh, il croise Wilfred Owen, qui se montre curieux à propos de Nicholas Parry. Nigel, sous lidentité de William, dit malgré tout écrire lui aussi de la poésie, et soumet Before going à lanalyse du jeune officier. Nigel retourne au front après Craiglockhart et son bataillon est désigné pour enterrer les victimes du passage du canal Sambre Oise au cimetière dOrs. Il reconnaît le cadavre de Wilfred Owen.

Dans le recueil Larchitecte du désastre, la dernière nouvelle prenant place dans la partie des « Temps poreux » est narrée par Barthélemy Dussert. « À la recherche de Wilfred » est le récit dun voyage de linspecteur à Bordeaux, ville Wilfred Owen a enseigné langlais :

Des traces. Je suis venu chercher les traces dun errant, à travers lespace et le temps. Celles de lautre Wilfred, qui se voulait poète sans lêtre encore. Ce Wilfred qui ne se voulait pas soldat mais le deviendra. Quant à y travailler, il ny faut plus songer. La traduction des poèmes navance pas. Me retient la crainte dannexer une voix, de la dénaturer. Mobsède le scrupule fou de tout connaître avant de passer à laction. Mintimide la certitude que quelquun, partout, regarde par-dessus mon épaule[4] .

Cette quête du tourmenté inspecteur bruxellois laisse à nouveau penser à une substitution entre le héros et son auteur. Le policier sassume ici uniquement écrivain et traducteur, son métier napparaissant à aucun moment. La nouvelle sachève sur une note positive : une main inconnue ferme un volet, le soir tombe. Voilà le vers fétiche de linspecteur illustré par hasard dans cette ville il veut retrouver partout la présence dOwen, qui lui échappe.

Intertextualité

Au-delà de lévocation du jeune poète britannique dans ses aventures passées et ses quelques apparitions comme protagoniste, Wilfred Owen est énormément présent par ses écrits et cela surtout dans la trilogie initiale. Dans Manière Noire, chaque chapitre est précédé dun ou plusieurs vers qui explicitent son contenu ou appuient sur un fait à venir dans celui-ci. Par exemple, au chapitre deux, considérons les vers daccroche :

Then one sprang up, and stared With piteous recognition in his eyes Alors lun deux bondit et me lança Un regard fixe se lisaient reconnaissance et pitié[5] .

Dans ce chapitre, Dussert visionne une vidéo apparaît un ancien braqueur et tueur de policiers, André Maghin, soi-disant décédé des années plus tôt. Linspecteur est fortement impressionné par le regard que lance lhomme à la caméra, comme sil lui était destiné. Ainsi, le regard présent dans les vers en tête de chapitre préfigure le regard de Maghin, qui va marquer linspecteur et figurer le début de létrange complicité, la reconnaissance entre le chasseur et sa proie:

Dans le regard de cet homme, il y avait eu de la terreur mais aussi, en même temps, le premier signe dune reconnaissance, comme si lui était apparue soudain, en pleine lumière, lévidence dune réalité incontournable et tragique. Pourtant, je me trompais sans doute. Car cétait moi quil avait regardé ainsi, par-delà le temps et la distance. Moi et moi seul[6] .

Les occurrences de vers dOwen dans le premier roman de Hanotte sont également très présentes à divers moments lorsquune situation incite Dussert à les évoquer. La première occurrence de ce genre est dailleurs celle du vers problématique à traduire. Roulant vers Bruxelles dans lobscurité tombante, Dussert se rappelle le vers « And each slow dusk, a drawing-down of blinds  ». Ensuite, cest lorsquil observe la crypte Place des Martyrs, envahie de touristes asiatiques, et quil remarque un jeune garçon mangeant des frites adossé à un pilier, que lui reviennent ces lignes :

Out there we walked quite friendly up to Death Sat down and ate beside him, cool and bland

-bas, bons amis, nous sommes allés au devant de la Mort, Nous sommes assis et avons cassé la croûte avec elle, à la bonne franquette[7]

Ces situations sont courantes dans ce premier roman, et ne se reproduiront plus dans le second, si ce nest en ce qui concerne le vers du titre, au moment de la rupture avec Aline .

Dans De Secrètes Injustices, le titre même provient dune traduction faite par Hanotte dun vers dOwen. Il se retrouve en exergue du roman:

So secretly, like wrongs hushed-up, they went. They were not ours: We never heard to which front these were sent

Ainsi, telles de secrètes injustices, ils sen allèrent. Ils nétaient pas des nôtres : Jamais nous navons su quel front les attendait.

Extrait de The Send-Off, les Adieux[8]

Nigel Parsons

Le poète fictif Nigel Parsons, de son nom de plume Nicholas Parry, remplace en quelque sorte Owen dans Derrière La Colline. Pour le titre dabord : Owen fournissait celui de De secrètes injustices, Parsons fournit celui-ci. On apprend, en effet, quil a écrit Behind The Hill . On retrouve également ses vers en exergue de chaque partie du roman, et lon est témoin de leur élaboration, étant donné quici, lauteur est personnage central du roman. Comme Dussert rattachait des vers dOwen à des situations vécues, Parsons attache ses propres mots à ce quil vit, par exemple lors dun bombardement :

When the very lights crackle in the sky My heart remembers the bonfires you made Alone in the brambles, whose flames burned so high

Quand les éclairantes crépitent dans le ciel Mon cœur se souvient des feux de joie que tu faisais Seule dans les ronces, dont les flammes brûlaient si haut[9]

Ce qui se retrouve ici offre donc la possibilité de remonter au processus de création du vers, ce que lon navait pas avec Owen. Le traducteur de ces lignes signalé en note de bas de page nest autre que Dussert lui-même. Linspecteur est donc présent dans le roman en tant que traducteur de Parry, et est impliqué dans laffaire du changement didentité de celui-ci au vu de lappendice du livre. Sy trouvent en effet deux lettres, la première de Jacqueline Salter, datant de 1996, la seconde de Willem Pussemiers, chef de laboratoire à la police judiciaire de Bruxelles, personnage dont le lecteur a pu faire la connaissance dans les deux premiers volumes. À travers ces écrits, il est sous-entendu que Dussert a fait des recherches sur Nicholas Parry et a pressenti quil a survécu à la guerre sous le nom de William Salter. Derrière la colline peut donc bien être considéré comme la continuation des deux ouvrages précédents : le passage au premier plan des préoccupations personnelles de Dussert concernant le premier conflit mondial et la poésie de cette époque, sopère, et relègue la dimension dénigme, quelle soit policière ou non, au second plan.

Le réalisme va jusquà postuler des poèmes perdus dans le corpus édité de Nicholas Parry. Ainsi, Talk of angels, dont une note en bas de page renseigne la traduction, A propos danges, et le statut de poème perdu .

Le narrateur de Derrière la colline étant Nigel Parsons, le texte se veut conçu comme une traduction de langlais. Xavier Hanotte sinterdit donc dutiliser certaines expressions françaises qui nauraient pas déquivalent dans cette langue. Il est aussi intéressant dobserver en quoi cela influence la typographie habituelle du texte, qui est bien dans la langue de Molière. Lorsquun personnage parle le français, comme Jacqueline Caubert par exemple, ses mots vont être transcrits en italiques, comme le seraient des expressions anglaises dans un texte français. Tous les dialogues entre Jacqueline et Nigel sont donc à lorigine en français.

Hanotte fait également état de phrases écrites en phonétique pour que les soldats anglais puissent plus facilement communiquer avec les Français : Lay zohm peuve dor-meer seur ler plongshay. La suivante est de Parsons. Malgré le tragique, elle prête à sourire : Say lah gayre ! Il existait en effet à lépoque des lexiques à lusage des soldats expatriés, des mots usuels étaient donnés dans une traduction phonétique, comme il est donné de voir à Ypres au musée In Flanders Field. Sy trouve exposé le manuel What a British soldier wants to say in French and how to pronounce it, an English-French booklet for the use of the Expeditionary Forces, dans lequel par exemple le motpetitse trouve traduit phonétiquement enpet-tee”, oulatrineenlat-reen”.


La Grande Guerre

L'œuvre de Xavier Hanotte et la figure de Wilfred Owen ne peuvent être abordés sans sintéresser de près au premier grand conflit du XXe siècle. Dabord liée au poète dans les premiers romans, la Première Guerre mondiale est ensuite envisagée pour elle-même et traitée sous dautres aspects qui ont touché lécrivain. Ses personnages évoluent sur des champs de bataille aujourdhui célèbres, faisant lexpérience du feu. Nigel connaît les assauts meurtriers de la Somme, Pierre Lambert évolue à proximité de la ville martyre dYpresCes péripéties sont aussi loccasion pour Xavier Hanotte de sintéresser à lengagement et à la commémoration, très importante et marquante à ses yeux. Lorsque la Première Guerre mondiale sert de cadre aux récits dHanotte, il est question de divers épisodes du conflit, tantôt tristement célèbres ou plus discrets pour la postérité, mais toujours fondés sur des faits authentiques. Cette toile de fond historique conjuguée à certains détails concernant la vie quotidienne des soldats crée un univers prenant pour le lecteur qui sintéresse à cette époque et viennent se greffer des aventures fictionnelles qui ne sen trouvent que plus consistantes.

La Somme de Nigel

La bataille de la Somme a débuté le premier juillet 1916 par une offensive destinée à rompre le front allemand en Picardie pour se saisir des nœuds de communications ennemis, ainsi quà repousser larmée du Kaiser jusqu'à Arras. Mais ce qui sest passé « sapparente beaucoup moins à une bataille au sens traditionnel du terme quà un assaut conduit en plusieurs vagues et livré contre un camp retranché[10]  ». Au terme de cette première journée, les pertes britanniques sur lensemble du front de la Somme sont catastrophiques : un cinquième des effectifs a perdu la vie. Suivent des vagues dassauts successifs destinés à grignoter les positions ennemies. La deuxième position allemande est prise le 14 juillet. Les assauts menés par la suite sont loccasion de lentrée en scène des premiers chars de la Grande Guerre. La deuxième bataille de la Somme a débuté. Les lignes allemandes tombent les unes après les autres jusque novembre, quand les intempéries automnales forcent le commandement allié à mettre fin aux opérations.

Cest dans cette dernière période qua lieu lattaque de Thiepval, dont il est question dans Derrière la colline. On suit, durant tout le livre, le soldat Nigel Parsons et ses amis, ce qui permet à lauteur daborder des thèmes récurrents de la littérature de cette époque (les bombardements, la mort, la peur, la boue…) avec la richesse de la vision dun soldat étranger au sol quil foule. On peut donc retrouver dans lhistoire des traits propres à lhistoire anglaise, telles les circonstances de lengagement des soldats et le chemin quils suivent avant darriver au front. On observe également leurs contacts avec la population locale, comme le fermier Caubert qui vit sur largent que lui donnent les troupes pour avoir un abri se loger et de quoi se nourrir. Lieu important du roman, le monument de Thiepval porte aujourdhui le souvenir de ces événements. Hanotte lui consacre un poème dans Poussières dhistoires et bribes de voyage, Thiepval Memorial .

Dans une nouvelle de Larchitecte du désastre, « La finale du capitaine Thorpe », il est question du début des événements, à savoir lattaque de Montauban le premier juillet 1916. Loriginalité de la charge qui se prépare est dans la manière de lancer lassaut : les hommes doivent marquer des buts, à savoir envoyer des ballons de football dans les tranchées ennemies. Le capitaine Nevill, jeune commandant de compagnie, équipe chacune de ses quatre compagnies dun ballon. Avançant la balle au pied vers la localité aux mains des Allemands, la première section à envoyer son ballon dans la tranchée ennemie gagnerait une livre. Malgré les lourdes pertes subies lors de lassaut, les Anglais atteignent leur objectif. Mais ils doivent compter au nombre des victimes le courageux capitaine Nevill .

Le champ de bataille de la Somme reste très emblématique pour les Britanniques, comme « le plus grand désastre militaire du XXe siècle, et même le plus grand désastre de toute leur histoire militaire[11]  ». Avec ses pertes catastrophiques, la bataille de la Somme « marque la fin dune époque à jamais disparue, celle de loptimisme vivifiant de la société britannique[12]  ».

Wilfred Owen ou les derniers jours

Lorsque Wilfred Owen trouve la mort près dOrs en France, larmée allemande est en déroute. Repoussée par les forces alliées, auxquelles se sont rajoutés les Américains, elle recule vers la frontière belge. De rudes combats engagés sur les rivières et les canaux de la région de la Sambre font encore de nombreuses victimes, dont le poète, au point que lon craint que la guerre senlise. Mais lAllemagne, qui est le seul belligérant encore en lice du côté ennemi, se désorganise : des mutineries éclatent, le Kaiser a quitté Berlin pour Spa il espère pouvoir compter sur le soutien de larmée, mais est contraint dabdiquer. LAllemagne devient une république en date du 9 novembre. Deux jours plus tard, larmistice est signé entre les représentants français et allemands à Rethondes, en forêt de Compiègne.

Ces événements sont abordés par Hanotte uniquement à travers Owen. Dans Manière noire, lorsque Dussert traduit un passage de sa correspondance, ou lors du rêve de linspecteur au chapitre douze. Le songe commence juste avant la dernière charge du poète et prend fin pendant son déroulement. À la toute fin du roman, un parallèle sétablit entre la guerre et une situation périlleuse, lorsque Dussert part appréhender Maghin et reçoit des coups de feu. Il entends alors une voix intérieure lui ordonnant « 105, down ! », « 105, à terre ! », comme il lavait entendu dans son rêve au moment de lassaut[13] . Dans le second ouvrage de la trilogie, Owen vient également apporter quelques fragments de boue des tranchées toujours coincés dans ses semelles lorsquil rend visite à linspecteur Dussert .

Ypres, hier et aujourd'hui

Début octobre 1914, les forces en présence livrent une véritable course à la mer. Les alliés tentent dempêcher les Allemands daccéder à la Manche. Les troupes belges sont retranchées sur lYser, elles sont rejointes par le British Expeditionary Force. Des troupes françaises sont aussi présentes et tiennent avec les Britanniques les collines qui entourent la ville dYpres. Mais elles sont reprises par les Allemands qui attaquent la ville le 21 octobre 1914. La première bataille dYpres commence. Elle dure jusquau 22 novembre, quand lapproche de lhiver et lépuisement met fin à ce premier épisode et marque le début de la guerre des tranchées dans la région. Entre temps, les Allemands nauront cessé de bombarder la ville pour empêcher les Anglais de sy réfugier. Les deux camps dont les tranchées sont relativement proches saccordent tacitement des trêves, dont la plus célèbre est la trêve de Noël 1914. Mais le conflit se poursuit, et les belligérants redeviennent offensifs. Le 22 avril 1915, vers 17h, la première attaque aux gaz est lancée par les Allemands près de Steenstraete, théâtre de la mission de Metzger dans « Larchitecte du désastre ». Lun des protagonistes de Un casque sur le trottoir a lui été victime directement de ces attaques. Dans cette nouvelle, Harry, un anglais en poste à Haïfa en Palestine, a toujours les séquelles dune inhalation de gaz subie devant Ypres en 1918. Lorsquà la fin du récit, des malfaiteurs lancent des bombes lacrymogènes pendant une embuscade, il décède dune crise cardiaque, probablement effrayé par la vue des fumées séchappant des projectiles. Durant cette seconde bataille dYpres, qui dure jusque fin mai, alors que les troupes sont à court dhommes et de munitions, la ville reste aux mains des Britanniques, mais elle est en ruines.

En 1917, les Anglais ont pour but de percer le saillant dYpres, nom donné au tracé formé par les tranchées, pour attaquer les bases navales allemandes dOstende et Zeebrugge. Le 7 juin, ils déclenchent les hostilités en faisant exploser, à laide de mines souterraines, les lignes allemandes à Messine. Au lieu de profiter de cette percée, ils sen tiennent au plan initial qui était dattaquer uniquement en juillet. Le 16 de ce mois, ils commencent à bombarder les positions ennemies autour dYpres, qui tiennent bon. Le 31 juillet, linfanterie sort des tranchées et attaque. Cest le début de la troisième bataille dYpres ou bataille de Passchendaele. Elle se révèle être un véritable désastre : dans des conditions particulièrement mauvaises dues à lhumidité exceptionnelle de lété 1917, les troupes senlisent et ne parviennent au bout dincessantes tentatives quà gagner dix kilomètres sur leur objectif final. Le 10 novembre, alors que le froid mettait fin aux hostilités, les Britanniques avaient perdus 250 000 hommes. Au printemps 1918, le peu de terrain qui avait été gagné est repris en quelques jours.

« I died in hell. They called it Passchendaele  ». Cette phrase du poète anglais Siegfried Sassoon reproduite dans le musée In Flanders Field dYpres résume à elle seule lhorreur des événements vécus par larmée anglaise dans la région. La ville et ses environs sont devenus un lieu majeur de mémoire pour les Britanniques. Churchill lui-même a déclaré quil nexistait pas de lieu plus sacré pour la race anglaise dans le monde. Un tiers de toutes les victimes anglaises de la Première Guerre mondiale a en effet trouvé la mort sur le front dYpres. Comme témoignage de ces pertes, les cimetières entretenus par la Commonwealth War Graves Commission mais aussi la porte de Menin, immense monument accueillant les noms des soldats portés disparus.

Dans De secrètes injustices, les parties inter chapitres en italiques représentent un travail de mémoire de Dussert : il se rend régulièrement au cimetière des Remparts dYpres pour y noter des noms et consulter le registre. Il tente ensuite de donner une vie à ces morts en racontant brièvement leur existence dans les tranchées. Ces noms nont certainement pas été choisis au hasard : en effet, ils permettent détaler un panel très divers de personnalités, dont certaines sont étroitement liées avec la situation de lAngleterre précisément. Le premier, Edward, « comme sept rois dAngleterre  », Angel, est un Maori et vient dAustralie, une colonie britannique. Hanotte aborde par le sujet des soldats « importés » dans le conflit. Ensuite vient un militaire de carrière écossais, un réserviste de la cavalerie persuadé que la guerre durera au plus quelques mois, puis un infirmier australien, qui a rencontré le jeune maori. Ensuite un jardinier de métier, qui se plait à imaginer quelles fleurs il planterait dans un cimetière de guerre, suivi dun officier et enfin dun soldat au nom inconnu, « a soldier of the great war known unto god  », celui- même qui avait été secouru par le brancardier australien. Il ne parvient pas à se rappeler comment il sappelle et tente de le retrouver en lisant la mer de noms qui sétale sur le mémorial de la porte de Menin.

Les visites de Dussert au cimetière des Remparts sont le prétexte à une nouvelle récente de notre auteur, Comment jai rencontré Xavier Hanotte. Narrée et signée par Barthélemy Dussert, elle présente sa rencontre avec lécrivain au hasard de lun de ses passages dans ce lieu peu fréquenté. Entre les deux hommes, une complicité se fait jour, et linspecteur dévoile son projet à Hanotte :

- En plus de la traduction, j'ai un autre projet. Un peu fou...

- Les seuls projets qui vaillent la peine.

- Sans doute. Mais en deux mots, à partir des pierres tombales et des données qui figurent dans le registre, j'essaie de réinventer un morceau de vie à tous ces gens. Par la fiction. Quelques pages pour chacun d'entre eux. Ils sont 193...»

Il eut l'air de soupeser mes paroles, plissa les yeux.

« L'idée est belle. Et les cimetières britanniques ressemblent à des livres. Toutes ces stèles blanches...

- Oui, approuvai-je. Il y a de ça. De quoi tenter l'écriture.

- Précisément.

- Précisément ? m'étonnai-je.

- Mon projet... Vous avez mis le doigt dessus.

- Écrire sur les cimetières ?

- Britanniques, oui. Un petit essai. Pour comprendre ma propre fascination. Qui n'a rien de morbide, bien au contraire - je ne dois pas vous en convaincre. Mais pour ce projet précis, je n'ai toujours pas trouvé d'éditeur. En fin de compte, je me servirai peut-être de tout cela dans un roman. Sous ce rapport, votre démarche m'intrigue. Elle a quelque chose de très... romanesque

La dernière réplique de lextrait, attribuée à Xavier Hanotte, nous renvoie à son propre travail décrivain. Cette rencontre imaginaire est présentée comme ayant pu avoir lieu avant la rédaction de De secrètes injustices, voire Manière noire, et en avoir été dans une certaine mesure linspiratrice.

La porte de Menin est indubitablement le second lieu de la ville dYpres ayant fortement marqué lauteur. Il lui consacre un poème dans son recueil Poussière dhistoires et bribes de voyages, intitulé simplement Porte de Menin. Le paragraphe introductif présente ce lieu comme « lentrée dun sas », image quHanotte emploiera souvent lorsquil parle des lieux de mémoire :

La porte de Menin, cest lentrée dun sas. On ne sait jamais quel temps est à lautre bout. La porte de Menin, cest aussi un gigantesque répertoire manquent les téléphonesquelques matricules tentent bien, en vain, de donner le change. La porte de Menin, cest encore une tour de Babel qui dure parce quon a vu moins grand. Et parce que messieurs Jones, Desrosiers, Singh, MacLean et OBrien nont pas attendu la mort pour se comprendreet parfois se détester. La porte de Menin, enfin, cest un lieu étrange la mémoire gueule plus fort que le monde, lespace de cent vingt secondes, sur un air de trompette[14] .

Il sagit de la sonnerie aux morts, le Last Post, joué tous les soirs à 20h, sous larche brièvement coupée à la circulation, par les pompiers de la ville. Lécrivain met aussi laccent sur la disparité des soldats anglais tombés en Flandre, en citant consécutivement un patronyme quon devine anglais, puis canadien, indien, écossais et finalement irlandais.

Mons, histoire et légende

Au début du conflit, linvasion de la Belgique depuis la région dAix-la-Chapelle se fait méthodiquement. Deux armées allemandes prennent Liège dès le 4 août 1914, et Bruxelles le 20. Ils prennent ensuite la direction de la Sambre, ils vont rencontrer au niveau de Mons les hommes de la British Expeditionary Force, constituée dune division de cavalerie et de quatre divisions dinfanterie. Les Britanniques sont des soldats de métiers, dont la plupart ont déjà fait la guerre des Boers. Ils ont donc conscience des réalités de la situation et de la nécessité de creuser des tranchées pour se protéger des tirs de fusils à répétition. Aidés par la nature du terrain, ils parviennent à tenir en respect les Allemands jusquà la tombée de la nuit. Cette journée du 23 août aura coûté à lAllemagne 5000 hommes, contre 1600 tués, blessés et disparus du côté anglais, au départ inférieur en nombre. Mais la défaite des Français sur la Sambre quelques jours plus tôt force la British Expeditionary Force à battre en retraite.

Dans Sur la place, seconde nouvelle de Larchitecte du désastre, un vieux soldat, Eddie, se retrouve en 1914 dans une ville à priori inconnue. En observant les lieux, il identifie plusieurs éléments à ce qui lui est familier dans son pays. Il remarque léglise, qui « évoquait vaguement le Guildhall ou les Inns of Court  ». « Guildhall » est le nom britannique donné aux maisons communales, alors que les « Inns of Court », ou « auberges de la cour », sont des institutions londoniennes de formation pour préparer les futurs avocats au barreau. Un petit garçon de lautre côté de la place évoque à Eddie un « après-midi de Sunday School  », c'est-à-dire de catéchisme dans lÉglise protestante. Il est également fait référence aux « Kings Regulations », ensemble de règles régissant larmée anglaise, lorsquil est remarqué quun jeune lieutenant ne porte pas la moustache, et à lacadémie de Sandhurst, prestigieux lieu de formation des officiers outre-Manche.

Le lieutenant révèle aux hommes quils se trouvent à Mons, en Belgique. Lun deux sétonne quon y parle le français :

Pourtant, poursuivit le sergent, les gens parlent français dans le coin. Je le sais bien : avant dentrer à larmée, jétais garçon dhôtel à Kensington et - Bien sûr sergent. Bien sûr, vous avez raison. Mais vous devez savoir quen Belgique cest comme au pays de Galles : deux langues coexistent. Ici, cest le français. Pour le flamand, nous verrons ça plus tard quand nous aurons torché ces maudits Jerries : ça se parle plus au nord. Enfin, je crois… » Il se tourna vers Eddie. « Vous devez connaître, Walton : si je ne mabuse, cest la langue des Boers[15].  »

Nos divergences linguistiques sont donc comparées à une situation en Grande Bretagne, celle du Pays de Galles, le gallois était largement parlé dans la population. Le lieutenant interpelle ensuite Eddie Walton au sujet de la Seconde Guerre des Boers. Lâge du soldat laisse penser quil a pu la connaître : il sagit de deux conflits de la fin du XIXe opposant les britanniques aux colons néerlandais en Afrique du Sud.

Les faits de Mons sont indirectement évoqués dans Derrière la colline par un certain Eddie. Au lecteur la liberté de lidentifier à Walton. Ils ont comme point commun dêtre soldats de métier et davoir fait la guerre des Boers, mais ce fait est significatif du début de la Grande Guerre dans les rangs anglais, les engagés volontaires nétant pas encore montés au front. Dans le roman, Eddie insiste dailleurs sur lexpérience que lui et ses camarades de la première heure avaient. Il insiste sur lincroyable cadence de tirs quils pouvaient tenir :

On marchait sur les douilles, et ça schlinguait la cordite à ne plus savoir respirer. Mais on avait beau remettre des clips dans nos chargeurs et les vider aussi sec, il en arrivait toujours, des Jerries. À la longue, on avait limpression de descendre les mêmes, toujours les mêmes. Fallait les tuer deux fois. Paraît quils ont cru quon avait des mitrailleuses[16]

Alors que les Britanniques battent en retraite, Eddie est blessé et tente de fuir. Se croyant condamné par les bombardements qui approchent, il se couche sur le dos et attend. Lépisode bascule alors dans le fantastique. Le ciel se déchire et une armée danges armés dépées de feu en descend. Cette histoire est issue dune légende qui courait à lépoque à propos des événements du 23 août 1914, lorsque les Allemands avaient pris lavantage de la bataille de Mons. Les anges apparaissent devant Nigel Parsons à la fin du roman lorsquil quitte le Monstre.

Le réalisme magique

Le réalisme magique est souvent présent dans les écrits de notre auteur, non seulement dans la structure du roman Les lieux communs, mais également à diverses occasions pouvant se regrouper par types, selon quil se manifestent à travers des songes ou dans certains lieux. Lanalyse des occurrences permet dinterpréter lusage du réalisme magique chez Hanotte.

Les lieux communs

Un poème de Poussières dhistoires et bribes de voyages exprime toute la dualité qui fait le roman Les lieux communs, Bellewaerde Park :


De grands enfants kaki

Prennent les toboggans

Et ce nest quun grand cri

De joie qui se répand.


Allons tirer aux pipes

Dans les baraques foraines

Et cirer la moustache

Du grand lion de bois.


Sur un vieil air de fifre

Lançons les carrousels

Et mangeons les beignets

Chauds à la baïonnette.


Même les vieux sergents

Roulent en patinette

Et notre lieutenant

Aboiela tombola.


Les capotes accrochent

Les barres des tourniquets

Ne nous pressons pas trop

Les places sont gratuites.


Sur un coup de sifflet

Nous formerons les rangs

Puis derrière la chaussée

Nous irons nous coucher


Sur les pelouses vertes

ne manque vraiment

Quun beau ballon de cuir

Pour matches sous la lune[17] .


Bellewaerde, il y a bien longtemps témoin des atrocités de la guerre, et aujourdhui parc dattraction grand public. Dans le poème, présent et passé sentremêlent comme dans le quatrième roman de Xavier Hanotte. Deux dimensions temporelles sont en effet en parallèle : lune à travers un petit garçon, Serge, se rendant avec sa tante au parc dattraction Bellewaerde de nos jours, lautre à travers Pierre Lambert, soldat canadien faisant route vers la localité de Bellewaerde, au front, près dYpres, en 1915. Le réalisme magique est présent lorsque les deux dimensions se rejoignent : le jeune Serge livré à lui-même dans le parc croise à plusieurs reprise un vieux monsieur avec une pelle, qui dit chercher quelque chose. Mais le petit garçon semble être le seul à le voir. Sur le chemin du retour, son bus sarrête sous la porte de Menin, à cause du Last Post. A cette occasion, la circulation est interrompue quelques minutes, comme le raconte le chauffeur. Un autre bus croise le leur, un bus à impériale vert, se trouve le vieil homme. A la fin du roman, une coupure de journal : un touriste allemand a trouvé dans le parc dattraction une vieille pelle de la guerre, et en grattant un peu, un cadavre : celui que Pierre Lambert avait promis de retrouver, un compagnon mort lorsquun obus a écrasé labri il se trouvait.

On pourrait penser que le vieil homme est le soldat revenu sur les lieux des années plus tard, mais une aura de mystère flotte autour de lui. Il appelle le petit garçon par son prénom alors quil le rencontre pour la première fois, veut lui donner sa casquette mais dit quil ne peut le faire, comme sils appartenaient à deux mondes différents et ne pouvaient interagir concrètement. Le bus dans lequel Pierre Lambert repart a des phares bleus, comme ceux des bus pendant la guerre :

Sur la grand-route, depuis quelques minutes, grondent des moteurs, rôdent les lueurs bleues de phares occultés[18] .

Et tout dun coup, à lentrée de la porteje lai pas vu tout de suite à cause des phares bleusarrive un drôle de bus[19] .

Dans les deux extraits ci-dessus, le premier est du narrateur Pierre Lambert, et le second a pour voix le jeune Serge.


Les rêves de l'inspecteur Dussert

La première occurrence de réalisme magique chez Hanotte se trouve dans son premier roman, Manière noire. Sans transition aucune, le chapitre douze commence en pleine guerre, le narrateur qui dit « je » nous est inconnu, alors que le récit était jusquici pris en charge par Dussert à notre époque. Le nouveau plan de laction est en France, sur le front près du canal de la Sambre. Le narrateur rencontre le caporal Wilfred Owen, qui lui a fait lire lun de ses poèmes. Ils montent à lassaut ensemble, à Ors, le lecteur a déjà appris précédemment quOwen sétait fait tuer en 1918. Et en effet, sa mort est contée.

Le retour à la réalité semble seffectuer après lexplosion. Mais ce qui était un rêve de Dussert se poursuit encore, avant que celui-ci ne se réveille violemment en tombant de son lit. Le portrait dOwen posé sur la table de chevet et que linspecteur a emmené dans sa chute trouble le caractère purement onirique de lépisode :

Le lieutenant Owen me souriait toujours par-delà le temps. Il ne me regardait pas bien en face. Déjà saisi par les ténèbres de larrière-plan, son visage pris de trois quarts était celui dun homme sur le point de partir. À croire quil venait de se retourner, comme pour prendre une dernière fois congéou minviter à le suivre[20] .

Le passage est écrit comme étant dans la parfaite continuité de ce qui se passe dans le rêve : Owen vient tout juste de périr dans lexplosion, et invite du regard celui qui le suivait, le narrateur inconnu sidentifiant dès lors à linspecteur, encore suspendu entre le rêve et la réalité.

Dans De secrètes injustices, un « rêve » aussi troublant perturbe le narrateur. Owen en personne vient le voir chez lui, prend un verre et discute des traductions que linspecteur fait de ses poèmes. Mais ici, le statut de rêve de lépisode nest pas explicité. Dussert dort lorsquil entend la sonnette de la porte dentrée, mais il se lève et enfile son peignoir avant daller ouvrir. LorsquOwen repart, linspecteur retourne se coucher. En outre, luniforme du poète est couvert de déchirures, comme sil sagissait de lui directement après le bombardement qui lui coûta la vie.

Les monuments aux morts

Dans De secrètes injustices, linspecteur Dussert se rend régulièrement au cimetière des Remparts à Ypres pour chercher des noms sur les tombes. A partir de ceux-ci et des informations quil trouve dans le registre, il écrit à propos de ces hommes, d ils viennent, ce quils pouvaient penser, comment ils seraient mortsCes textes sont intercalés entre les chapitres du récit, sous formes de chapitres en italiques dont len-tête est le grade et le nom du mort, ainsi que la lettre et le chiffre qui déterminent lemplacement de la tombe. La dernière de ces parties sintitule « A soldier of the great war known unto god  », c'est-à-dire quil sagit dun soldat non identifié ou disparu. Alors que les autres parties tentaient de raconter le passé des décédés, ici cest le présent de notre époque qui est conté. Le soldat sans nom essaie de retrouver ses souvenirs, de retrouver comment il sappelle, car son nom se trouve sur la porte de Menin, au milieu de milliers dautres. Avec son voisin lui aussi non identifié, ils vont chaque nuit à tour de rôle lire les noms du monument, pour retrouver les leurs.

Dans Derrière la colline, cest le présent qui sinvite dans le passé. Après un assaut d il sort désorienté, le héros narrateur, Nigel Parsons, se retrouve sous un édifice sont gravés des noms. Cest le monument de Thiepval, qui sera édifié après le conflit, à la mémoire des soldats tombés dans la région. Sous le monument se trouvent des compagnons de Nigel, dont William. Silencieux, ils entretiennent un feu. Personne ne parle, personne ne semble savoir que faire , sinon attendre. En lisant les noms, Nigel remarque le sien et celui de William. Lorsquil part chercher du bois, il se retrouve à léglise du village, il rencontre des anges. Mais il sen détourne, senfuit vers le monument, baptisé le Monstre, et dans sa course, traverse un cimetière, est surpris par un bombardementil reprend connaissance dans le trou dobus il sétait réfugié avec William avant que tout ne dérape. Son compagnon est mort.

Un casque sur le trottoir fait allusion à un autre monument en mémoire des victimes anglaises de 14-18, situé place Poelaert à Bruxelles. Le narrateur, Archie, soldat écossais nayant pas fait la première mais la deuxième guerre mondiale, y est représenté, ou du moins son sosie :

Sans doute, c'est bien moi, la tête penchée avec cet air de contempler le bout de mes chaussures comme si elles étaient mal cirées. Oui, c'est bien moi. Mais voilà, sous la longue capote, on voit juste les bandes molletières. Pas mon kilt. Me voilà donc Anglais pour l'éternité... Quelle horreur[21]  !

Dans cet extrait transparaît le nationalisme écossais, qui était affirmé plus haut lorsque le narrateur se plaint de la décision anglaise de modifier la bande dessinée originale dHergé dans laquelle est narré un épisode vécu du soldat lorsquil était en poste à Haïfa. Les Britanniques auraient justement voulu éviter toute allusion à leur mandat en Palestine, et le lieu des événements naurait plus été identifié dans la dernière version :

Durant quelques minutes, une sourde colère m'a remué les tripes. Supprimé à la demande des Anglais ! Ces lopettes ! , sur le moment, je me serais bien vu à Bannockburn, une hache à la main[22] ...

La bataille de Bannockburn, en 1314, est un épisode célèbre de la guerre dindépendance menée par les Écossais.

Les lieux chargés d'histoire

Dans Larchitecte du désastre, dans le premier récit des Temps poreux, partie dont le titre nous fait déjà deviner la probable présence de réalisme magique, les dimensions temporelles vont fusionner tout à fait et donner naissance à un nouvel épisode des aventures de linspecteur Dussert, « Passé le pont ». Un indice est dailleurs présent faire pressentir au lecteur attentif la présence de réalisme magique: le récit est dédicacé par Xavier Hanotte à Hubert Lampo, dont il a traduit plusieurs ouvrages.

Dans ce roman court, Dussert et sa collègue Trientje planquent au niveau dun pont, le « Verbrande Brug  », sur base des indications dun informateur qui a renseigné la visite, dans le café attenant, dun trafiquant darmes. Le nom de la place du village, « Korporaal Trésignies », fait référence à un épisode de la première guerre mondiale : un caporal belge, Léon Trésignies, a traversé à la nage pour actionner la manivelle du pont et le baisser de manière à faire passer ses camarades en fuite. Lhomme est tombé sous le feu allemand. En quelques lignes, Hanotte raconte lanecdote telle quelle a pu se dérouler, abandonnant le « je » pour une narration omnisciente. Le paragraphe Dussert redevient narrateur commence par « Je méveillai en sursaut  ». Une fois de plus, une échappée dans le passé peut être perçue par le lecteur comme un rêve du policier.

Les deux inspecteurs remarquent aux abords du pont un homme étrange en pardessus. Lorsque celui-ci rentre dans le café le plus proche, ils décident de le suivre. Mais à leur entrée dans létablissement, ils se retrouvent seuls avec le patron. Intrigué, Barthélemy sort alors que la sonnerie du pont retentit annonçant une manœuvre destinée sans doute à permettre le passage dun bateau. Alors que le tablier redescend, de lautre côté du canal, un homme semble saffairer derrière un muret. Lorsquil se relève, Dussert reconnaît lhomme au pardessus. Mais saisi dun trouble, il ne traverse pas le pont pour le retrouver. Il interroge le cafetier qui lui parle dun certain Léon, client régulier qui vient la nuit, pour cause dinsomnies.

Les événements se précipitent ensuite : les inspecteurs aperçoivent leur suspect qui saute dans son véhicule et tente de leur échapper. Mais il se retrouve surpris par une brusque manœuvre du pont à nouveau annoncée par la sonnerie et sans quaucun bateau ne passe. Dans la poursuite à pied qui sensuit, Barthélemy Dussert perd son arme et se retrouve à la merci du malfaiteur. Mais des coups de feu claquent, blessant celui-ci. Trientje a juste le temps de tirer pour lempêcher de récupérer son pistolet. Les autres détonations ne venaient pas delle. Lexpertise du laboratoire de police judiciaire date ces balles de 1914, dune arme règlementaire de linfanterie belge. Pour achever le tableau, notre héros apprend sur la sépulture du caporal Trésignies que son prénom était Léon. Lomniprésence de lhomme sur les lieux de son exploit passé avait déjà été pressentie dans un poème personnel de Xavier Hanotte, intitulé Verbrande Brug :

Le vent sen fiche

Il se choisit

Un alcool fort

Pour les oublis.


Dehors pourtant

Plus seul encore

Léon manie

La manivelle.


Le pont descend

Tout doucement

Son carré dombre

Sur les eaux sombres[23]


Une fois encore, les sentiments ressentis par Barthélemy Dussert sur le papier viennent directement du vécu de lauteur lui-même. Un autre poème, Le capitaine João Bento, a pour conclusion la présence, des années après les faits, de lesprit dun soldat, aujourdhui salignent les stèles blanches :


Depuis ce jour tu erres

Sous les cieux gris-vert

Même si tu nen peux plus

Et cries leurs noms perdus

Ton éternel fardeau

Capitaine João Bento[24]


Dans la seconde nouvelle des Temps poreux, « Près des fleuves de Babylone », une rencontre inattendue à la toute fin de lépisode donne au récit réaliste une touche dinvraisemblance. Il est fait référence au passé grâce au narrateur, un soldat anglais en poste en Irak, qui emmène ses hommes dans un cimetière de la première guerre. Mais en le quittant, il croit apercevoir sur la route devant son char un couple, entièrement nu, la peau laiteuse. Un de ses hommes dit ensuite avoir écrasé un serpent. Il sagit donc dune quasi rencontre onirique avec Adam et Ève, en un lieu considéré comme celui se situait le jardin dEden.

La fusion des temps

Il apparaît à travers tous ces exemples que le réalisme magique chez Xavier Hanotte naît systématiquement dune rencontre entre deux dimensions temporelles, toutes deux réelles, lune delle étant enracinée historiquement : la guerre, mais celles-ci ne pourraient rationnellement pas se rencontrer. Ces interactions se passent, à moins quil ne sagisse des songes de linspecteur Dussert, dans des lieux porteurs de mémoire, ou qui sont appelés à le devenir, comme cest le cas dans Derrière la colline pour le « Monstre » de Thiepval.

Le grand trait commun, révélant lun des principaux intérêts de lauteur, est quil sagit systématiquement, sauf dans « Près des fleuves de Babylone », de références à la première guerre mondiale, conflit particulièrement marquant qui sest construit en quelque sorte ses propres légendes. La bravoure du caporal Trésignies, le sort funeste dun jeune poète talentueux tombé quelques jours avant la paix, les monceaux de cadavres enterrés dans la terre des Flandre, sous ce qui est aujourdhui un parc dattractionCe côté mythique de lévénement éloigné dans le temps renvoie aux idées dHubert Lampo, qui donnait toute son importance à linconscient collectif dans la notion de réalisme magique. Chez Hanotte, le but est moins de se reconstruire soi-même, que de rappeler, à travers ces évocations décalées et poétiques du passé, que celui-ci nest jamais loin et quil existe à son encontre un devoir de mémoire incarné notamment dans les démarches de linspecteur Dussert.

La « British touch »

Oeufs au bacon et Daarjeeling

Ours Toujours se démarque totalement du reste de la production hanottienne, du moins au premier abord. En effet, à tous ces romans fortement marqués par la guerre et faisant de nombreuses références à lAngleterre à travers les protagonistes, soppose cette fable dont les héros sont trois ours civilisés, parqués dans une réserve naturelle, qui plus est française. Et pourtant, à y voir de plus près, nos ours bien léchés ne sont pas vierges de toute allusion à lAngleterre. Surtout lun deux, Adalbert, qui collectionne les traits que lon prêterait facilement à un gentleman britannique. Stéréotypes, certes, mais bel et bien identifiables. Cet ursidé est le seul de la tanière à boire régulièrement du thé, et pas nimporte lequel, puisquil affectionne le darjeeling, du nom dune ville indienne et donc ancienne colonie de lEmpire de sa très gracieuse Majesté. Le lecteur apprend aussi rapidement que son petit déjeuner est bien éloigné de celui dun continental, se composant dœufs frits et de bacon. LorsquAdalbert traîne la patte dans sa tanière, ce nest pas sans style : vêtu dun peignoir de soie, il a toujours à la bouche un précieux fume-cigarettes en ivoire. Lanimal est aussi pudique, rechignant à se découvrir un poil en public, ce qui est assez gênant pour un ours devant faire croire aux touristes que son passe-temps favori est de batifoler dans les hautes herbes et de gratter les troncs darbres à la recherche de miel. Ce quil aime, lui, cest le jardinage. Et enfin, Adalbert est dit « soucieux des bonnes manières  » autant quil paraît précieux dans son comportement.

Ce portrait est chargé de stéréotypes qui brossent les grands traits du caractère anglais tel quil est perçu chez nous. Il montre une certaine façon de se comporter, certaines habitudes alimentaires, et le tout avec humour. Cet humour qui, lui aussi, est indissociable de limage que nous renvoie la culture anglaise.

Humour à l'Anglaise

Le ton dont use Xavier Hanotte dans ses romans nest jamais exempt dhumour, même dans les situations les plus dramatiques, comme en témoigne par exemple cet extrait de Poussières dhistoires et bribes de voyages à propos des soldats canadiens ayant combattu à Beaumont-Hamel :

(…) les volontaires sentaient le poisson. Pas étonnant, quand on traverse lAtlantique à bord dun thonier de St Johns. Autre production locale : le bois. Ils auraient donc pu sentir le sapin[25] .

Cette capacité de mettre à distance la réalité quelle quelle soit par un trait desprit, de verser dans labsurde même à partir du dramatique, fait songer à lidée que lon se fait généralement de lhumour anglais. Lorigine du mot « humour » et son sens actuel sont dailleurs liés à lhistoire littéraire anglaise.

Savoir-vivre

Le décalage et lautodérision qui est propre à lhumour dit anglais sexpriment également chez Hanotte dans la manière dont il use sciemment des idées reçues sur les Britanniques et leurs habitudes. Ainsi, aucun roman nest exempt dune scène de dégustation de thé, plus ou moins poussée dans la préciosité. A la collation virile entre frères darmes et sous les feux dune mitrailleuse ennemie, dans Les lieux communs, succède une calme dégustation toute raffinée dans Larchitecte du désastre. La dernière nouvelle consacrée aux temps enfuis est en effet marquée par son ambiance « british ». Le capitaine Thorpe sest engagé avec son majordome, Hawtorne, et celui-ci vient toujours lui apporter son thé alors que lheure de lassaut approche :

Important, la tasse. Important aussi, la soucoupe. Les quarts en métal vous brûlaient les lèvres et gâtaient irrémédiablement le goût du darjeeling. Même ébréchée, la porcelaine présentait limmense avantage de sauvegarder ce petit plaisir, cette minuscule oasis de domesticité quil faisait bon retrouver, fût-ce quelques secondes, à lorée dune journée comme celle-ci. [26]

Madame Thorpe est dailleurs indisposée de labsence de son majordome, qui faisait de délicieux muffinsmais avec ses amies, elle a maintenant de quoi soccuper : ces dames tricotent gants et écharpes pour les soldats.

Tout lépisode est en fait imprégné dune vision stéréotypée du caractère anglais : un savoir vivre et une politesse omniprésente jusquà lévocation de banalités malgré limminence dévénements gravissimes, et un flegme à toute épreuve. Les images connotées ne manquent pas en ce qui concerne le héros : il boit son thé servi par un domestique qui la suivi au front, il dénonce ensuite la mauvaise éducation des Allemands lorsquun peu de poussière provoquée par une explosion tombe dans sa tasse, ou reste indifféremment sous les éclats qui se perdent pour se comporter de la manière que son grade dofficier lui impose.

Le physique lui-même des personnages est typé, mais les descriptions concernant les protagonistes étant peu nombreuses, cest dans le détail quil faut chercher le clin dœil. Une moustache parfaitement entretenue fait lofficier, et ce dabord chez Wilfred Owen :

Pas un poil ne dépassait de la moustache finement taillée. Impeccable, comme toujours. Parfois, les autres officiers sétonnaient que le fils dun chef de gare pût afficher une telle élégance de dandy. Et en effet, il ny manquait rien, pas même lironie glacée du sourire[27] .

A cet exemple de préciosité masculine succède la simplicité dune femme, en la personne de Dorothy Maceachran, amour déçu du héros du roman court « Larchitecte du désastre ». La jeune femme nest pas particulièrement jolie, et fait preuve détourderie, due à sa timidité. Néanmoins, sa réserve et son bon sens lorsque Metzger la taquine sont preuves dun flegme tout à son honneur. Le détail ici invoqué est le goût des lèvres de Dottie, « un goût de gingembre, de sucre et de sel mêlé. Celui des biscuits écossais.  » Détail à ce point marquant pour lauteur quil a donné son nom à la réédition du récit, révélant toute limportance de lépisode de Coventry. Celui-ci ne totalise en effet que peu de pages par rapport au reste de la narration, décrivant la mission de Metzger et son dénouement. « Larchitecte du désastre », histoire dun bâtisseur pris malgré lui comme alibis dune destruction, devient le roman dune rencontre éphémère dans un pays pluvieux, rencontre qui hante toujours le héros. Ce glissement est perceptible par lajout dans Un goût de biscuit au gingembre de lépilogue mettant en scène le supposé frère de la jeune écossaise.

Main verte

Autre image que lon peut avoir de lAngleterre, celle des pelouses rigoureusement entretenues, des plates-bandes de fleurs magnifiquement agencées et des bois dapparence sauvage laissant deviner la présence dun vieil édifice gothique. Au XVIIIe siècle, le royaume se prend dun véritable engouement pour le paysagisme, qui va déboucher sur la création du jardin à langlaise. Celui-ci soppose au jardin classique français et à son souci de géométrie. Il ambitionne de recréer la nature de manière sauvage, ce qui pourrait être vu comme une réaction à lindustrialisation. Les ambiances particulières de ces espaces ont beaucoup inspiré les artistes, peintres, écrivains et poètes. Quoi détonnant dès lors que ce soit à Holland Park, en composant des vers fleuris, que Nigel Parsons rencontre le jardinier William Salter :

In Holland Park the garden flows

With white gardenias in a row.

We are the groundskeepers[28]


Cette amitié va permettre au poète dacquérir la main verte. Sa carrière de jardinier commence bien avant son échange didentité avec Salter. Dès son engagement, il se fait passer pour pratiquant une telle profession, de sorte à demeurer simple soldat et non officier comme son métier de professeur le lui aurait permis. Ensuite, cest dans un cimetière en France, alors quils séjournent à la ferme des Caubert, que Parsons reçoit son premier cours de jardinage de son camarade. Traçant des sillons à la pointe de sa baïonnette, il plante quelques fleurs dans ce lieu austère déjà des soldats de leur bataillon reposent. Après la guerre, cest bien dans des cimetières que Parsons/Salter exerce son art, pour le compte de la Commission impériale des tombes de guerre, la Commonwealth War Graves Commission.

Les pierres blanches des cimetières de guerre britanniques deviennent pages blanches, et inspiration pour le romancier, grâce à la richesse de leurs inscriptions et à latmosphère propice qui règne autour delles. Dans cette optique, le travail de jardinage, occupation commune à plusieurs autres personnages, est la plupart du temps associé dans les livres de Hanotte aux lieux de mémoire de larmée anglaise.

Dans De secrètes injustices, lun des soldats dont lhistoire occupe les parties inter chapitres, Gordon, est imaginé par Dussert comme un jardinier de métier creusant des tranchées, mais imaginant ce quil planterait après la guerre dans les cimetières. Au-delà dun simple travail dentretien des parterres et autres pelouses, les jardiniers hanottiens veillent sur le repos des morts et entretiennent leur mémoire, en sassurant que jamais leurs lieux dancrage ne soient laissés à labandon.

De manière plus anecdotique, Pierre Lambert, lun des narrateurs de Les lieux communs, était architecte et paysagiste. Quant à lun des ours philosophe dOurs toujours, Adalbert, qui est sans conteste le plus anglais des trois, promène sa nostalgie dans un carré de simples quil entretient à lextérieur de sa tanière.

De Gosford Park à Gosford Street

Les références culturelles faites à lAngleterre par Hanotte dans ses textes ne se limitent pas à Owen. Principalement dans la trilogie initiale, il cite à plusieurs reprises de célèbres auteurs anglophones et leurs écrits, au hasard des circonstances de la narration ou des états dâme des protagonistes. Il aborde également lart pictural à travers William Turner qui contribue à titrer le premier roman. Le cinéma est lui aussi discrètement mis à contribution dans le roman court « Larchitecte du désastre », qui cache derrière son personnage fétiche une actrice écossaise connue, plus précisément dans le rôle qui est le sien dans le film Gosford Park de Robert Altman.

Lorsquil arrive à Coventry, un crachin désagréable incite Metzger à rejoindre directement son hôtel, le Kings Head. Il est accueilli par une jeune femme quelque peu maladroite. Cette rencontre sous la pluie présente de frappantes similitudes avec la première scène du film de Robert Altman, Gosford Park. Cette production américaine de 2002 a pour but de nous montrer la riche société anglaise des années trente à travers le regard de ses domestiques. Lintrigue a pour cadre un somptueux manoir une brillante compagnie est réunie pour une partie de chasse, troublée par lassassinat du maître de maison. Le rôle qui nous intéresse ici est celui dune jeune domestique, Mary Maceachran, tenu par lactrice écossaise Kelly Mac Donald. Tout, de sa gaucherie à son accent en passant par son physique, semble prouver que Xavier Hanotte sest directement inspiré de ce personnage pour construire celui de Dottie Maceachran, avec qui Metzger entretient une relation platonique pendant son séjour à Coventry.

La première scène du film nous montre Mary Maceachran montant en voiture à la suite de sa maîtresse, sous une pluie battante, en présence dun majordome assez directif. Celui-ci rappelle lemployé de lhôtel qui réprimande gentiment Dottie pour avoir oublié damener un parapluie. Lensemble du film montre une jeune femme gauche mais soigneuse, préoccupée par sa tâche, discrète mais fine mouche. Elle seule parviendra à résoudre lénigme du meurtre. Ce caractère se retrouve sous la plume de Xavier Hanotte : « […] cétait une fille comme cela : indépendante, obstinée, souvent distraite mais toujours prête à faire ce quil fallait faire[29]  ». Clin dœil pour mettre le lecteur sur la voie ? Dottie habite Gosford Street.

De secrètes injustices

So secretly like wrongs hushed-up, they went.
They are not ours:
We never heard to which front these were sent.

Wilfred Owen, The Send-Off

[Ainsi, telles de secrètes injustices, ils s'en allèrent.
Ils n'étaient pas des nôtres:
Jamais nous n'avons su quel front les attendait.]

Son livre De secrètes injustices (titre inspiré d'un poème d'Owen), a ceci d'exceptionnel qu'il fouille le passé de son pays jusqu'à faire de la bataille de la Lys (23-28 mai 1940), la clef d'une énigme policière qui se dénoue à la fin du XXe siècle, impliquant en quelque sorte les soldats wallons de plusieurs régiments des chasseurs ardennais de mai 1940 et la reddition sans combattre de la 4e Division flamande, en même temps que le massacre de dizaines de civils innocents dans le village flamand de Vinkt selon des processus qui font directement penser au même mécanisme que celui des massacres décrits dans les atrocités allemandes en août 1914 (la fausse croyance sincère dans l'existence de francs-tireurs).

Une scène sur la tragédie wallo-flamande

La 4e Division fut relevée ce 25 mai par la 1re Division des chasseurs ardennais, une troupe d'élite qui infligea à l'agresseur allemand des pertes considérables, notamment dans le village de Vinkt. Les Allemands décimés de ce régiment (la moitié de pertes en blessés et tués), crut comme en 1914 que des francs-tireurs avaient tiré dans leur dos. Du coup ce village flamand (défendu par des troupes wallonnes), se vit accuser par les Allemands de contenir des francs-tireurs et 80 hommes, femmes et enfants furent passés par les armes. Le livre de Xavier Hanotte, intitulé De secrètes injustices met en scène de manière assez extraordinaire un de ces soldats, capturés comme Prisonnier de guerre selon les Conventions de Genève (seuls les soldats wallons demeurèrent prisonniers en Allemagne), qui est emmené par des soldats allemands et qui arrive sur les lieux même de l'exécution (crime de guerre) des civils flamands (innocents bien sûr). L'un des Flamands lui crie alors quelque chose en flamand que ce soldat wallon ne comprend pas, quelques instants avant que les balles allemandes ne fauchent le villageois, une réflexion désespérée, au bord de la mort, qui n'est pas nécessairement un reproche, mais dont on ne saura jamais la teneur. Cette scène au cœur d'un très bon roman de cet écrivain wallon synthétise la question nationale en Belgique en un fulgurant instantané: il s'agit d'une tragédie au cœur de l'Europe.

Autres thèmes

Le livre embrasse aussi la problématique du négationnisme, la description de policiers humains, le contact simple à Bruxelles entre Flamands et Wallons ou francophones, l'amour humain, le rapport entre hommes et femmes aujourd'hui qui réalise, au plan professionnel, une égalité de fait. Il s'écrit également dans la mémoire anglaise des boucheries de 1914-1918 (in Flanders' field), évoque le fameux Last Post de Menin, passionne de bout en bout comme un vrai roman policier écrit avec beaucoup d'humour.

Notes et références

  1. De secrètes injustices p29
  2. Manière noire p524
  3. Manière noire p394
  4. L'architecte du désastre p173
  5. Manière noire p33
  6. Manière noire p. 51
  7. Manière noire p. 73
  8. Le chapitre 13 de Manière noire utilise le premier vers comme exergue
  9. Derrière la colline p115-6
  10. KRUMEICH Gerd et AUDOUIN-ROUZEAU Stéphane, « Les batailles de la Grande Guerre », Encyclopédie de la Grande Guerre, Paris, Bayard, 2004, p306
  11. KEEGAN John, La Première Guerre mondiale, Perrin, Paris, 2003, p. 369
  12. KEEGAN John, La Première Guerre mondiale, Paris, Perrin, 2003, p. 370
  13. Manière noire p. 406
  14. Poussières d'histoire et bribes de voyage p. 15
  15. L'architecte du désastre p91
  16. Derrière la colline p177
  17. Poussières d'histoires et bribes de voyages p. 48-49
  18. Les lieux communs p. 195
  19. Les lieux communs p. 197
  20. Manière Noire p. 412
  21. Un casque sur le trottoir p. 9
  22. Un casque sur le trottoir p9
  23. Poussière d'histoires et bribes de voyages p53
  24. Poussières d'histoires et bribes de voyages p68-69
  25. Poussières d'histoires et bribes de voyages p14
  26. L'architecte du désastre p95
  27. Manière noire p395
  28. Derrière la colline p45
  29. L'architecte du désatre p65

Voir aussi

Bibliographie

  • Manière noire, roman, Belfond 1995
  • De secrètes injustices, roman, Belfond
  • Derrière la colline, roman, Belfond 2000
  • Les lieux communs, roman, Belfond 2002, prix Charles Plisnier
  • Poussières d'histoire et bribes de voyage, poèmes, le Castor Astral 2003
  • Ours toujours, roman, Belfond 2005
  • L'Architecte du désastre, nouvelles, Belfond 2005
  • Un goût de biscuit au gingembre, Estuaire 2006
  • Le couteau de Jenufa, roman, Belfond 2008
  • Portail de la Wallonie Portail de la Wallonie
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