- Gueules cassees
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Gueules cassées
L'expression « gueules cassées » désignait les survivants de la Première Guerre mondiale ayant subi une ou plusieurs blessures au combat et affectés par des séquelles physiques graves, notamment au niveau du visage. Elle fait référence également à des hommes profondément marqués psychologiquement par le conflit, qui ne purent regagner complètement une vie civile ou qui durent, pour les cas les plus graves, être internés à vie.
Au retour de la guerre, le nombre total de morts s’élevait à 9 millions dont plus de 2 millions d'Allemands, 1,8 million de Russes, 750 000 Britanniques, 650 000 Italiens et presque 1,5 million de Français. Proportionnellement à sa démographie, la France est un des pays où les pertes ont été les plus importantes.
Ce bilan ne correspond pas seulement aux militaires tués sur les champs de bataille ; il inclut également des militaires revenus chez eux, gravement atteints par des maladies telles que la grippe espagnole, mais aussi des hommes ayant succombé aux séquelles de leur maladie. Ainsi, après la guerre, le nombre de soldats morts des suites de leurs blessures s’élève à environ 500 000 tandis que la grippe fit 200 000 morts supplémentaires en France.
Sommaire
Historique de la législation sur les travailleurs mutilés et handicapés
- 26 avril 1924 : La loi prévoit que des centres de rééducation soient ouverts pour les victimes d’accident du travail.
- Mai 1924 : La loi assure l’emploi obligatoire des mutilés de guerre. Les textes qui suivront reprendront trois points de cette loi :
- Obligation aux entreprises de plus de 10 salariés d’employer des pensionnés de guerre et veuves de guerre (quota d’emploi de 10 %) ;
- Pourcentage obligatoire des emplois réservés ;
- Salaire avec éventuel abattement.
- 1930 : Création des pensions aux mutilés et victimes de la guerre, des centres d’appareillage, des centres de rééducation fonctionnelle et des emplois réservés. Début de l’histoire de l’emploi des personnes handicapées.
La douloureuse situation de l'après-guerre
Les soldats de retour du front étaient, pour une grande part, gravement blessés : amputés, mutilés du visage, aveugles, gazés, etc. Ces hommes représentaient 6 millions d’individus. En majorité, ces blessés étaient des hommes âgés de 19 à 40 ans. Leur invalidité limitait donc la croissance économique du fait de leur incapacité à pratiquer une activité professionnelle et du fait que l’État était contraint à verser à chacun d’eux une pension. Les soldats morts laissent également trois millions de veuves et cinq millions d’orphelins.
La population est vieillissante, majoritairement féminine ; les mariages prévus sont annulés, retardés ; le pessimisme d’après guerre n’encourage pas les naissances : ainsi, 1,6 million de naissances auraient été annulées à cause de la guerre. La situation démographique d’avant guerre ne sera rétablie qu’en 1950.
Afin de réparer les dégâts physiques de la guerre, des centres sont ouverts pour proposer des méthodes de camouflage ou de réparation des visages abîmés que l’on appelait les « gueules cassées ». Cette expression fut introduite par le colonel Yves Picot (Brest 17 mars 1862 - La Valette-du-Var 19 avril 1938) alors qu’on lui refusait l’entrée à un séminaire donné à la Sorbonne sur les mutilés de guerre.
Ainsi s’ouvrirent les Hospices de Lyon où de célèbres chirurgiens et médecins se penchèrent sur de nouvelles techniques diverses afin de réparer ou de cacher ces visages éclatés par les obus.
Procédés de réparation esthétique
Appareils
L'ouvre-bouche
On retrouve plusieurs variétés d'ouvre-bouche dans les différents services spécialisés. L'appareil est placé dans la bouche du blessé et maintenu de manière à étirer les muscles des mâchoires et à l'aider à retrouver l'élasticité musculaire. Une graduation permet de mesurer la progression de la mécanothérapie. La rééducation par la mécanothérapie mobilise le blessé pour une durée variant de plusieurs jours à plusieurs mois, pour des résultats peu importants.
Le procédé des sacs
Décrit par le médecin Pitsch lors du Congrès dentaire-interalliés en 1916, le procédé des sacs consiste en le placement de 2 plaquettes de bois de 20 cm de longueur environ dans la bouche et de la suspension à ces languettes de sacs plus ou moins lourds (jusqu’à 3 kg suspendus à la mâchoire) afin de replacer la bouche dans sa position originelle.
La gouttière de contention
Placée dans la bouche, elle permet de soutenir et de replacer les maxillaires.
Le casque de Darcissac
Nécessitant une immobilisation de 2 à 3 semaines, ces casques quoique relativement efficaces pour replacer grossièrement les traits du visage présentaient des inconvénients : ils fatiguaient les blessés qui salivaient trop du fait de l’ouverture permanente de leur bouche. De plus, ce casque tournait autour de la tête du blessé provoquant de vives douleurs. Il avait pour fonction la consolidation des fractures.
Greffes
Greffes ostéopériostiques
La méthode de greffe ostéo-périostique s'appliquait pour l'essentiel à la réparation des pertes de substances osseuses plus ou moins étendues. Il ne s'agit pas d'une innovation thérapeutique mais de l'adaptation d'un procédé classique. En effet, particulièrement employée dans la chirurgie des membres avant 1914, son indication se trouve étendue pendant la guerre grâce à l'initiative du Dr Delagenière, médecin-chef du centre de chirurgie maxillo-faciale du Mans.
La méthode s'appuie sur la fonction sécrétante du périoste (membrane fibreuse qui entoure l'os et seule partie de l'os véritablement active). Il s'agissait de prélever un greffon sur la face interne du tibia du blessé et de le poser sur la région réceptrice. Le greffon, très malléable, s'appliquait sur la perte de substance en prenant la forme voulue, assurant le rétablissement complet et solide de la continuité osseuse. En dépit de certaines réticences manifestées par une partie du monde médical, les greffes ostéo-périostiques permettaient de corriger les difformités faciales et d'obtenir un résultat fonctionnel certain.
La greffe Dufourmentel
Léon Dufourmentel, médecin, trouva un procédé permettant de combler les trous de chair : il prélevait des lambeaux de cuir chevelu sur le crâne des patients et les greffait essentiellement au niveau du menton. Il n’y avait, de ce fait, pas de rejet possible.
La greffe italienne
Qualifiée d’archaïque, car reprenant des procédés abandonnés depuis le XVIe siècle, cette méthode consistait à découper un lambeau de peau du bras à apposer sur le visage dans la plaie afin que celle-ci se ferme grâce à la peau fournie et à maintenir à l’aide d’une structure métallique le bras sanglant au visage afin de vasculariser la plaie pour qu’elle se referme. L’Église n’appréciait pas cette technique et la désignait comme contraire à l’œuvre du Créateur. Le professeur ayant réintroduit cette technique fut déshonoré après que son corps avait été enseveli en terre non sacrée.
Les prothèses
- Yeux : les opérations de l’œil étaient impossibles à réaliser. De ce fait, on plaçait de faux yeux sous la paupière et on masquait la différence de niveau assez marquée à ce niveau par des lunettes.
- La région nasale inférieure pouvait être réparée mais pas la supérieure, qui nécessitait la pose d’un faux nez suspendu par des lunettes. Or ceux-ci avaient une couleur qui, même de loin, trahissait le trou du dessous. D’autre part, la lourdeur de cet appareillage et sa pose délicate lassait, humiliait les individus préférant un simple bandage ou l’exposition de leur visage.
Accueil des gueules cassées
Si le visage de l’individu nécessitait des soins, il était photographié de face et de profil puis un moule de son visage était effectué.
Mais si les réparations sont impossibles, il reste deux solutions : soit le mutilé s’accepte tel qu’il est et prend le courage de s’exposer aux regards, soit il a recours aux prothèses.
Traitement psychologique
La violence des combats aggravée par l'usage intense d'armes nouvelles telles les gaz de combat provoqua chez nombre de survivants des séquelles psychologiques parfois irréversibles et impressionnantes.
Ce phénomène, plus tard dénommé syndrome de stress post-traumatique, se manifestait de diverses manières :
- Tremblements incessants, pouvant aller jusqu'à l'impossibilité du sujet de se tenir en position debout (appelés Les trembleurs) ;
- Crises de terreur à l'évocation d'un fait ou la vue d'un objet rappelant la vie au front ;
- Hallucinations, folie.
L’Union des gueules cassées
Même si l’Armistice fut signée le 11 novembre 1918, ce n’est que le 28 juin 1919 que fut organisé le Traité de Versailles auquel Georges Clemenceau convia 5 représentants des gueules cassées issus de l’hôpital du Val de Grâce de Paris. Ils témoignaient de la violence et de la brutalité de la guerre.
Le mutilé se sentait exclu de par ses longs séjours qui le coupaient de ses activités d’auparavant dans les hôpitaux, luttant avec les procédés archaïques pour sauver son visage, source de pitié, de dégoût mais aussi des fois de sympathie de la part des autres individus. Bienaimé Jourdain et Albert Jugon, deux anciens blessés soignés au Val de Grâce fondèrent une association. La présidence est confiée au colonel Yves Picot (1862-1938) et la vice présidence à Jourdain.
Jugon, laissé sur le champ de bataille à moitié mort, avait dit à ses compagnons que s’ils avaient le temps de le sauver après les autres soldats moins blessés que lui, alors ils pourraient venir le rechercher. Il fit partie des 5 soldats assistant au Traité de Versailles.
Les difficultés financières du début des années 1920 retardèrent la mise en œuvre du projet de construction d’une maison des défigurés de la face. Ce n'est qu'en 1927 que les gueules cassées purent acquérir un domaine, grâce à une souscription ouverte à la fin de 1925. Inaugurée par le Président de la République Gaston Doumergue en 1927, la Maison des Gueules cassées était un château, situé à une quarantaine de kilomètres de Paris, dans le village de Moussy-le-Vieux, en Seine-et-Marne.
Elle accueillait les pensionnaires de manière définitive, pour les plus atteints d'entre eux, ou temporaire, pour les convalescents notamment.
Cependant, ces maisons ne symbolisent pas seulement la fraternité unissant les défigurés, mais aussi une sorte d’exclusion à l’intérieur de la société, une non-intégration d'après guerre. Cette association fut financée par la Loterie Nationale devenue depuis la Française des jeux.
Voir aussi
- Docteur Hippolyte Morestin
Films à propos des gueules cassées
- 1971 : Johnny s'en va-t-en guerre de Dalton Trumbo
- 2001 : La Chambre des officiers de François Dupeyron
Livres à propos des gueules cassées
- 2004 : Gueules cassées de la Grande Guerre, Sophie Delaporte ISBN 2914645589
- 1999 : La chambre des officiers, Marc Dugain, Pocket
- 1966 : Le Colonel Picot et les gueules cassées, Noële Roubaud et R.N. Brehamet, Nouvelles éditions latines
Lien externe
- Site officiel de l'association des Gueules Cassées
- Exposition de la Bibliothèque Inter universitaire de Médecine, Paris
- Gueules cassées
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