- Exotisme
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L'exotisme (du grec tardif exô- « au-dehors », exôtikos « étranger, extérieur ») est une attitude culturelle de goût pour l'étranger. Le phénomène se constate à plusieurs reprises dans l'histoire des civilisations en expansion. La curiosité de la société romaine pour les religions en marge de l'Empire, ou les temps d'ouverture de la Chine à la culture européenne pourraient relever de l'exotisme. Cependant, cette attitude s'exprime avec plus d'amplitude et de variété en Occident, suite à la mondialisation : des grandes découvertes au commerce globalisé actuel, en passant par le colonialisme. Avec Claude Lévi-Strauss on ajoutera un critère essentiel, l'occident est désormais une culture anthropologique, elle ne confond plus l'étranger avec l'imitation qu'elle en fait, elle sait ce qu'exotisme veut dire. Une création d'inspiration étrangère cesse d'être exotique lorsqu'elle inspire en retour cet étranger, comme l'impressionnisme au Japon ou Picasso en Afrique.
Au XVIIe siècle, la société française se passionne pour les voyages : l'arrivée du « grand mamamouchi » dans Le Bourgeois gentilhomme de Molière (1670) est un signe annonciateur, puis on compte Bougainville qui conte ses multiples voyages, la traduction des Mille et une nuits par Antoine Galland (1704), les Lettres persanes de Montesquieu (1721). Voltaire et Diderot profitent de cet intérêt de l'exotisme pour critiquer la société par exemple dans Candide ou Supplément au voyage de Bougainville. Depuis, le phénomène s'est poursuivi dans les arts plastiques, la musique, la philosophie, dans toutes les expressions culturelles. Même s'il y a parfois des reflux, une mode comme la world music avec le design et les idées qu'elle véhicule montre que des consommateurs occidentaux aiment toujours à rêver d'étranger.
L'orientalisme est genre de l'exotisme amalgamant toutes les cultures à l'est de l'Europe, mais aussi au Nord d'Afrique et l'Espagne (pour romantiques comme Washington Irving et Prosper Mérimée).
En histoire de l'Art, exotisme s'applique plus précisément à la fin du XIXe siècle.
Sommaire
Art
En musique, l'exotisme est un genre dans lequel les rythmes, les mélodies et les instruments cherchent à évoquer l'atmosphère de terres lointaines ou de temps reculés, avec par exemple le Daphnis et Chloé et le Tzigane pour Violon et Orchestre de Maurice Ravel ou d'autres œuvres de Debussy et de Rimsky-Korsakov. A la fin de la seconde guerre mondiale un courant musical intitulé "Exotica" vit le jour aux États-Unis. Des musiciens comme Martin Denny ou Les Baxter s'inspirèrent de rythmes lointains (hawaiiens, caribéens notamment) et les mêlèrent à du jazz. Cet exotisme musical est animé de mystères et berce l'auditeur vers un doux rêve lointain.
Tout comme l'orientalisme, l'exotisme en peinture et dans le domaine des arts décoratifs était associé avec l'opulence et la luxuriance des ornements.
Littérature exotique ou exotisme en littérature?
Dans le domaine des Lettres, "l'exotisme peut se définir comme l'intégration (...) de l'insolite géographique, ethnologique et culturel; il traduit le goût de l'écrivain pour des contrées qui lui apparaissent comme étranges et étonnantes, féeriques ou légendaires, qui contrastent avec la sienne propre par le climat, la faune, la flore, les habitants (leur apparence physique, leurs costumes et traditions)"[1].
En ce sens, et très vite lors de son apparition, l'exotisme est proche du surnaturel et ce, dès la Renaissance avec Rabelais dans Pantagruel et Gargantua. Le goût pour l'Ailleurs naît avec la découverte des Amériques surtout mais aussi en raison de la redécouverte des cultures arabes et proche-orientales. L'exotisme en littérature doit aussi beaucoup à l'économie et au commerce de l'époque (Marco Polo et la route de la soie) ; dans Don Juan de Molière notamment le café qui vient d'apparaître en France est l'un des premiers objets littéraires exotiques, une sorte de cliché qui participera plus tard à la constitution d'un décor de convention, de même que l'eunuque, la princesse orientale en visite, les animaux fabuleux (dromadaires, lions...), autant de topoi qui naissent de l'exotisme littéraire.
L'exotisme apparaît principalement avec la traduction des Mille et une nuits, conte oriental transmis de génération en génération, par Antoine Galland, en 1701. Galland a su modifier subtilement la couleur locale orientale qui fait immédiatement le succès de l'édition en l'adaptant au goût français. Par ce décor de convention l'exotisme devient une façon littéraire d'étudier nos propres références culturelles et de s'inspirer des autres littératures. Dès lors nombres d'écrivains-philosophes comme Voltaire (Candide, Zadig) ou Rousseau (et sa fiction du Bon Sauvage), d'Alembert ou Diderot (Supplément au voyage de Bougainville, qui pose les principes de l'acculturation et les bases de l'ethnologie), Montesquieu enfin (Les Lettres Persanes) utilisent cet artifice pour distancier le regard du lecteur, pour lui permettre de créer un espace critique vis-à-vis de la société de l'époque.
Mais c'est surtout au XIXe siècle, avec Gérard de Nerval dans Voyage en Orient, Charles Nodier et François-René de Chateaubriand dans Voyage en Amérique que l'exotisme devient un mouvement littéraire. Il suit un développement parallèle en peinture avec Eugène Delacroix : La Mort de Sardanapale et Les Femmes d'Alger en particulier. C'est surtout le fait que le peintre suit la campagne de Bonaparte en Égypte qui apporte une vague exotique à la littérature.
Boucher et Lorjou peignirent tous deux une Chasse aux lions, Renoir et Matisse, des Odalisques. Le Douanier Rousseau, par Le Rêve, par La Bohémienne endormie, et Paul Gauguin, par Scène tahitienne et martiniquaise introduisent l'art primitif et le fauvisme en peinture. Nombre de ces œuvres influencent les écrivains comme Baudelaire (Curiosités esthétiques, l'Art Romantique). Très vite en effet le Romantisme s'empare de ce qui sera vu plus tard non plus comme un simple effet de style mais comme une véritable ouverture culturelle sur d'autres modes de vie et un élargissement des canons romantiques qui privilégient le vérisme et l'Histoire brute.
L'exotisme apparaît avec Pierre Loti et d'autres comme un motif autorisant le mélange des genres et en quelque sorte, du point de vue littéraire, un métissage. La science avec Jules Verne donne davantage de profondeur à l'exotisme (intégration de termes étrangers, d'espèces alors inconnues, popularisation géographique). Les naturalistes n'utiliseront pas l'exotisme qui, très vite, à la fin du XIXe siècle va se confronter avec le nationalisme en littérature (Charles Maurras, Maurice Barrès...) et diverger alors en deux sous-courants : celui accusant la Colonisation, et celui en faisant l'éloge.
Dès lors le thème du voyage modèle le genre exotique avec des écrivains comme Blaise Cendrars (La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France) ou Victor Segalen (Stèles qui évoque le monde chinois). Ce dernier écrit le premier essai sérieux sur l'exotisme: Essai sur l'exotisme[2], où il constate que la «tension exotique du monde décroît». Avec la colonisation, l'exotisme perd définiment toute prétention de convention : de nombreux auteurs étrangers francophones dévoilent un monde complexe tels : Léopold Sédar Senghor pour l'Afrique (Éthiopiques), Aimé Césaire pour les Antilles et bien d'autres. Les auteurs occidentaux vont alors s'imprégner par la colonisation de cette ouverture sur le monde qui, selon les mots de Nathalie Sarraute, participe de l'ère du soupçon [3] que renforcent les deux Guerres Mondiales et les déstabilisations de l'homme blanc dans ses agissements coloniaux et dont le coup est porté par Frantz Fanon notamment. L'exotisme devient avec la Décolonisation l'expression authentique des peuples souverains et l'affirmation d'une recherche de la vérité historique et une dénégation de la couleur locale. Des écrivains comme Jean Marie Gustave Le Clézio cherchent dès lors à utiliser le charme exotique pour rendre palpable et les cultures lointaines et les caractéristiques géographiques.
L'ethnologie enfin, et la littérature qui en découle (Lévi-Strauss) font définitivement passer l'exotisme dans le champ de l'authenticité littéraire.
Bibliographie exotique
- Pierre Jourda.– L'exotisme dans la littérature française depuis Chateaubriand, t.II: Du romantisme à 1939.– Paris: P.U.F., 1956.
- Lévi-Strauss, Claude.– Tristes tropiques.– Paris : Plon, 1955.
- Moura, Jean-Marc.– Lire l'exotisme– Paris : Dunod, 1992.
- Moura, Jean-Marc.– La littérature des lointains. Histoire de l'exotisme européen au XXe siècle.– Paris : Éditions Honoré Champion, 1998.
- Segalen, Victor.– Essai sur l'exotisme– Fata Morgana, 1978; nouvelle édition, livre de poche, collect. biblio-essais, 1986.l'exotisme.– Fata Morgana, 1978; nouvelle édition, livre de poche, collect. biblio-essais, 1986.
- Tzvetan Todorov.– Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine– Paris : Seuil, 1989.
- Antoine Vodoline.– Le Post-exotisme en dix leçons– Paris : Gallimard, [1998].
Notes et références
- Dictionnaire International des Termes Littéraires, article Exotisme
- Essai sur l'exotisme, 1917
- L'Ère du soupçon, 1956
Articles connexes
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