- Détection du quorum
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La détection du quorum (quorum sensing en anglais) est un ensemble de mécanismes régulateurs qui contrôlent l'expression coordonnée de certains gènes bactériens au sein d'une même population bactérienne.
Sommaire
Histoire de la découverte de la détection du quorum
La détection du quorum a été observée pour la première fois chez Vibrio fisheri, une bactérie bioluminescente, symbiotique vivant dans l'organe lumineux de certains céphalopodes comme la sépiole ; quand les vibrions sont sous forme planctonique (à l'état libre), la concentration d'auto-inducteurs est faible, et les cellules ne sont pas luminescentes. Au contraire, dans l'organe lumineux de la sépiole, où les vibrions sont très nombreux (environ 1011 cellules par mL), l'auto-inducteur stimule la transcription du gène de la luciférase, qui produit une enzyme (luciférase) capable de produire de la lumière à partir d'ATP.
Principes généraux
La détection du quorum correspond au mécanisme de synchronisation de l'expression (ou de la répression) de gènes particuliers, au sein d'une population bactérienne et en fonction de la densité de cette population. Elle implique la capacité de bactéries à communiquer avec leurs congénères via des signaux moléculaires, et éventuellement (pour certaines espèces (archées) à disposer d'une horloge biologique endogène (Rythme circadien bactérien).
Ce système renseigne chaque bactérie sur la densité de la population de sa propre espèce ou d'autres espèces, permettant des comportements symbiotiques ou impliquant différentes espèces.
Mécanisme général de la détection du quorum
Les bactéries qui utilisent la détection du quorum produisent des signaux moléculaires dits « auto-inducteurs ».
- Lorsque la densité de la population bactérienne est faible, la diffusion réduit rapidement la concentration de l’auto-inducteur dans l'environnement.
- Au contraire, avec la multiplication cellulaire dans un espace confiné, la densité de la population augmente, et la concentration de l'auto-inducteur dépasse un seuil critique qui est alors perçu par les bactéries qui le produisent : on dit alors que le quorum est atteint.
- Cette perception active alors souvent la surproduction du signal auto-inducteur, conduisant ainsi à une boucle de rétroaction positive permettant de synchroniser sa perception au sein de la population microbienne.
La présence des auto-inducteurs est perçue par des récepteurs protéiques intracellulaires.
Ces récepteurs fixent l'auto-inducteur (dont la concentration intracellulaire reflète la concentration extracellulaire).
Le récepteur ainsi activé reconnait certaines séquences d'ADN, spécifiques des gènes régulés par détection du quorum et active ou réprime leur expression.Sans que l'on puisse véritablement parler de superorganisme, la population peut alors localement réagir un peu comme une colonie cohérente, plus que comme une simple somme d'individus.
Les auto-inducteurs fonctionnent un peu comme des hormones ; ils sont perçus par les bactéries à des concentrations très faibles (de l'ordre de 1 pmol à 1 µmol).
Parmi les signaux connus, on peut citer les N-acyl homosérine lactones (AHLs), les butyrolactones, des peptides cycliques tels ComX, ou l'autoinducteur 2 (AI-2), un des seuls composés biologiques connus contenant du bore.
les différents types de détection du quorum
Il existe de nombreuses molécules de communication cellulaire appartenant au système de détection du quorum. Les molécules utilisées dépendent de l’espèce bactérienne considérée, mais il est possible de classer ces systèmes de communication en trois grandes catégories.
Détection du quorum de type 1
Le système de quorum de type 1 utilise les N-homosérines lactones (appelées autoinducer 1), molécules portant un cycle lactone est une chaine acyl de longueur variable, comme molécules signaux. Il s'agit du système le plus couramment cité. Il est utilisé chez des espèces comme Vibrio fisheri, Pseudomonas aeruginosa, Yersinia enterocolitica.
Synthèse des N-homosérines lactones : Lux I est une enzyme permettant la synthèse chez Pseudomonas aeruginosa des NAHLs. .Les substrats de Lux I sont des protéines transporteuses d'acyl, molécules donneuses intracellulaires de chaînes acyl et les S-adénosyl méthionines (SAM), donneuses intracellulaires de méthyl. L'enzyme Lux I crée un pont amide entre le SAM et la chaîne acyl de la protéine transporteuse d'acyl. Puis Lux I réalise une réaction dite de « lactonisation », qui permet la création du cycle lactone. Selon le type de protéine transporteuse d'acyl impliqué dans ce processus de synthèse, différentes molécules de NAHLs peuvent être formées. La longueur de la chaîne acyl est variable. L'enzyme de synthèse LuxI ne synthétise qu'un seul type de NAHLs, ainsi, chaque organisme produit des NAHLs qui lui sont spécifiques. Pseudomonas aeruginosa est cependant capable de produire deux types de NAHLs différents, les 3-oxoC12, à longue chaînes acyl, et les C4, qui ont une chaîne acyl plus courte. Pseudomonas possède en effet deux types d'enzyme de synthèse, LasI et RhlI.
Les NAHLs sont libérés dans le milieu, peuvent diffuser dans les membranes et se lier à un régulateur de réponse appelé « Lux R ». Lorsque Lux R est lié à une NAHLs, il est alors capable alors de se dimériser et d’agir en temps que régulateur transcriptionnel de nombreux gènes.
Détection du quorum de type 2
Le système de détection du quorum de type 2 utilise deux types de molécules, les autoinducer 2 (diester de furanosyl borate) et 3. Ce système implique une détection via des senseurs histidines kinases membranaire. Il est utilisé par des espèces bactériennes comme Escherichia coli, Vibrio cholerae ou Salmonella typhimurium.
Autoinducer 2
L'autoinducer 2 est le diester de furanosyl borate. Chez Vibrio fisheri, il est synthétisé par une enzyme dite « Lux S » à partir de S-adénosine homocystéine (SAH), composé toxique pour la cellule. Le diester de furanosyl borate est libéré dans le milieu, il est reconnu par un senseur membranaire, « Lux P », capable d'autophosphorylation. Lux P transfère son phosphate sur un intermédiaire, « Lux Q », puis sur « Lux U » et enfin sur le régulateur de réponse « Lux O », qui, lorsqu'il est phosphorylé, permet la transcription de petits ARN régulateurs. Ces ARN non codants vont inhiber le répresseur Lux R et permettre la dérépression de certains gènes.
Autoinducer 3
Système de signalisation intercellulaire mal connu, dont la molécule n’a pas été purifiée. Les précurseurs sont peu connus. Ces molécules sont capables d'activer des senseurs histidine kinases. Une cascade d'activation intracellulaire permet la régulation de gènes. Ce système est présent chez des espèces entéropathogènes et peut être activé par la détection d'hormones de l'hôte, l'épinéphrine et la norépinéphrine.
Détection du quorum de type 3
Le système de détection du quorum de type 3 est utilisé par les eubactéries Gram-positives, et implique des peptides en tant que molécules de communication.
Autres systèmes de communication intracellulaire
Il existe de nombreuses molécules permettant une communication intercellulaire. Le "PQS" (Pseudomonas Quinolone signal), présent chez les bactérie du genre Pseudomonas, ou le "DSF" (difusible factor) présent chez la phytopatogène Xyllela, sont des exemple des autres systèmes de communication interbacterienne.
Rôles de la détection du quorum
La détection du quorum joue un rôle majeur dans les comportements coloniaux de populations bactériennes, en permettant des comportements coordonnés, ou certaines actions entre bactéries de la même espèce en fonction de la densité de leur population.
Par exemple, les bactéries opportunistes comme Pseudomonas aeruginosa peuvent croître dans l'organisme hôte sans effets pathogènes. Mais quand elles atteignent une certaine concentration (le quorum), elles deviennent virulentes et leur nombre suffit à dépasser le hôte, leur permettant par exemple de former un biofilm, qui constitue le début de la maladie.
Exemples de fonctions régulées par détection du quorum
Les fonctions régulées par détection du quorum sont très diverses chez les bactéries. Elles incluent :
- la virulence, le pouvoir pathogène (ex : chez Erwinia carotovora) ;
- le transfert conjugatif de plasmides (ex : chez Agrobacterium ou chez différents rhizobiums) ;
- la production d'antibiotiques ou d'antifongiques (ex : chez Chromobacterium violaceum ; Pseudomonas aureofaciens et P. fluorescens) ;
- l'apparition de la compétence, c'est-à-dire la capacité d'une cellule à absorber une molécule d'ADN libre dans son environnement (ex : chez Bacillus) ;
- la mise en place de flagelles (ex : chez Burkholderia).
Cette liste n'est pas du tout exhaustive.
Recherche et prospective
L'étude de la détection du quorum relève de l'écologie bactérienne et de la biologie des populations. Sur la base d'une meilleure connaissance de ces phénomènes, des chercheurs espèrent pouvoir par exemple :
- produire des biocapteurs, qui par exemple deviendraient luminescent au delà d'un certain seuil ;
- contrer l'antibiorésistance, en développant des stratégies médicales alternatives ne cherchant plus à totalement éliminer les bactéries, mais à empêcher leur collaboration. Deux méthodes sont possibles ou complémentaires :
- - brouiller leurs communications,
- - brouiller leur organisation, en introduisant dans une colonie pathogène des bactéries "asociales" ne jouant pas le jeu et continuant à se reproduire sans émettre de signal auto-inducteur [1]. Des biologistes avaient en effet observé dans une colonie de Pseudomonas aeruginosa que certains individus bien qu'informés grâce au système QS de la densité présente d'autres bactéries n'émettaient eux-mêmes pas de signal auto-inducteur ; ce faisant, ils retardaient le moment où le quorum sera atteint et s'ils étaient assez nombreux, ils empêchaient que ce quorum ne soit jamais atteint, tout en entretenant un désordre au sein de la colonie[1]. Stuart A. West a inoculé in vivo des souris avec des Pseudomonas aeruginosa collaborant normalement grâce au système QS : les souris sont alors rapidement mortes de l'infection. Par contre en inoculant aux souris des bactéries mutantes et « asociales » (de la même espèce mais n'émettant aucun signal QS), l'infection ne provoquait la mort que d'une partie des souris. Quand il a inoculé un mélange des deux types de bactéries, le taux de mortalité est resté proche de celui généré par les seules bactéries « asociales » [1]. Ceci laisse envisager de nouveaux modes thérapeutiques[1].
Notes et références
- Stephen P. Diggle, Ashleigh S. Griffin, Genevieve S. Campbell1 & Stuart A. West ; Cooperation and conflict in quorum-sensing bacterial populations ; Nature 450, 411-414 (15 November 2007) ; doi:10.1038/nature06279;
Voir aussi
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