Déserts (Varèse)

Déserts (Varèse)
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Déserts pour orchestre et bandes magnétiques est une œuvre de musique électronique d'Edgard Varèse composée en 1954.

L'œuvre dure environ vingt cinq minutes.

Sommaire

Préambule

Depuis ses débuts de compositeur (vers 1915), Varèse était certain que l'électronique et les machines accompagneraient l'homme à la recherche d'un nouveau langage musical. Pensée visionnaire car il fallut attendre la fin des années 1940 et l'invention de la musique concrète (grâce notamment aux efforts de Pierre Schaeffer en France) d'une part, et celle, de la musique électronique (Karlheinz Stockhausen en Allemagne en est un des plus éminents créateurs) d'autre part, pour que naisse une musique ne venant pas d'un instrument ou d'une voix mais d'une autre provenance. La musique concrète consiste en des sons et bruits enregistrés qui sont ensuite compilés, mélangés, mixés et réarrangés sur une invention de l'époque: la bande magnétique. La Symphonie pour un homme seul (1950) de Schaeffer en est un bon exemple. La musique électronique emploie, elle, des sons "artificiels", qui n'existent pas dans la nature grâce à l'époque au générateur de fréquence et au modulateur en anneaux (aujourd'hui remplacés avantageusement par l'ordinateur). Glissendi (1957) de György Ligeti en donne une idée.

Presque immédiatement après leur naissance, ces musiques fusionnèrent pour former la musique acousmatique (on préfère ce terme à celui d'electro-acoustique) qui avait l'avantage d'élargir l'espace musical présent et l'inconvénient de supprimer l'interprète! (Puisque seul l'enregistrement et les instruments électroniques suffisent, comment convaincre le public de se déplacer pour ne voir aucun interprète sinon seulement un dispositif complexe?). On s'aperçut toutefois très vite de cette dérangeante limite et au milieu des années 1950, fut créée la musique "mixte" où les interpolations se joindraient à de la musique exécutée par un ensemble orchestral plus ou moins grand: réunion de la musique acousmatique et de la musique instrumentale. Ainsi il y aurait toujours des interprètes à voir dans les salles de concert.

Tout cela, Varèse l'avait pressenti trente ans auparavant. C'était donc un véritable précurseur. On a même pu dire sans trop de risques que si l'électronique avait existé en 1916, il aurait été le seul musicien capable de s'en servir[1]. Dommage qu'il fut trop en avance sur son temps!

Composition

Déserts est l'une des toutes premières si ce n'est la première œuvre du genre mixte. Aussi serait-il plus juste d'affirmer que c'est une œuvre de musique mixte car elle n'est pas exclusivement électronique. Varèse composa la partition en 1954 pour 14 instruments à vent, 5 percussions, 1 piano et un dispositif électro-acoustique dont les interpolations interviennent à trois reprises et interrompent les instruments qui d'un bout à l'autre de la pièce jouent une musique vive, dure, brutale, furieuse, tout à fait dans l'esprit de Varèse. Il avait enregistré les bruits primitifs des interpolations à Philadelphie, essentiellement des bruits urbains ou d'usines. Il dut cependant demander de l'aide à un pionnier de la musique concrète, Pierre Henry, pour "mélanger" les bruits des bandes. On peut ajouter que les interpolations de la création furent révisées et améliorées par la suite par le compositeur.

Comme toujours chez Varèse, la composition précède le titre. Il aurait choisi le nom sibyllin de Déserts car c'est un "mot magique qui suggère des correspondances à l'infini" pour citer l'auteur[2]

Création

La création eut lieu au Théâtre des Champs-Elysées le 2 décembre 1954 avec Pierre Henry à la bande magnétique et Hermann Scherchen au pupitre. Scherchen, prudent, et sachant bien que l'œuvre était risquée à jouer devant un public qui ne goûtait que très peu à la musique contemporaine avait décidé de l'encadrer par deux œuvres chères au public parisien: la Grande Ouverture en si bémol majeur (apocryphe) de Mozart et surtout la tant aimée Symphonie Pathétique de Tchaikovski. Ce dernier choix est un comble d'ironie quand on connait les circonstances de la création! Scherchen pensait ainsi atténuer la possible réaction du public devant une œuvre si révolutionnaire. Notons qu'il se disputa à l'occasion avec Varèse sur ce sujet qui aurait préféré qu'Anton Webern fut à l'honneur et non Mozart (qu'il n'aimait pas) et Tchaïkovski (qu'il haïssait). Evidemment, il aurait été suicidaire d'exécuter une telle œuvre d'un compositeur quasi inconnu en France (Varèse, bien que français, ayant vécu aux États-Unis. Il se fit même naturaliser) sans la présenter au préalable au public pour qu'il la comprît mieux; d'autant plus qu'une partie s'attendait à avoir affaire à un compositeur italien du XVIIIe siècle! Ce fut un jeune homme de 29 ans, dont les idées ne faisaient malheureusement pas encore parole d'évangile, qui s'en chargea: Pierre Boulez.

Nous sommes le soir du 2 décembre. Devant quinze cents personnes dont quelques personnalités comme André Malraux, Scherchen salue le public et plusieurs centaines de milliers de français, l'oreille collée contre leurs radios écoutent le public applaudir comme elle se doit l'Ouverture de Mozart et sont donc à cent lieues d'imaginer ce qui va se passer... Boulez dit ses (trop courtes) déclarations. Nous arrivons à la création de Déserts... Et par la même occasion à un des scandales les plus impressionnants de toute l'histoire de la musique! Dès les premières notes, rugueuses à souhait, le public siffle et les huées pleuvent de toutes parts mais lorsqu' arrive la première interpolation, il se déchaîne! Henry a beau augmenter le volume au maximum, le vacarme du public redouble: il rugit, hurle, pousse des cris d'animaux, demande le renvoi de Scherchen et surtout d'Henry, éreinte le compositeur et c'est à peine si l'on entend le moindre son (orchestral ou pas). Bientôt une bagarre générale éclate mais le chef, courageusement dirige l'oeuvre jusqu'au bout. Cependant, le chahut est tel qu'il aurait tout aussi bien pu abandonner: la musique s'effondre sous les cris de protestation d'un public survolté et sous les railleries des plus virulents d'entre eux. Un tel scandale n'avait plus été vu depuis la mémorable création du Sacre du Printemps de Stravinski le 29 mai 1913 ce qui pourrait faire douter de l'existence du hasard car le Sacre avait été créé dans cette même salle du Théâtre des Champs-Elysées!

A la fin de la pièce, ce ne sont evidemment pas des applaudissements qui traduiront la pensée du public mais bien quolibets et injures. On demande le renvoi de Henry et de Scherchen, mais celui-ci sauve la mise en enchaînant avec la Pathétique si adorée tandis que Varèse, dépité et rageur quitte la salle en compagnie de Iannis Xenakis qui l'avait accompagné.

Le lendemain, Varèse est impitoyablement massacré par la presse. Parmi les relevés des journaux plus ou moins féroces, on distingue cette perle: "Ce M. Varèse devrait être fusillé séance tenante. C'est le Dominici de la musique! Et puis non, ça ferait encore du bruit, il serait trop content. C'est la chaise électrique qui convient à cet "électrosymphoniste"...". Un autre critique a pu écrire : "Edgard Varèse, l'homme qui intègre à sa musique les bruits de notre temps, a intégré à son oeuvre "Déserts" les bruits de l'émeute que soulève son audition. Car tel est, aux Etats-Unis comme en France, le propre de l'oeuvre du compositeur : elle soulève les passions".

La réponse de Varèse ne se fait pas attendre: quelques jours plus tard, il est interviewé à la radio par Georges Charbonnier et lui dit qu'il pouvait comprendre qu'on puisse ne pas aimer sa musique mais il aurait fallu pouvoir l'écouter avant de la critiquer si violemment. En fait, il emploie une métaphore assez appétissante: "avant de vomir, il faut avaler!" (sic!). Il dira aussi, en réponse aux critiques acerbes "On peut dire que jusqu'à nos jours, la France a eu de grands musiciens. Elle n'a jamais eu de public musical!"[2]

Instrumentation

Instrumentation de Désert pour orchestre et bandes magnétiques
Bois
1 piccolo, 1 flûte,

1clarinette (si bémol), une clarinette basse

Cuivres
2 cors, 3 trompettes, 3 trombones, 2 tubas
Clavier
Piano
Percussions
16 tambours, vibraphone, cloches tubulaires, xylophone, glockenspiel
claves, güiro, maracas, block chinois, tambour (en bois), glockenspiel
Accessoires
Bandes magnétiques de son organisé

Citation

« Déserts devrait prendre place au premier rang de la musique contemporaine. Honneur au mérite de ce Brancusi de la musique (Igor Stravinski)[2] »

Lien externe

Notes et références

  1. Livret du CD consacré à Varèse par Pierre Boulez, enregistrement Sony Classical 1977-1984
  2. a, b et c 2 décembre 1954, la création de Déserts, article de Claude Samuel, revue Diapason d'avril 2009, p.54

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Déserts (Varèse) de Wikipédia en français (auteurs)

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