Déclamation

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La déclamation est lart vocal de lacteur, consistant à articuler les phrases entre parole et chant. Si, lorsquelle est connotée de façon positive, la déclamation est lart de faire valoir lidée exprimée par la voix, le geste et le jeu de la physionomie, elle désigne également, dans une connotation négative, lemploi de phrases pompeuses et vides, létalage dune éloquence boursouflée, et quon a appelé le style déclamatoire.

Lart de la déclamation a des principes communs à léloquence de la tribune, du barreau et de la chaire, et des règles particulières pour le théâtre.

Sommaire

Déclamation oratoire et anciennes déclamations de rhétorique

Démosthène sexerçant à la parole par Lecomte du Nouy.

La déclamation oratoire exige la connaissance des ressources de la voix, dont lorateur doit savoir régler le ton suivant le sens des paroles et leffet quelles sont destinées à produire ; le geste doit être le commentaire de la pensée, du sentiment, avec lesquels le visage doit se mettre lui-même en harmonie.

Suivant les anciens, laction, cette coopération du corps tout entier à lœuvre de la parole, est la partie essentielle de lart de lorateur, et Cicéron souscrivait à lavis de Démosthène, lun des dix orateurs attiques, sur ce point : « Sans laction, le meilleur orateur nobtiendra aucun succès ; par elle un médiocre remporte sur les plus habiles. »

Les intonations de la voix, comme le geste et le jeu de la physionomie, étaient soigneusement étudiés chez les Romains, à qui les Grecs servaient de modèles. La préoccupation de la forme et de la beauté extérieure et la disposition de la tribune lorateur apparaissait tout entier, les portaient à donner, dans leurs traités, le premier rang à lattitude du corps, du regard, à la main, au pied qui pouvaient avoir leur éloquence muette, soumise, dans les plus minutieux détails, à des règles déterminées. Bien que lélocution leur semble plus facile à posséder, ils ne négligeaient rien de ce qui pouvait augmenter les effets dun discours toutes les nuances sont rendues avec naturel, goût et mesure.

Alors même quelle ne sadresse quà loreille, la variété des inflexions ajoute encore à la puissance de la déclamation en tenant lauditoire attentif et comme sous le charme de la parole harmonieuse qui descend sur lui. Comme pour laction en général, la règle de limitation savante de la nature domine ici toutes les autres et laccord entre lâme et la voix doit être constant tout comme la proportion entre les sentiments, les passions et les intonations qui les traduisent doit être parfaite.

Un principe général était cher aux anciens : la parfaite maîtrise du sujet traité, le savoir seul habilité à conférer lautorité et la conscience de la dignité de la mission remplie étaient absolument nécessaires à lorateur, indépendamment de son habileté comme déclamateur. « Entendez lorateur parler au barreau, à la tribune, au sénat, dit Cicéron ; lors même quil ne fait pas usage des connaissances quil peut avoir acquises, vous distinguerez bientôt si cest un déclamateur qui ne sait rien au-delà de sa rhétorique, ou si cest un esprit éclairé qui sest formé à léloquence par les études les plus élevées. »

Létude de la déclamation a été, grâce à renseignement des rhéteurs et des grammairiens, portée si loin chez les Romains que les jeunes gens devenaient de bonne heure aptes à discourir amplement sur tout, sans pour cela posséder autre chose de lorateur que laction extérieure. Lart de la déclamation se joignait, pour atteindre ce but, à celui de limprovisation, et lui empruntait tons les moyens de faire illusion aux auditeurs. Cétait la déclamation des sophistes, discréditée par Socrate et par Démétrios de Phalère, remise depuis en vogue, quon enseignait à Rome, et ce fut par leurs exercices que Cicéron lui-même se forma, dans sa jeunesse, à léloquence.

Élevée à létat denseignement suivi, la pratique de la déclamation, fort utile pour habituer de jeunes esprits à appréhender le but dun discours et à en organiser rapidement les diverses parties, pouvait renforcer léloquence naturelle. Quintilien a dit qu’« Elle était comme une nourriture succulente qui donnait de lembonpoint et de léclat à léloquence, la rafraîchissait et renouvelait sa sève épuisée par la sécheresse des débats judiciaires. »

La déclamation, telle que lentendaient les rhéteurs latins, comprenait deux sortes damplifications, les unes appelées suasoriœ, développant un aphorisme de morale, une question dhistoire ou de politique ; les autres dites controversiœ, appartenant au genre judiciaire. Lorsquon fournissait le plan à lélève, on les appelait tractatœ et, lorsquon ne leur donnait que le sujet, coloratœ.

Il fut fait un tel abus de cet enseignement que, dès le temps des premiers empereurs, devenue un vain jeu, la déclamation jeta la défaveur sur léloquence véritable, digne et utile. Les instruments de musique, les flûtes surtout, ajoutèrent aux attraits de laction oratoire. Les imaginations surexcitées subirent les entraînements les plus dangereux, au détriment de la raison et du goût. Quintilien, Martial et Pétrone sont daccord sur les caractères de cette décadence de lart oratoire. Un recueil de Déclamations de Sénèque l'Ancien donne une idée du genre.

Lors de la renaissance des lettres anciennes en Europe, lengouement pour les exercices de la déclamation et les triomphes relativement faciles quils comportent, retarda les progrès de la culture intellectuelle. Les disputes qui obscurcissent tout à plaisir, tinrent la place des discussions qui éclairent, et les mots se substituèrent aux idées. Depuis ce temps, les amplifications ont remplacé dans renseignement les déclamations de lécole.

Déclamation théâtrale

Talma, réformateur de la déclamation au théâtre.

La déclamation théâtrale requiert autant détude que lancienne déclamation oratoire. Elle requiert aussi plus daptitudes naturelles. Dans la substitution de lacteur au personnage historique, ou linvention quil représente, lacteur a un effort à accomplir qui lui ne permet pas de rester aisément dans le naturel exige par lart. Lexigence de fidélité du naturel représente elle-même un péril, qui peut à tout moment faire tomber lacteur qui sy abandonnait dans des situations outrées à la scène. Lacteur Roscius considérait comme le point capital de la déclamation théâtrale de demeurer décent, au milieu de la joie, de la colère ou du désespoir. Létude de son rôle par lacteur lentraîne à donner à toutes ses paroles une vérité, une justesse dintonation qui ajoutent encore au sens quelles présentent et produisent lillusion aux yeux des spectateurs.

La déclamation théâtrale des anciens était notée et accompagnée dinstruments. Elle pouvait être aisément figurée à laide du grand nombre de caractères qui servaient à écrire la musique : Burette en a compté jusquà 1620. Mais on ne sait pas si cette notation se bornait aux chœurs, ou si le dialogue lui-même en était affecté. Ce quil y a de certain, cest que, la tragédie primitive nétant quune sorte de chœur, la déclamation tragique fut dabord un chant. Quant à laction, elle ne pouvait, sur le théâtre antique, saider de lexpression du visage, à cause des masques qui étaient en usage.

Déclamation baroque

Article détaillé : Déclamation baroque.

La déclamation théâtrale se considère à plusieurs points de vue, suivant que lœuvre représentée est tragique ou comique, ou quelle est écrite en vers ou en prose. Il y a, pour le vers surtout, une nuance de ton particulière à la scène, et qui, sans être le langage parlé, nest pas non plus la déclamation au sens négatif, la déclamation prosodique qui domina au Théâtre-Français jusquà la Révolution.

Lacteur ne saurait adopter le parler naturel, sans effacer dans une composition en vers une partie du travail du poète. Le caractère idéal de la tragédie ne peut pas ne pas se faire sentir dans le langage, et le ton du tragédien se rapproche, suivant lintention marquée par lauteur de lœuvre, tantôt de la déclamation lyrique, tantôt de la narration épique. Dans le genre comique, la récitation parlée nest pas plus admissible, chez Molière par exemple, pour le vers qui, ayant sa raison dêtre, exige que lacteur lui maintienne, et pourtant sans affectation, dune manière sensible, son mètre et son harmonie. Le plus ou moins dexpression ou de chaleur dans le débit constitue le familier, le convenable, lemphase ; le jugement, non moins que le sentiment, guide lacteur dans les nuances de ton, mais cest à travers le code particulier de la déclamation que les paroles trouvent leur véritable poids. Une prononciation nette et une connaissance exacte de la prosodie ne suffisent pas pour arriver à une parfaite diction au théâtre, ainsi que le montre cet extrait du traité de Bénigne de Bacilly, Remarques curieuses sur lart de bien chanter (1668:

« Il y a une Prononciation simple qui est pour faire entendre nettement les Paroles, en sorte que lAuditeur puisse les comprendre distinctement et sans peine ; mais il y en a une autre plus forte et plus énergique, qui consiste à donner le poids aux Paroles que lon récite, et qui a un grand rapport avec celle qui se fait sur le Theatre et lors quil est question de parler en Public, que lon nomme dordinaire Declamation[1]. »

Selon certains commentateurs, au XVIIe siècle, la mode au théâtre aurait été au débit emphatique et monotone. Molière aurait critiqué cette habitude de déclamation théâtrale, lacteur Baron, guidé par ses conseils, laurait réformée avec succès avant que Lecouvreur, Lekain, Molé, Fleury, Talma, Mademoiselle Mars et Rachel nachèvent de substituer la vérité au convenu. Cette vue caricaturale dune cabale, qui vient dune culture purement livresque sans aucun travail pratique sur la déclamation baroque, montre surtout lignorance, chez certains commentateurs de ce quétait réellement la déclamation baroque et lart baroque en général, qui ne se définit pas par la recherche du naturel[2].

Note

  1. Bénigne de Bacilly, Remarques curieuses sur lart de bien chanter, Paris, 1668 (rééd. 1679), p. 327-8, cité dans La Parole baroque p. 85.
  2. Pour rendre justice à Molière et à la déclamation baroque, voir le Bourgeois gentilhomme, comédie-ballet de Molière et Lully, ensemble Le Poème harmonique, direction Vincent Dumestre, double DVD, éditions Alpha, 2005. Un film documentaire sur le travail technique éclaire la démarche. Dossier avec présentation du travail technique.

Source

  • Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, 1876, p. 587-9

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Déclamation de Wikipédia en français (auteurs)

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