Domesday Book

Domesday Book

Le Domesday Book (ou simplement Domesday), en français Livre du Jugement Dernier[1], est lenregistrement du grand inventaire de lAngleterre terminé en 1086, réalisé pour Guillaume le Conquérant, léquivalent de nos jours dun recensement national.

Le Domesday Book. Dessin de William Andrews, 1900.

Guillaume avait besoin de renseignements sur le pays quil venait de conquérir pour pouvoir ladministrer. Alors quil passait Noël à Gloucester en 1085, le Conquérant « ayant parlé longuement avec ses conseillers, envoya des hommes par toute lAngleterre […] afin de découvrir […] ce que - ou bien combien - chaque propriétaire foncier possédait en terre et en bétail, et combien il valait » (Chronique anglo-saxonne). Lun des buts de ce relevé était de savoir qui possédait quoi, afin de le taxer. La décision des contrôleurs était définitivetout ce que disait ce livre à propos du propriétaire, ou de lestimation de sa propriété, était la loi et il ny avait pas dappel possible. Il a été rédigé en latin, bien que quelques mots vernaculaires fussent compris pour traduire les termes indigènes sans équivalent autrefois employé en latin. Dailleurs, le texte était extrêmement abrégé.

Quand on désigna ce livre sous le titre de Domesday (équivalent en moyen anglais du moderne Doomsday[2]) en 1180, cétait avec lintention de mettre laccent sur le caractère définitif et sur lautorité de celui-ci (lanalogie fait allusion à la croyance chrétienne dun jour du jugement)[3],[4]

En août 2006, les Archives nationales anglaises ont rendu disponible une version du Domesday Book en ligne et en anglais.

Sommaire

Forme, contenu et compilation

Format du Domesday

Une page du manuscrit.

En fait, le Domesday Book consiste en deux œuvres indépendantes : lune, dite Little Domesday (« Petit Domesday ») comprend des renseignements à propos du Norfolk, du Suffolk et dEssex. Lautre, dite Great Domesday (« Grand Domesday ») concerne le reste de lAngleterre, excepté les territoires au nord qui plus tard deviendront les comtés de Westmorland, Cumberland, Northumberland et Durham (partiellement parce que quelques-uns de ces territoires étaient sous contrôle écossais). Il ny a aucun recensement de Londres ni de Winchester ; quelques autres villes ont aussi échappé à linventaire. Lomission de ces deux villes majeures est probablement due à leur taille et à leur complexité ; le Cumberland, qui ne fut occupé militairement que quelque temps après lenquête, est absent pour cette raison même ; de même, seul le Prince-évêque Guillaume de Saint-Calais était en droit de taxer Durham. Lomission des autres comtés ne sexplique pas complètement.

Malgré son nom, « Little Domesday » est en fait le plus volumineux des deux recueils : il est plus détaillé et fournit le dénombrement du cheptel. Il a été suggéré que Little Domesday représentait une première étape du recensement, à lissue de laquelle les autorités ont jugé impossible, ou au moins inopportun, de poursuivre le Great Domesday dune façon similaire.

Contenu du Domesday

Dans les deux livres, linventaire des ressources est classé selon les fiefs, et non daprès la géographie. Au lieu dapparaître sous les « hundreds » (cest-à-dire les « centuries », ou districts ruraux gallo-romains) et cantons, les propriétés apparaissent sous les noms des barons locaux, cest-à-dire ceux qui tiennent le territoire directement de la couronne en redevance.

Dans chaque comté, la liste souvre sur les possessions du roi lui-même (qui ont faire lobjet dun inventaire séparé) ; puis il y a celles du clergé et des ordres religieux ; ensuite celles des propriétaires in capite laïcs (les barons) ; et finalement celles des femmes, des serviteurs du roi (servientes), de quelques thegns angles qui conservaient de la propriété, etc.

Dans certains comtés un ou plusieurs villages sont recensés séparément ; dans quelques autres les clamores (titres de propriété disputés) étaient pareillement traités à part : mais cette description sapplique plus particulièrement au premier volume ; dans le « Great Domesday », le système est plus confus, lexécution moins aboutie.

Outre les propriétés totalement rurales, qui constituent la grosse majorité de linventaire, le livre contient des articles intéressants sur la plupart des villes, probablement en raison des droits féodaux qui y étaient prélevés par la couronne. Ces impôts comprennent les anciens droits coutumiers, le droit dost, le droit de marché et de foire, le droit de monnaie et ainsi de suite. La Couronne percevait également nombre dimpôts en nature (comme la fourniture de miel) auprès des bourgs, des comtés et des nombreuses seigneuries anciennes qui appartenaient au roi.

On trouve ainsi dans le « Little Domesday » de précieuses indications sur lhistoire politique, personnelle, ecclésiastique et sociale. Mais ce ne sont le plus souvent que simples allusions ou des commentaires de circonstance. Bien quunique dans son genre et dune valeur inestimable pour létudiant, ce livre sera trouvé décevant et largement illisible sauf par un spécialiste. Même des savants furent incapables dexpliquer des portions de son langage et de son système. Cela est en partie à sa date très précoce, la liaison sémantique par rapport à ceux réalisés plus tard après une longue période est difficile.

Mais dans le Dialogus de scaccario (rédigé sous Henri II) on en parle comme dune référence absolue (d son appellation populaire de « livre du Jugement Dernier », traduction du titre anglais). Au Moyen Âge, son autorité était fréquemment invoquée dans les tribunaux, et encore de nos jours il y a certains cas dans lequel on le consulte.

Pour le géomètre comme pour le généalogiste, il constitue une source documentaire essentielle, car non seulement il fournit la plus ancienne référence du nom dun village ou dun manoir, mais il donne dans la majorité des cas le nom des héritiers. E. A. Freeman en a utilisé la plupart pour son travail sur la conquête normande[5].

Le recensement (1085-1086)

La Chronique anglo-saxonne révèle que le principe de ce recensement a été discuté et déterminé en 1085, et du colophon du livre, on sait que lenquête a été terminée en 1086. Mais le livre (liber) bien que compilé depuis les résultats de cette enquête, doit en être méticuleusement séparé ; il nest pas non plus certain quil ait été mit en forme lannée linventaire fut fait.

Pour la mise en œuvre du recensement, chaque comté fut visité par un groupe dofficiers royaux (legati), qui tinrent une enquête publique, probablement dans la grande assemblée connue comme la cour du comté, les représentants de chaque village venaient tout comme les seigneurs locaux. Lunité denquête était le hundred ou « centurie », (une subdivision du comté qui était alors une entité administrative), et le résultat de chaque centurie était garanti par douze administrateurs qui témoignaient sous serment de son intégrité — la moitié dentre eux Anglais et lautre Normands.

Ce que lon croit être une transcription complète de ces résultats originaux est préservé pour plusieurs des centuries du Cambridgeshire, et est dune grande importance pour illustrer. LInquisitio Eliensis, lExon Domesday (ainsi appelé car le volume est conservé à Exeter), et le second volume du livre, contiennent exactement les mêmes informations que le Domesday.

Un outil aux mains du prince

Détail du manuscrit.

Lon dispose de trois sources dinformation pour lobjet du recensement :

  1. Un passage dans la Chronique anglo-saxonne, laquelle nous indique pourquoi il a été commandé,
  2. La liste des questions posées aux responsables, préservée dans l'Inquisitio Eliensis, et
  3. Le contenu du livre et des enregistrements associés mentionnés ci-dessus.

Bien que ces sources divergent dans le détail, il est désormais généralement reconnu que le premier objectif du recensement était de garantir et répertorier les ressources fiscales du royaume. Elles comprenaient surtout

  1. La taxe foncière nationale (geldum), payée sur une évaluation fixe,
  2. divers droits daccise, et
  3. les redevances des terres de la couronne.

Après une grande convulsion politique comme la conquête normande, et la confiscation globale des biens fonciers qui suivit, il était de lintérêt de Guillaume de garantir que les droits de la couronne, dont il affirmait avoir hérité, navaient pas pâti des événements. Plus particulièrement visée : la volonté des successeurs normands de ne pas s'encombrer des obligations de leurs prédécesseurs anglais.

Ce recensement prit donc note des noms des nouveaux titulaires des terres et les évaluations sur lesquelles leurs taxes devraient être payées. Mais il fit plus que cela : suivant les instructions du roi, il essaya de dresser une liste nationale dévaluation, destimer la valeur annuelle du territoire national :

  1. au temps de la mort dÉdouard le Confesseur,
  2. quand les nouveaux propriétaires les reçurent,
  3. au temps de lenquête

Plus tard, il calcula, par commande, la valeur potentielle aussi. Il est évident que Guillaume désirait connaître les ressources financières de son royaume, et probablement voulait-il les comparer avec leur évaluation existante, qui était très ancienne, bien quil y ait des traces quelle eût été modifié ponctuellement. La plus grande partie du livre est consacrée à des détails assez arides dévaluation et destimation des biens ruraux, qui étaient alors la seule source importante de la richesse nationale. Après lévaluation du manoir, le registre notait la quantité de terres arables, et le nombre déquipes de laboureurs (tous calculé par groupe de huit bœufs) disponibles pour travailler, avec le nombre additionnel (sil y en avait) qui pouvait y être employé ; puis les rivières-prairies, bois, pâturages, pêcheries (cest-à-dire petits barrages dans les ruisseaux), moulins, salines (pour les bords de mer) et autres sources subsidiaires de revenu ; les paysans étaient répertoriés en plusieurs classes ; et finalement la valeur de lensemble, passé et présent, est estimée grossièrement.

Il est évident que, à la fois en valeurs et en mesurages, les résultats du recensement sont très grossiers.

Le réarrangement, sur une base féodale, des résultats originaux (comme décrit ci-dessus) permit au conquérant et à ses officiers de voir avec facilité non seulement létendue des possessions dun baron, mais aussi de dénombrer et même de nommer ses serfs. Cela était dune grande importance pour Guillaume, tant pour des raisons militaires qu'à cause de sa volonté tenace de contraindre les habitants à lui prêter directement serment d'allégeance (bien que d'abord « serfs » de leur seigneur). Comme le Domesday enregistre normalement seulement les prénoms des gens dépendant du seigneur, il est vain d'y chercher les noms des familles se réclamant dune origine normande ; mais beaucoup a été et est encore fait pour identifier les serfs, dont la grande partie portent des noms étrangers.

Transmission du Domesday Book

Du Moyen Âge au XIXe siècle

Le Domesday Book fut longtemps conservé avec le Trésor de la Couronne au château de Winchester (la capitale des rois normands). On le désignait alors comme le Livre de Winchester, et une édition ultérieure lui donne le titre de Liber de Winlonia. Quand le Trésor fut déplacé à Westminster, probablement sous le règne dHenri II Plantagenêt, le livre laccompagna. De 1696 jusque sous le règne de la reine Victoria, il fut donc conservé dans la maison du Chapitre cathédral de Westminster, et sorti seulement dans des circonstances particulières, comme lorsquon en fit une reproduction photozincographique à Southampton.

Il fut placé ultérieurement dans le Bureau d'enregistrement public à Londres. On peut aujourdhui ladmirer à travers une vitrine dans le musée des Archives nationales, à Kew. En 1869 il fut doté dune reliure moderne.

Limpression du livre, en « mode enregistrement », fut commencée par le gouvernement en 1773, et le livre fut publié, en deux volumes en 1783 ; en 1811 un volume dindex fut ajouté, et en 1816 un volume supplémentaire, indexé séparément, contenant :

  1. L'Exon Domesday (pour les comtés du sud ouest),
  2. L'Inquisitio Eliensis,
  3. Le Liber Winton (recensement de Winchester au début du XIIe siècle), et
  4. Le livre Boldon — un relevé de lévêché de Durham un siècle après Domesday.

Des facsimilés photographiques du Domesday, pour chaque comté séparément, furent publiés en 18611863, également à linitiative du gouvernement.

Pour les neuf cents ans de louvrage, en 1986, les deux livres furent à nouveau reliés, le Great Domesday étant relié en deux volumes et le Little Domesday en trois volumes. Lancien coffre était conservé le Domesday est aussi conservé au musée de Kew.

Le projet de numérisation de 1985

Pour marquer le neuf centième anniversaire de ce livre en 1985, une nouvelle édition multimédia fut compilée et publiée en 1986. Elle incluait toute linformation de loriginal plus les prononciations contemporaines des noms des lieux, des cartes et beaucoup de photos en couleur.

Il était produit en partenariat entre Acorn, Philips et la BBC. Le Disque de la BBC sur le projet communautaire Domesday ou Disque national fut publié sur deux disques laser au format (LV-ROM) de Philips. Acorn lança une version du microordinateur BBC capable de lire ce format de disque.

En 2002 il y avait de grandes craintes que le disque devienne illisible car les ordinateurs capables de lire ce format devenaient rares (et les lecteurs capables daccéder aux disques, encore plus rares et fragiles). Cependant la BBC annonça plus tard que le projet CAMILEON (un partenariat entre luniversité de Leeds et luniversité du Michigan avait développé un système capable daccéder aux disques et leurs informations en utilisant une technique démulation. Ce programme nest pas encore librement accessible, à cause de problèmes de droits dauteur.

Voir aussi

Notes et références

  1. Le nom est une ancienne forme de Doomsday, le 'jour du Jugement Dernier'. Ce nom lui fut attribué de manière informelle par les Anglais au XIe siècle, en raison de la « nature irréversible de linformation ainsi collectée », ainsi que de sa quantité. Il ne fut adopté plus officiellement qu'au XIIe siècle. ("Why is it called the 'Domesday' Book?", site web officiel du Domesday Book)
  2. David Frame Johnson, Elaine M. Treharne, Readings in Medieval Texts: Interpreting Old and Middle English Literature, Oxford University Press, 2005, p94. (ISBN 0199261636).
  3. "Discover Domesday", site web officiel des Archives nationales du gouvernement britannique
  4. Richard Fitz Nigel, trésorier du roi Henri II, expliquait ainsi : « Les Anglais indigènes appellent ce livre Domesdai, le Livre du Jugement Dernier, de manière métaphorique. Car, alors quil est impossible déchapper à la sentence de cet ultime, strict et terrible jugement, par quelque subterfuge que ce soit, ce livre, de même, délivre un jugement qui ne peut être annulé ni écarté impunément, lorsque lon fait appel à lui pour les sujets dont il traite ». ("The Domesday Book", Victoria King, History Magazine, oct/nov 2001)
  5. Cf. Edward A. Freeman, History of the Norman Conquest, Oxford at the Clarendon Press, 1867 (réimpr. 1879), 6 vols [lire en ligne] .

Liens internes

Liens externes

Sur les autres projets Wikimedia :

  1. (en) Domesday Book Online
  2. (en) Domesday Project information — décrivant le statut actuel
  3. (en) site du projet CAMiLEON
  4. (en) National archives. Contenu numérisé, guides, jeux.

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