- Differentes approches du phenomene islamiste
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Différentes approches du phénomène islamiste
Sommaire
L'islamisme comme développement local d'un phénomène global
C'est la thèse de Gilles Kepel. Avec le succès des mouvements nationalistes, le domaine politique semblait être soumis à la même logique occidentale de division entre politique et religieux. Dans les années 1960, le climat est progressiste, il est donc difficile de faire passer un message exclusif sur les textes sacrés.
À la fin des années 1970, on assiste à un renversement de cette logique et à l'émergence d'un nouveau discours religieux, pas pour s'adapter à une société séculière, mais pour redonner un fondement sacré à l'organisation de la société. Il ne faut pas s'adapter à la modernité mais il faut réinvestir la modernité pour lui donner un fondement sacré. La modernité n'a pas su engendrer de valeurs et a entraîné des échecs politiques et économiques. Ce phénomène ne touche pas que des territoires musulmans, mais aussi l'Inde, avec le regain de vitalité de l'hindouisme, et les pays occidentaux (dont la France avec les débats autour de l'école et le film La dernière tentation du Christ de Scorsese).
L'islamisation de la modernité
La société islamiste est présentée comme meilleure et plus juste. Le rôle des États n'est pas anodin :
- on assiste à une instrumentalisation des forces islamistes, souvent en force d'appoint contre l'extrême gauche ;
- ou bien le rôle des États est indirect, mais par une politique d'arabisation, en faisant venir des instituteurs du Moyen-Orient, ils mettent en scène les mouvements islamistes.
Il y a aussi une alliance entre jeune habitant des des bidonvilles, des étudiants et une certaine bourgeoisie, d'où un phénomène d'islamisation par le bas, propre aux islamistes, qui fait la différence avec les autres groupes contestataires.
Islamisation par le haut et par le bas
Les islamistes quadrillent la société civile par les réseaux de mosquées et d'association piétistes :
- bidonvilles : la modernisation a provoqué un fort exode rural, et donc l'installation de communautés villageoises traditionnelles en ville. Face à cette explosion démographique urbaine, les infrastructures ne suffisent pas. Dans les nouveaux quartiers, avant l'infrastructure laïque, les mosquées et les associations religieuses caritatives structurent la vie sociale, par l'aide et l'encadrement de la population.
- Universités : elles constituent un terrain sensible à la suite des bouleversements dus à la modernisation. Le gouvernement favorise l'éducation et donc l'accès à la faculté pour tous, mais les infrastructures ne suivent pas l'explosion démographique (les amphithéatres sont bondés, les cours de rattrapages deviennent payants…). Là encore, les mouvements religieux organisent des révisions dans les mosquées et multiplient les services aux étudiants.
- Bourgeoisie et classes moyennes : les descendants de familles bourgeoises marginalisés pendant la décolonisation et des médecins, des ingénieurs ou des hommes d'affaires, partis travailler à l'étranger qui se sont enrichis (dans les pays pétroliers conservateurs) mais se trouvent exclus du jeu une fois rentrés.
Une production politique de la modernité
L'islamisme prend racine dans la dynamique ancienne de la colonisation
Il existe aussi une vision sociale et économique de l'islamisme : l'islamisation est un produit de la modernité car elle est issue de l'échec de la modernité. L'exclusion de beaucoup de personnes de la modernité entraîne un retour au religieux pour se reconstruire une identité dans un monde aliénant et indéchiffrable. Ces mouvements sont financés par les pétrodollars de la péninsule arabique, favorisant une propagation de l'islam par des groupes islamistes.
La voix du Sud
C'est la thèse de François Burgat, qui cherche à recontextualiser l'islamisation dans les rapport Nord-Sud, comme conséquence de la décolonisation. Ce n'est pas un phénomène local d'un mouvement plus global.
Dans les années 1970, l'Occident n'est plus le seul producteur des certitudes idéologiques. Le dualisme de l'Occident entre ses théories et ses pratiques sur des principes dits universels prête le flanc à la critique. La question dépasse le retour au sacré. L'islamisme met en jeu la « restauration de tout un ordre symbolique déchu ». L'islamisation est la troisième phase de la décolonisation, après l'indépendance politique et économique, phase d'indépendance culturelle. Ce n'est pas un repli culturel face à la modernité occidentale, mais c'est une autonomie pour trouver ce qui peut lier le spécifique à l'universel.
Le rejet de l'Occident se manifeste par le rejet de son langage. Les islamistes ont recours à un stock de référents perçus comme vierge de toute influence extérieure, ce qui rend leur discours efficace. De plus, la dynamique identitaire croise une dynamique banale d'opposition. Les monarchies du Maroc, d'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont présents sur le terrain des valeurs religieuses (plus que l'Algérie, l'Égypte, le Yémen, qui ont une idéologie socialiste voire marxiste). Les gouvernements ont cherché à garder cette référence religieuse pour avoir une légitimité, allant même jusqu'à une instrumentalisation pour contrer les opposants. Peu à peu, la « part du gâteau islamiste » revenant au gouvernement a baissé au profit des opposants. Ceci parce que les régimes arabes sont soumis à une forte usure due à la longévité au pouvoir des dirigeants.
L'islamisme n'est pas tant une production de la faillite de la modernité, qu'une tentative de réappropriation de la modernité par le Sud. Ce n'est plus seulement l'angle économique qui compte, mais c'est surtout l'angle identitaire et politique. Importance du projet islamiste, car même s'il reste flou, il comporte une dimension utopique et peut être mobilisé dans une dynamique d'opposition.
L'échec de l'islam politique
C'est la thèse d'Olivier Roy. Il admet la thèse de l'islamisation par le bas, mais lui ajoute l'échec du passage au politique, échec de sa conquête du pouvoir. Actuellement, on assiste à forte banalisation et à un fort affaiblissement de l'objet islamiste dans le sens de projet politique.
Les islamistes au pouvoir
Parfois les islamistes réussissent à gagner les élections comme en Turquie et au Maroc, mais jamais à la majorité absolue (sauf pour l'AKP), et ils doivent donc avoir une gestion pragmatique du pouvoir.
L'Adalet ve Kalkınma Partisi (AKP) en Turquie n'a pas une réelle gestion islamiste. Au Maroc, la gestion des islamistes est sous le contrôle du roi. Ces forces sont donc éloignées de la mise en place d'un État islamiste. Souvent, elles ne parviennent pas à se faire entendre dans le monde politique (élections non-libres donc ils ne peuvent pas prendre le pouvoir). L'impossibilité de prendre le pouvoir a été intériorisée, les électeurs ayant peur de la violence islamiste. Le cas algérien est souvent montré comme une impasse. Il existe quand même des groupes extrémistes, mais ils sont marginalisés et sont des pions aux mains de l'État.
Dans les sociétés occidentales, il n'y a que des minorités musulmanes. Ces communautés ont intériorisé la sécularisation, voire la laïcité de ces sociétés, selon Olivier Roy. La religion est détachée de tout objectif de quête d'un État islamique.
L'action politique des islamistes n'a jamais abouti à la mise en place d'un État islamique. Soit leur action a trouvé une logique étatique (en Iran), soit une logique de segmentation traditionnelle (en Afghanistan), soit a mené à un renforcement de l'État-nation par l'intégration au jeu politique. La dynamique sociale reste forte, mais se coupe du projet d'un État futur et va plus dans le sens d'une individualisation des pratiques ou d'un espace communautaire fermé. Échec de l'islam politique car échec de l'État islamique.
L'échec de la voie révolutionnaire : le cas de l'Iran
Cas particulier : l'Iran, qui est le premier État produit par le discours islamiste et le premier État qui a subi les effets de l'usure du pouvoir. Les exigences de l'action gouvernementale ont eu des effets et parmi eux, la logique politique qui a pris le pas sur la logique religieuse.
Khomeiny a réussi à définir l'État islamiste dans lequel le chef de l'autorité religieuse est le chef de l'autorité suprême. Ce guide est au-dessus de toutes les institutions car il est le représentant de l'imam caché, et n'est pas le représentant du clergé. Il y a un ordre politique qui ne s'abolit pas devant la mise en œuvre de la loi islamique, la charia. L'intérêt de l'avancement de la révolution peut ignorer certains principes de la charia. Le guide suprême doit interpréter le religieux et donc il peut être amené à ignorer des principes de la charia.
L'édifice institutionnel et l'édifice étatique à l'issue de la révolution sont une constitution qui organise réellement le fonctionnement des institutions. La légitimité de la constitution n'est donc pas fondée que sur la charia, mais aussi sur la volonté populaire. Le choix du guide est fait par les grands ayatollahs qui sont une assemblée élue par le peuple. La volonté du peuple et celle de Dieu sont en adéquation. S'il n'y a pas de guide à un moment donné, les institutions sont là pour pallier son absence. Le suffrage populaire est un moyen de légitimer la prise de pouvoir par un homme. C'est la constitution qui fixe la Charia. Il y a un « conseil des gardiens de la constitution ». L'État développe un droit positif qui devient islamique parce que l'État est lui-même islamique. La charia n'est pas le seul fondement de la norme. On retrouve la configuration moderne d'un État, où l'État est la source du droit et de sa propre légitimité. Il définit la place du religieux et pas l'inverse
Le parlement a introduit des peines symboliques de la charia et le juge doit se référer aux lois du parlement
Il y a une prééminence du guide religieux sur les questions religieuses. Khomeiny politise le religieux par la promotion de clercs selon leur allégeance politique, et évite les ayatollahs pour éviter la collégialité.
L'après-Khomeiny, mort en juin 1989, marque la fin de la structure révolutionnaire où le sommet de l'institution cléricale correspond au sommet de l'institution étatique. À sa suite, lui succède Ali Khamenei en tant que chef spirituel (jusque-là, c'était le président de la République). Il y a donc dissociation entre les fonctions religieuse et politique.
La fonction politique acquiert une grande indépendance : élection de 1997 de Khatami, du courant réformateur, au suffrage universel, avec 69 % des voix. Il a été réélu en 2001 avec 77 %. Le parlement est majoritairement réformateur. L'arrivée au pouvoir des réformateurs montre que les institutions de la République fonctionnent et permettent un jeu politique ouvert, permettant l'alternance. Khatami prône les libertés et la démocratie, qui ne sont pas contraires à l'islam. Le projet est l'État de droit. Il souhaite une ouverture politique à la société civile. La presse a connu une période faste, une liberté jamais atteinte avant, et la multiplication des titres, pendant ses première années au pouvoir.
Le régime a aussi la « nostalgie » du système de Khomeini, les conservateurs qui se veulent les gardiens de la révolution. Ils sont présents dans le pouvoir judiciaire et dans le conseil des gardiens de la constitution. Mais ils sont en position de faiblesse car ils sont gardiens de l'héritage révolutionnaire et donc ne représentent pas des forces politiques structurées, ni des intérêts économiques.
La thèse de Olivier Roy pose des questions : les conservateurs ne sont-ils qu'une force politique parmi d'autres ou ont-ils une influence très forte sur le système car fortement présents dans les rouages du système ? Khatami a une volonté de réformer le système, il a dénoncé les abus de pouvoir, cherché à amender la constitution pour limiter les pouvoirs du conseil des gardiens et pour élargir les pouvoirs présidentielles, tentatives de réformes approuvées par le parlement, mais elles n'ont pas vu le jour car refusées par le conseil qui a le rôle d'une espèce de Conseil Constitutionnel.
Le système actuel mène à un blocage politique, le jeu politique ne peut fonctionner. La constitution prévoit un conseil de défense de la raison d'État pour l'arbitrage entre le conseil des gardiens et le parlement, en cas de blocage. Il peut se substituer au parlement et légiférer. Ce conseil est aussi aux mains des conservateurs, actuellement. De plus, l'institution du guide suprême est aussi conservatrice. Le pouvoir judiciaire aussi, qui joue un rôle important dans la suspension de quotidiens et dans la condamnation d'hommes politiques réformateurs, de religieux et d'intellectuels. Aujourd'hui, le parlement est gagné par les conservateurs.
La gestion pragmatique du pouvoir : l'AKP en Turquie
Le problème est apparu lors des élections législatives en 2002, où l'AKP, parti de la justice et du développement a eu 34 % des voix dans un système proportionnel. Ce parti très récent est issu d'une scission au sein d'une mouvance islamiste en 2001, suite à l'interdiction du parti islamiste précédent. La scission a eu lieu entre le parti du bonheur (=frange conservatrice et traditionnelle) dans lequel on retrouve Erbakan ; et l'AKP (rénovateurs), avec Erdogan à sa tête (l'actuel Premier ministre). L'AKP est récent mais est l'héritier d'une longue tradition de partis islamistes sous la houlette de Erbakan, depuis les années 1960. Il est aussi l'héritier d'une tradition plus large que la tradition islamiste, qui renvoie à un électorat de population issue de la province, qui a un comportement plutôt traditionaliste et conservateur tout en aspirant à une ascension sociale. Cet électorat avait porté au pouvoir un parti démocrate : premier parti au moment de l'ouverture de la Turquie au multipartisme, en 1946.
Les islamistes ont déjà connu le pouvoir avant l'AKP, dans les années 1980 : Refah Partisi, le R.P., force de plus en plus importante dans le jeu politique, qui parvient en 1991 à entrer au parlement avec 16 % des suffrages, grâce à une alliance avec l'extrême droite. Il obtient également la victoire aux élections municipales en 1994, à Istanbul et Ankara. Lors des législatives de 1995 : le R.P obtient 22 % des voix et devient le premier parti du parlement dans une coalition pour former le gouvernement.
Le 27 février 1997, à la faveur d'un « coup d'État en douceur », le conseil national de sécurité a fait pression pour que le gouvernement démissionne, qu'Erbakan sorte du jeu politique et que Refah soit dissout. Le chef du parti au pouvoir menait une politique anti-laïque et donc portait atteinte à un principe fondamental du régime turc. Le Refah rejetait en effet les valeurs du kémalisme et utilisait une forte rhétorique religieuse mais n'avait pas de volonté d'application de la Charia, et voulait faire de la justice sociale un principe de gouvernement. Il avait un discours militant profane, incluant des slogans anti-impérialistes et tiers-mondistes. Le Refah au gouvernement a eu une politique soucieuse de préserver les intérêts de la Turquie, tout en ayant peu de marge de manœuvre car gouvernant au sein d'une coalition, garante du respect de la laïcité. Le Refah a donc du accepter de revenir sur son idéologie pour garder le pouvoir. Le Refah, considéré comme un danger par l'appareil militaire, n'a pas pu avoir une politique différente des autres partis et a avant tout joué la carte de la gestion, sans réformer le système, ni réduire le chômage. Il n'a pas non plus eu une gestion différente du problème kurde, ni remis en cause l'alliance de la Turquie avec Israël.
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