Abbaye de thélème

Abbaye de thélème

Abbaye de Thélème

L'abbaye de Thélème (Thélème signifie « bon vouloir » en grec) est une abbaye utopique décrite par Rabelais à la fin de Gargantua (à partir du chapitre 54). Rabelais, moine de son état, connaît bien la vie monacale, et dans la description de cette abbaye fictive il expose son idée d'une abbaye humaniste où de beaux jeunes gens, des deux sexes, viendraient étudier dans un cadre de vie idéal. Un grand amphithéâtre, à l'actuelle Université de Tours porte le nom de Thélème.

Sommaire

Résumé

Le pays de Gargantua est ravagé par une guerre née de l’humeur ambitieuse de Picrochole, voisin de Grandgousier (père de Gargantua). Frère Jean des Entommeures, moine « hardi, aventureux, haut, maigre, bien fendu de gueule, bien avantagé de nez … » va résister à Picrochole et se battre aux côtés de Gargantua. Pour le récompenser d’avoir vaillamment combattu à ses côtés, Gargantua lui fait bâtir l’abbaye de Thélème, magnifique château destiné à la vie en commun de jeunes gens des deux sexes, beaux, riches, bien nés et qui se soumettent à l‘unique règle de la maison « Fais ce que voudras ». S’agit-il d’une abbaye déjà existante, par exemple celle de Seuilly ? Impossible de le savoir.

Quoi qu’il en soit, Frère Jean n’en veut à aucun prix : « Car comment pourrais-je, dit-il, gouverner autrui, qui moi-même gouverner ne saurais ? ». C’est dans cette remarque, frappée au coin du plus authentique bon sens, que réside le secret de Thélème. Jusqu’ici dans les monastères, les religieux étaient soumis à une règle sévère, qui leur dictait leurs faits et gestes, ne laissant au libre arbitre, à l’initiative individuelle, aucune chance de s'exercer. Tout en irait autrement si, dans une abbaye créée selon des principes exactement contraires, on traitait les gens en adultes libres et responsables, capables de se gouverner eux-mêmes. Pour Rabelais, le symbole de cette aliénation, de cette castration de la personnalité, c’est la cloche qui, dans les couvents, règle l’emploi du temps et fixe, de jour et de nuit, le découpage horaire de la vie monastique. Pour lui, le grand scandale est de « soi gouverner au son d’une cloche et non au dicté de bon sens et entendement ». Il n’y aura pas de cloches à Thélème !

D’ailleurs, par principe, les fondateurs de l’abbaye prendront le contre-pied de ce qui existait auparavant, et notamment chez ces cordeliers que Rabelais connaissait bien et que, pour se venger, il appelait des « bordeliers ».

Le nom même de Thélème est à lui seul tout un programme. Il vient du grec thélo (je veux), et cette affirmation de la volonté personnelle est déjà un cri de révolte contre l’obéissance passive et la docilité. À Thélème, il n’y a pas de mur d’enceinte. On y entre, on y sort librement, et si l’on y reste, c’est qu’on a de bonnes raisons d’y rester. Quand il y a un mur, dit Rabelais, « il y a force murmure, envie et conspiration mutuelle ». On n’envie que ce dont on est privé. À Thélème, il n’y a pas d’horloge. À quoi bon se soucier de l’heure, quand on n’est pas tributaire du temps, quand on décide soi-même du moment où l’on va se lever, manger, travailler ou se consacrer au plaisir de la conversation ?

Thélème est un château Renaissance hexagonal de six étages ("comprenant les caves sous terre pour un") cent fois plus magnifique que Bonnivet, Chambord, Chantilly, construit avec des matériaux précieux. Les salles sont vastes et claires, ornées de peintures et de tapisseries. Il y a des jardins et des vergers, plein d’arbres fruitiers. 9332 chambres, avec chacune une chapelle particulière sont prêtes à accueillir les pensionnaires.

Mode de vie

Thélème est une communauté mixte. Les fondateurs de Thélème ne veulent pas que la débauche prenne le masque hypocrite de la vertu. Le commerce amoureux prendra naturellement sa place dans un ensemble où figurera aussi l’étude et le commerce de l’esprit. Avant de rendre visite aux dames dans leurs appartements privés, les hommes passeront chez le coiffeur, le barbier et le masseur pour être au mieux de leur forme.

Ici apparaît pour la première fois depuis l’antiquité la notion d’« eugénisme ». Les pensionnaires de Thélème seront sélectionnés. Les femmes seront « belles, bien formées et bien naturées, les hommes beaux, bien formés et bien naturés ».Ces hommes et ces femmes réunis en un même lieu, ne sont pas seulement de beaux animaux ; ils appartiennent à une élite par la naissance et la richesse, certes, mais surtout par la curiosité intellectuelle. La bibliothèque de Thélème, selon les plans établis par Gargantua lui-même, comprend d’innombrables ouvrages en grec, latin, hébreu, français, italien, espagnol. Les murs sont décorés de fresques évoquant l’histoire de la terre et des hommes. Il est clair que les thélémistes n’accèderont à une morale élevée, fondée sur la responsabilité personnelle et l’autodétermination, que s’ils acquièrent une haute culture.

Ils sont, en outre, délivrés de tout souci matériel : une nombreuse domesticité, des artisans attachés au monastère pourvoient à leurs besoins et à leurs exigences les plus raffinés. La religion n’est évidemment pas exclue de l’établissement, mais c’est un christianisme purifié par un retour à l’Évangile primitif, source de foi profonde. Mais ici, pas de vœux qui engagent pour la vie. Ailleurs on exige chasteté, pauvreté et obéissance. À Thélème, on n’est pas chaste, on est riche, on est libre et on peut partir quand on veut. La « sympathie » est si grande entre hommes et femmes qu’ils s’efforcent de porter les mêmes parures le même jour, et un officier est chargé d’avertir les premiers des couleurs dont celles-ci, maîtresses du choix, ont décidé de « s’adorner ». Thélème, c’est donc l’âge d’or, le paradis terrestre avant la faute. C’est aussi une morale aristocratique à l’usage des privilégiés. C'est ainsi que Thierry Ehrmann, homme d'affaires lyonnais ayant fait fortune sur Internet, donnait des fêtes libertines dans sa propriété, baptisée Abbaye de Thélème[1]. Mais Rabelais, en même temps qu’il formulait implicitement une condamnation de la vie monastique traditionnelle, voulait aussi démontrer que la morale d’une élite pouvait être celle de tous les hommes, à condition que l’acquisition de tout le savoir de leur temps fasse d’eux des adultes. En opposant le libre arbitre à la règle imposée, il fait confiance à l’homme. Thélème veut montrer la valeur d’une expérience qui peut être généralisée, étendue, de proche en proche, à tous les hommes dès qu’ils se seront montrés dignes de se gouverner eux-mêmes.

Analyse

En définitive, le « Fais ce que tu voudras » peut devenir la plus sévère des règles, dès l’instant qu'un esprit scrupuleux et exigeant pour lui-même s’impose un art de vivre d’autant plus fidèlement respecté qu’aucune force extérieure ou surnaturelle ne le lui a dicté.

La morale de Rabelais se résume tout entière dans le principe de Thélème : Fais ce que voudras. Puisque la nature est bonne, aucune manifestation de la nature ne saurait être mauvaise (du moins « chez gens libérés, bien nés, bien instruits, conversant en compagnies honnêtes » ) : la nature veut toujours ce qui doit être, quand elle n’est ni déviée ni comprimée. Le pantagruélisme consistera donc à débrider toutes les forces de l’être et à les satisfaire aussi complètement que possible.

Le mal n’existe donc pas ? Si. C’est précisément tout ce qui contrarie et mutile la nature : la morale religieuse, l'ascétisme catholique, le rigorisme huguenot, le jeûne, la claustration, toutes inventions diaboliques de la hideuse Antiphysie, voilà les choses qui excitent le mépris ou l’indignation de Rabelais. Par contre, l'égoïsme qu’il lâche en liberté est à peu près inoffensif, parce qu’il s’offre dans sa simplicité primitive et naturelle sans se compliquer d’ambition ni d’intérêt.

Une telle morale, si peu morale, dénote chez son auteur une nature foncièrement généreuse. Rabelais a érigé son instinct en loi naturelle de l’humanité. Il sentit en lui la bonne volonté, la chaude sympathie, les formes affectueuses de l'égoïsme ; il a attribué son bon sens naturel aux autres hommes ; il s’est fait d’optimistes illusions sur leur penchant inné à faire « tout ce qu’à un seul voyaient plaire ». De plus, étant éminemment raisonnable, il comptait qu’en toute chose l’homme se conduirait naturellement selon la raison.

Il faut donc voir dans les règles morales que les thélémites s’imposent librement eux-mêmes une profession de foi humaniste et la solennelle proclamation de l’idéal humain de la Renaissance.

Notes et références

  1. Le Monde, 19 avril 2001. « Lyon se souvient des années 1980, quand la tribu Ehrmann avait élu domicile dans une immense propriété de Charbonnières, éloquemment baptisée « l'Abbaye de Thélème ». On y donnait sans discrétion des fêtes plutôt libérées. »

Articles connexes

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