- Abbaye de Saint-Laurent de Liege
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Abbaye Saint-Laurent de Liège
L'ancienne abbaye de Saint-Laurent de Liège est une abbaye bénédictine fondée en 1026 et située dans le quartier Saint-Laurent de la ville de Liège en Belgique.
L'abbaye va marquer l’histoire liégeoise pendant près de huit siècles, jusqu’à ce que la révolution liégeoise, à la fin du XVIIIe siècle, mette un terme à sa carrière religieuse et la transforme en hôpital militaire.
Les origines
C’est l’évêque Eracle, vers 968, qui, de retour d'un pèlerinage à Rome aurait initié la construction, sur le Publémont, d’une église dédiée à saint Laurent. Notger, son successeur, se contentera de faire poser une toiture sur les bâtiments déjà construits. Son successeur, Wolbodon, reprend les travaux de construction et lègue une fortune pour la suite des travaux. Il faut attendre le prince-évêque Réginard, près de 55 ans plus tard, pour ordonner l’achèvement de l’édifice et lui adjoindre d’autres bâtiments capables d’abriter une communauté monastique.
Appelés par Wolbodon à occuper les bâtiments, une trentaine de moines bénédictins sous la conduite de l'abbé Etienne arrivent en 1026, 5 ans après la mort du prince-évêque, de Saint-Vanne de Verdun. Le prince-évêque apparait en songe au père abbé lui déclarant qu'il prend l'abbaye sous sa protection et qu'il attirera la protection divine sur tous ceux qui aideront d'une manière ou d'une autre à son édification. Ce secret révélé, les dons de toutes espèces affluent et en novembre 1034 a lieu la consécration officielle du monastère.
Le prince-évêque Réginard dote la fondation d’importants revenus fonciers. Le donateur, à sa mort en 1037, aura l’honneur d’un mausolée devant le maître-autel de l’église.
Dès le début, l’abbaye se distingue par sa contribution aux arts. Au milieu du XIe siècle, on compte des moines mathématiciens, hagiographes, computistes, poètes, compositeurs… Le théologien Rupert de Deutz y reçut sa formation. On y enseigne aussi le latin aux enfants.
L’âge d'or
Dès la fin du XIe siècle, l'abbaye de Saint-Laurent, qui adopte les coutumes de son homologue française Cluny (Bourgogne), connaît une activité culturelle intense.
C'est de cette époque que date l'œuvre connue sous le nom de « Vierge de Dom Rupert ». Il s'agit d'un haut relief de 92 cm sur 64, taillé dans du grès houiller liégeois, représentant la mère de Jésus assise sur un trône et allaitant son divin enfant. La pièce visible au 3KDR n'est qu'une copie, l'original étant conservé au musée Curtius de Liège.
À l'époque, cette pierre passe pour miraculeuse; elle est vénérée afin d'obtenir le don d'intelligence.
Voici l'origine de cette légende :
À la fin du XIe siècle, un jeune enfant nommé Rupert est recueilli au monastère de Saint-Laurent. Il y grandit «sans que son intelligence ne se développe avec son corps; son esprit, malgré les études, reste lourd et borné».
Un soir de 1096, agenouillé devant l'image de la Vierge placée dans l'oratoire de l'abbaye, notre simplet lui adresse une fervente prière pour solliciter les lumières qui lui font défaut.
Il est immédiatement exaucé : son intelligence s'éveille, et à partir de cet instant, il sait interpréter les Saintes Écritures mieux que personne, devenant l'un des moines les plus érudits de son temps.
Dom Rupert, comme on l'appelle dès lors, se met à rédiger de nombreux manuscrits, dont une vie de saint Laurent. En 1121, il devient abbé de Deutz, en Rhénanie. Ses études théologiques et ses chroniques sont lues et appréciées dans tout le monde savant.
L'abbaye subira des dégâts considérables en 1212 lors de la contre-attaque des milices liégeoises dirigée contre le duc de Brabant qui revendiquait l'héritage d'Albert de Dasbourg, les domaines de Moha et de Walef que pourtant ce dernier avait cédés contre une importante somme d'argent à l'évêque de Liège. Après 13 ans de combats, le duc réconcilié avec le Prince de Liège, les abbés de Saint-Laurent restaurent les bâtiments et augmentent leurs propriétés dans la région liégeoise et brabançonne.
La grande crise
Un abbé renonçant à ses charges, un autre aimant le faste et endettant l’abbaye, un autre acculé à la démission par son évêque, un autre encore gérant les biens de manière catastrophique… La fin du XIIIe siècle et le début du XIVe conduisent à la faillite et à la vente massive de propriétés. La discipline monastique se relâche, et le nombre de moines diminue considérablement.
Le XIVe siècle est l'époque des papes d’Avignon, et la plupart des abbés originaires de France font peu pour le monastère.
Cependant le prestige des abbés de Saint-Laurent demeure, à tel point qu'on fait appel à leur arbitrage dans certains conflits. Durant la guerre des Awans et des Waroux, en 1335, les deux familles en guerre depuis trente-huit ans ans rassemblent chacune six hommes et conviennent de quitter l'abbaye dès qu'une solution suffisante sera trouvée. Ils entrèrent le premier jour de Carême et n'en sortirent que le jour de Pâques.
La reprise
Dès le début du XVe siècle, l'abbaye renaît de sa longue période de crise.
Une des personnalités marquantes de la première moitié de ce siècle est le moine Jean de Stavelot, copiste infatigable qui enrichit la bibliothèque du monastère de nombreux manuscrits, dont une chronique latine sur l'histoire de Liège.
L'époque bourguignonne
En 1467, après l'épisode de Brustem, les troupes bourguignonnes progressent vers Liège pour mater sa population rebelle. Gui de Brimeu, seigneur d'Humbercourt, lieutenant du duc de Bourgogne, prend ses quartiers à l'abbaye de Saint-Laurent. Charles le Téméraire lui-même y loge cinq jours. Des négociations avec des notables liégeois évitent l'affrontement : le duc reçoit les clés de la ville.
On dit que Charles le Téméraire est entré à Liège par «une brèche entre les portes Saint-Martin et Sainte-Marguerite». Il faut rappeler que la cité, à l'époque, est protégée par un rempart, et que l'abbaye de Saint-Laurent est en dehors de cette enceinte. Le document ci-contre ne date pas de l'époque bourguignonne (gravure de 1626), mais il illustre bien la situation.
En 1468, les revanchards liégeois se révoltent à nouveau. Le duc entre dans «une rage qui confine à la folie». Le 27 octobre, son armée est aux portes de Liège. Le 28, les résistants liégeois incendient le quartier Sainte-Marguerite pour faire obstacle à l'avance de l'ennemi. Les moines de Saint-Laurent envoient une délégation aux maîtres de la cité pour que cette tactique de la «terre brûlée» épargne leurs possessions. Jaloux du privilège accordé, ce sont les habitants de Sainte-Marguerite qui viennent livrer aux flammes le quartier Saint-Laurent et les étables de l'abbaye.
Dans les jours qui suivent, après la vaine intervention des six cents Franchimontois, les hordes bourguignonnes se livrent au sac de la ville. Au pillage, succèdent le massacre des habitants puis l'incendie de la ville. L'abbaye de Saint-Laurent n'échappe pas au pillage. Le trésor, heureusement, a été mis à l'abri à Huy.
Puis la vie continue : un moine copiste raconte en latin la mise à sac de Liège par les troupes bourguignonnes.
Les fastes de la Renaissance
Après sa nomination en 1505, le prince-évêque Érard de La Marck, humaniste raffiné, choisit le séjour de l'abbaye de Saint-Laurent pour célébrer son triomphe par un banquet offert à ses proches.
Dans la première moitié du XVIe siècle, les abbés embellissent le monastère par d'importantes restaurations et la construction de nouveaux bâtiments.
Les moines de Saint-Laurent excellent dans bien des domaines artistiques : rédaction de manuscrits richement enluminés, décoration de la chapelle du château de Huy, contacts avec Érasme…
Les guerres de religion
En 1568, l'armée du redoutable duc d'Albe, envoyée aux Pays-Bas pour réprimer l'essor du calvinisme, traque les «gueux» de Guillaume de Nassau. Ceux-ci, dans leur fuite, veulent franchir la Meuse en passant par le pont des Arches à Liège, mais ils se heurtent au refus des Liégeois, dont ils assiègent la ville.
Guillaume de Nassau installe son état-major dans l'abbaye de Saint-Laurent. Après trois jours, il renonce à son projet, mais ses soldats pillent et incendient le monastère. Seule la bibliothèque échappe au désastre.
Les moines trouvent un abri dans le château de Kinkempois, une résidence secondaire de l'abbaye.
Les Grignoux et les Chiroux
Le début du XVIIe siècle, à Liège, est marqué par la lutte entre les Grignoux, qui exigent davantage de libertés communales, et les Chiroux, qui veulent le renforcement de l'autorité du prince-évêque.
En 1649, le prince-évêque Ferdinand de Bavière fait appel aux troupes allemandes pour stopper la rébellion. La vie à l'abbaye de Saint-Laurent est troublée par les milices liégeoises et les tirs de canons du général Otto von Spaar.
Dans les années 1650, pour mieux se protéger, l'abbaye se dote «d'un pavillon de guet sur les vignes, en Haute-Chevaufosse» (le haut de l'actuelle rue Monulphe).
Le document ci-contre date de 1832. Au sommet de la tour, flottent les couleurs belge et française, probablement à l'occasion du mariage entre notre premier roi Léopold et Louise-Marie, fille de Louis-Philippe, roi des Français.
La révolution liégeoise
Août 1789. La révolution éclate à Liège à l'instar de Paris le mois précédent. L'autoritaire prince-évêque François-Constant de Hoensbroeck feint de céder devant la foule en fureur, mais il réussit à s'enfuir et appelle à l'aide les princes allemands.
En 1790, l'abbaye de Saint-Laurent loge l'état-major prussien venu rétablir l'ordre dans la cité. L'activité religieuse est perturbée, et l'occupant laisse une impressionnante note de frais.
En janvier 1791, le prince-évêque reprend ses fonctions, et les révolutionnaires s'exilent en France.
En novembre 1792, le prince-évêque François-Antoine-Marie de Méan (Hoensbroeck vient de mourir deux mois plus tôt) contraint l'abbé de Saint-Laurent d'accueillir le comte d'Artois, frère cadet de Louis XVI (le futur Charles X), chassé de France avec ses proches. Les moines sont troublés par les mœurs frivoles de cette cour en exil, qui se sauvent au bout de vingt jours, à l'arrivée des troupes françaises du général Dumouriez, le vainqueur de Jemappes.
L'armée républicaine française entre à Liège par la porte Sainte-Marguerite, où la population se rue pour acclamer ses libérateurs.
Ces soldats sont épuisés, mal nourris, mal protégés du froid. Il faut ouvrir des hôpitaux pour soigner les blessés, les malades, les galeux, les vénériens... Les Bénédictins de Saint-Laurent doivent se résigner à l'installation d'un hôpital de campagne au rez-de-chaussée, y compris dans l'église et le cloître.
Un rapport de janvier 1793 signale la présence, à l'abbaye devenue dispensaire, de 657 patients. Il parle d'hygiène catastrophique, d'incompétence, de malpropreté, d'alcoolisme...
L'armée est en outre chargée de dresser un état détaillé des biens ecclésiastiques, pour le faire parvenir au Conseil exécutif de Paris. Les religieux tentent de mettre en lieu sûr leur argent et leurs objets précieux. Ils envisagent même de fuir.
La restauration
Mars 1793. Victorieuses à leur tour, les troupes autrichiennes entrent dans Liège.
Pour les moines de Saint-Laurent, ce retour à l'ancien régime est un miracle. Redevenus maîtres chez eux, ils quittent leurs cellules à l'étage et descendent dresser le bilan des dégâts. Les «sans-culotte» et la «canaille liégeoise» n'ont rien respecté, ils ont profané l'église et emporté les ciboires. Dans les salles du rez-de-chaussée, c'est un vrai désastre : paillasses éventrées et nauséabondes, aliments pourris, murs salis, peintures abîmées, meubles cassés, crasse innommable. Les Bénédictins font évacuer les décombres, nettoyer les murs, restaurer le mobilier, procéder à des réparations pour près de vingt mille florins…
La période française
Après la victoire de Fleurus (26 juin 1794), l'armée française de Jean-Baptiste Jourdan reprend Liège, que les Autrichiens évacuent le 27 juillet.
Les moines de Saint-Laurent, cette fois, n'ont pas couru le risque de rester à l'abbaye. Ils se sont dispersés dès le 20 juillet, beaucoup s'étant réfugiés en Allemagne.
Les portes du couvent abandonné sont immédiatement forcées pour y réinstaller le dispensaire militaire de 1792. Les autorités françaises le baptisent l'«Hôpital de la Liberté».
En 1795, l'ex-principauté de Liège est intégrée à la France. Liège devient le chef-lieu du département de l'Ourthe.
Les années qui suivent voient les biens de l'abbaye démantelés. Beaucoup de richesses s'en vont «gonfler le trésor de la république», du moins celles qui ont échappé aux profiteurs organisés ou aux chapardeurs occasionnels. Le mobilier est cédé en vente publique, les livres sont déménagés à la Bibliothèque nationale créée au palais, où règnent l'incurie et le vol.
Les bâtiments souffrent de ces années terribles. L'église, par exemple, se dégrade énormément ; elle devra être abattue en 1809. En 1797 déjà, les cloches ont été descendues et entreposées à Sainte-Agathe, puis au palais ; elles ont fini par être vendues au poids comme métal non ferreux !
En 1802, le génie dresse un plan d'aménagement des lieux. En 1810, la propriété des bâtiments est attribuée à la municipalité, mais l'armée s'en réserve la location.
En 1814, on dénombre à Saint-Laurent jusqu'à sept cent cinquante patients de diverses nationalités. Le phénomène est dû à la présence à Liège des troupes coalisées contre Napoléon. À l'hôpital, Russes, Prussiens, Autrichiens, Suédois, Hollandais, Brémois, côtoient une cinquantaine de soldats français considérés comme prisonniers de guerre.
En 1815, la bataille de Waterloo amène son lot de blessés, principalement prussiens.
Après le Congrès de Vienne
Sous le régime hollandais, l'ancienne abbaye de Saint-Laurent est d'abord aménagée en caserne : une garnison de mille hommes y stationne le temps qu'on agrandisse la citadelle sur les hauteurs de Sainte-Walburge.
De 1823 à 1825, l'endroit devient une prison militaire, puis le gouvernement, qui a repris la propriété des lieux, met les bâtiments à la disposition d'un industriel qui y installe une fabrique de mousseline.
De l’indépendance belge à la fin du XIXe siècle
En 1830, le gouvernement de la nouvelle Belgique indépendante rend à l'ancienne abbaye de Saint-Laurent son destin d'hôpital militaire. Dès 1831, on y soigne les blessés du corps expéditionnaire français venu aider au maintien de l'indépendance belge.
En 1839, des religieuses augustines de l'Hôtel-Dieu de Paris viennent y servir à la demande de la reine Louise-Marie d'Orléans (épouse du premier roi des Belges Léopold).
On leur fait construire un couvent dans l'angle nord du domaine.
Ces hospitalières feront preuve d'un dévouement héroïque lors de l'épidémie de choléra de 1848.
Elles serviront à Saint-Laurent jusque dans les années 1970.
En 1893, alors qu'on aménage de nouveaux bâtiments pour une caserne d'artillerie, le porche datant du XVe siècle est sauvé de la démolition grâce à une pétition populaire.
La guerre 1940-45
En 1940, le personnel s'étant replié sur ordre dès le 11 mai, c'est la Croix-Rouge qui gère l'hôpital malgré l'occupation allemande : aide aux familles des soldats, des prisonniers de guerre, des victimes des bombardements…
En septembre 1944, à la libération de Liège, les Américains installent à Saint-Laurent le «15th General Hospital» de l'US Army.
Des locaux de l'école Saint-Laurent toute proche sont réquisitionnés comme centre de rapatriement pour héberger les prisonniers ramenés d'Allemagne au fur à et mesure de l'avance alliée.
Après la guerre, les bâtiments de l'ancienne abbaye continuent de servir d'hôpital militaire, sous le nom de «Quartier Lieutenant-Médecin Joncker», en mémoire d'un héros liégeois de la guerre 14-18.
De 1948 à 1953, ont lieu d'importants travaux de restauration, qui s'achèvent par le placement de grilles monumentales le long de la rue Saint-Laurent.
Voir aussi
- Derrière l'abbaye, on trouve l'Institut Royal pour Handicapés de l’Ouïe et de la Vue (IRHOV) fondé par Jean-Baptiste Pouplin en 1819.
Liens externes
- Claude Warzee, L'abbaye de Saint-Laurent de Liège
- Institut technique et professionnel Saint-Laurent Liège.
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