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Christianisme en Dacie
Cet article se veut une synthèse des débuts du christianisme chez les daco-roumains habitant en Dacie tardive et une tentative d'élucider le mystère de la création de l'Église orthodoxe roumaine.
La Dacie constituait un vaste pays, incluant, au temps du Christ, la Roumanie et les régions avoisinantes, une partie de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Moldavie et de l'Ukraine. Certaines de ces régions sont déjà sous le contrôle des Romains après 106 et jusqu'en 256.
La connaissance des débuts de l'évangélisation des Daces est davantage le fait de la tradition véhiculée par l'Église roumaine que le fait d'éléments historiques vérifiables. L'Église orthodoxe, catholique et apostolique roumaine (en roumain : Biserica Ortodoxă, Sobornicească si Apostolească Romană) est l'Église orthodoxe comptant actuellement le plus grand nombre d'adeptes, après celle de Russie. C'est également la seule Église orthodoxe dans un pays de langue latine. Des doutes existent quant à la permanence des croyants orthodoxes roumains tout au long de l'histoire, et jusqu'à la Première Guerre mondiale en ce qui concerne la Transylvanie. Pour ce qui précède le Xe siècle, cette Église est encore moins connue, particulièrement son apparition, malgré quelques objets chrétiens très anciens.
Sommaire
Les thèses de l'Église
Le professeur Mircea Pacurariu, s'exprimant au nom de l'Église roumaine [1], affirme : « La fondation de notre Église a eu lieu à la Pentecôte, lorsque l'Esprit saint — avec un visage tel des langues de feu — est descendu sur les saints apôtres à Jérusalem. »
Quelque pages plus bas cependant, l'Église présente une autre version en affirmant que « sur de la bonne droitesse (sur des bonnes bases), le christianisme roumain est à considérer “d'origine apostolique” ».
Encore quelque pages plus loin, elle dit pourtant que « la romanisation et la christianisation ont été deux processus parallèles, à tel point qu'on peut dire que lorsque ces deux processus se sont achevés, est apparu dans l'histoire un nouveau peuple, le peuple roumain, avec une croyance nouvelle. Autrement dit, le peuple Roumain est né chrétien. » Elle indique par la suite qu'à partir du Xe siècle, au moins, il n'y a plus de missionnaires parmi les Roumains, les mouvements politiques de l'époque voulant leurs propres cités et églises. Le rôle des missionnaires entre le IIIe et le Xe siècle aurait été d'organiser l'Église et non de christianiser une population déjà chrétienne depuis les IVe et Ve siècles, lorsque le peuple roumain s'est formé.
Critique
D'un point de vue historique, une partie de ces affirmations assez contradictoires (voir plus bas au cas par cas) impose le doute. Peu d'éléments permettent de trancher. On doit relever des affirmations paradoxales d'une Église orthodoxe qui affirme également : « L'Église ne cherche pas la vérité : elle possède la vérité ». Vu le caractère immémorial de l'Église, ses propos ne peuvent être retenus comme preuve scientifique et historique.
Aucune autre source historique n'existe qui permettrait de situer la création de l'Église roumaine. Qui a existé en premier, les croyants ou l'Église ? Mais pour toutes les autres Églises, comme en Bulgarie (865 — orthodoxe), en Hongrie (Xe siècle — catholique, excepté les Hongrois de Roumanie qui ne sont ni orthodoxes ni catholiques mais unitariens) ou en Russie, etc., on connaît avec précision la date de fondation.
L'Église roumaine est également une des rares Églises sans ordre : personne n'est venu ordonner le christianisme par la force ou par la conversion du prince régnant, au contraire de la plupart des autres pays de religion orthodoxe.
On trouve en Roumanie des traces de son Église tout au long de l'histoire après le IVe siècle, avec un affaiblissement entre le VIe et le Xe siècle, lorsque les Bulgares sont devenus chrétiens. Ensuite, il se produit une explosion de monastères et d'églises, surtout au XIIe siècle.
Arguments sur l'origine apostolique
L'Église roumaine soutient la thèse selon laquelle sa création est d'origine apostolique, donc fondée par les premiers apôtres. Mircea Pacurariu semble se fonder sur l’Épître aux Romains (15,19), où l’apôtre Paul de Tarse affirme que « depuis Jérusalem, en rayonnant jusqu'à l’Illyrie, il a pleinement assuré l’annonce de l’Évangile du Christ ». En accordant un très large périmètre à l'Illyrie, elle considère que l'apôtre Paul s'est rendu en Dacie avant même son séjour à Rome avec Silvanus, son disciple.
L'apôtre Andrei (saint André) aurait également visité la Dacie peu de temps avant sa crucifixion au sud du Daube par les Romains. L'Église roumaine orthodoxe, par la voix de Mircea Pacurariu, se fonde sur ses traditions propres et les légendes populaires roumaines. Elle veut argumenter cela par une tradition apocryphe évoquant la dispersion des apôtres dans toutes les directions, que cite au début du IVe siècle Eusèbe de Césarée : « Quant aux saints apôtres et disciples de notre Sauveur, ils étaient dispersés sur toute la terre habitée. Thomas, à ce que rapporte la tradition, obtint en partage le pays des Parthes, André la Scythie, Jean l'Asie où il vécut : il mourut à Éphèse (...). Que faut-il dire de Paul qui, depuis Jérusalem jusqu'à l'Illyricum, a accompli l'Évangile du Christ et rendu enfin témoignage à Rome sous Néron ? C'est là ce qui est dit textuellement par Origène dans le troisième tome des Commentaires sur la Genèse. » (Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, Livre III, 1). La Scythie désigne un territoire assez vague au nord de la mer Noire.
Toujours à l'actif de cette thèse, l'évocation de Tertullien, père de l'Église au IIe siècle, qui dit de façon explicite dans son Adversus Iudaeos que les Daces sont des disciples du Christ. Argumentant contre les Juifs, Tertullien, dans une envolée lyrique, affirme que le monde entier croit au Christ, ce qui à l’époque de sa rédaction (vers 200) est une invraisemblance historique : « Je le demande, en quel autre les nations ont-elles cru, sinon en Jésus-Christ, qui est déjà venu ? En quel autre ont cru les nations, Parthes, Mèdes, Élamites, et ceux qui habitent la Mésopotamie, l'Arménie, la Phrygie, la Cappadoce, le Pont, l'Asie, la Pamphylie, l'Égypte, cette partie de Libye qui est près de Cyrène et les étrangers venus de Rome ? En qui ont cru les Juifs qui habitaient Jérusalem et les autres nations, telles que les différentes races des Gétules, les frontières multipliées des Maures, les dernières limites des Espagnes, les nations des Gaules, les retraites des Bretons, inaccessibles aux Romains, mais subjuguées par le Christ ; les Sarmates, les Daces, les Germains, les Scythes, tant de nations cachées, tant de provinces, tant d'îles qui nous sont inconnues et que par conséquent il nous serait impossible d'énumérer ? » (Tertullien, Adversus Iudaeos, 7 [2]).
Dans ces trois citations, on constate une interprétation littéraliste (prise à la lettre d'un fragment de texte) et, quand on replace les mots dans un contexte plus large, une forte sollicitation du sens de ces textes.
Quelques jalons dans l'histoire
Période post-romaine
Wulfila, de parents goth et grec, est un chrétien arien, qui considère que Dieu est unique et que le Chist n'a pas de nature divine. Wulfila enseigne, dans tout le pays gète, ce christianisme arien puisque c'est le christianisme populaire en vigueur dans les armées romaines où sont confédérés les goths. Il enseigne en goth et en latin (et en grec pour les prisonniers), et traduit pour la première fois la Bible dans une langue populaire, le goth. L'ouvrage se répand de la Scandinavie à l'Espagne. La distinction entre Goths et Daces n'est alors plus très claire. Il s'agit surtout des meilleures troupes de l'empire romain, engagées sur tous les fronts, et d'où viennent nombre d'empereurs, dont le plus célèbre est Justinien. Ce christianisme arien n'a pas de clergé et sa liturgie chantée et dansée est entièrement aux mains des femmes, un trait que le christianisme roumain populaire conserve encore aujourd'hui, en défendant vigoureusement certaines prérogatives des femmes du village par rapport aux rituels de mariage et d'enterrement. Le silence religieux que les églises trinitaires observent par rapport à cinq siècles de christianisme arien dans cette région est en lui-même éloquent.
À l'inverse de l'Empire romain où le christianisme s'est d'abord installé dans les villes, en Dacie, la conversion se serait faite à partir des villages. Lors du retrait romain en 255, il serait déjà présent de façon significative. L'Église ancienne mentionne la présence de horepiscopi, ce qui signifie qu'il était dans les villages, sous le contrôle des perihoreti (missionnaires), entre le IIIe et le XIe siècle. Aucune présence dans les villes n'est significative, car les Goths occupaient le territoire et étaient au début persécuteurs non pas des des chrétiens, mais des églises trinitaires, étant des chrétiens violemment anti-cléricaux, particulièrement agressifs à l'égard des monastères et des couvents, d'où la sinistre réputation que les sources cléricales ont diffusé à leur sujet, ils sont chrétiens ariens comme toutes les populations de la périphérie de l'empire romain.
Période pré-slave
L'Église orthodoxe roumaine, par la voix de Mircea Pacurariu, mentionne aussi le recul historique du christianisme dans les Balkans (Bulgarie) lors des invasions slaves au début du VIe siècle, en argumentant que ces invasions portent un coup de grâce à l'organisation de l'Église en Dacie et ont comme conséquence la disparition des liens forts entre les chrétiens roumains et Byzance.
Alors que les historiens parlent d'une rechristianisation opérée au VIIe siècle par les missionnaires envoyés par Byzance, Cyrille et Méthode, l'Église affirme que le processus de christianisation est complet à cette époque et que la disparition de l'organisation de l'Église n'aurait pas pu provoquer la disparition de la foi chez les populations roumaines. Elle présente la Dacie comme un îlot chrétien qui franchit les siècles, avec toutes les influences païennes des envahisseurs successifs (Goths, Gépides, Avars, Slaves, Bulgares, Hongrois), et qui aurait appris le christianisme à partir des populations roumaines sans influence majeure du patriarcat de Byzance.
La poursuite sans interruption des pratiques chrétiennes entre le VIe et le Xe siècle par les Roumains est un élément très important pour l'Église orthodoxe roumaine, bien que les chansons de Noël roumaines, les colinde, contiennent des éléments païens très forts d'origine romaine (culte du soleil, purification lors du Nouvel An, etc.).
Période slave
Les populations slaves chrétiennes entre la Roumanie et Byzance, nouvellement converties au christianisme (fondation de l'Église bulgare en 865), vont renouer le lien brisé entre les Roumains et Constantinople. Dans toutes les églises orthodoxes roumaines après le Xe siècle, les pratiques vont se dérouler en langue slave et ceci pour de nombreux siècles. Cependant, tous les saints gardent la dérivation latine et roumaine, ainsi que les lieux saints.
Également à partir du Xe siècle, des mouvements politiques forts apparaissent, et on ne parle plus de missionnaires, chaque groupement politique voulant avoir ses propres cités et églises.
Les traditions populaires roumaines
La venue de l'apôtre André sur le territoire des Daces est mentionnée dans de nombreuses légendes populaires et de nombreux mythes autour de cet apôtre sont présents dans les traditions roumaines.
Les lieux où il aurait enseigné ont été conservés, et on fête chaque année, le 30 novembre, le jour de l'apôtre André. La nuit précédente, il convient de se méfier des loups qui ne meurent pas et qui viendraient se nourrir de sang. Les jeunes filles doivent se préparer et, pour échapper aux mauvais esprits, on accroche de l'ail sur les portes. L'apôtre André, Andrei en roumain, est considéré comme le plus grand des loups, mais dans une acception positive (voir daces).
Certaines colinde évoquent, sous le nom d'Empereur Ler, le souvenir de Galerius, d'origine dace par sa mère, devenu empereur romain après la perte de contrôle de Rome sur la Dacie. Il a paradoxalement laissé un souvenir de persécuteur des chrétiens dans l'Empire romain. Sa mort difficile est présentée par les pères de l'Église comme une punition divine. Quelques jours avant de mourir dans les souffrances, il a formellement autorisé, pour la première fois dans l'Empire, la pratique du christianisme en permettant à chacun d'exercer librement la religion de son choix.
Voir aussi
Sources
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