- Chambre des Époux (Mantegna)
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Chambre des Époux (Mantegna)
La Chambre des Époux (en italien Camera degli Sposi, initialement Camera magna picta) est une pièce voûtée du donjon nord-est du Castello San Giorgio, dans le Palazzo Ducale de Mantoue (Italie). Cette pièce est située au piano nobile (réservé aux réceptions) pour les invités de marque[1] et abritant aussi les archives secrètes du couple princier. Les murs dans leur entier sont peints à fresque, œuvre du peintre de la Renaissance Andrea Mantegna pour exprimer la puissance du couple dirigeant Gonzague à ses invités de marque. Cette pièce fut souvent définie comme étant la plus belle chambre du monde. Cette prouesse illusionniste est en effet en marge des œuvres générales de son temps de par sa réussite.
Sommaire
Histoire
En 1456, le marquis de Mantoue, Louis III Gonzague, fait venir Andrea Mantegna à sa cour afin qu’il succède à Pisanello, voulant vraisemblablement abandonner le gothisme international pour la renaissance et l’humanisme. Il commanda donc diverses œuvres dont la célèbre Camera Picta. Louis III avait dans l’idée de réaliser une décoration intégrale d’une Chambre de son château San Giorgo (1390-1406) au niveau de l’étage noble de la tour nord est. C'est une série de fresques illusionnistes, réalisées sur toute la surface de la pièce, représentant des scènes de la famille Gonzague, placés dans un milieu idéalisé, devant une Rome imaginaire, que Mantegna peint, encore sous l’influence des œuvres de Leon Battista Alberti qui l'incita à approfondir ses études sur les rapports entre l'architecture et la décoration peinte. Mantegna accomplit ce travail colossal en neuf ans, vraisemblablement de 1465 jusqu’en 1474. Ces deux dates, qui font généralement l’unanimité auprès des chercheurs de l’art, sont également confirmées par plusieurs lettres envoyées par le marquis afin de recevoir de l’or et de l’azurie, éléments que l’on applique en tout dernier. Nous voyons donc que les travaux furent assez longs ce qui, bien sûr, n’était pas pour accommoder le commanditaire.
Après le décès du marquis, la Chambre devint un dépôt d’objets précieux. Abandonnée de 1630 à 1875, elle subit énormément de dégâts, notamment dus aux intempéries. D’importantes restaurations eurent donc lieu, la première succéda directement à la mort d’Andrea Mantegna et c’est son propre fils qui l’effectua, sous les ordres de Frédéric Gonzague, succédant lui aussi à son père. Néanmoins il s’agissait moins de contrer les intempéries que de remettre à la mode des visages un peu dépassés (l’oculus). Par la suite, d’autres restaurations s’appliquèrent à cacher les incrustations d’eau notamment en 1843 par Luigi Sabatelli et Giuseppe Knolles ou encore en 1987, dernière restauration en date. L’appellation « Chambre des Époux » n’est pas du tout d’époque. Cette appellation de Chambre « des époux » viendrait du XVIIe siècle au vu des nombreux mariages qui y furent célébrés. Le premier à avoir utilisé ce terme fut Ridolfi en 1648. En effet il est intéressant de rappeler dès maintenant que cette Chambre n’était pas celle des époux Gonzague au titre officiel que laisserait penser l’appellation, mais bien celle du marquis. Celui-ci venait, certes s’y reposer (on sait de source sûre qu’il y avait un lit dans la pièce) mais il s’en servait aussi et surtout pour gérer les affaires que sa charge lui imposait. Il recevait donc de nombreuses personnes, signait des papiers, écrivait des lettres, etc. Cette pièce mêlait donc le public (les affaires de l’état) au privé (puisqu’il s’agissait d’une Chambre) sans pour autant aller vers l’intime (ce n’était pas la Chambre matrimoniale).
Description
Cette salle mesurait 25 m2 et sa voûte s’élevait à 7 mètres de haut. La pièce était donc cubique mais assez basse de plafond, aspect qui est complètement modifié par le travail de Mantegna et son architecture en trompe-l’œil. Tous les murs, y compris le plafond sont décorés de la main du peintre (et de ses quelques aides), afin d’aboutir à une réelle « prouesse illusionniste » .
Deux murs (nord et ouest) comportent des scènes nommées La Cour et La Rencontre. Les deux autres murs (sud et est) sont décorés avec de feints rideaux d’or qui laissent entre apercevoir un paysage caché.
- Mur nord della corte, de « la cour » du prince Ludovico Gonzague entouré de sa famille et de la princesse Barbara de Brandebourg, à droite arrivée d'une messager dans une cour,
- Mur ouest dell'incontro, de « la rencontre » du marquis, entouré de deux de ses fils, Frederico, son successeur et le cardinal Francesco, ainsi que quelques-uns de ses petits-fils, revenant de Milan ; à droite les chevaux et les chiens du prince ; au centre des anges portent un panneau, un bâtiment étrange, une ville, une Rome idéalisée, ...
- Murs est et sud : là les tentures (peintes) sont abaissées alors que sur les autres murs, les tentures sont ouvertes et dévoilent les sujets représentés,
- La voûte et son faux oculus révélant le ciel et autour de la balustrade des anges, des hommes, des femmes, un paon regardant vers le bas de la pièce.
- Le plafond revêt un tout autre décor : celui-ci est en effet décoré par de faux reliefs dont des bustes d’empereurs, des représentations de la vie d’Hercule et enfin des mythes d’Arion, d’Orphée et de Périandre.
Les murs comportent en tympan des médaillons feints en stuc représentant les douze empereurs de Rome, entourés de guirlandes soutenues par des putti en ronde-bosse. Malgré l’unité des couleurs harmonieuses utilisées par l’artiste, celui-ci opta pour différentes techniques de peinture. Le plafond, les parois des rideaux et la scène de La Rencontre ont été peints a fresco, donc sur un enduit humide alors que les détails, les guirlandes de fruits et d’autres éléments de l’oculus l’ont été a seco, donc sur de l’enduit sec.
La Rencontre, une scène historique ?
Tout d’abord, en décrivant les personnages et essentiellement la lignée des Gonzague, on voit tout de suite un anachronisme assez conséquent : en effet, Sigismond et François, les deux fils de Frédéric, fils aîné de Louis III (donc ses petits-fils) sont ici représentés alors qu’ils n’étaient même pas nés en 1462. Or, ici ils sont bel et bien représentés. On peut donc supposer deux choses différentes : soit Mantegna a vraiment voulu représenter une famille dans son idéalisme maximum et du coup a représenté tous les fils et petits fils de Louis III qui avaient un intérêt supérieur, soit l’artiste s’est simplement contenté d’actualiser son œuvre avec la période à laquelle il a fini l’œuvre. Ce mur étant le dernier, il a probablement dû modifier régulièrement ses projets. Il en est sûrement de même pour La Cour Assemblée où la famille et les plus proches sont représentés. Andrea Mantegna fut confronté à de gros inconvénients notamment le renouvellement de la cour des Gonzague. Certains favoris ne l’ont plus été à la fin de l’élaboration de la Chambre, c’est donc un réel travail d’actualisation permanente que l’artiste a dû faire ici. On peut donc voir cette partie droite comme une mise à jour mêlant volontairement la chronique et l’anachronisme. L’anachronisme étant donc établi, il faudrait savoir quelle est cette rencontre et si elle s’est ou non produite. Vraisemblablement, il s’agirait de celle du 1er janvier 1462 à Bozzolo entre le marquis et ses deux fils, Frédéric et François. François, tout juste nommé cardinal, reviendrait de Milan (où il aurait remercié les Sforza pour leur appui dans sa nomination) et croiserait son père, qui suite à la demande de Bianca Maria Visconti, devait se rendre également à Milan pour y aider le mari de cette dernière. Mais il pourrait également s’agir d’une autre rencontre qui aurait eu lieu en août 1472, lorsque François, devenu cardinal depuis quelques temps, quitta Bologne pour aller à Mantoue afin d’être nommé cardinal titulaire de Saint André. Signorini opte pour la première hypothèse en se référant à la présence des rois mages sur la gauche du mur. Il s’agirait du cortège pour Bethléem qui eut lieu un premier janvier, tout comme la rencontre de 1462. Cette date renverrait également aux premiers projets hypothétiques de la Chambre, débutée trois ans plus tard. Mais de leur côté, les partisans de 1472 argumentent en expliquant que les mages présents ne font que conforter l’idée que l’on est en hiver sur cette représentation, comme le laissait déjà supposer les orangers. De plus, on sait qu’en 1470, La Cour Assemblée était déjà terminée mais que La Rencontre ne le fut qu’en 1474, on peut donc assimiler cette date comme étant en plus celle du commencement de l’œuvre par l’artiste. Une autre hypothèse serait qu’il s’agit d’une rencontre fortuite entre le cardinal, d’où qu’il vienne, et son père, qui, au vu des chiens, du cheval et de ses éperons, allait chasser en forêt. Enfin dernière hypothèse que nous développerons bien plus ensuite, cette scène fait écho à La Cour Assemblée et pourrait montrer Louis III allant chercher son fils pour l’amener à sa Cour où sa nouvelle charge serait célébrée. Généralement, les historiens de l’art ayant étudié cette scène sont assez réticents à la qualifier de réellement historique. Tout d’abord par l’anachronisme présent, qui renvoie plus à un portrait de dynastie idéale qu’à la réelle situation des Gonzague à cette date là, mais en plus, tout un courant de chercheurs sont partisans d’un lien étroit entre les deux scènes, bien au delà de la simple présence d’une lettre sur les deux murs.
La célébration de l’ascension de Louis III et ses fils
Il est évident au vu de La Rencontre que la charge ecclésiastique du fils du marquis est un fait central dans sa vie. En effet, que l’on s’accorde ou non à dire que La Cour Assemblée l’attend pour fêter sa réussite ou qu’il revient de Milan où il a remercié les Sforza, peu importe, le fils est de toute façon représenté en habit de cardinal et c’est donc un élément central de l’œuvre et un événement de la plus haute importance pour la famille Gonzague. On voit bien que ces fresques célèbrent la gloire de la famille Gonzague sous deux aspects : l’aspect religieux avec François mais aussi l’aspect politique avec Louis III et sa cour. Dans la rencontre, le portrait de Frédéric III de Habsbourg est tout autant un hommage qu’il lui rend qu’un moyen de rappeler au spectateur que Frédéric III se fait garant de la légitimité du pouvoir des Gonzague sur Mantoue. C’est d’ailleurs son prédécesseur qui fit marquis Jean-François, père de Louis III. Christian Ier de Danemark se fait également le garant de son pouvoir au-delà même des frontières de Mantoue. Cela nous amène à un point essentiel dans l’étude de la pièce : il s’agit bien de célébrer la gloire des Gonzague mais seulement Louis III et ses fils. Ce n’est pas une gloire de la dynastie qui est décrite ici mais juste l’importance politique qu’ont les Gonzague pendant le vivant de Louis III. Ainsi son propre père, pourtant politiquement parlant important, n’est pas représenté. Cela nous fait d’ailleurs remarquer un point non négligeable : les Sforza de Milan, bien qu’ils soient un des vecteur de la nomination de François à sa charge et qu’ils soient peut être le thème des deux scènes (si l’on s’en tient à la théorie selon laquelle le marquis aurait reçu une lettre d’eux et de là aurait croisé son fils) sont absents des deux murs. Selon Nick Bratzner, qui s’interrogea sur cet aspect étonnant, cette absence prouve l’irréalité de la scène de la Rencontre. Selon lui cet oubli est bel et bien la preuve que cette scène ne représente pas un fait réel sans quoi ils seraient présents. Cette théorie reste assez discutable. Il n’en reste pas moins que leur unique évocation à travers un bout de papier est très étonnante compte tenu de l’importance de leur pouvoir pour les Gonzague. Au-delà de l’évocation de la puissance politique de Louis III, Andrea Mantegna nous livre ici une réelle ovation à la gloire de Louis III et ce essentiellement par le plafond. En effet il y est un prince parmi les princes, se plaçant dans la lignée des empereurs romains. Les figures mythologiques renvoient les qualités essentielles dont il se sentait probablement pourvu : le courage, l’habileté, l’intelligence. Quant à l’oculus, il s’agit là d’une habile transposition de son pouvoir : un putto, couronné de laurier, joue avec les armoiries des Gonzague, un autre tient une pomme, symbole du globe impérial, enfin un troisième joue avec un bâton, assimilable à un sceptre. Autrement dit, les symboles renvoient à la bonne régie du royaume. Enfin les Gonzague restent quant même reconnaissants envers ceux qui les ont aidé à en arriver là. Nous avons déjà mentionné Frédéric III et Christian Ier mais il reste une personne qui n’est pas physiquement présente mais tout de même évoquée : le Pape. Le marquis fait donc hommage au pontife en représentant Rome en arrière plan, même si les théories hésitent entre la Rome du pape ou une Rome souhaitée au nouveau cardinal (puisque le blason des Gonzague est présent). Le rocher représenté en arrière plan de la Rencontre est par contre un réel hommage puisqu’il s’agit du rocher que le Pape Pie II Piccolomini fit ériger après la rébellion des Tiburtini contre son pouvoir. De même, la roche à gauche est une allusion de la guerre de Pie II contre les rebelles des Savelli. La lune représentée plusieurs fois est elle aussi un hommage, elle est en effet l’emblème des Piccolomini. Notons tout de même l’absence d’édifices chrétiens ce qui est très étonnant tant vis-à-vis du Pape que vis-à-vis du cardinal. Il semble finalement intéressant de conclure sur la vision très intéressante de Daniel Arasse sur la Chambre. Celui-ci voit ainsi les deux murs comme la représentation de la politique et de ses effets sur le royaume. Il s’agirait donc du principe du bon gouvernement, représenté avec La Cour Assemblée où le marquis est entouré de toute sa famille et de ses suivants, et de l’application du principe à travers La Rencontre, autrement dit, une scène calme, où des hommes importants sont représentés et où le royaume à l’arrière plan est en bon état. Il s’agirait donc pour l’auteur du symbole du parcours en toute sécurité d’un territoire protégé politiquement et religieusement. Il suppose donc qu’Andrea Mantegna aurait pu s’inspirer du Bon Gouvernement et des Effets du bon gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti, œuvre de 1330. Mais il fait également la même analogie avec Le triomphe de Saint Thomas et Le triomphe de l’Église Militante. Sa vision cause/conséquence est assez originale mais réellement très intéressante et apporte une nouvelle vision de la Chambre après une longue période de stagnation des historiens de l’art concernés.
Notes et références
- ↑ Lieu « officiellement » privé du prince dans lequel il peut recevoir des visiteurs et même des ambassadeurs, qui n'est pas le grand salon de réception officiel. C'est un lieu non pas intime mais privé. Il y avait effectivement un lit, où le prince pouvait se reposer mais ce n'était pas la chambre matrimoniale, c'était donc un lieu de réception et aussi d'amusement (Daniel Arasse : chapitre 13 des Histoires de peinture)
Sources
- (it) Cet article est partiellement ou en totalité issu d’une traduction de l’article de Wikipédia en italien intitulé « Camera Picta ».
Bibliographie
- Michele Cordaro, sur la restauration de la pièce, Mantegna, La Chambre des Époux, Paris, éd. Gallimard/Electa, (1992) Traduit de l'italien par Françoise Lifranc
- Daniel Arasse, chapitre 13 des Histoires de peinture (livre et CD mp3) (1997)
- Maurizio Maradelli, Mantegna. La chambre des époux, Gallimard, Paris (2000)
- Garavaglia Niny et Bonnefois Yves, Tout l’œuvre peint de Mantegna, Flammarion, Paris, (1998)
- Christiansen Keith, Mantegna, Padoue et Mantoue, Hazan, Italie, (1995)
Voir aussi
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