- Volatilité électorale
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La volatilité électorale (en anglais : voter volatility) est un concept de sociologie politique désignant le fait qu'au sein d'une démocratie, les électeurs ont plus ou moins tendance à changer d'affiliation à un parti politique ou à une doctrine entre deux échéances électorales. La volatilité électorale a fait l'objet de plusieurs travaux de la part de chercheurs en science / sociologie politique.
Sommaire
Principales études sur la volatilité électorale
La volatilité électorale face aux modèles explicatifs du vote
Le « nouvel électeur rationnel » remet en cause les modèles explicatifs du vote
Les modèles déterministes (aussi dits « écologiques ») selon lesquels le vote est conditionné par le milieu social d'appartenance, décrivant notamment un vote ouvrier très à gauche et un vote des classes aisées à droite, commencent à être remis en question aux États-Unis à partir de la fin des années 1960, et particulièrement dans les années 1970 alors que la période des Trente Glorieuses touche à sa fin. Le vote de classe ne semble plus aussi net qu'auparavant, et donc le paradigme de l'identification partisane décrit par Michigan ne semble plus pouvoir rendre compte efficacement de la réalité. De cette désagrégation du vote de classe est née une forme de volatilité électorale du fait que le vote des individus devenait plus imprévisible qu'auparavant. Cette volatilité électorale s'est retrouvée au Royaume-Uni où deux tiers de l'électorat a changé d'orientation politique entre 1964 et 1979 pour les élections législatives[1], puis un peu plus tard en France, où entre 1981 et 1984, la moitié des électeurs ont changé de « préférences électorales »[1]. Ce chiffre est confirmé sur la période 1993-1997[2].
Certains politistes ont alors cherché à établir de nouveaux modèles permettant d'expliquer ces changements. Le modèle du « nouvel électeur » est donc apparu et s'est développé dans les années 1960 et 1970 aux États-Unis en étant au départ théorisé par Valdimer Key[3],[4]. D'après ce modèle, l'électeur serait un électeur rationnel « débarrassé des déterminismes sociaux ». Selon Valdimer Key, l'électeur rationnel serait un électeur qui utiliserait son vote pour « récompenser » ou « sanctionner » le gouvernement sortant[3]. Si l'électeur est globalement satisfait des actions gouvernementales, il apporte son vote au parti pour lui indiquer son soutien. Au contraire, s'il est insatisfait, il le sanctionne en votant pour un autre parti ou en s'abstenant[3]. L'abstention est en effet un moyen permettant de faire passer un message de mécontentement et est une composante à ne pas oublier de la volatilité électorale[1].
Le modèle du « nouvel électeur » est approfondi dans les années 1970 par Norman H. Nie, Sidney Verba et John R. Petrocik dans leur ouvrage The Changing American Voter[3],[5]. Les auteurs cherchent notamment l'origine de cette nouvelle rationalité qui proviendrait selon eux d'un changement des valeurs et des attitudes des citoyens due à une éducation de plus en plus prolongée, permettant aux électeurs d'acquérir de plus amples « compétences politiques » les poussant à voter rationnellement en fonction des enjeux des élections et non en suivant la tradition électorale de leur milieu socio-culturel d'appartenance. Ce modèle décrit ainsi les raisons d'une augmentation de la volatilité électorale de la manière suivante paraphrasée par Dormagen et Mouchard : « l'électeur serait plus instruit et mieux informé, donc plus exigeant, moins grégaire et plus critique, donc plus imprévisible et plus volatile en matière de préférences électorales »[3]. Selon ce modèle, la volatilité n'est donc pas la conséquence d'une indécision des électeurs, mais serait due au contraire à une amélioration de la qualité de jugement par un électorat davantage compétent. C'est un renversement complet du paradigme de Michigan énoncé par Paul Lazarsfeld dans The People's Choice (1944) selon lequel les électeurs volatiles sont des électeurs peu intéressés par la chose publique. Le modèle du « nouvel électeur » est aussi utilisé à partir des années 1980 pour caractériser un changement dans l'électorat français, notamment avec les travaux de Philippe Habert et Alain Lancelot, qui affirment qu'en 1988, 10% des électeurs français répondent désormais au profil du « nouvel électeur » volatile par pragmatisme en fonction des enjeux de l'élection[6],[7].
Ce modèle du nouvel électeur rejoint donc sur certains points le modèle de l'électeur-stratège théorisé auparavant par Anthony Downs en 1957[8],[9]. Ce modèle contenait déjà l'idée d'un vote pour sanctionner ou récompenser le gouvernement sortant. Selon ce modèle, le chômage et l'inflation sont les deux variables clés qui, si elles sont trop élevées, créent une volatilité des électeurs car ceux-ci décident de sanctionner le parti au pouvoir en votant pour l'opposition[10]. Ce modèle permettrait donc d'expliquer la volatilité des électeurs du fait que depuis la fin des Trente Glorieuses, le chômage structurel est plus élevé qu'auparavant, et qu'un mécontentement constant et irréductible apparaît vis-à-vis des élus politiques : les électeurs sanctionnent alors fréquemment chaque gouvernement en donnant leurs voix à l'opposition, créant une volatilité électorale.
Critiques du modèle du « nouvel électeur »
Si la volatilité électorale est le fait de changer son vote d'une élection à l'autre, il est tout à fait envisageable qu'un électeur change son vote sans pour autant changer intérieurement de convictions politiques[11]. En effet, l'offre politique est variable, et un même parti peut changer de discours et d'orientation au cours du temps. Cela crée une volatilité statistique des électeurs qui décident de ne plus apporter leur vote à un parti non pas parce qu'ils changent d'opinion, mais précisément parce qu'ils gardent fermement leurs opinions et que suite à une modification de l'offre électorale, le parti qui représente le mieux leurs convictions n'est plus le même[11]. En somme, les politistes qui raisonnent ainsi attaquent le modèle du « nouvel électeur » sur l'idée qu'il se base sur une volatilité purement statistique de changement de vote alors que l'électorat est en réalité assez stable dans ses opinions.
L'illustration de cet argument se trouve notamment dans l'exemple (évoqué dans le manuel de Dormagen et Mouchard[11]) d'un électeur dont les opinions de gauche ne sont pas fluctuantes, qui aurait voté pour le PS de François Mitterrand en 1981 en sachant que le parti était orienté vers l'aile communiste, puis aurait voté pour le PCF aux législatives de 1986 car ses opinions étaient désormais mieux représentées par ce parti que par le PS qui avait pris le tournant de la rigueur économique. Ainsi la volatilité statistique qui ressort n'est pas due à une volatilité des opinions, et ces opinions peuvent toujours être liées au cadre socio-culturel dans lequel vit une personne comme l'affirment les modèles déterministes[11]. De même, l'éclatement de l'offre politique au premier tour de l'élection présidentielle française de 2002 a créé de fait une volatilité de l'électorat qui ne signifie pas pour autant un changement des opinions des électeurs.
Toujours dans l'idée d'une défense des modèles déterministes, des régularités existent toujours au sein de l'électorat, notamment dans la différence d'orientation entre salariés qui votent davantage à gauche par rapport aux indépendants, de même pour ce qui est du vote davantage orienté à droite de la part des électeurs affirmant leur croyance dans les religions catholiques et protestantes[12]. Ces régularités vont à l'encontre de l'idée de volatilité.
Une autre attaque envers le modèle du « nouvel électeur » volatile par rationalité provient de diverses enquêtes sociologiques dont l'une a été menée par Daniel Boy et Elisabeth Dupoirier, et montre que ceux qui se disent intéressés ou très intéressés par la politique sont deux fois plus stables que ceux qui expriment un désintérêt pour la chose publique[13]. Ainsi, la logique du modèle du « nouvel électeur » qui mettait en avant l'idée d'un électeur volatile par augmentation des compétences politiques est entièrement remis en cause.
Évolution temporelle de la volatilité électorale
Un électorat plus volatile après les Trente Glorieuses
Globalement, la volatilité électorale se traduit par une montée des extrêmes (notamment de l'extrême droite) et une montée de l'abstention. Le « vote-sanction » étant dû à un mécontentement, les électeurs ont tendance à vouloir faire passer un message fort de malaise en votant pour l'extrême droite. Cela se remarque en France, mais aussi dans toute l'Europe. De manière plus générale, la volatilité électorale se fait aux dépens des grands partis structurant la vie politique traditionnelle. La croissance du LibDem (au Royaume-Uni) constitue une modification profonde de la vie politique britannique due à l'origine à cette hausse de la volatilité électorale qui s'est faite aux dépens des conservateurs et des travaillistes. En France, cela s'est particulièrement illustré au premier tour des élections présidentielles de 2002. 16 candidats se sont présentés, la plupart étant issus de courants politique très proches des trois partis principaux représentés par le PS, l'UMP et l'UDF. Cet éclatement de l'offre électorale peut être vu comme un pari des candidats issus de partis minoritaires sur cette volatilité de l'électorat pour espérer récupérer des voix. A gauche, la volatilité électorale est plus difficile à percevoir, car elle se caractérise par deux effets inverses : d'une part on retrouve une mobilité vers l'extrême gauche pour protester contre les compromis du PS avec les idées centristes, d'autre part cet effet est contrebalancé par une mobilité vers le PS motivée par le « vote utile », notamment depuis l'échec du PS à la présidentielle de 2002. Malgré cela, il s'agit bien dans les deux cas d'une mobilité des électeurs, donc d'une hausse de la volatilité électorale.
Quant à l'abstention, elle est elle aussi globalement de plus en plus élevée dans les pays développés qui ne la sanctionnent pas financièrement. Les abstentionnistes forment eux aussi un groupe d'inscrits volatiles puisque selon les élections, l'abstention peut fortement varier. Ainsi en France, l'abstention a été assez faible aux élections présidentielles de mai 2007 (16%), mais a été de 40% aux élections législatives en juin 2007, en forte augmentation puisque l'abstention aux élections législatives et présidentielles était d'environ 20% au cours des Trente Glorieuses. La volatilité abstentionniste se fait souvent encore une fois au détriment des partis dits « de gouvernement ». Par exemple, selon une enquête du CEVIPOF, 15% des inscrits ayant voté pour Lionel Jospin en 1995 se sont abstenus aux élections législatives de 1997, et ce phénomène se retrouve au mêmes dates de manière encore plus prononcé pour l'UMP qui perd la majorité à la chambre.
La volatilité serait restée constante
Patrick Lehingue explique qu'il faut bien distinguer plusieurs types de volatilités[14]. Une différence fondamentale doit être relevée entre d'une part la volatilité comme passage d'une tendance politique à l'autre (vote passant de droite à gauche ou de gauche à droite, dite « volatilité externe ») et la « volatilité interne » qui se fait à l'intérieur d'un même « camp » (changement de vote entre PC et PS par exemple). Or la volatilité ne concerne que très rarement des passages d'un camp politique à l'autre : la volatilité gauche-droite représente moins d'un dixième des électeurs volatils d'après Gérard Grunberg (les 90% restants sont des électeurs volatiles restant au sein de la gauche ou au sein de la droite). L'électorat actuel n'est donc pas véritablement volatil dans le sens où il change peu de bord politique.
De plus, toujours d'après Patrick Lehingue, ce chiffre de 10% d'électeurs volatiles entre droite et gauche est une constante depuis le début de la Cinquième République, il y aurait donc une « stabilité de l'instabilité » (expression de Dormagen et Mouchard). Patrick Lehingue considère que l'ensemble de la volatilité électorale est relativement stable au cours du temps : selon Lehingue, entre 1958 et 1962, la moitié des électeurs ont changé de vote si l'on tient compte de l'abstention et des changements de parti[1],[15], ce qui correspond aux statistiques concernant les années 1980 et 1990, selon lesquelles un électeur français sur deux était volatile. En somme d'après ce politiste, la volatilité électorale serait restée une constante pendant et après les Trente Glorieuses.
Bibliographie
: Ouvrage utilisé comme source pour la rédaction de cet article
- Jean-Yves Dormagen et Daniel Mouchard, Introduction à la sociologie politique, 3è édition : chapitre 11 : « Les comportements électoraux. Deuxième partie : les approches par les choix individuels », Paris, De Boeck, 2010
Articles connexes
Notes et références
- Dormagen et Mouchard, p. 192.
- Nonna Mayer et Daniel Boy, Mesure de la volatilité électorale en France (1993-1997), Revue française de science politique, 50e année, n°3, 2000. pp. 489-514 Marc Swyngedouw,
- Dormagen et Mouchard, p. 194.
- (en) V. O. Key Jr., The Responsible Electorate: Rationality in Presidential Voting, 1936-1960, Belknap Press, 1966
- (en) Norman H. Nie, Sidney Verba et John R. Petrocik, The Changing American Voter, Cambridge, Harvard University Press, 1976
- Dormagen et Mouchard, p. 195.
- Philippe Habert et Alain Lancelot, L'émergence d’un nouvel électeur, Le Figaro. Elections législatives 1988, juin 1988, p. 16-23
- Dormagen et Mouchard, p. 202.
- Anthony Downs, An Economic Theory of Democracy, New York, Harper, 1957
- Dormagen et Mouchard, p. 203.
- Dormagen et Mouchard, p. 193.
- Dormagen et Mouchard, p. 172.
- Dormagen et Mouchard, p. 209.
- Patrick Lehingue, La "volatilité électorale". Faux concept et vrai problème : fluidité des définitions, infidélités des mesures et flottement des interprétations, Scalpel, Cahiers de sociologie politique de Nanterre, 2-3, 1997
- Dormagen et Mouchard, p. 208.
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