Tashi Tsering (mémorialiste)

Tashi Tsering (mémorialiste)
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Tashi Tsering est né dans une famille paysanne en 1929 à Guchok, un village du comté de Namling, aujourd'hui dans la préfecture de Xigazê, à quelque 160 km à l’ouest de Lhassa.

Sommaire

Jeunesse

Tashi évoque une enfance heureuse dans une famille de paysans habitant une maison villageoise en pierres, le premier et le second étages servent d'habitation et le rez-de-chaussée accueille les animaux. Ils cultivent l'orge et des lentilles et élèvent des yaks, chèvres et moutons. La famille fabrique son habillement en filant la laine et la tissant sur des métiers en bois. Elle utilise le troc pour se procurer des produits comme le sel.

Son père est un lettré, quand il mélange son encre, remplit avec soin l'encrier, taille la pointe de sa plume en bambou et trace les lettres les unes après les autres, Tashi est fasciné. De cette admiration naît son désir d'apprendre.

Désigné à l'âge de 10 ans pour faire partie du gadrugba, la troupe de danse traditionnelle du dalaï-lama ou société de danse du gouvernement tibétain,[1] en raison d'un impôt dû traditionnellement par son village, le jeune Tashi n'est pas mécontent de cette situation, même si sa mère est desespérée, car c'est pour lui l'occasion d'apprendre à lire et à écrire, son vœu le plus cher[2].

A l'école de danse, la méthode employée par les maîtres pour stimuler les élèves est de les frapper à chaque faute commise, comme cela se fait depuis des siècles. Tashi porte encore les marques des corrections quasi-quotidiennes[3]. À l'âge de 13 ans, en 1942, il est fouetté devant toute la troupe pour avoir été absent à une représentation : sa peau se déchire, la douleur devient insupportable[4].

Le jeune danseur se fraye un chemin en devenant le partenaire homosexuel passif ou drombo (littéralement « invité ») de Wangdu, un moine ayant des relations et qui le traite avec douceur et favorise sa formation intellectuelle. Patrick French qui a rencontré Tashi Tsering lors de son voyage au Tibet, indique qu'il n'est pas homosexuel mais qu'il profitait de cette relation à des fins personnelles[5]. Il est malgré tout enlevé et sequestré par des dob-dob. Tashi s'étonne que de tels comportements puissent être tolérés dans les monastères : « Quand je parlais des dob-dob aux autres moines et responsables monastiques, on haussait les épaules en disant simplement que c'était le cours des choses » [6]. Lors de son entretien avec Patrick French, Tashi Tsering lui dit qu'avec le recul, il voyait les « pratiques sexuelles de l'ancien Tibet, comme une question d'habitudes et de conventions, la conséquence sociale acceptée de personnes exploitant les vides des règles religieuses »[5].

Études en Inde

Débrouillard, il parvient, à la fin des années 1950, à réunir les fonds nécessaires pour se rendre en Inde pour y étudier. Il est à l'étranger lorsqu'éclate le soulèvement de 1959[7].

Il travaille pour la noblesse tibétaine en exil, en particulier pour un frère aîné du dalaï-lama, Gyalo Thondrup, avec lequel il s'est lié d'amitié. Il le seconde dans l'accueil des réfugiés tibétains, sans savoir que celui-ci est financé par la CIA[8].

Une des tâches dont il est chargé consiste à recueillir des récits d'atrocités auprès de réfugiés. Il en trouve très peu et la plupart des réfugiés qu'il interroge sont illettrés et incapables de présenter leur expérience de façon ordonnée et logique. Beaucoup n'ont même pas vu les combats menés par l'armée chinoise à Lhassa. Ils n'ont de récit à faire que celui des souffrances qu'ils ont endurées pendant leur marche à travers la montagne[9]. Finalement, les récits consignés par ses soins, joints à ceux d'autres camps de réfugiés, seront présentés par la commission internationale de juristes dans son rapport de 1960 accusant la Chine d'atrocités.

En 1959, il est chargé par son ami Gyalola de surveiller, un mois durant, une partie du trésor que le dalaï-lama vient de faire transférer, par mesure de sécurité, de Gangtok, la capitale du Sikkim, à Siliguri plus au sud, le gouvernement chinois en réclamant la restitution. Alors que l'or est envoyé par avion cargo à Calcutta, l'argent est conservé chez un particulier tibétain et fondu en lingots en attendant une décision quant à son sort[10].

Études aux États-Unis (été 1960 - début 1964)

Tashi Tsering fait alors la connaissance en Inde d'un étudiant américain, grâce auquel il va pouvoir aller étudier aux États-Unis. Avant de partir, il rencontre le 14e lalaï-Lama, qui l'invite à « être un bon Tibétain », à « étudier sérieusement » et à « mettre son éducation au service de son peuple et de son pays »[11].

Il étudie sur la Côte Est puis à Seattle dans l'État de Washington : ses lectures historiques lui font établir un parallèle entre le Moyen-Âge occidental et la société tibétaine qu'il vient de quitter.

Malgré l'incompréhension de ses amis tibétains en exil et de ses condisciples américains (dont Melvyn Goldstein), il décide de retourner au Tibet pour se mettre au service des Tibétains restés au pays. Gyalo Thondrup essaie de l'en dissuader, en lui faisant miroiter des avantages matériels, mais en vain[12].

Retour au Tibet (1964)

Ses études à l'université de Washington terminées et mû par sa méfiance du gouvernement tibétain en exil, il retourne, malgré l'avis de ses amis, au Tibet chinois en 1964.

À son arrivée en Chine, il est envoyé à quelque 1 300 km au nord-ouest de Canton, à l'institut de la minorité tibétaine de Xianyang, qui abrite 2 500 étudiants. Il fait partie d'une classe de 40 Tibétains destinés à devenir enseignants au Tibet.

Il accepte conditions spartiates et endoctrinement, car il croit sincèrement au bien-fondé du communisme et espère que sa formation lui permettra de retourner au Tibet pour y enseigner[12].

Sous la révolution culturelle (1966-1976)

En 1966, débute la grande révolution culturelle prolétarienne.

Militantisme révolutionnaire (juin 1966- octobre 1967)

Persuadé que le Tibet ne peut évoluer vers une société moderne reposant sur des principes socialistes égalitaires qu'en collaborant avec les Chinois, Tashi Tsering devient garde-rouge[12]. Il participe à son premier thamzing en juin 1966, les dirigeants de l'école de Xianyang sont humiliés en public par les étudiants. Il fait partie des étudiants choisis pour aller défiler à Pékin devant le président Mao en septembre 1966. Résidant à Lhassa de décembre 1966 à mars 1967, il s'interroge alors sur le déroulement de la révolution culturelle au Tibet. Puis il retourne en mars à Xianyang.

Arrestation à l'école de Xianyang (octobre 1967 - décembre 1970)

Cependant, en octobre 1967, il est à son tour dénoncé comme « contre-révolutionnaire » et espion à la solde des États-Unis en novembre 1967[12]. Après des humiliations publiques et une condamnation sans réel procès, il se retrouve en prison au milieu d'intellectuels et de responsables, Han comme tibétains. Son séjour dans une geôle de Chine centrale, est effroyable.. Le 23 mars 1970 Tashi est formellement accusé de trahison. En novembre 1970 il est incarcéré à la prison de Changwu. Début décembre il est déplacé 3 jours à la prison de Xiangwu puis de nouveau 3 jours à la prison de Chengdu.

Prison de Lhassa (décembre 1970 - mai 1973)

Il finit par être transféré, en décembre 1970, à la prison de Sangyib à Lhassa dans la région autonome du Tibet. Il y restera deux ans et demi jusqu'en mai 1973. Les conditions de détention et la nourriture s'améliorent (il a même droit à des journaux en tibérain et en chinois)[13]. Lors d'une séance de lutte, il est interrogé par un Chinois et frappé par un Tibétain.

Réhabilitation

En mai 1973, Tashi Tsering est libéré. Toujours suspect, il est assigné à un travail manuel qui ne lui convient pas.

À l’automne 1974, il se rend à Lhassa rendre pour voir ses parents. Il y épouse Sangyela, une amie tibétaine de longue date, très croyante, avec qui il va former un couple très uni[12].

Profitant de l'assouplissement du régime après l'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1977, il gagne Pékin pour réclamer, et obtenir, sa complète réhabilitation[12].

Officiellement réhabilité en 1978, il commence, à cinquante ans, une nouvelle vie. Il est autorisé à rentrer au Tibet en 1981 et devient professeur d'anglais à l'université du Tibet à Lhassa. Il obtient de pouvoir commencer la rédaction d'un dictionnaire trilingue tibétain-chinois-anglais (qui sera publié à Pékin en 1988)[12].

De son côté, son épouse obtient une licence pour un débit de chang (bière tibétaine).

Le bâtisseur d'écoles

Article connexe : Éducation au Tibet.

Avec la politique économique de la Porte ouverte de Deng Xiaoping, hommes d'affaires et touristes débarquent à Lhassa, créant un besoin de guides anglophones.

Création d'un cours d'anglais privé

Constatant qu'il n'existe aucun enseignement de l'anglais dans les écoles du Tibet, il a l'idée d'ouvrir à Lhassa, en septembre 1985, des cours du soir en anglais. La réussite est au rendez-vous, il fait d'importants bénéfices qu'il décide d'utiliser pour ouvrir des écoles dans sa région d'origine où il n'existe aucune structure d'enseignement.

Les écoles du plateau

Il se bat alors pour obtenir la création, dans son village, d’une école primaire, laquelle ouvre ses portes en 1990.

Fort de cette réussite, et pour financer l'ouverture d'autres écoles dans le canton de Namling, il met sur pied un commerce de tapis et d'articles d'artisanat qui prospère grâce aux visiteurs étrangers[14]. En 1991, s'ouvre une deuxième école, à Khartse.

C'est ainsi qu'une cinquantaine d'écoles primaires seront fondées sur le Haut Plateau à son initiative[12],[15] et en collaboration avec les autorités scolaires du comté qui répartissent les fonds, choisissent les emplacements, définissent la taille des écoles, ainsi qu'avec les habitants qui fournissent bénévolement la main-d'œuvre[16]. Dans les écoles ainsi créées, l'accent est mis sur la langue et la culture tibétaines.

Son autobiographie

En 1992, ayant repris contact avec Melvyn Goldstein, il retourne aux États-Unis pour travailler à son autobiographie avec son ancien condisciple. Ses mémoires paraîtront finalement en 1997 sous le titre The Struggle for Modern Tibet. The Autobiography of Tashi Tsering, et sous la co-signature de Melvyn Goldstein, William Siebenschuh et Tashi Tsering[12].

Comme le remarque P. Christiaan Klieger, l'histoire de Tashi Tsering a été mise en forme par deux interlocuteurs, Melvyn Goldstein et William Siebenschuch, dans un sens particulier, dans le but d’interférer avec le Tibet idéalisée dans la vision des occidentaux[17].

Sa 2e rencontre avec le dalaï-lama

En 1994 (à 65 ans), avant de retourner au Tibet, il rencontre à nouveau le dalaï-Lama, à l’Université du Michigan, et l’invite à conclure un accord avec la Chine et à rentrer au Tibet[12]. Celui-ci lui répond : « J’apprécie votre conseil à sa juste valeur ; j’y ai pensé moi-même. Mais j’estime que ce n’est pas le moment »[18].

Défenseur de la langue tibétaine

En 2007, Tashi Tsering intervient auprès des députés de la région autonome du Tibet pour protester de la trop faible place accordée à la langue tibétaine dans l'enseignement supérieur et dans l'administration[19]. À son avis, les écoles au Tibet devraient enseigner toutes les matières, y compris la science et la technologie modernes, en tibétain, afin de préserver la langue[20].

Ouvrages

Notes et références

Sources :

  1. David Paul Jackson, A saint in Seattle: the life of the Tibetan mystic Dezhung Rinpoche, Wisdom Publications, 2003, p. 266.
  2. (en) Grain, Tibetans and the Cultural Revolution, site Journey to the East : « At the age of ten, he became his village's tax to the Dalai Lama's ceremonial dance troupe. He said, "In our village everyone hated this tax, as it literally meant losing a son, probably forever." (p. 11, The Struggle for Modern Tibet.) His mother cried for days, and tried to bribe the village elders to spare him from being chosen, to no avail. Tashi himself was actually happy at the prospect of joining the troupe. For him, the task was a chance for education. He wanted very much to learn how to read and write. »
  3. (en) Melvyn Goldstein, William Siebenschuch and Tashi Tsering, The Struggle for Modern Tibet, the Autobiography of Tashi Tsering, Armonk, N.Y., M.E. Sharpe, 1997, xi + 207 p., pp. 3-5 : « the teachers' idea of providing incentives was to punish us swiftly and severely for each mistake [...]. I still have some of the scars from the almost daily beatings. I was shocked by the treatment but soon learned the teachers' methods had been used for centuries. ».
  4. Melvyn Goldstein et al, op. cit, pp. 3-5.
  5. a et b Partick French :Tibet, Tibet Une histoire personnelle d'un pays perdu, traduit de l'anglais par William Oliver Desmond, Page 253, Albin Michel, 2005
  6. Melvyn Goldstein et al., op. cit. : « I wondered to myself how monasteries could allow such thugs to wear the holy robes of the Lord Buddha. When I talked to other monks and monk officials about the dobods, they shrugged and said simply that that was the way things were (p. 29). »
  7. (en) Elliot Sperling, compte rendu de The Struggle for Modern Tibet: The Autobiography of Tashi Tsering by Melvyn Goldstein, William Siebenschuh, Tashi Tsering, in The Journal of Asian Studies, Vol. 59, No. 3 (Aug., 2000), pp. 728-729 : « The author is a resourceful person and by the late 1950s had managed to secure the funds that allowed him to travel to India to study. Residing outside of Tibet at the time of the Tibetan Uprising in 1959, he was soon working closely with the exiled Tibetan resistance leaders, particularly Gyalo Thondrup [...]. »
  8. Melvyn C. Goldstein et al. : « At the time I did not know that he was the chief Tibetan working with the American Central Intelligence Agency and really had substantial financial resources ».
  9. Melvyn C. Goldstein et al., op. cit. : « Their stories were of the sufferings they had incurred in the journey through the mountains, not at the hands of the Chinese. »
  10. Melvyn Goldstein et al., The Struggle for Modern Tibet, op. cit. p. 58.
  11. Melvyn C. Goldstein et al., op. cit. : « Be a good Tibetan. Study hard. And use your education to serve your people and your country. »
  12. a, b, c, d, e, f, g, h, i et j Source : Présentation de l'éditeur de la version en français.
  13. Melvyn C. Goldstein et al., op. cit. : « In spite of the extremely small cells, the physical conditions here were better than those of any of the prisons I had known in China. There were dim electric bulbs in each cell, and the walls and floors were concrete and a good deal warmer and drier than anything I had seen before. We got more food and freedom, too. There were three meals a day here, and we got butter tea, tsamba, and sometimes even meat, Compared to what I'd been experiencing, these conditions amounted almost to luxury » (p. 132).
  14. (en) John Pomfret (Washington Post Foreign Service), In Tibet, a Struggle of the Soul, Washington Post, July 16, 1999 : « Today, in addition to his charity, he runs a successful carpet business and sells Tibetan books abroad. »
  15. André Lacroix (traducteur), Mon combat pour un Tibet moderne, par Tashi Tsering, site Tian Di : « fondateur d'une cinquantaine d'écoles primaires. »
  16. (en) Aiming Zhou, Tibetan education, Series of basic information of Tibet of China, Éditeur 五洲传播出版社, 2004, (ISBN 7508505700 et 9787508505701), 167 p., p. 104 : « As soon as his money was put in place, the Bureau of Education of the Namling County initiated specific procedures for the construction including distributing funds, selecting the locations of schools and fixing the size of the schools. The local people vied with one another in voluntary labor. »
  17. P. Christiaan Klieger, Tibet, self, and the Tibetan diaspora: voices of difference ; PIATS 2000: Tibetan studies: proceedings of the ninth seminar of the International Association for Tibetan Studies, Leiden 2000, Volumes 2-8 of Brill's Tibetan studies library, International Association for Tibetan Studies. Seminar, BRILL, 2002, (ISBN 9004125558 et 9789004125551) p. 162
  18. Cf. le résumé en français, fait par André Lacroix, de The Struggle for Modern Tibet, Tibetdoc, 20 décembre 2008.
  19. Mon combat pour un Tibet moderne, Récit de vie de Tashi Tséring par Melvyn Goldstein, William Siebenschuh et Tashi Tsering, Postface du traducteur : André Lacroix page 235 et suivantes, Édition Golias, octobre 2010
  20. (en) Chen Zhi, Rebirth of the lama kingdom, English.news.cn, 2011-05-22 : « Schools in Tibet should teach all subjects, including modern science and technology in Tibetan, so as to preserve our traditional language," he said in a letter to Tibet's regional People's Congress. »

Voir aussi

Liens externes



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