Shentong

Shentong

Le shentong ou zhentong (gzhan stong) « vide d’autre » est dans le bouddhisme tibétain une interprétation de la philosophie madhyamaka selon laquelle le « vide » de la nature ultime ou tathagatagarbha se comprend comme « vide de ce qui n’est pas elle », et non comme vide de nature propre. La réalité ultime est identique au buddhajnana, nature claire et lumineuse non duelle de l’esprit possédant les qualités de bouddha (buddhaguna), révélée par la méditation après dissipation des réalités contingentes et relatives[1]. A cette interprétation s’oppose la perspective rangtong (rang stong) « vide de soi » qui se situe dans la lignée de la philosophie bouddhiste traditionnelle, selon laquelle la nature ultime est vide de nature propre, et la dissipation des illusions ne révèle pas de nature transcendante. Les adeptes de la philosophie shentong considèrent les deux points de vue comme compatibles, la réalisation de l'absence de nature propre représentant une vérité relative et une première étape vers la réalisation de la nature ultime.

Cette différence de point de vue entraina et entraine toujours des débats passionnés et fut parfois prétexte à des luttes d’influence entre sectes, en particulier les Jonangpa promoteurs du concept et les Gelugpa.

Sommaire

Naissance et transmission

La distinction entre les interprétations shentong et rangtong n’apparait pas explicitement dans les textes indiens et provient de la réflexion des interprètes et yogis tibétains face aux textes traitant de la nature de bouddha (tathagatagarbha), comme le Ratnagotravibhaga de Maitreyanatha. Ils sont souvent considérés dans le mahayana et le vajrayana comme représentant le « troisième tour de la roue du dharma », l’enseignement le plus avancé du Bouddha. Or, contrairement aux textes prajnaparamita, leur thème principal n’est pas la vacuité mais la nature de bouddha, concept qui apparait plutôt comme positif.

Dolpopa fut le premier à exposer le shentong dans son ouvrage ri chos nges don rgta mtsho (Ri Chos), et cette interprétation devint la caractéristique essentielle de l’École Jonang dont il est l’un des maîtres les plus influents, parfois considéré comme son fondateur. La tradition de l’École fait remonter le shentong à Yumo Mikyo Dorje, son premier ancêtre revendiqué, mais il s’agit certainement d’une attribution a posteriori. Dolpopa eut d’emblée des opposants (rangtongpa) qui insistèrent sur le fait que la vacuité est la réalité ultime dans le bouddhisme et que l’interprétation de la nature ultime en conscience (jnana), même si elle est de bouddha, est forcément erronée. Parmi ces opposants, issus essentiellement des traditions Gelug et Sakya, on peut citer Buton, Gyaltsab Je et Khedrup Je[2].

Au XVIIe siècle, cette différence doctrinale servit de prétexte à une attaque systématique des monastères Jonang par les Gelugpa qui les absorbèrent, entrainant la disparition officielle de l’École et l’interdiction de ses textes dont le Ri Chos. On suppose[3] cependant que les raisons réelles de l’agression étaient des conflits d’intérêt et de pouvoir.

Malgré la disparition de Jonang, le shentong continua d’être transmis par certains lamas des traditions Kagyu et Nyingma et du mouvement rimé, le plus connu au XXe siècle étant Kalou Rinpoche[2]. Dans ces traditions, le shentong a évolué en s'écartant dans une certaine mesure de la vision de Dolpopa, et a été réinterprété pour servir de base au mahamudra et au dzogchen[4]. Les lamas Kagyu et Nyingma qui adoptent la perspective shentong considèrent en général que la philosophie madhyamaka de la vacuité sert à clarifier la pensée, alors que la méditation doit être basée sur le shentong, qui reflète mieux l’expérience du méditant[5].

Notes et références

  1. Susan K. Hookham The Buddha Within: Tathagatagarbha Doctrine According to the Shentong Interpretation of the Ratnagotravibhaga, State University of New York Press (mai 1991) SUNY Series in Buddhist Studies p33-37
  2. a et b S. Hookes p135-136
  3. Gene Smith Banned books in the Tibetan speaking lands, 2003-11-22 Mongolian & Tibetan Affairs Commission, Taiwan, 2004, p188
  4. Cyrus Stearns The Buddha from Dolpo 1999 p98-105
  5. Khenpo Rinpoche Rangtong & Shentong Views: A Brief Explanation of the One Taste of the Second and Third Turnings of the Wheel of Dharma, Dharma Samudra, août 2007

Annexes

Bibliographie

  • Cyrus Stearns Le Bouddha du Dolpo - Vie et pensée d'un maître tibétain atypique du XIVe siècle, Claire Lumière ; original en anglais The Buddha from Dolpo, State University of New York Press (1999). (ISBN 0-7914-4191-1 et 0-7914-4192-X)
  • Dolpopa, traducteur Jeffrey Hopkins Mountain Doctrine; Tibet’s Fundamental Treatise on Other-Emptiness and the Buddha-Matrix, Snow Lion Publications (24 juillet 2006) (ISBN 155939238X et 978-1559392389)
  • Taranatha traduction de Jeffrey Hopkins The Essence of Other-Emptiness. Wisdom Books (2007). (ISBN 1559392738)
  • Karl Brunnholzl, The Center of the Sunlit Sky: Madhyamaka in the Kagyu Tradition, (ISBN 1-55939-218-5)
  • Ven. Khenpo Tsultrim Gyamtso, Rimpoche. Progressive Stages Of Meditation On Emptiness, (ISBN 0-9511477-0-6)
  • S. K. Hookham The Buddha Within, SUNY Press, (ISBN 0791403580 et 978-0791403587)

Liens externes


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