Porcelaine de Nyon

Porcelaine de Nyon

Créée en 1781 par l’Allemand Ferdinand Müller et le Français Jacques Dortu, la manufacture de porcelaine de Nyon, en Suisse, déploie son activité jusqu’à se fermeture en 1813, la chute de l’Ancien Régime et les guerres napoléoniennes ayant définitivement raison de ses récurrentes difficultés à écouler sa marchandise sur le continent.
De style néoclassique, sa production, de premier ordre, compte parmi les fleurons de l’artisanat helvétique.

Sommaire

Historique

La structure politique spécifique de la Confédération helvétique, en particulier l’absence d’une noblesse curiale, explique que, contrairement à la plupart des grandes manufactures européennes (Meissen et le prince de Saxe, Sèvres et Louis XV, Clignancourt et Monsieur, comte de Provence, etc.), la fabrique de Nyon, la dernière à poindre en Europe, ne profite pas de la protection d’un mécène de prestige. En Suisse aussi toutefois, l’apparition de la porcelaine ne s’explique pas sans l’avènement du luxe, du raffinement des mœurs et de l’art de la table, lié aussi à l’arrivée de boissons jusque-là exotiques (thé, café, chocolat).

Les origines

L’aventure nyonnaise commence en 1781, année où Dortu et Müller, qui avaient travaillé ensemble une quinzaine d’années auparavant en France et en Russie, reçoivent l’aval des autorités de Nyon et du bailli de la puissante République de Berne, qui conçoit comme seul avantage financier l’exemption des péages au-dehors du district de Nyon. Après quelques années, Dortu vend sa part et retourne à Berlin, mais revient en Pays de Vaud en 1787, puis s’associe avec des notables locaux.
La société, qui emploie une trentaine de personnes (autant que Meissen à ses débuts) – peintres, brunisseurs, tourneurs, modeleurs, garnisseurs, ouvriers spécialisés, manœuvres -, est dissoute en 1813, à la suite d’insurmontables soucis pécuniaires. L’autre manufacture suisse, celle de Zurich, fondée en 1763, connaît un sort identique en 1790.

La personnalité de Charles Dortu

Directeur technique et artistique, Jacques Dortu constitue le personnage nodal de l’aventure nyonnaise. Né en 1749 à Berlin, protestant d’origine française, fils de réfugié huguenot, il effectue son apprentissage à la manufacture royale de Berlin (1764-1767) puis séjourne à Marseille (1773-1777) et à Marienberg (1777-1778), en Suède. L’homme se trouve à la tête d’une équipe cosmopolite, à laquelle il parvient à insuffler un esprit commun, empreint d’exigence et d’un souci de perfection hors normes.

En parfait homme des Lumières, proche contemporain de Mozart, Dortu, né en Allemagne comme tant de maîtres ébénistes qui feront, eux, la gloire de Versailles, a noué des contacts dans toutes l’Europe lors de ses séjours successifs, qui, associé à la propre des artisans d’alors, lui assurent un réseau de premier ordre le moment venu. Faute de sources, la question du choix de ses revendeurs à l’étranger, mais aussi les modalités des transactions ainsi que les canaux mis en place pour la distribution des pièces restent inconnues. La liste des « comptoirs » se révèle impressionnante, de Cadix à Saint-Pétersbourg, de Londres à Marseille, via Leipzig, Turin, Lyon, Hambourg, Amsterdam – 28 dépositaires étrangers, une cinquantaine dans la Confédération. Un parallèle avec une autre aventure exceptionnelle, l’Encyclopédie d’Yverdon de Félice mériterait l’attention des chercheurs.

L'installation à Nyon

Le meilleur spécialiste de Nyon, Edgar Pelichet, parle de « miracle » pour expliquer l’établissement de Dortu sur La Côte vaudoise.
Nyon, bourg de 2000 habitants, dispose à proximité d’un peu d’argile, les émaux viennent d’Allemagne (du moins au début), l’or s’obtient grâce à la fonte des pièces en circulation, et les ressources en bois (600 à 800 mètres cubes annuels nécessaires) semblent plutôt limitées ; surtout, la matière première, le kaolin, fait défaut, et l’on doit l’acheminer de Saint-Yrieix, près de Limoges. La clientèle (officiers, notables, etc.) paraît insuffisante pour écouler suffisamment de pièces alentour – les lois somptuaires ne régissent-elles pas les pratiques genevoises ? Comment, donc, expliquer le choix nyonnais ? L’absence de proche concurrence, peut-être, la possibilité d’irriguer le marché allemand ? la tranquillité ? Voire. Le phénomène religieux (Berne est acquise à la Réforme) entre certainement en ligne de compte.

Caractères stylistiques

Alchimiste, artiste et artisan, Dortu, au prix d’un savant mélange (la part de silice et d’oxyde de fer se rapproche le plus de l’art oriental), produit une pâte extrêmement pure, légère, translucide, d’un blanc crémeux. Les formes séduisent immédiatement par leur pureté, leur sobriété et la perfection des lignes et des proportions. Une belle étude reste à mener qui s’attarderait à comparer la porcelaine de Nyon et l’argenterie de Lausanne, autre ville lémanique sur laquelle souffle l’esprit tout en mesure du protestantisme et son esthétique de la discrétion, à l’exact opposé de l’ostentatoire curial et de la surcharge des ors et des couleurs.
Dans les décors, clef de voûte de ce fleuron de l’artisanat helvétique, réside également le génie de Dortu ; gaies, lumineuses, fraîches, reconnaissables entre toutes, les couleurs soulignent la splendeur de la toute fin de l’Ancien Régime, qui distille avec Nyon ses dernières lumières avant le crépuscule.
La variété des décors : rubans, guirlandes, paysages, fleurs, insectes, attributs, gravures déploient une inventivité sans fin qui se conjugue avec les frises ou bordures aux motifs si typiques du classicisme : entrelacs, guirlandes, oves, perles, grecques, dents de loup, cordons, rinceaux...
De même que des critiques reprochent à l’Encyclopédie d’Yverdon de n’être qu’une refonte de celle de Diderot et d’Alembert, de même des voix s’élèvent pour ne voir dans la porcelaine de Nyon qu’une imitation des décors d’outre-Jura ; c’est oublier d’une part que le cosmopolitisme d’alors implique une telle émulation et d’autre part que la couronne de roses bleues sur fond sablé or ou le décor dit « napolitain » (guirlande or piqué de fleurettes pourpres suspendues à des galons de perles noires) ont vu le jour à Nyon.
Outre l’argenterie de Lausanne, l’amateur contemporain ne peut qu’être frappé de la qualité de l’artisanat de la puissante République de Berne, qui recensait en ses murs des ébénistes de haut vol (Aebersold, Funk. Hopfengärtner).

La redécouverte de la porcelaine de Nyon

L’Exposition nationale suisse de 1896 à Genève offre pour la première fois une vitrine à la porcelaine suisse. Nulle trace cependant de Dortu ; longtemps court d’ailleurs la rumeur selon laquelle c’est à un dénommé Maubrée, ancien collaborateur de Sèvres, que l’on doit la création de la porcelainerie nyonnaise.
En 1947, une gigantesque exposition (la première après une autre de moindre importance, au début du XXe siècle à Genève) réunit 700 œuvres de 120 collectionneurs privés au château de Nyon, durant un mois seulement ; le rendez-vous connaît un grand succès populaire.

Les Muséees Ariana, à Genève, et de Nyon recensent de nombreux trésors, notamment les services dits « napolitains » (quelque 200 pièces) – celui commandé par Murat, roi de Naples - et « de la Schadau » (environ 80 pièces), l’un acquis à Naples, l’autre lors de la fameuse vente Rechner à Monte-Carlo en 1926. En 2008, la vente de la succession Salmanowitz attire tous les regards. A l’automne 2011, la première exposition « hors sol » de porcelaine de Nyon a lieu au Musée royal de Mariemont, en Belgique.

Bibliographie

  • Bobbink Hilde, Porcelaines de Nyon. Collections du Musée Ariana de Genève et du Musée historique et des porcelaines de Nyon, Genève, Braillard [s.d., 1992]
  • Catalogue de l’Exposition nationale de porcelaine de Nyon, 19 mai – 19 juin 1947
  • Deonna Waldemar, « Porcelaines de Nyon », Pro Arte, 61, Genève, 1947
  • Droz Laurent, Les comptes de la manufacture de porcelaine de Nyon (1781-1813). Aspects économiques, mémoire de licence, Université de Lausanne, 1997
  • Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud, vol. 6 "Les Arts I", et vol. 7, "Les Arts II", Lausanne, 24 Heures, 1976 et 1978
  • Girod Maurice, Notice sur les porcelaines de Zurich, Nyon et Genève (tiré à part du catalogue L’art ancien, Exposition nationale, 1896), Genève, 1896
  • Guillemé-Brulon Dorothée, « Porcelaine de Nyon. Les services », L’Estampille, 186, novembre 1985
  • Martinet Aimé, Guide de l’amateur de porcelaine de Nyon, Genève, [s.l.], 1911
  • Molin Aloys de, Histoire documentaire de la manufacture de porcelaine de Nyon, Lausanne, Bridel, 1904
  • Mottu Jean Albert, Quelques notes sur la porcelaine de Nyon (1781-1813) et sur la porcelaine décorée à Genève par Pierre Mulhauser ou sous sa direction (1805-1818), [s.l.] 1940
  • Pelichet Edgar, Porcelaine de Nyon, Nyon, Editions du Musée, 1957
  • Pelichet Edgar, Merveilleuse porcelaine de Nyon, Lausanne, Grand-Pont, 1985 (1re éd. 1973)

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Porcelaine de Nyon de Wikipédia en français (auteurs)

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