Opicinus de Canistris

Opicinus de Canistris

Opicinus de Canistris (24 décembre 1296 à Lomello près de Pavie - vers 1353 à Avignon) est un prêtre, écrivain et artiste italien. Son œuvre, longtemps méconnue car produite pour l’essentiel alors qu’il était devenu psychotique, a été récemment décryptée et en fait un acteur de l’art psychopathologique.

Sommaire

Biographie

Elle est surtout connue par les écrits et dessins d’Opicinus lui-même, car son œuvre constitue une vaste autobiographie délirante qu’il convient de décoder.

En Italie septentrionale (1296 - 1329)

Opicinus de Canistris naît à Lomello (en Lombardie, près de Pavie) le 24 décembre 1296. Sa famille, bien connue à Pavie, milite dans le camp des guelfes opposés aux gibelins.

À partir de six ans, il va à l’école. Puis il étudie de manière classique les arts libéraux et acquiert progressivement une formation éclectique à caractère encyclopédique. Il montre un intérêt précoce pour l’enluminure. Il occupe quelques emplois temporaires pour aider matériellement sa famille.

La prise de Pavie par les gibelins le 8 octobre 1315 oblige la famille de Canistris à s’exiler à Gênes pendant trois ans. Opicinus prend alors ses distances avec le parti guelfe, d’autant plus qu’il perd alors son père et un de ses jeunes frères.

À Gênes, il approfondit ses connaissances théologiques et bibliques et il développe son talent pour l’enluminure. Il a alors l’occasion de voir les premières « cartes marines » (appelées à tort « portulans »).

Revenu à Pavie (1318), Opicinus fait les études requises pour devenir prêtre. À partir de 1319, il écrit des traités religieux. Il est ordonné à Parme le 27 février 1320 et obtient en 1323 une modeste cure à Pavie (Santa Maria Capella). À partir de 1321, il manifeste des troubles obsessionnels.

Entre 1325 et 1328, il commet un délit simoniaque et se retrouve excommunié par l’évêque de Pavie. Il s’enfuit et erre pendant plusieurs mois, vivant de mendicité et sujet à un état dépressif ponctué de crises d’angoisse.

En Avignon (1329 – vers 1353)

Parvenu en Avignon (avril 1329) où se trouve alors la cour pontificale, Opicinus récupère des forces et nourrit à nouveau des ambitions. Il se fait remarquer par le pape Jean XXII et écrit plusieurs traités, dont deux à caractère opportuniste (le De preeminentia spiritualis imperii et le De laudibus).

Il obtient un poste de scribe à la Pénitencerie apostolique le 4 décembre 1330. Mais peu de temps après, il est retrouvé par ceux qui le poursuivaient depuis l’affaire de Pavie et qui lui intentent un procès devant la Rote romaine. En proie à des tensions extrêmes, Opicinus cherche à se défendre et continue à écrire. Mais ses problèmes psychologiques s’aggravent entre 1331 et 1334.

Le 31 mars 1334, Opicinus commence à être en proie à une bouffée délirante et hallucinatoire. Quand il émerge au bout d’une quinzaine de jours, il est entré dans la psychose, se prenant désormais pour le Christ mort et ressuscité.

Il reprend ses fonctions de scribe en mai 1334 en bénéficiant de la tolérance de son entourage. Sa psychose évolue : l’arrivée sur le trône pontifical de Benoît XII (20 décembre 1334) donne à son délire une coloration persécutive, car Opicinus considère que c'est lui qui aurait dû être élu pape. En 1335, il commence à dessiner, notamment des cercles et des cartes où il exprime son délire, lequel évolue vers la « paraphrénie fantastique ».

Le 24 janvier 1337, il gagne son procès devant la Rote. Quelques mois après, en proie à un état d’excitation, il rédige en secret le Vaticanus latinus 6435.

Il passe la fin de sa vie en Avignon, à confectionner et peaufiner les grandes planches sur parchemin du Palatinus latinus 1993, s’adonnant sans relâche à son œuvre monumentale et énigmatique.

Il meurt après l’élection du pape Innocent VI, sans doute en 1353.

Œuvre

Les écrits antérieurs à 1334

  • 1319 : Liber metricus de parabolis Christi ;
  • 1320 : De decalogo mandatorum ;
  • 1322 : traités religieux ;
  • 1324 : Libellus dominice Passionis secundum concordantiam IIII evangelistarum ;
  • 1329 : De paupertate Christi, De virtutibus Christi, Lamentationes virginis Marie, De preeminentia spiritualis imperii ;
  • 1330 : Tractatus dominice orationis, Libellus confessionis, De laudibus Papie ;
  • 1331 : Tabula ecclesiastice hierarchie ;
  • 1332 : De septiloquio virginis Marie ;
  • 1333 : De promotionibus virginis Marie.

Il s’agit de traités dépourvus de dessins et connus de l’entourage de l’auteur. Seuls le De preeminentia spiritualis imperii (La primauté du pouvoir spirituel) et le De laudibus Papie (Éloge de Pavie) nous sont parvenus sous forme de copies[1]. Leur contenu est classique.

L’œuvre postérieure à 1334

Elle se compose de deux manuscrits dépourvus de titre, écrits et dessinés par Opicinus à l’insu de son entourage, où il note et représente ses idées délirantes. Les originaux sont aujourd’hui conservés à la Bibliothèque apostolique vaticane ; il n’y a pas de copies.

le manuscrit Vaticanus latinus 6435

Opicinus l'a rédigé entre juin et novembre 1337 et y a ensuite inséré des addita (le dernier en décembre 1352). Identifié seulement à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, ce manuscrit a récemment fait l’objet d’une édition-traduction complète par Muriel Laharie, médiéviste, et de diverses études par Guy Roux, psychiatre – une collaboration interdisciplinaire étant indispensable pour approcher cette œuvre singulière.

Le Vaticanus se présente sous la forme d’un codex de papier de 87 folios, avec seulement des textes écrits dans la première moitié, des textes et des dessins (à base souvent cartographique) dans la deuxième moitié. L’ensemble est très dense. Ce codex s’apparente à un journal rédigé dans l’ordre chronologique ; mais son contenu polymorphe et difficile à décoder témoigne de la culture encyclopédique de son auteur. En effet, Opicinus récupère toutes ses connaissances pour étayer ses prétentions mégalomaniaques, à travers des identifications multiples favorisées par une imagination luxuriante : il est Dieu, le Soleil, le pape, l’Europe, Avignon etc. Ses cartes anthropomorphes en couleurs du bassin méditerranéen, précises et curieusement agencées, mettent en scène des personnages et des animaux « bons » ou « mauvais » sur lesquels il se projette et projette ses ennemis, en rapport avec son délire persécutif et manichéen. Le recours au symbolique, le goût pour la dissimulation, la manipulation (des mots, des nombres, de l’espace), et l’attirance pour ce qui est obscène et scatologique sont omniprésents.

Le manuscrit Palatinus latinus 1993

Opicinus l’a commencé en 1336, mais y a travaillé pour l’essentiel après avoir fait le codex Vaticanus et a continué jusqu’à sa mort. Identifié en 1913 (donc avant le codex), ce manuscrit a fait l’objet d’une étude de Richard Salomon en 1939, avec édition partielle du document et commentaires ; malheureusement R. Salomon n’a pu se faire aider par un psychiatre et il n’a donc pas compris le délire d’Opicinus. Guy Roux a rectifié la perspective d’approche de ce document et Muriel Laharie en prépare l’édition-traduction exhaustive.

Comportant 52 grands dessins en couleurs, réalisés sur des peaux de parchemin (utilisées le plus souvent au recto comme au verso) et couverts de notes, le Palatinus reprend et développe les thèmes délirants qu’Opicinus avait exprimés dans le Vaticanus, de manière plus majestueuse et solennelle mais aussi moins spontanée. Les dessins sont extrêmement complexes, comprenant une majorité de cercles ou ellipses garnis de citations bibliques, de calendriers et de séries variées (signes du zodiaque, planètes, prophètes, apôtres, métaux etc) ; une carte, complète ou embryonnaire, sous-tend fréquemment le dessin ; des personnages, parfois emboîtés les uns dans les autres, complètent le dispositif. Le délire mystique et manichéen, la pensée spatiale, l’imagination souveraine et le style hermétique sont comparables à ceux du Vaticanus.

Au total, les deux manuscrits d’Opicinus permettent de découvrir un cas médiéval de psychose et d’apprécier l’exceptionnelle créativité de son auteur. Cette œuvre unique en son genre montre que les « fous » peuvent être des artistes « singuliers » qui, à travers l’étrangeté de leurs productions, laissent parler l’inconscient collectif. De ce fait, Opicinus s’avère être à la fois un ambassadeur de son temps, dont il répercute les préoccupations et les modes d’expression, et un témoin des aspects universels de la psychose.

Notes et références

  1. De preeminentia spiritualis imperii (1329). Voir R. Scholz, Unbekannte Kirchenpolitische Streischriften aus der Zeit Ludwig des Bayern (1327-1354), Rome, Verlag von Loescher et Cie, tome 1, 1911, p. 37-43, et tome 2, 1914, p. 89-104. De laudibus civitatis ticinensis (1330). Voir F. Gianani, dans Opicino de Canistris, l’Anonimo Ticinese, Pavie, EMI, 1996, p. 73-121 ; et D. Ambaglio, Il libro delle lodi della città di Pavia, Pavie, 1984.

Annexes

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • M. Laharie, Le journal singulier d’Opicinus de Canistris (1337 - vers 1341), Cité du Vatican, Bibliotheca Apostolica Vaticana, 2008, 2 tomes, LXXXVIII + 944 p., 47 ill.
  • M. Laharie, « Une cartographie ‘à la folie’ : le journal d’Opicinus de Canistris », dans Mélanges de l’Ecole française de Rome (Moyen Âge), Ecole française de Rome, 119, 2, 2007, p. 361-399.
  • G. Roux, Opicinus de Canistris (1296 - 1352), prêtre, pape et Christ ressuscité, Paris, Le Léopard d’Or, 2005, 484 p.
  • G. Roux, Opicinus de Canistris (1296 - 1352), Dieu fait homme et homme-Dieu, Paris, Le Léopard d’Or, 2009, 310 p.
  • G. Roux et M. Laharie, Art et Folie au Moyen Âge. Aventures et Énigmes d’Opicinus de Canistris (1296-1351 ?), Paris, Le Léopard d’Or, 1997, 364 p., 94 ill.
  • R.G. Salomon, Opicinus de Canistris. Weltbild und Bekenntnisse eines Avignonesichen Klerikers des 14. Jahrunderts, Londres, The Warburg Institute, 1936, 2 tomes ; réimpr. Lichtenstein, Kraus Reprints, 1969, 292 p. + 89 ill.
  • P. Tozzi, Opicino e Pavia, Pavie, Libreria d’Arte Cardano, 1990, 76 p.



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