La Transcendance de l'Ego

La Transcendance de l'Ego
La Transcendance de l’Ego
Auteur Jean-Paul Sartre
Genre Essai philosophique
Pays d'origine Drapeau de France France
Lieu de parution Paris
Date de parution 1936
Nombre de pages 87
ISBN 2-7116-0676-7

La Transcendance de l’Ego, première œuvre proprement philosophique et originale[1] de Jean-Paul Sartre est écrite en 1934, en partie durant son séjour à Berlin où il était allé étudier la phénoménologie de Husserl, et est publiée en 1936 dans la revue Les Recherches philosophiques. Cet ouvrage s’inscrit d’ailleurs typiquement dans un débat interne à une école. Les références à Husserl n’ont donc rien d'étonnant, en revanche ce qui pourra surprendre c’est la place importante qu'occupe Kant. La terminologie est donc marquée par Husserl et Kant, dans la suite de l'œuvre de Sartre, on ne trouvera plus de terme comme « conscience transcendantale ».

La thèse de La Transcendance de l’Ego est que l’Ego n’est pas un « habitant[2]» de la conscience, c’est-à-dire qu’il n’est pas à la base de la conscience mais qu’il est un objet de la conscience. A cette première thèse énoncée au tout début de l’ouvrage vient s’y ajouter une deuxième à la fin, selon laquelle la conscience transcendantale est une spontanéité impersonnelle. La position de Sartre est assez originale étant donnée qu’il part de la conscience, et qu’il va construire une philosophie de la conscience mais qui ne sera pas une philosophie du sujet.

La méthode, comme l’indique le sous-titre, esquisse d’une description phénoménologique, est descriptive. Il s'agit de décrire une expérience de pensée dont le point de départ est la conscience, et plus précisément d'une conscience définit par l’intentionnalité.

Dans une première partie, Sartre, à travers la description, constate et analyse l’Ego dans sa double composante d’un Je et d’un Moi.

Dans la deuxième partie de son ouvrage, il examine, toujours à l’aide de la description, la constitution de l’Ego. Après avoir posé le problème, il en fait la généalogie.

Sommaire

Plan de l'ouvrage

I. Le Je et le Moi

  • A) Théorie de la présence formelle du Je
  • B) Le Cogito comme conscience réflexive
  • C) Théorie de la présence matérielle du Moi

II. La constitution de l'Ego

  • A) Les États comme unité transcendantales des consciences
  • B) Constitution des actions
  • C) Les qualités comme unités facultatives des états
  • D) Constitution de l'Ego comme pôle des actions, des états et des qualités
  • E) Le Je et la conscience dans le Cogito

Conclusion

Un point de départ kantien

Le point de départ de Sartre est la fameuse phrase de Kant : « Le Je doit pouvoir accompagner nos représentations[3] ». Sartre se demande si le Je accompagne toutes nos représentations. La réponse est négative, et cela Kant l’a bien pressentie puisqu’il écrit « doit pouvoir » que Sartre souligne. Il y a donc des représentations sans Je.

Sartre choisit comme exemple la lecture. À condition que le livre soit bon, le lecteur est pris dans sa lecture et s'oublie, il n'y a plus de Je, les pages sont tournées sans que le lecteur se dise : « je tourne la page ». Il faut distinguer « je sais que je dois faire cela et après cela » de « il y a conscience de devoir faire cela et ensuite cela ». Il faut donc constater qu’il existe bien des cas où il y a conscience mais pas de Je, cela est un fait. Et ce fait indique l’existence d’un champ de conscience impersonnelle pour Sartre.

Rappelons que le Je est pour Kant une condition de possibilité de l’expérience, un tel Je est dans la terminologie kantienne, transcendant, supérieur aux choses, et transcendantale, supérieur et indépendant de l’expérience, il faut donc bien le distinguer du Je empirique, c’est-à-dire du Je que l’on rencontre dans l’expérience.

C’est sur cette base qu’il faut distinguer la conscience transcendantale et la conscience empirique. Et il faut remarquer que le rapport de l’une à l’autre n’est qu’un rapport de condition de possibilité. « La conscience transcendantale est seulement l’ensemble des conditions nécessaires à l’existence d’une conscience empirique[4]

À partir de là, se demander ce que peut être une conscience transcendantale n’a pas de sens, puisqu’elle ne se situe pas au niveau de l’expérience mais avant l’expérience, dans les conditions de possibilité. Sartre ne veut pas déplacer le problème, l’existence parfois d’un Je dans la conscience, il veut rester au niveau du fait, et c’est à ce moment qu'il rencontre Husserl.

Une phénoménologie de l’Ego

Avec Husserl et la phénoménologie, la conscience transcendantale de Kant est saisit par Husserl dans l’époché, elle n’est plus un ensemble de condition mais « un fait absolu[5] », elle est un absolu. La conscience transcendantale peut donc aussi être appelée conscience absolue. Et si l'on se demande pourquoi elle est un absolu, la réponse est déconcertante de simplicité : car elle est conscience d’elle-même. C’est en ce sens qu’il faut comprendre que « la conscience se définit par l’intentionnalité[6] ». Et l’intentionnalité, cette grande loi de la conscience mis à jour par Husserl (et fortement aidé en cela par Brentano) s’énonce ainsi : la conscience est toujours conscience de quelques choses. Sartre comprend l’intentionnalité par le fait que :

« […] le type d’existence de la conscience c’est d’être conscience de soi. Et elle prend conscience de soi en tant qu’elle est conscience d’un objet transcendant. Tout est donc clair et lucide dans la conscience : l’objet est en face d’elle avec son opacité caractéristique, mais elle, elle est purement et simplement conscience d’être conscience de cet objet, c’est la loi de son existence[7]. »

Cette définition minimum de la conscience, qui est simple, austère et radicale restera la même dans L’être et le néant[8].

Il convient de relever que dans plusieurs passages où Sartre parle librement de conscience, sans préciser de quelle conscience il s’agit, il s’agira toujours de cette conscience transcendantale ou absolue. Car, il n’y a pas une conscience et une définition de la conscience mais plusieurs types de consciences dans cet ouvrage. Nous pouvons distinguer : la conscience transcendantale, la conscience empirique, la conscience irréfléchie, la conscience réfléchie, la conscience réflexive et enfin la conscience réfléchissante, ce qui nous fait pas moins de six types de consciences. Nous les examinerons en temps voulu.

Que se passe-t-il par rapport à Kant ? En fait, toute la perspective est retournée. Par l’intentionnalité, en naissant portée sur un être autre qu’elle-même, la conscience est unifiée par l’objet. En s’échappant à elle-même, la conscience s’unifie sur un objet et dans le temps. Avec cette conception phénoménologique de la conscience, ce n’est plus le Je transcendantal de Kant mais la conscience de Husserl qui unifie et individualise. Le Je devient alors, totalement inutile. Ce Je est superflu, nuisible et il annonce la mort de la conscience.

Il faut noter ici une divergence entre Sartre et Husserl. Car la position d’Husserl n’est pas constante à propos du moi, il a fait un pas en avant et un pas en arrière.

Il a d’abord considéré que le moi était une production synthétique et transcendantale de la conscience dans les Recherches logiques, c’est-à-dire un objet de la conscience. Pour ensuite, revenir en arrière, à la thèse classique d’un Je transcendantal qui est un moi à la base de la conscience, un « habitant de la conscience » comme dit Sartre.

Prenons pour preuve ces deux passages :

« D’ailleurs je dois reconnaître, à vrai dire, que je ne puis absolument pas arriver à découvrir ce moi primitif, en tant que centre de référence nécessaire[9]. »

Qu’on comparera avec :

« Le monde objectif qui existe pour moi, qui a existé pour moi et qui existera pour moi, ce monde objectif avec tous ses objets puise en moi-même, ai-je dit plus haut, tout le sens et tout la valeur existentielle qu’il a pour moi ; il les puisse dans mon moi transcendantal, que seul révèle l’époché phénoménologique transcendantale[10]. »

Le problème que soulève Sartre est de savoir si une conception du moi comme « habitant » de la conscience est conciliable avec la première définition de la conscience. La réponse est négative, car alors toute la définition de la conscience est menacée. Comme nous l’avons vu, la conscience est définie grâce à l’intentionnalité comme un absolu non substantiel du fait qu’elle est conscience d’elle-même, et qu’elle est, rajoute Sartre : « toute légère, toute translucidité[11] », elle est aussi pure spontanéité. Or, qu’est ce que le moi ? Il est opacité, la clarté de la conscience est détruite. C’est en cela que ce Je transcendantal annonce la mort de la conscience. Réintroduire un Je transcendantal dans la conscience, c’est la transformer en monade et se précipiter dans le solipsisme pour Sartre. Mais il reste à savoir maintenant si la clarté de la conscience mérite ce sacrifice du moi, car, de la même manière que Hume, Sartre ne va-t-il pas avoir de problème considérable pour rendre compte du sentiment de notre identité ? Voyons comment il s’y prend.

Première critique d’une conception de l’inconscient

La constitution de l’Ego à travers l’état, l’action et la qualité

Notes et références

Notes

  1. L’Imagination dont la publication date de 1936, est un travail académique qui s'inscrit dans une recherche sur l'image et l'imagination commencé en 1927 avec la soutenance d'un diplôme d'études supérieures intitulé L'Image dans la vie psychologique : rôle et nature. Commencé donc bien avant La Transcendance de l’Ego, il reste un ouvrage husserlien sans grande originalité. Sartre écrit d’ailleurs quelques années plus tard : « Husserl m’avait pris, je voyais tout à travers les perspectives de sa philosophie qui m’était d’ailleurs plus accessible, par son apparence de cartésianisme. J’étais « husserlien » et devais le rester longtemps. » (Carnets de la drôle de guerre, p. 225) Enfin, nous mettons de côté les deux autres publication précédentes : La légende de la vérité, conte philosophique publié en 1931 dans la revue Bifur, ainsi que l'article de 1927 sur la théorie réaliste du droit chez Duguit.
  2. La Transcendance de l'Ego (TE), Vrin, Paris, 1992, p. 13 
  3. Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, Analytique transcendantale, GF, Paris, 1987, L. 1, ch. 2, 2e section, § 16 « De l’unité originairement synthétique de l’aperception », p. 154.
  4. TE, p. 15, selon l’interprétation d'Émile Boutroux.
  5. TE, p. 18
  6. TE, p. 21
  7. TE, p. 23 – 24. Cette définition de la conscience restera là même dans L’être et le néant, puisqu’il y écrit : « La conscience est conscience de quelques choses : cela signifie que la transcendance est structure constitutive de la conscience ; c’est-à-dire que la conscience naît portée sur un être qui n’est pas elle » (EN, p. 28).
  8. Voir la note au-dessus
  9. Edmund Husserl, Recherches logiques, Tome II, 2e partie, V, § 8 « le moi pur et l’avoir conscience ». Dans la deuxième édition déjà, Husserl ajoute une note que voici : « Depuis lors, j’ai appris à le trouver ou plutôt appris qu’il ne fallait pas se laisser retenir, dans l’appréhension pure du donné, par la crainte de tomber dans les excès de la métaphysique du moi. »
  10. Edmund Husserl, Méditation cartésienne, Vrin, Paris, 1953. Première Méditation cartésienne, § 11 « le moi psychologique et le moi transcendantal », p. 23.
  11.  TE, p. 25

Bibliographie

  • Philippe Cabestan, Dictionnaire Sartre, Ellipses, Paris, 2009.
  • Philippe Cabestan et Arnaud Tomes, Le Vocabulaire de Sartre, Ellipses, Paris, 2001.
  • Vincent de Coorebyter, Sartre face à la phénoménologie, Ousia, Bruxelles, 2000.
  • Jean-Marc Mouillie, Sartre, conscience, ego et psyché, PUF, Paris, 2000.

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article La Transcendance de l'Ego de Wikipédia en français (auteurs)

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