Kitano Tenjin engi emaki

Kitano Tenjin engi emaki
Kitano Tenji engi emaki
Image illustrative de l'article Kitano Tenjin engi emaki
Sugawara no Michizane en exil après son injuste condamnation. L'attitude des personnes dans cette scène colorée transmet une profonde mélancolie. Version Jōkyū, 1219.
Artiste Inconnu
Année 1219 (environ)
Type Emaki
Technique Peinture et encre sur rouleau de papier
Dimensions (H) 52 cm
Localisation Kitano Tenman-gū, Kyōto, Japon

Le Kitano Tenjin engi emaki (北野天神縁起?), traduit en « rouleau sur la fondation du temple Kitano et la vie de Sugawara no Michizane » ou plus simplement « rouleau enluminé sur l’histoire du dieu de Kitano », est un emaki japonais du XIIIe siècle. Composé de huit rouleaux calligraphiés et peints, il raconte la vie de Sugawara no Michizane et la construction du sanctuaire Kitano Tenman-gū en son honneur après sa mort. Par la suite, cette histoire a été peinte à de nombreuses reprises au format de l’emaki, si bien que l’on donne à toutes ces œuvres le même nom.

Sommaire

Contexte et création de l’emaki

Peinture de genre.

Apparue au Japon depuis environ le VIe siècle grâce aux échanges avec l’Empire chinois, la pratique de l’emaki se diffuse largement auprès de l’aristocratie à l’époque de Heian : il s’agit de longs rouleaux de papier narrant au lecteur une histoire au moyen de textes et de peintures. Plus tard, les luttes intestines et les guerres civiles marquent l’avènement de l’époque de Kamakura, dominée par la classe des guerriers (les samouraïs). Le Kitano Tenji engi s’inscrit dans ce contexte-là, lors de l’« âge d’or » de l’emaki (XIIe et XIIIe siècles)[1]. Il raconte la vie et la mort de Sugawara no Michizane, ainsi que sa déification sous le nom de Tenjin et la fondation en son honneur du temple Kitano Tenman-gū à Kyōto, un important sanctuaire shinto ; Kujō Michiie, le commanditaire, en fait don au temple, probablement pour renforcer la position politique de la famille Kujō au début du XIIIe (une période instable)[2]. L’histoire se base sur un texte (un engi, où récit de la fondation d’un temple) rédigé a priori peu avant 1194.

L’emaki se compose de huit rouleaux de 0,52 m de haut et de 8,45 à 12,05 m de long[3], bien que la fin soit inachevée[4]. Il a été peint approximativement en 1219 selon une mention dans la première portion de texte ; ce premier emaki est communément nommé version Jōkyū ou version Shōkyū, 1219 correspondant à la première année de l’ère Jōkyū. En effet, plus d’une trentaine d’autres versions basées sur le Kitano Tenji engi ont été réalisés par la suite jusqu’au XIXe siècle, bien que la majorité des études portent sur la version historique Jōkyū[5], reconnue trésor national du Japon. Hormis une théorie abandonnée ayant attribué l’emaki à Fujiwara no Nobuzane, aucun indice sur l’auteur n’a subsisté[3]. Les textes, présents seulement dans les six premiers rouleaux, pourraient en revanche être attribués en partie à Kujō Michiie, selon Minamoto Toyomune[6].

La narration et le contexte de l’époque laissent supposer que l’emaki a été créé à des fins spirituelles. L’école bouddhiste Tendai y est particulièrement mise en valeur, si bien que les peintures ont probablement eu une valeur didactique, servant de support à l’enseignement ou à la récitation des légendes bouddhiques[5]. Des séances d’explication des peintures religieuses (etoki) étaient du reste courantes à l’époque de Kamakura. De plus, cet aspect didactique explique également la hauteur inhabituellement importante du rouleau et le grand nombre de versions. Les croyances ésotériques d’alors peuvent aussi laisser penser que sa fonction était d’apaiser les esprits tourmentés[5].

Narration

L'esprit vengeur de Sugawara no Michizane après sa mort, peint comme un dieu du tonnerre.

La narration se divise en quatre parties inégales[7]. La première partie rapporte la vie de Sugawara no Michizane (845-903), érudit et homme d’État très influent à la cour de Heian-kyō malgré son origine modeste, et qui est devenu une figure littéraire populaire[3]. En effet, victime d’une conspiration orchestrée par Fujiwara no Tokihira, il est condamné à tort et meurt en exil. Dès le début, une origine divine lui est donnée, car il « apparaît » enfant dans le jardin de son père ; l’enfant divin reste un mythe populaire du bouddhisme, renvoyant de fait au Bouddha historique[5]. Par la suite, ses capacités tant intellectuelles que physiques sont soulignées, par exemple à travers la composition de poèmes ou le concours de tir à l’arc. Il meurt en 903.

Dans la seconde partie, il est raconté que l’esprit vengeur de Sugawara Michizane revient sur terre après sa mort pour tourmenter les acteurs de la conspiration, sous la forme d’un dieu du tonnerre. En effet, plusieurs incidents surviennent dans les années suivant sa mort, notamment des incendies à la capitale (Kyōto) et la mort de ses opposants ; on ne tarde pas à attribuer ces méfaits à l’esprit de Michizane[5]. Plus précisément, c’est un prêtre nommé Nichizō qui raconte avoir discuté avec lui alors qu’il traversait les six voies de l’existence (rokudo), notamment les enfers, avant de revenir de l’au-delà. Contrairement à l’histoire originelle, le périple de Nichizō est relaté en détail, de façon fantastique, dantesque même[8]. La cour prend finalement la décision de bâtir en 947 le temple shinto Kitano à Kyōto en son honneur afin de calmer son esprit, passage relaté dans le troisième mouvement de l’emaki ; Sugawara Michizane y est vénéré sous le nom de Tenjin, un dieu protecteur des arts et des lettres. Enfin, la dernière partie relate divers miracles en rapport avec le temple.

Composition et style

Célèbre scène montrant Sugawara no Michizane invectiver les dieux après son exil. Les couleurs sont riches et le héros est représenté de façon disproportionnée.

Le style yamato-e des peintures se caractérise par des couleurs vives et la liberté des traits[7] ; parfois même, les contours sont omis, selon la technique de la peinture désossée (mokkotsu)[3]. La composition joue également sur les différences d’échelle, comme l’illustre souvent la scène de la prière de Sugawara no Michizane au sommet d’une montagne[9] : ce dernier est exagérément grand pour représenter sa force de caractère, malgré une posture humble qui en fait une « figure allégorique de l’homme »[10]. L’art réaliste caractéristique de l’ère de Kamakura se ressent également dans la recherche du mouvement, comme les bousculades ou la fuite d’un personnage[11].

Bien que le bouddhisme inspire grandement l’art japonais d’alors, le style du Kitano Tenji engi emaki se rattache également au shinto, d’où une liberté et une humanité plus marquée. Cet aspect se ressent notamment dans les paysages, insistant sur les détails et l’esprit animiste, selon T. Lésoulc’h[10]. Ce dernier y note également par endroits la nervosité des traits, similaire au lavis Song caractéristique du bouddhisme zen. Toutefois, l’iconographie bouddhique reste fortement utilisée, que ce soit à travers la narration de la vie de Sugawara Michizane, calquée sur la vie du Bouddha historique, la présence de créatures bouddhistes ou l’illustration des six voies de l’existence[5]. La représentation du dieu du tonnerre apparaît ainsi fort proche des statues de Raijin et Fūjin au Sanjūsangen-dō[12].

Héritage

Autres versions

Une scène de la version Kōan (1278), où la couleur est bien plus légère.

Plus d’une trentaine de versions ultérieures du Kitano Tenji engi emaki peuvent être recensées, réalisées surtout aux XIV et XVes siècles, tant par des amateurs que par des peintres fameux comme Tosa Mitsunobu en raison de la popularité croissante du culte de Tenjin[13],[11]. Parmi les plus connues figurent la version Kōan de Tosa Yukimitsu (1278) dont le style à la couleur légère influencera plusieurs rouleaux ultérieurs[14], ainsi que la version Matsuzaki de Dōchō et Ryūshin (1311), très élégante et décorative, qui présente plusieurs différences avec la version originale[15],[11].

Du point de vue de la narration, les versions sont en général divisées en trois branches selon la phrase introductive des rouleaux[13] :

  • dans la première branche, on y trouve la première version (Jōkyū), ainsi que les rouleaux du Sugitani Jinja et de l’Egara Tenjinsha (1319) ;
  • puis viennent notamment les rouleaux des temples Tsuda Tenman jinnja (1298) et Kitano Tenman-gū (1503) ;
  • enfin, la dernière branche recoupe une autre version du Kitano Tenman-gū ainsi que le Matsuzaki Tenjin (1311).

La première version du rouleau a également influencé d’autres types de peintures, comme les célèbres Paravents des dieux du tonnerre et du vent de Tawaraya Sōtatsu[16], ainsi que probablement d’autres peintures représentant les voies de l’existence (rokudo-e et jikkai-zu), comme un kakemono du Eikan-dō Zenrin-ji de Kyōto[6].

Aspects historiographiques

Un bateau médiéval propulsé par rame. Ce modèle a été reproduit grandeur réelle au musée d'histoire de Fukuyama.

Outre sa teneur historique et religieuse, le Kitano Tenji engi offre un aperçu sur la vie quotidienne, non à l’époque de Sugawara Michizane, mais à celle de l’artiste quelque 300 ans plus tard[6]. Ce dernier y peint par exemple divers rites et cérémonies de naissance[17] ou les tenues des jeunes moines dans les temples[18]. Une scène de la première partie montre un bateau propulsé par six rameurs, témoignage des navires médiévaux japonais dont il ne subsiste aucun exemplaire[19]. Plus généralement, l’architecture des habitats, leur agencement interne, les vêtements, les festivités, les ponts en bois, des tombes, les animaux domestiques, les enfants qui apparaissent très fréquemment, finalement une multitude de détails sont relevés par une étude de l’université de Kanagawa[6].

Annexes

Articles connexes

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Liens externes

Bibliographie

  • Elise Grilli (trad. Marcel Requien), Rouleaux peints japonais, Arthaud, 1962, 56 p. 
  • (en) Hideo Okudaira (trad. Elizabeth Ten Grotenhuis), Narrative picture scrolls, vol. 5, Weatherhill, coll. « Arts of Japan », 1973, 151 p. (ISBN 9780834827103) 
  • (ja) Toyomune Minamoto, Kitano Tenjin engi emaki, vol. 8, Kadokawa, coll. « Nihon emakimono zenshu », 1959 
  • (en) Sara L. Sumpter, « The Shôkyû version of the Kitano Tenjin engi emaki: A brief introduction to its content and function », dans Eras Journal, vol. 11, décembre 2009 (ISSN 1445-5218) [texte intégral] 
  • (en) Miyeko Murase, The Tenjin Engi Scrolls: a study of their genealogical relationship, université Columbia, 1962  (thèse, département Art History and Architecture)

Notes et références

  1. Christine Shimizu, L’art japonais, Flammarion, coll. « Tout l’art », 2001 (ISBN 9782080137012), p. 193 
  2. (en) Herbert Plutschow, « Tragic Victims in Japanese Religion, Politics, and the Arts », dans Anthropoetics, université de Californie à Los Angeles, vol. 6, no 2, 2000/2001 (ISSN 1083-7264) [texte intégral] 
  3. a, b, c et d Grilli 1962, p. 15
  4. Les esquisses d’un neuvième rouleau ont notamment été étudiées par Miho Suga dans A Study of the Underdrawings Found in the Ninth Scroll of the Jokyu Version of the Kitano Tenjin Engi Emaki, Journal of art history 135, 33-49,2-3, 1994
  5. a, b, c, d, e et f (en) Sara L. Sumpter, « The Shôkyû version of the Kitano Tenjin engi emaki: A brief introduction to its content and function », dans Eras Journal, vol. 11, décembre 2009 (ISSN 1445-5218) [texte intégral] 
  6. a, b, c et d (en) Keizo Shibusawa et al., « Pictopedia of Everyday Life in Medieval Japan compiled from picture scrolls », dans Report of "Systematization of Nonwritten Cultural Materials for the Study of Human Societies", université de Kanagawa, 1984 [texte intégral] 
  7. a et b Okudaira 1973, p. 123
  8. (en) The Kitano Tenjin Engi Emaki, Metropolitan Museum of Art. Consulté le 3 juillet 2011
  9. Okudaira 1973, p. 63
  10. a et b Théo Lésoualc’h, La Peinture japonaise, vol. 25, Lausanne, Éditions Rencontre, coll. « Histoire générale de la peinture », 1967, p. 41-42 
  11. a, b et c Christine Shimizu, L’art japonais, Flammarion, coll. « Tout l’art », 2001 (ISBN 9782080137012), p. 195 
  12. (en) Penelope E. Mason et Donald Dinwiddie, History of Japanese art, Pearson Prentice Hall, 2005 (ISBN 9780131176010), p. 233 
  13. a et b (en) Kitano tenjin engi, JAANUS (Japanese Architecture and Art Net Users System). Consulté le 25 juin 2011
  14. Seiichi Iwao et Hervé Benhamou, Dictionnaire historique du Japon, vol. 2, Maisonneuve & Larose, 2002 (ISBN 2706816325), p. 1556 
  15. Okudaira 1973, p. 127-131
  16. Mason et Dinwiddie 2005, p. 270
  17. (en) Janet R. Goodwin, Selling songs and smiles: the sex trade in Heian and Kamakura Japan, University of Hawaii Press, 2007 (ISBN 9780824830977) [lire en ligne], p. 105 
  18. (en) Mikael S. Adolphson, The teeth and claws of the Buddha : Monastic warriors and sōhei in Japanese history, University of Hawaii Press, 2007 (ISBN 9780824831233) [lire en ligne], p. 122 
  19. (en) Stephen Turnbull, Pirate of the Far East: 811-1639, Osprey Publishing, 2007 (ISBN 9781846031748) [lire en ligne], p. 32 

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