- Interprète militaire en France
-
Pour les articles homonymes, voir Interprète.
Militaires dont la spécialité est la connaissance des langues étrangères, sous-officier ou officier interprète servant sous l'uniforme, les interprètes militaires accompagnent les forces armées françaises dans tous leurs engagements depuis plus de 200 ans. Aujourd'hui Officiers et Sous-officiers de Réserve Qualifiés Langues Etrangères (OSRQLE), ils ont été précédemment Officiers Linguistes de Réserve de l'Armée de Terre (OLRAT), Interprètes/Officiers Interprètes de Réserve de l'Armée de Terre (IRAT/OIRAT) ou Officier de Liaison et Interprète de Réserve (OLIR). Référence à leur création durant la Campagne d'Égypte (voir ci-dessous), leur insigne de spécialité est un sphinx, sur fond de globe terrestre bleu divisé par les barrières linguistique, enchâssé sur un fond circulaire excentré parcouru de rayons symbolisant chacun une langue parlée par les Interprètes Militaires, sur lequel repose la courte épée symbolisant l'Armée de Terre.
« Les truchemans intermédiaires, indispensables entre Nations et peuplades de races différentes, ont existé dès la plus haute antiquité […] Quand Bonaparte entreprit sa glorieuse campagne d’Egypte, il emmena avec lui un corps de savants, au nombre desquels figuraient plusieurs orientalistes et arabisants auxquels il donna le titre d’interprètes de l’armée […]. » Ainsi commence-la "notice sur les Officiers Interprètes" rédigée en 1931 par l’interprète Commandant Abribat, notice largement inspirée de l’ouvrage de Laurent-Charles Féraud, "Les Interprètes de l’Armée d’Afrique", publié en 1876. De tous temps les conquérants se sont entourés de linguistes, nécessaires à la bonne marche de leurs opérations. Mais il fallut attendre Bonaparte pour que fussent formalisés le rôle et la fonction d’interprète militaire.
Sommaire
1798, campagne d’Egypte
Pour la première fois, un général en expédition, Napoléon Bonaparte, choisit de se faire accompagner de linguistes : les Interprètes Militaires sont nés. Il fut donc le premier à formaliser la fonction de ces linguistes. C’est là que se trouve l’origine de l’insigne actuel des linguistes de l’Armée de Terre, ainsi que celle des brevets de langues des autres armées : le sphinx. Le 20 Floréal an VI (9 mai 1798), le futur empereur s’entoura donc de neuf interprètes choisis parmi les orientalistes les plus en vue de l’époque, qui devinrent Interprètes de l’Armée, rattachés à la Commission des Sciences et Arts. Ils dépendaient du Ministère de la Guerre, mais n’avaient pas de grade réel. Parmi eux, Venture Paradis fut spécialement attaché à Bonaparte, et l’accompagna dans ses moindres déplacements, avec le titre d’Interprète en Chef, assimilé plus tard au grade de Commandant ou Lieutenant-colonel. Il décéda au retour de l’expédition de Saint Jean d’Acre, et fut remplacé par son élève, Amédée Jaubert. Tous deux furent membres de l’Institut d'Égypte fondé au Caire par Bonaparte le 3 Fructidor an VI (20 Aout 1798). Plusieurs interprètes furent en outre recrutés sur place, l’un d’entre eux recevant même plus tard le titre de Comte (Elias Pharaon, dit Comte Elias). Ce premier corps des interprètes fut licencié à l’issue de la campagne, et ses membres eurent des destins souvent prestigieux : professeurs à l’Institut des Langues Orientales, rédacteurs d’ouvrages historiques ou linguistiques, d’études diverses, voire membres du corps diplomatique[1].
1803, Armée d’Angleterre
C’est au 12 vendémiaire an XII (5 octobre 1803) que remonte la création officielle de la fonction et des unités constituées d’Interprètes Militaires, ou plus exactement « Guides interprètes », à l’occasion de la mise sur pied, au Camp de Boulogne, de l’Armée d’Angleterre. Le Colonel Dupont-Derval fut chargé de la constitution du Corps, et il nomma à sa tête le lieutenant, rapidement promu capitaine, Cuvelier. La compagnie comprenait une centaine d’hommes, dont deux tambours. L’habit à pans courts fut d’abord vert, avec col, parements et revers rouges, culotte blanche, ceinturon à boucle ornée d’un œil, avant de devenir en 1807 à pans longs, entièrement vert à l’exception des parements, blancs. Le débarquement annulé, la compagnie participa à d’autres campagnes (Allemagne, Espagne, Russie) avant d’être licenciée en 1814. Les 25 survivants furent alors incorporés au 2e régiment de dragons[2].
1830, Armée d’Afrique
En avril 1830, les Interprètes Militaires furent une fois encore mis à contribution, pour l’Expédition d’Alger. Le Marquis de Clermont Tonnerre, Colonel d’État-major, créa le Corps Royal des Interprètes de l’Armée d’Alger, qui devait devenir plus tard Corps des Interprètes de l’Armée d’Afrique. Les premiers à être recrutés furent d’anciens interprètes de Bonaparte, ainsi que des survivants des Mamelouks de la Garde Impériale, et de jeunes orientalistes. Le corps comprit à l’origine 5 interprètes de 1re classe qui perçurent, sans en avoir le grade, le traitement et les indemnités de Colonel d’État-major, 3 de 2e classe (Chef d’escadron) et 7 de 3e classe (Capitaine) ainsi que 8 Guides-interprètes (Lieutenant)[3]. L’uniforme était de drap bleu de roi à collet et parements en velours noir, gilet bleu ou blanc, pantalon demi-large en drap bleu sans passepoil. Les 9 boutons de l’habit, dorés, figuraient une fleur de lys surmontée d’une couronne[4]. Le signe distinctif de ces interprètes était alors une broderie en or figurant, au collet et/ou aux parements, selon le grade, deux branches d’olivier entrelacées. De nombreux interprètes eurent leurs chevaux tués sous eux, certains furent blessés au combat, quelques-uns y laissèrent même leur vie[5]. La conquête achevée, et après de nombreux changements à l’organisation du corps et aux tenues, certains devinrent administrateurs civils, responsables des forces de police (D’Aubignosc devint Lieutenant-général de police), consuls, magistrats,… Ismaÿl Urbain fut ‘l'inspirateur de la politique du Royaume arabe de Napoléon III, [sa route] a croisé et accompagné celle de l'Emir Abd el-Kader. Il fut de la Prise de la smala d'Abd El Kader par le duc d'Aumale (16 mai 1843), il eut la responsabilité de la détention de l'Emir en France, il lui rendit visite à Amboise, il l'accompagna à Paris lors de ses visites de 1853 et 1865’ (Michel Levallois, docteur en histoire – in études Arabes). Laurent-Charles Féraud, Interprète Principal de l’Armée, écrivit leur histoire en 1876. Par la suite, les interprètes de l’Armée d’Afrique furent distingués de leurs homologues ‘européens’ par la présence en dessous de leur insigne du croissant commun aux troupes coloniales. Le ‘corps’ des interprètes de l’Armée d’Afrique perdura jusqu’au retrait des troupes françaises d’Afrique du Nord en 1962. Les interprètes étaient alors incorporés aux Services des Affaires Indigènes des pays concernés.
1914-1918
1870, cuisante défaite pour la France, inspira l’idée de la création d’un corps d’officiers d’appoint, certains incorporés dans des unités constituées ou des états-majors et d’autres, isolés, appelés ‘Officiers de Complément’. En 1914, c’est dans leurs rangs que l’on trouve les Interprètes Militaires qui viendront seconder en masse leurs camarades d’active. A majorité germanistes, ils sont présents dès le début des hostilités dans la plupart des états-majors de niveau brigade ou supérieur. Leurs compétences sont utilisées pour la recherche ou l’interprétation du renseignement, l’interrogatoire des prisonniers de guerre ou la réalisation de documents de propagande. C’est ainsi que s’illustrent, entre autres, l’aquarelliste Alsacien Jean-Jacques Waltz, plus connu sous le pseudonyme de Hansi, son ami Zislin, caricaturiste patriote, ou Ernest Tonnelat, professeur au collège de France, connu de tous les germanistes[6]. Leur uniforme suit l’évolution des tenues de l’armée de terre de l’époque, exceptés le collet de couleur bleu outremer avec broderie de branche d’olivier aux angles (voir photo de Hansi ci-contre, et remarquer les broderies), et les boutons à tête de sphinx. Mais rapidement se fait jour le besoin d’interprètes de langues autres que l’Allemand : les contacts avec les alliés, ainsi que les besoins de communication quotidiens de ces derniers avec les populations locales, imposent le recrutement de nombreux interprètes d’anglais, notamment. Affectés aux unités britanniques, américaines et australiennes, ils travailleront sans relâche à des missions de liaison avec les unités homologues françaises et dans un rôle d’intermédiaire avec la population locale pour le logement, l’achat de fourrage ou de subsistances, ou la location de lieux de vie (terrains et bâtiments). Nombre d’entre eux périront rapidement, leur pantalon et képi garance les rendant encore plus repérables au sein d’unités vêtues de kaki, jusqu’à ce que leurs hôtes décident de les habiller eux-mêmes. On verra ainsi des interprètes en képi français et tenue britannique ou américaine, à laquelle cependant ils ajoutaient en général les boutons à tête de sphinx et les sphinx métalliques au collet qui les distinguaient de leurs camarades germanistes. L’écrivain André Maurois (voir André Maurois), interprète militaire auprès d’un état-major britannique, a écrit ses souvenirs dans Les Silences du Colonel Bramble[7], tout comme le peintre Paul Maze dans A Frenchman in Khaki, préfacé par Sir Winston Chuchhill[8]. Paul Mantoux (1877-1956), l’interprète de Georges Clemenceau à la Conférence de Versailles en 1919, fut plus tard le co-fondateur de l'Institut de hautes études internationales de Genève[9].
1939-1945
Fichier:SCHUMANN interprete militaire.jpgDurant la Seconde Guerre mondiale, les interprètes connaissent les vicissitudes de l’ensemble de l’armée française, et c’est au sein des Forces de la France Libre que l’on retrouvera une organisation d’interprètes, avec une assez forte représentation féminine. Des interprètes seront systématiquement attachés à de petites équipes de commandos parachutées en France occupée pour préparer, notamment, le débarquement sur les plages de la Méditerranée. De ces quelques centaines de femmes et d’hommes émergent deux personnalités remarquables : le lieutenant Maurice Schumann, la voix de la France libre, qui plus de mille fois lança ses appels bien connus des studios de la BBC (voir photo ci-contre). C’est dans la fonction d’interprète qu’il rejoignit les Forces de la France Libre ; et le Capitaine de Corvette Philippe Kieffer, d’abord sous-lieutenant interprète de l’armée de terre, transféré à sa demande dans la marine où il devint ORIC (Officier de Réserve Interprète et du Chiffre), avant de créer le commando que chacun connaît.
Période contemporaine
1991: Première guerre du Golfe
Des années 1960 aux années 1990, les interprètes étant devenus « de réserve », il était devenu impossible de les envoyer en opérations extérieures. L’un d’entre eux cependant, presque clandestinement, et en usant d’un subterfuge légal, fut envoyé en octobre 1991, juste après la fin de la première guerre du Golfe, à Riyadh, en Arabie Saoudite, pour participer en tant qu’interprète au bilan militaire de la guerre du Golfe. Il fut ainsi le premier à reprendre le flambeau des langues en opérations.
Balkans
Par la suite, la loi 1993/4 rendit à nouveau possibles les participations individuelles de réservistes à des opérations militaires. Le conflit des Balkans venait de commencer, la communauté internationale décida d’envoyer en ex-Yougoslavie, sous l’égide de l’ONU puis de l’OTAN, un contingent important auquel participa la France : en 1995 et 1996, 5 interprètes militaires de réserve furent affectés soit à des postes à caractère strictement linguistique de traducteur/interprète d’anglais ou de serbo-croate, soit à des postes où leur formation au travail d’état-major doublée de leurs compétences linguistiques leur permettaient de s’adapter instantanément à un environnement multinational à forte dominante anglo-saxonne. Qui plus est, leurs compétences civiles les rendaient aptes à des missions auxquelles l’armée de métier n’était alors pas habituée : les Actions Civilo-Militaires (ACM), les relations avec les médias ou avec les populations locales,… Depuis, la présence des interprètes militaires de réserve (IRAT, OIRAT ou OLRAT) dans les Balkans a été ininterrompue, en Bosnie-herzégovine et au Kosovo notamment, certains ayant effectué 3 voire 4 OPEX (opérations extérieures).
Afghanistan, Liban…
L’Afghanistan (opération PAMIR) n’a pas échappé à la règle maintenant bien établie du recours aux interprètes militaires de réserve. Ils ont à ce jour été plusieurs à participer à cette OPEX, soit sur place en tant que chef du service linguistique de la FIAS à Kaboul, ou au sein des Psyops (opérations psychologiques), soit à distance, de Brunssum, aux Pays-Bas, dans le cadre d’un renfort J3 mis à disposition de l’OTAN par la France pour l’opération PAMIR.
Ecoles
Durant la 1ère Guerre Mondiale, deux écoles furent créées, l’une pour les interprètes près l’armée Anglaise (sic) à Berck, l’autre pour les interprètes près l’armée Américaine à Biesles (Haute-Marne). Après la 2ème Guerre Mondiale fut créé à Paris le CLEEM (Centre de Langues et Etudes Etrangères Militaires) installé dans les locaux de l’Ecole Militaire, place Joffre. A sa dissolution en 1986, ses missions furent reprises par l’EIREL (Ecole Interarmées du Renseignement et des Etudes Linguistiques) implantée à Stasbourg dans les locaux de l’ancienne Ecole Militaire. Depuis 2006, cet organisme a été remplacé par le Centre de Formation Interarmées au Renseignement (CFIAR), qui en a repris les locaux et les missions.
Associations
Entre deux guerres, les interprètes se regroupèrent en associations. Les deux premières (L’Association des Sphinx, et Interpreters of the Great War) naquirent juste après le premier conflit mondial, fusionnèrent, puis disparurent dans les années 1930. La troisième fut créée en 1928, et perdure. Tout d’abord appelée Association Générale des Officiers Interprètes de Réserve (AGOIR), elle devint ensuite AGOLIR (Association Générale des Officiers de Liaison et des Interprètes de réserve), puis ANOLIR (Association Nationale). Elle regroupe près de 300 linguistes de réserve représentant 30 langues différentes.
Notes et références
- Laurent-Charles Féraud, Les Interprètes de l’Armée d’Afrique, Jourdan Editeur, Alger, 1876
- Commandant Bucquoy, Les Uniformes du Premier Empire – Dragons et Guides, Grancher éditeur, Paris, 1980
- Interprète Commandant Abribat, Notice sur les Officiers Interprètes, in Capitaine Chavanne, chef du bureau des Affaires Indigènes, Historique du Service des Affaires Indigènes de Tunisie (1881-1830), pour le compte de la Résidence Générale de France Tunis, Service des Affaires Indigènes - Imprimé chez Victor Berthod à Bourg, 1931
- Dr Lienhart & René Humbert, Les uniformes de l´armée française depuis 1690 jusqu´à nos jours, En français - Editions Liepzig – RUHL, de1897 à 1902
- Lieutenant-Colonel Eugène Hennebert, Nos Soldats – première partie : les trois armes, Librairie Illustrée, PARIS, 1888
- Jean-Jacques Waltz (‘Hansi’) et Ernest Tonnelat, Ernest, A travers les lignes ennemies. Trois années d'offensive contre le moral allemand, Payot et Cie, Paris, 1922
- André Maurois, Les Silences du colonel Bramble, B. Grasset, Paris, 1918
- Paul Maze, A Frenchman in khaki. With a pref. by The Rt. Hon. Winston Churchill, W. Heinemann, Londres, 1934
- Les délibérations du conseil des quatre 24 mars-28 juin 1919 . Notes de l'officier interprête Paul Mantoux., CNRS éditions, 1955.
Wikimedia Foundation. 2010.