Fraction de neutrons retardés

Fraction de neutrons retardés

La fraction de neutrons retardés issus d'une fission nucléaire, notée β est le pourcentage de neutrons ne résultant pas immédiatement de la fission du noyau, parmi l'ensemble des neutrons produits par cette seule fission. C'est un paramètre physique intrinsèque à l'isotope du noyau fissile, qui détermine une grandeur de premier intérêt pour l'étude de la cinétique des réacteurs : la fraction effective de neutrons retardés, notée βeff.

Ces neutrons représentent moins d'un pourcent des neutrons émis par une fission nucléaire, mais leur présence est indispensable à la possibilité de la conduite d'un réacteur nucléaire.


Sommaire

Phénomène physique

Lors de la fission nucléaire d'un isotope lourd, le noyau initial se sépare en deux noyaux plus légers, dits produits de fission, et émet simultanément 2 ou 3 neutrons, dits neutrons instantanés[1] (anciennement nommés neutrons prompts). Les produits de fission sont excédentaires en neutrons, et ne sont donc pas stables. Leur mode de décroissance préférentiel est la transformation interne de neutrons en protons (radioactivité "beta moins"). Cette décroissance par émission beta moins doit avoir lieu plusieurs fois avant d'aboutir à un isotope stable. Dans certains cas, la situation énergétique du fragment de fission fait qu'il est possible pour ce fragment d'évaporer un neutron hors du noyau : le neutron émis est alors dit retardé[1] (anciennement nommés neutrons différés), car il n'a pas été émis lors de la fission, mais après une ou plusieurs décroissances beta d'un fragment de fission. On appelle précurseur le produits de fission qui va émettre un neutron retardé.

Ordres de grandeur

Ce paragraphe donne l'exemple de la fission d'un noyau d'uranium 235, fission actuellement prépondérante dans le fonctionnement du parc électro-nucléaire mondial. Pour la fission thermique de cet isotope, la fraction de neutrons retardés est de 0,65 %. On note β = 650pcm, l'unité pcm (pour cent mille) étant celle utilisée en neutronique.

Un noyau précurseur issu de cette fission est l'isotope 87 du brome, issu directement de la fission de l'uranium 235 (avec une abondance statistique de 2,5 %). Cet isotope est fortement excédentaire en neutrons (il en possède 87-35=52) puisque le brome stable en possède 45.

  • Pour se rapprocher de la vallée de stabilité, le noyau précurseur 87Br se transforme par radioactivité beta moins en 87Kr sous forme excitée (dans 70 % des cas). La période radioactive de cette émission est de 55 secondes. Le temps moyen qu'il faut attendre jusqu'à la désintégration est donc de 55 / ln(2) = 80s.
  • Dans la plupart des cas (97,1 %), le krypton se désexcite immédiatement par émission gamma, puis se désintègre par radioactivité beta moins deux fois, pour donner du 87Rb puis du 87Sr, stable. Aucun neutron n'a été émis.
  • Dans 2,9 % des cas, le krypton se désexcite immédiatement en émettant un neutron de 250 keV, pour aboutir au 86Kr, stable.


Plusieurs ordres de grandeurs et conclusions sont à tirer de cet exemple :

  • L'émission de neutrons par l'intermédiaire de noyaux précurseurs est très rare. Pour le couple 87Br-87Kr décrit ci-dessus, il y a seulement 0,7*0,029 neutrons retardés par apparition de ce précurseur (apparition ayant elle-même une abondance limitée).
  • Le temps au bout duquel un neutron retardé est émis par un précurseur est grand devant la durée de vie moyenne d'un neutron dans un réacteur nucléaire (temps nécessaire au neutron pour se thermaliser, puis diffuser jusqu'à faire fissionner un noyau), qui est de l'ordre de 50 μs. C'est cette caractéristique fondamentale qui permet de contrôler la réaction en chaîne dans les réacteurs nucléaires
  • Les neutrons retardés sont émis à des énergies plus faibles que les neutrons de fission (de l'ordre de 2 MeV). C'est ce qui explique l'utilisation de la proportion de neutrons retardés effective βeff dans l'étude des réacteurs.


Groupes de neutrons retardés

L'exemple donné ci-dessus n'en est qu'un parmi d'autres. Dans le cas de la fission de l'uranium 235, plusieurs précurseurs existent et émettent des neutrons retardés. Tous n'ont pas la même période de désintégration, ni la même énergie d'émission des neutrons. Cependant, pour simplifier l'étude de la cinétique des réacteurs, on regroupe les précurseurs aux périodes comparables dans des groupes de périodes arbitraires. On retient généralement 6 groupes de neutrons retardés mais les prochaines données nucléaires en contiendront 8[2].

Pour la fission de l'uranium-235, les 6 groupes de précurseur généralement retenus sont :

Groupes de neutrons retardés pour l'235U
Groupe Précurseurs Période moyenne (s) βi (pcm) Energie moyenne Rendement (neutrons/fission)
1 87Br 55,72 24 250 keV 0,00052
2 137I, 88Br 22,72 123 460 keV 0,00346
3 138I, 89Br, 93Rb , 94Rb 6,22 117 405 keV 0,00310
4 139I, Cs, Sb, Te, 90Br, 92Br, 93Kr 2,30 262 450 keV 0,00624
5 140I 0,61 108  ? 0,00182
6 Br, Rb, As 0,23 45  ? 0,00066


La somme des fractions relatives βi vaut alors 679 pcm, proportion statistique de l'ensemble des neutrons retardés de fission[3].

Proportion totale de neutrons retardés pour les principaux noyaux fissiles
Noyau βtotal (pcm)
233U 296
235U 679
239Pu 224
241Pu 535

Impact sur la cinétique des réacteurs

Le principe d'un réacteur nucléaire est de maintenir une réaction en chaîne de fissions qui est contrôlée : en fonctionnement normal, chaque fission ne doit engendrer qu'une seule fission. C'est ce qu'exprime la condition sur le facteur de multiplication effectif keff : keff=1.

Avec les mains

Ce facteur peut être être écrit selon deux contributions : une correspondant à l'apparition de neutrons via le processus de neutrons retardés (proportion β), le reste provenant des neutrons instantanés (proportion 1-β) :

\begin{align}
k_{eff} &= \beta.k_{eff} + (1-\beta) k_{eff} \\
\ &= k_r + k_p
\end{align}

où kr et kp désignent les facteurs de multiplication des contributions des neutrons respectivement retardés et instantanés. Du fait de l'ordre de grandeur du temps mis par un neutron pour induire une nouvelle fission pour ces deux types de neutrons (de l'ordre de la seconde pour les neutrons retardés, et de l'ordre de la microseconde pour les neutrons prompts), on comprend bien qu'un milieu pour lequel on n'a que des neutrons prompts est incontrôlable. Pour pouvoir contrôler le réacteur, on veut donc que le facteur de multiplication effectif des neutrons prompts soit inférieur à l'unité. On écrit donc (1 − β)keff < 1 ou encore 1 - \frac 1 k_{eff} < \beta. C'est la raison pour laquelle la réactivité ρ, définie par \rho = \frac{k_{eff}-1}{k_{eff}} ne doit jamais dépasser β dans un réacteur de puissance. On parle sinon de surcriticité prompte. Afin d'éviter se genre d'accident de criticité des seuils de contrôle commande sur le temps de doublement du flux neutronique sont mis en place.

La fraction de neutrons retardés βeff représente le rapport entre les neutrons thermiques issue des neutrons retardés sur le nombre total de neutrons thermiques présent dans le réacteur.

Proportion de neutrons retardés effective

Le raisonnement ci-dessus explique pourquoi on compare la réactivité à la proportion de neutrons retardés. Dans les calculs rigoureux de cinétique, on doit en fait tenir compte de la différence de nature entre les neutrons retardés et les neutrons prompts. Outre leur durée de vie, ces neutrons se différencient par leur spectre : le spectre des neutrons instantanés est dans le domaine rapide (centré sur 2 MeV) alors que celui des neutrons retardés est dans le domaine épithermique (centré sur 400 keV environ). Ceci a un impact sur l'efficacité des neutrons retardés à induire une fission thermique.

La seule grandeur à laquelle on peut alors comparer la réactivité est la proportion de neutrons retardés effective, notée βeff, qui correspond à β multiplié par un facteur de correction :


\beta_{eff} = \beta \frac{\int \phi_0^{+} \left\langle U_{nr} F^{+} \right\rangle \phi_0 .dV.dE.\vec{d\Omega}}
                         {\int \phi_0^{+} \left\langle \left[ (1-\beta) U_{np} + \beta U_{nr} \right] F^{+} \right\rangle \phi_0 .dV.dE.\vec{d\Omega}}

avec les notations suivantes :

  • la notation \left\langle A B\right\rangle représente une matrice carrée obtenue par le produit matriciel d'un vecteur colonne A et d'un vecteur ligne B
  • les grandeurs (flux, spectre etc.) sont implicitement représentées par des vecteurs colonne dont la dimension est le nombre de groupes d'énergie considéré dans le formalisme
  • ϕ0 est le flux direct du réacteur critique associé au réacteur étudié (qui n'est a priori pas critique puisque cette formule est issue de l'établissement des équations de la cinétique, qui régissent notamment l'évolution de la population de neutrons dans un réacteur étant donnée une réactivité non nulle)
  • \phi_0^{+} est le flux adjoint du RCA, appelé aussi importance neutronique
  • Unr est le spectre des neutrons retardés, c'est-à-dire la proportion de neutrons retardés émis dans chaque groupe d'énergie.
  • Unp est le spectre des neutrons prompts
  • F est le vecteur de fission dont chaque composante i s'écrit νiΣfiνi est le nombre de neutrons prompts émis par une fission induite par un neutron du groupe d'énergie i, et Σfi est la section efficace macroscopique de fission pour ce même groupe d'énergie.
  • l'intégration se fait sur l'ensemble du volume V du réacteur, sur toutes les énergies E et sur toutes les directions \vec{\Omega}

Remarquons que si les spectres Unr et Unp sont égaux, le facteur correctif est alors unitaire : cela signifie bien que la seule raison pour laquelle on doit considérer βeff plutôt que β dans les études est la différence de spectres entre ces neutrons. Rappelons que les neutrons retardés sont émis avec une énergie inférieure à celle des neutrons instantanés. Ils ont donc moins de risque d'être absorbés pendant la thermalisation (qui est plus courte) et sont donc plus efficaces ; par contre, ils ne peuvent pas induire de fission rapide de l'238U et sont donc moins efficaces. Le facteur correctif est en fait de l'ordre de l'unité. Il dépend du type de réacteur, de la géométrie, de l'enrichissement, autrement dit, de tout ce qui détermine l'importance neutronique.

Équations d'évolution

à compléter

Équation de Nordheim

à compléter

Notes et références

  1. a et b Vocabulaire de l'ingénierie nucléaire sur Institut Français d'Information Juridique. Consulté le 9 avril 2011
  2. Gregory D. SPRIGGS, Joann M. CAMPBELL et Vladimir M. PIKSAIKIN, An 8-group delayed neutron model based on a consistent set of half-lives, 1977, 415 p. 
  3. Robert Barjon, Physique des réacteurs nucléaires, 1993, 815 p. (ISBN 2.7061.0508.9), p. 464 


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