- Concurrence des victimes
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En 2008, l'historien Nicolas Trifon a appelé « engrenage de la concurrence mémorielle »[1] le danger qu'encourt une société à ce que des groupes de personnes revendiquent, par compétition, des attentions particulières en invoquant des drames humains ayant touché par le passé leurs communautés d'origine. La même année, Régis Debray a fait de la concurrence des mémoires une expression politique, en réaction à l'idée lancée par Nicolas Sarkozy de l'adoption par les élèves du primaire en France d'un enfant victime de la Shoah.
Sommaire
Critique de Régis Debray
Régis Debray a notamment déclaré:
« Autant le devoir de mémoire est nécessaire, autant son abus est contre-productif. Je pense qu'il s'agit ici d'un abus de mémoire, puisque c'est donner à l'émotion la première place quand le but de l'école n'est pas émotionnel ni compassionnel, encore moins mortifère. (...) Il y a un risque d'escalade, d'une surenchère, d'une concurrence des mémoires. Celles-ci pourraient bientôt provoquer, dans le monde des banlieues, la revendication d'une adoption des victimes d'Israël en Palestine. Et puis il y a les Tsiganes, il y a les Arméniens, et puis il y a surtout les Noirs...(...) Au lieu d'unifier, j'ai peur que cette initiative ne divise selon des clivages communautaires et confessionnels. »
Rapport Kaspi
L'historien André Kaspi a été chargé par le gouvernement français d'étudier la question des commémorations en France, et a préconisé la remise en question de journées commémoratives nationales annuelles[2].
« Il n'est pas sain qu'en l'espace d'un demi-siècle, le nombre de commémorations ait doublé. Il n'est pas admissible que la Nation cède aux intérêts communautaristes et que l'on multiplie les journées de repentance pour satisfaire un groupe de victimes »[3].
Ancienneté du débat
Le débat n'est pas nouveau. Dès 1976, le chanteur français d'origine arménienne Charles Aznavour, confronté au problème, déclarait, en commentant sa chanson "Ils sont tombés": « Qui ne fait siens tous les génocides, n'en fait sien aucun ». Dans les années 2000, l'humoriste français Dieudonné avait fait scandale en passant de la mouvance multiculturaliste incarnée par le mouvement "Touche pas à mon pote" à l'antisionisme et à la théorie du Lobby juif, précisément en raison de la concurrence des mémoires, qu'Alain Besançon qualifiait en 1997 d'« Amnésie et Hypermnésie historiques »[4].
Conférences universitaires
La concurrence des mémoires et la crise de l’histoire nationale, sous la direction scientifique de Jacques Beauchemin, Université du Québec, Montréal.
Mémoires, histoire, identités : l’histoire nationale face à la concurrence des mémoires, Institut national de recherche pédagogique, Lyon[5]
Annexes
Bibliographie
- Pascal Blanchard, Les Guerres de mémoires - La France et son histoire - Enjeux politiques, controverses historiques, stratégies médiatiques, Paris, La Découverte, 2008, ISBN 2-7071-5463-6
- "La concurrence des victimes" par Esther Benbassa, dans : Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, Culture post-coloniale, 1961-2006, Paris, Autrement, collection Mémoires/Histoire, 2005, pp. 102-112.
- Jean-Michel Chaumont, La Concurrence des victimes. Génocide, identité, reconnaissance, Paris, La Découverte, 1997, rééd. 2002
- Emmanuel Droit, Le Goulag contre la Shoah, mémoires officielles et cultures mémorielles dans l’Europe élargie in: "Vingtième Siècle", revue d'histoire n° 94, févr. 2007, p. 101 à 120, Presses de Sc. Po., ISBN : 9782724630688.
Articles connexes
- Mémoire (sciences humaines)
- Devoir de mémoire
- Loi mémorielle
- Reconnaissance du génocide arménien - Loi Gayssot - Loi Taubira
Liens externes
- Peut-on encore enseigner la Shoah ?,par Benoît Falaize, Professeur d’histoire, Le Monde Diplomatique, Mai 2004
- Les termes du débat sur les « lois mémorielles », sur le site de la Documentation Française
- La judiciarisation du passé et la crise mémorielle - La France malade de son passé, CRDP de Reims
Notes et références
- Paul Goma et Norman Manea : le témoignage littéraire dans l'engrenage de la concurrence mémorielle, par Nicolas Trifon
- [1]
- [2]
- Institut de France lors de la séance publique annuelle des cinq académies, le 21 octobre 1997, et dans son livre « Le malheur du siècle : sur le communisme, le nazisme et l’unicité de la Shoah, Fayard, Paris, 1998, 165 p. » Alain Besançon dans son discours "Mémoire et oubli du bolchevisme" prononcé à l’
- [3]
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