Affaire Guérini

Affaire Guérini

L'affaire Guérini est une affaire politico-financière française qui touche à l'exploitation présumée frauduleuse de décharges et à l'obtention de marchés auprès de collectivités par des sociétés soupçonnées de blanchiment et de liens avec le banditisme. Elle implique notamment un homme d'affaires, Alexandre Guérini, et son frère, Jean-Noël Guérini, homme politique marseillais. Ce dernier, sénateur et président socialiste du conseil général des Bouches-du-Rhône, est soupçonné d'avoir favorisé les activités de son frère, qui possède des sociétés de gestion de déchets en contrat avec des collectivités locales, dans l'attribution de marchés publics.

Sommaire

Procédure judicaire

Cette affaire est déclenchée par la réception au parquet de Marseille, le 2 février 2009, d'une lettre anonyme très détaillée, qui dénonce un « système », notamment autour de la gestion de décharges publiques, et accuse Alexandre Guérini de détournement de fonds et de trafic d'influence, avec l'aide de son frère Jean-Noël Guérini. Alexandre Guérini gère en particulier quatre déchetteries dans les Bouches-du-Rhône via plusieurs sociétés soupçonnées d'être liées au grand banditisme. Une enquête préliminaire est alors ouverte. Une information judiciaire contre X est ouverte le 16 avril 2009, et l'enquête est confiée au juge d'instruction Charles Duchaine[1].

En novembre 2009, des perquisitions sont conduites dans les sociétés d'Alexandre Guérini et à son domicile, ainsi qu'au conseil général des Bouches-du-Rhône et à la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM)[1]. Le mois suivant, d'autres perquisitions sont menées au domicile d'Alexandre Guérini et aux bureaux de Queyras Environnement, une société de traitement de déchets dont le patron est un proche d'Alexandre Guérini[1]. En juin 2010, les dirigeants de cette société sont placés en garde à vue, puis écroués.

Des écoutes téléphoniques, publiées dans la presse, laissent apparaître des interventions de Jean-Noël Guérini en faveur de son frère dans l'attribution de marchés publics de stockage et de traitement d'ordures ménagères[2]. Jean-Noël Guérini aurait également prévenu son frère que la justice enquêtait sur lui onze jours après l'ouverture de l'information judiciaire, le 27 avril 2009 : « Tu es censé ne pas le savoir. Moi je suis censé ne pas le savoir […] Il se dit qu'une enquête préliminaire sera ouverte. À mon avis, ça doit être pour les décharges, Alex. […] mais de toute façon au bout de trois ans y'a prescription, ils peuvent rien faire »[1],[3]. Le même jour, après cette conversation, Alexandre Guérini appelle Philippe Rapezzi, un de ses collaborateurs, et lui ordonne de ne « rien laisser traîner »[3].

Le 29 novembre 2010, vingt personnes sont entendues par la justice. Des fonctionnaires de la MPM et de la communauté d'agglomération Pays d'Aubagne et de l'Étoile, ainsi qu'Alexandre Guérini sont placés en garde à vue. Ce dernier est mis en examen le 1er décembre suivant pour « abus de biens sociaux, détournement de fonds et de biens publics, recel, blanchiment, trafic d'influence, corruption active et détention de munitions » (un chargeur de pistolet Glock)[4]. Il est écroué à la prison de Luynes, où il reste un peu plus de cinq mois en détention. Mis en cause par les médias, Jean-Noël Guérini déclare au quotidien régional La Provence : « Lui, c'est lui, moi, c'est moi ».

Le 14 janvier 2011, Alain Belviso, président PCF de la communauté d'agglomération Pays d'Aubagne et de l'Étoile, est mis en examen pour « détournement de fonds publics ». C'est le premier élu mis en cause dans cette affaire. Il est laissé en liberté sous contrôle judiciaire jusqu'au 15 février 2011[5],[1]. Le 2 février 2011, Eugène Caselli, président socialiste de la MPM, est placé en garde à vue, mais aucune charge n'est retenue contre lui[6].

Le directeur de cabinet de Jean-Noël Guérini, Rémy Bargès, est mis en examen pour « destruction de preuves » le 30 mai 2011[7]. Le 14 juin suivant, Béatrix Billes, conseillère spéciale de Jean-Noël Guérini chargée des questions juridiques, est placée en garde vue[8]. La justice enquête sur la préemption par le conseil général des Bouches-du-Rhône, entre 2004 et 2006, d'un terrain privé à La Ciotat, devenu une décharge exploitée par une société d'Alexandre Guérini[9]. En juillet 2011, Alexandre Guérini est à nouveau mis en examen, cette fois pour « blanchiment »[10].

Le 8 septembre 2011, Jean-Noël Guérini est mis en examen pour « complicité d'obstacle à la manifestation de la vérité », « prise illégale d'intérêts », « trafic d'influence » et « association de malfaiteurs en vue du trafic d'influence et recel de trafic »[11]. Dans une ordonnance en date du 5 août précédent, le juge Duchaine estime que Jean-Noël Guérini a « toléré les immixtions sans titre de son frère Alexandre dans le règlement d'affaires relevant de la compétence du département à des fins de clientélisme servant leurs intérêts communs »[12].

Jean-Marc Nabitz, ancien cadre du conseil général des Bouches-du-Rhône, est mis en examen pour « blanchiment en bande organisée », « corruption passive par personne exerçant des fonctions publiques », « association de malfaiteurs en vue de la corruption » et « association de malfaiteurs en vue du blanchiment en bande organisée » et écroué le 16 septembre 2011[13].

Le 17 octobre 2011, Serge Andreoni, sénateur socialiste et maire de Berre-l'Étang, est mis en examen pour « complicité de trafic d'influence »[14].

Controverse interne au Parti socialiste

Dans un rapport interne daté du 8 décembre 2010 (et publié par Le Point[15]), Arnaud Montebourg, député et membre de la direction nationale du Parti socialiste, inquiet de certaines dérives et de leur effet sur l'image du parti, recommande la mise sous tutelle de la fédération des Bouches-du-Rhône, quatrième fédération socialiste de France, ainsi que la destitution de son président, Jean-Noël Guérini. Ce rapport dénonce notamment « un système de pression féodal reposant sur l'intimidation et la peur » et met en garde contre des « dérives les plus graves dans l'usage de l'argent public ».

Au début du mois de mars 2011, Martine Aubry, première secrétaire du PS, décide de lancer une commission d'enquête interne pour auditer la fédération des Bouches-du-Rhône. Elle précise néanmoins à la presse qu'il « n'y a rien » dans le rapport Montebourg, « pas un élément concret, précis, pas un fait ». Jean-Noël Guérini annonce vouloir porter plainte pour diffamation contre Arnaud Montebourg[16]. Malgré les accusations qui pèsent sur lui, il est réélu président du conseil général des Bouches-du-Rhône à la suite des élections cantonales de mars 2011.

Le rapport de la commission d'enquête présidée par Alain Richard ne préconise par la mise sous tutelle de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, mais propose de la « rénove[r] » de fond en comble[17]. Le 21 juillet 2011, Jean-Noël Guérini quitte officiellement ses fonctions de président de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône : Jean-David Ciot, un de ses proches, qui assurait l'intérim depuis mars 2011, en devient le premier secrétaire[18].

Arnaud Montebourg déclare en août 2011 : « On a méprisé mon travail en expliquant qu'il n'y avait rien dans mon rapport, on a refusé de lire les documents et les preuves que j'avais apportées aux thèses que j'avançais. Pire, on me les a renvoyées par lettre recommandée »[19]. De son côté, le député UMP des Bouches-du-Rhône Renaud Muselier s'étonne du « silence radio » au PS et dénonce le fait que « François Hollande a couvert le système pendant dix ans »[19].

Le 28 août 2011, Martine Aubry annonce qu'elle demandera à Jean-Noël Guérini de « prendre congé du parti » si la justice le jugeait coupable des faits qui lui sont reprochés[20]. Le lendemain, le premier secrétaire délégué du Parti socialiste, Harlem Désir, estime qu'il devra « immédiatement » quitter le PS et la présidence du conseil général des Bouches-du-Rhône s'il est mis en examen[21],[22].

À la suite de sa mise en examen, le 8 septembre 2011, Jean-Noël Guérini se met en congé du Parti socialiste et « délègue temporairement » ses fonctions de président du conseil général des Bouches-du-Rhône, tout en refusant de démissionner[23]. Harlem Désir considère que « cette mise en examen doit marquer la fin du système Guérini »[24]. Cependant, le 25 octobre, le tribunal administratif de Marseille suspend l'arrêté par lequel Jean-Noël Guérini avait délégué ses fonctions : le sénateur socialiste retrouve donc la plénitude de ses fonctions[25].

Le 2 novembre 2011, le Bureau national du PS confirme sa mise en retrait du parti et réclame sa démission. Jean-Noël Guérini déclare qu'il démissionnera uniquement si tous les élus socialistes condamnés ou mis en examen quittent leurs fonctions[26].

Notes et références

  1. a, b, c, d et e « L'étau se resserre autour de Jean-Noël Guérini », Le Figaro, 18 février 2011.
  2. « Affaire Guérini : des écoutes mettent Jean-Noël en cause », Le Figaro, 15 février 2011.
  3. a et b « Dans les secrets des frères Guérini », Le Journal du dimanche, 19 février 2011.
  4. « Bouches-du-Rhône : deux ans d'enquête autour d'Alexandre Guérini », Le Monde, 2 décembre 2010.
  5. « Alain Belviso mis en examen », 20 minutes, 17 janvier 2011.
  6. « Pas de charges retenues contre Eugène Caselli », Le Monde, 3 février 2011.
  7. « Rémy Bargès mis en examen », 20 minutes, 31 mai 2011.
  8. « Une conseillère de Jean-Noël Guérini en garde à vue à Marseille », L'Express, 14 juin 2011.
  9. « Affaire Alexandre Guérini : le juge avance sur une préemption du CG13 », La Provence, 24 juin 2011.
  10. Jean-Michel Verne, « Justice : Alexandre Guérini le malheureux », Valeurs actuelles, 28 juillet 2011.
  11. « Guérini, Navarro : ces affaires qui empoisonnent le PS », nouvelobs interactif, 9 septembre 2011.
  12. « Jean-Noël Guérini soupçonné d'association de malfaiteurs », Le Point, 18 août 2011.
  13. « Marchés publics truqués: un homme clé du “système Guérini” », nouvelobs interactif, 17 septembre 2011.
  14. « Andréoni mis en examen à domicile », La Provence, 18 octobre 2011.
  15. « Rapport de constatation sur les pratiques de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône », Le Point.
  16. Jim Jarrassé, « Montebourg attaque Guérini, la direction du PS s'insurge », Le Figaro, 3 mars 2011.
  17. « Rapport du PS : Guérini échappe à la tutelle », France Soir, 5 juillet 2011.
  18. « Jean-David Ciot prend la tête du PS des Bouches-du-Rhône », L'Express, 22 juillet 2011.
  19. a et b « Le PS accusé d'étouffer l'affaire Guérini », L'Express, 22 août 2011.
  20. « Aubry demandera à Guérini de se mettre en congé du PS s'il est jugé coupable », dépêche AFP, 28 août 2011.
  21. « Désir : Guérini devra quitter le PS s'il est mis en examen », Le Monde, 29 août 2011.
  22. « Guérini mine le PS », Le Parisien, 31 août 2011.
  23. « Mis en examen, Jean-Noël Guérini se met “en congé” du PS », Le Parisien, 8 septembre 2011.
  24. « Désir appelle Guérini à quitter le PS », dépêche AFP reprise par Le Figaro, 8 septembre 2011.
  25. « Bouches-du-Rhône : Guérini reprend les rênes », Le Journal du dimanche, 25 octobre 2011.
  26. « Le PS demande à Guérini de démissionner, il refuse », Le Figaro, 3 novembre 2011.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes


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