Îles Solovetsky

Îles Solovetsky

Îles Solovetski

Ensemble historique, culturel et naturel des îles Solovetsky 1
Patrimoine mondial
Vladimir Putin 20 August 2001-1.jpg
Latitude
Longitude
65° 05′ 00″ Nord
       35° 40′ 00″ Est
/ 65.083333, 35.666667
Pays Russie
Type Culturel
Critères (iv)
Superficie 28 834 ha
Subdivision Oblast d'Arkhangelsk
No  identification (ID) 632
Région 2 Europe et Amérique du nord
Année d’inscription 1992 (16e session)

1 Descriptif officiel (UNESCO)
2 Classification UNESCO

World Heritage Emblem.svg
Documentation du modèle

65°05′N 35°53′E / 65.083, 35.883 Les Îles Solovetski (en russe : Солове́цкие острова́), connues également sous les noms de Solovki ou Solovetsk, forment un archipel au nord-ouest de la Russie dans la mer Blanche. Situées dans la baie d'Onega, les îles sont administrées par l'oblast d'Arkhangelsk. Leur superficie totale est de 347 km2 pour une population de 968 habitants en 2002. L'archipel comprend six îles dont les plus grandes sont Solovetski, Anzerski, Bolchaïa Mouksalma et Malaïa Mouksalma). Il est célèbre pour le monastère de Solovetski du XVe siècle et son ancien camp de travail soviétique, précurseur de l'organisation du Goulag. En 1974, les îles devinrent une réserve naturelle protégée : l'archipel, son patrimoine architectural comme son histoire qui en fait un lieu de mémoire privilégié de la Terreur stalinienne, furent l'un des premiers sites russes à être inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO en 1992.

Sommaire

Histoire du monastère

Le monastère des Solovetsky ou Solovki fut fondé en 1429 par les moines Gherman (Herman) et Savvatiy (Sabbatius) venus du monastère Kirillo-Belozerski. Aux XVe et XVIe siècles, le monastère s'est rapidement enrichi, augmentant son territoire après que la novgorodienne Marfa Boretskaya lui ait donné des terres autour de Kem' et de Suma en 1450. Le domaine du monastère s'étendait alors sur les rives de la mer Blanche ainsi que le long des rivières qui s'y jettent ce qui a permis aux moines de développer des activités commerciales, devenant ainsi l'un des principaux acteurs économiques de la région. L'archimandrite du monastère était rétribué par le tsar et par le patriarche.

Avec les forteresses de Sumsky et de Kem, le monastère des Solovetski représentait l'un des plus importants points fortifiés de la frontière nord. Il possédait en permanence une importante garnison et des dizaines de canons, ce qui lui permis au XVIe puis au XVIIe siècle de repousser les attaques des chevaliers livoniens puis des Suédois (en 1571, 1582 et 1611). Les activités du monastère incluait la pêche, la chasse pour le commerce des fourrures, le travail du métal et celui du mica, la culture de coquillages, le travail de la nacre et enfin la salaison du poisson (vers 1660, on comptait 54 saloirs et fumoirs à poisson), le tout employant une abondante main-d'œuvre aux côtés des moines.

Au milieu du XVIIe siècle, le monastère des Solovetski rassemblait 350 moines et 6 à 700 convers, artisans et paysans. C'est alors qu'entre 1650 et 1660, le monastère devint l'un des centres de l'opposition aux réformes de l'Église orthodoxe, opposition qui mena au schisme de l'Église, le Raskol. En effet, le monastère se souleva entre 1668 et 1676 contre la réforme ecclésiastique de Nikon et ne céda aux pressions du tsar qu'après un long siège qui s'acheva par le massacre des partisans de la "vieille foi", ou vieux croyants. Le tsar Pierre le Grand a visité à deux reprises le monastère des Solovki pour s'assurer de sa fidélité, en 1694 et en 1702. À partir de 1765, le monastère des Solovetski a dépendu directement du Synode. Pendant la guerre de Crimée, le monastère des Solovetski fut bombardé par trois navires de guerre britanniques. Après 9 heures de bombardement, les navires abandonnèrent la partie, négociant avec les moines l'acquisition de provisions.

Architecture

L'ensemble architectural du monastère des Solovetski est situé sur la rive de la baie de la Prospérité (бухта Благополучия) sur la Grande île Solovetski, île principale de l'archipel. Le monastère est entouré de murs massifs (hauts de 8 à 11 m, épais de 4 à 6 m), percés de 7 portes et renforcés de 8 tours bâties entre 1584 et 1594 par l'architecte Trifon. Ces murs sont faits de larges pierres, des rochers parfois atteignant 5 m de longueur. Au centre de cette forteresse oblongue, le kremlin, on trouve un ensemble de bâtiments religieux reliés par des passages voûtés et des escaliers couverts. Autour sont les bâtiments conventuels (cellules, forge, moulin à eau du XVIIe siècle… ). Au cœur de cet ensemble, un immense réfectoire vouté reposant sur une seule colonne centrale (une salle de 500 m²) jouxte la Cathédrale Uspensky (construite entre 1552 et 1557), la Cathédrale Preobrazhensky (1556–1564), l'église de l'Annonciation (1596–1601), un beffroi (1777), et l'église de Saint-Nicholas (1834).

Les Solovetski, terre d'exil puis de déportation

Entre le XVIe et le début du XXe siècle, de fait presque depuis sa création, le monastère a été un lieu d'exil pour les opposants au régime autocratique de Russie, comme pour ceux qui s'opposaient à la religion orthodoxe officielle. De ce fait, le monastère a joué un rôle essentiel dans la christianisation du nord de la Russie. Parce que le monastère était devenu l'un des centres de l'opposition aux réformes de l'Église orthodoxe et qu'il s'était soulevé contre la réforme de Nikonpour ne céder qu'après le massacre des vieux croyants, il a ensuite été dirigé de manière à offrir au pouvoir les garanties d'une ferme orthodoxie. Gardien de cette orthodoxie, le monastère a conservé pendant des siècles un large choix de manuscrits et d'incunables — comme il a emprisonné dans ses cellules nombre d'esprits critiques. La tradition conserve le souvenir de l'emprisonnement du chef des raskolniki dans un sinistre cachot creusé à même le mur de la forteresse et nommé la "crevasse d'Avvakoum"[1].

Le SLON

Après la révolution bolchevique, les autorités soviétiques ont fermé progressivement le monastère entre 1920 et 1923 pour incorporer ses bâtiments dans le vaste complexe répressif des Solovki. Les moines, sécularisés, restèrent à accomplir des travaux de force ainsi qu'à accueillir les premiers déportés "contre-révolutionnaires", avant d'être à leur tour adjoints à la masse des prisonniers avec le développement des campagnes anti-religieuses qui suivirent la Guerre civile. Les Solovki devinrent ainsi l'un des premiers camps soviétiques, le SLON, destiné au "redressement moral" d'éléments socialement condamnables : nobles, bourgeois, intellectuels, mais aussi officiers tsaristes, sociaux-révolutionnaires, anarchistes, mencheviks, etc ("slon" veut dire "éléphant" en russe). Jusque vers 1926-28, une relative liberté de pensée se maintient parmi ces déportés, qui restent séparés des criminels de droit commun qui sont progressivement également déportés dans l'archipel. Les "politiques" ne sont pas forcément astreints au travail et jouissent de divers privilèges : accès libre à la riche bibliothèque du camp, liberté du courrier, abonnement à la presse. Le principal chef du camp, Fiodor Eichmans, qui succède à Nogtiov, y veille encore au nom de la rééducation des prisonniers[2], même si parallèlement se développe le travail forcé, non seulement dans l'archipel mais également dans les extensions du camp sur le continent, au prix d'une effroyable mortalité[3]. Avec la prise en main du pouvoir par Staline en 1927, le régime du camp se durcit. C'est un ancien déporté, devenu chef de camp après trois ans comme prisonnier, Naftaly Frenkel, qui va proposer la transformation la plus radicale du camp et fonder ainsi le système même du Goulag. S'il n'a pas inventé chaque aspect du système, il a trouvé le moyen de faire d'un camp de prisonniers une institution économique rentable, et il le fit à un moment, en un lieu et d'une manière qui ne pouvaient qu'attirer l'attention de Staline[4].

Selon ce système, le travail se payait en nourriture à partir d'une distribution très précise des vivres. Frenkel divisa les prisonniers du SLON en trois groupes: (1) ceux considérés comme capables d'un travail lourd (800 gr de pain et 80 gr de viande), (2) ceux capables seulement d'un travail léger (500 gr de pain et 40 gr de viande) et (3) les invalides (400 gr de pain et 40 gr de viande) ; chaque groupe recevait des tâches différentes, des normes à satisfaire — et une ration leur correspondant et établissant des différences drastiques entre les déportés[5]. En somme, les invalides recevaient une ration réduite de moitié par rapport aux déportés les plus forts[6]. En pratique, le système partageait les prisonniers très rapidement entre ceux qui survivraient et les autres.

Sous les ordres de Frenkel, la nature même du travail réservé aux prisonniers changea, depuis l'élevage de bêtes à fourrures ou la culture de plantes tropicales vers la construction de routes ou l'abattage des arbres. Dès lors, le régime du camp changea également et évolua vers la rentabilité du travail et le SLON se développa au-delà de l'archipel des Solovki[7] jusque dans la région d'Arkhangelsk, sur le continent, et de là à des milliers de kilomètres des îles Solovetski, où Frenkel envoya des équipes de forçats[8].

Tout ce qui ne contribuait pas directement à l'économie du camp fut abandonné : toute prétention de rééducation tomba ; les réunions de la Société des Solovetski pour les traditions locales cessèrent ;les journaux et revues publiées dans le camp furent fermés[9]; et les rencontres culturelles supprimées, même si, pour faire bonne impression sur les visiteurs, le musée et le théâtre subsistèrent[10]. En revanche, à la même époque, les actes de cruauté gratuite infligés par les gardiens décrurent, ce type de comportement étant sans doute néfaste à la capacité de travail des déportés[11]. Désormais, la rentabilité des camps est de mise sous le contrôle de l'administration du Goulag qui va développer, non loin de là, le vaste chantier du canal de la mer Blanche à la Baltique, le Bielomorski kanal. Dans l'archipel des Solovki, le camp du SLON est alors bouleversé : les politiques sont alors mêlés aux prisonniers de droit commun, le travail forcé devient la règle (abattage du bois, collecte de la tourbe, élevage, etc), les rations alimentaires déclinent et, surtout, les mesures disciplinaires se développent (détention en "isolateurs" glacés en plein hiver, exécutions sommaires…). Après l'assassinat de Kirov en 1934 et le lancement des Grandes purges, les exécutions se multiplient.

En 1939, lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et de l'attaque de la Finlande, le camp fut fermé et les déportés déplacés vers les camps de l'est du pays. À la place s'est ouverte une école des Cadets, préparant les jeunes volontaires au combat entre 1941 et 1945.

Aujourd'hui, le monastère des Solovetski a retrouvé son activité d'origine, une quarantaine de moines y habitent et participent à sa restauration.

L'écrivain finlandais Arto Paasilinna situe une partie de son roman Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen, paru en 1995 (en France en 2007) dans ces îles, et donne de nombreux renseignements sur leur histoire tourmentée.

Références

  1. Boris Chiriaev, La Veilleuse des Solovki, Paris, éditions des Syrtes, 2005, p 238
  2. Ibid., p 33 et sq.
  3. Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel du Goulag, Paris, Le Seuil, 1974, vol. 2, p 26 et surtout p 60
  4. Anne Applebaum, Goulag, une histoire, Paris, Grasset, 2005, p. 71 et sq.
  5. Ibid., p. 73
  6. Brodsky, Juri, Solovki: Le Isole del Martirio, Rome, 1998, p. 75
  7. Anne Applebaum, Goulag, une histoire, Paris, Grasset, 2005, p. 74
  8. Archives nationales de la République de Carélie, 690/6/(1/3)
  9. Brodsky, Juri, Solovki: Le Isole del Martirio, Rome, 1998, p. 115
  10. Ibid.
  11. Ibid.

Voir aussi

Bibliographie

  • (fr) Anne Applebaum, Pierre-Emmanuel Dauzat (trad.), Goulag : Une histoire, Paris, éditions Bernard Grasset, 2005, ISBN 2246661218 : lire en particulier le chapitre 2 de la première partie (pages 55-77) sur les camps de travail forcé des îles Solovetski.
  • (fr) Boris Chiriaev, La Veilleuse des Solovki, Paris, édition des Syrtes, 2005.ISBN 2-84545-105-9
  • (fr) Alexandre Soljenitsyne, L'Archipel du Goulag, Paris, Le Seuil, 1974 : lire notamment les chapitres 2 et 3 du volume 2 (p 21 à 63).

Lien externe

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