Vassili Kandinsky

Vassili Kandinsky

Vassily Kandinsky

Vassily Kandinsky
Portait de Vassily Kandinsky
Naissance 4 décembre 1866
Moscou (Russie)
Décès 13 décembre 1944 (à 78 ans)
Neuilly-sur-Seine (France)
Nationalité Russie Russe Allemagne Allemand
France Français
Activité(s) Artiste-peintre
Mouvement artistique Art abstrait

Vassily Kandinsky (Vassili Vassilievitch Kandinski, en russe : Василий Васильевич Кандинский) est un peintre russe et un théoricien de l’art né à Moscou le 4 décembre 1866 et mort à Neuilly-sur-Seine le 13 décembre 1944.

Considéré comme l’un des artistes les plus importants du XXe siècle aux côtés notamment de Picasso et de Matisse, il est le fondateur de l'art abstrait : il est généralement considéré comme étant l’auteur de la première œuvre non figurative de l’histoire de l’art moderne, une aquarelle de 1910 qui sera dite « abstraite ». Certains historiens ou critiques d'art ont soupçonné Kandinsky d'avoir antidaté cette aquarelle pour s'assurer la paternité de l'abstraction sous prétexte qu'elle ressemble à une esquisse de sa Composition VII de 1913[réf. souhaitée].

Kandinsky est né à Moscou mais il passe son enfance à Odessa. Il s'inscrit à l’Université de Moscou et choisit le droit et l’économie. Il décide de commencer des études de peinture (dessin d’après modèle, croquis et anatomie) à l’âge de 30 ans.

En 1896 il s’installe à Munich où il étudie à l’Académie des Beaux-Arts. Il retourne à Moscou en 1918 après la révolution russe. En conflit avec les théories officielles de l’art, il retourne en Allemagne en 1921. Il y enseigne au Bauhaus à partir de 1922 jusqu’à sa fermeture par les nazis en 1933. Il émigre alors en France et y vit le reste de sa vie, acquérant la nationalité française en 1939. Il s'éteint à Neuilly-sur-Seine en 1944, laissant derrière lui une œuvre abondante.

Sommaire

Périodes artistiques

La création par Kandinsky d’une œuvre purement abstraite n’est pas intervenue comme un changement abrupt, elle est le fruit d’un long développement, d’une longue maturation et d’une intense réflexion théorique fondée sur son expérience personnelle de peintre et sur l'élan de son esprit vers la beauté intérieure et ce profond désir spirituel qu’il appelait la nécessité intérieure et qu’il tenait comme un principe essentiel de l’art.[1]

Jeunesse et inspirations (1866-1896)

La jeunesse et la vie de Kandinsky à Moscou lui apportent une multitude de sources d’inspiration. Il se souvient plus tard qu’étant enfant il était fasciné et exceptionnellement stimulé par la couleur.[2] C’est probablement lié à sa synesthésie, qui lui permettait littéralement d’entendre les couleurs qu’il voyait comme des sons musicaux.[3],[4] Sa fascination pour les couleurs continue à augmenter pendant son enfance à Moscou, bien qu’il n’ait semble-t-il jamais tenté de faire des études artistiques.

En 1889 il participe à un groupe ethnographique qui voyagea jusqu’à la région de Vologda au nord-est de Moscou pour étudier les coutumes relatives au droit paysan.[5] Il raconte dans Regards sur le passé qu’il a l’impression de se mouvoir dans un tableau lorsqu’il rentre dans les maisons ou dans les églises de cette région décorées des couleurs les plus chatoyantes.[6] Son étude du folklore de cette région, en particulier l’usage de couleurs vives sur un fond sombre a rejailli sur son œuvre primitive. Kandinsky écrit quelques années plus tard que « la couleur est le clavier, les yeux sont les marteaux et l’âme est le piano avec les cordes. »[7] C'est cette même année, avant de quitter Moscou, qu’il voit une exposition de Monet et qu’il est impressionné par la représentation d’une meule de foin qui lui montre la puissance de la couleur utilisée presque indépendamment de l’objet lui-même.[8]

Épanouissement artistique (1896-1911)

Le temps que Kandinsky a passé à l’école des Beaux-Arts est facilité par le fait qu’il est plus âgé et plus expérimenté que les autres étudiants.[9] Il commence une carrière de peintre tout en devenant un véritable théoricien de l’art du fait de l’intensité de ses réflexions sur son propre travail. Malheureusement, très peu de ses œuvres de cette période ont subsisté au temps, bien que sa production ait probablement été importante. Cette situation change à partir du début du XXe siècle.Un grand nombre de tableaux de paysages et de villes, utilisant de larges touches de couleur mais des formes bien identifiables, ont été conservés.

Pour l’essentiel, les peintures de Kandinsky de cette époque ne comportent pas de visages humains. Une exception est Dimanche, Russie traditionnelle (1904) où Kandinsky nous propose une peinture très colorée et sans doute imaginaire de paysans et de nobles devant les murs d’une ville.[10] Sa peinture intitulée Couple à cheval (1906-1907) dépeint un homme sur un cheval, portant avec tendresse une femme, et qui chevauche devant une ville russe aux murs lumineux au-delà d’une rivière. Le cheval qui est couvert d’une étoffe somptueuse se tient dans l’ombre, tandis que les feuilles des arbres, la ville et les reflets dans la rivière luisent comme des taches de couleur et de lumière.[11],[12]

Une peinture fondamentale de Kandinsky de ces années 1900 est probablement Le cavalier bleu (Der blaue reiter, 1903) qui montre un personnage portant une cape chevauchant rapidement à travers une prairie rocailleuse. Kandinsky montre le cavalier davantage comme une série de touches colorées que par des détails précis. En elle-même, cette peinture n’est pas exceptionnelle, lorsqu’on la compare aux tableaux d’autres peintres contemporains, mais elle montre la direction que Kandinsky va suivre dans les années suivantes, et son titre annonce le groupe qu’il va fonder quelques années plus tard.[13]

De 1906 à 1908 Kandinsky passe une grande partie de son temps à voyager à travers l’Europe, jusqu’à ce qu’il s’installe dans la petite ville bavaroise de Murnau. La montagne bleue (1908-1909) peinte à cette époque montre davantage sa tendance vers l’abstraction pure. Une montagne de bleu est flanquée de deux grands arbres, l’un jaune et l’autre rouge. Un groupe de trois cavaliers et de quelques autres personnages traverse le bas de la toile. Le visage, les habits et la selle des cavaliers sont chacune d’une couleur unie, et aucun des personnages ne montre de détail réaliste. Le large emploi de la couleur dans La montagne bleue illustre l’évolution de Kandinsky vers un art dans lequel la couleur elle-même est appliquée indépendamment de la forme.[14]

À partir de 1909, ce que Kandinsky appelle le « chœur des couleurs » devient de plus en plus éclatant, il se charge d’un pouvoir émotif et d’une signification cosmique intense. Cette évolution a été attribuée à un ouvrage de Goethe, le Traité des couleurs (Farbenlehre), qui a influencé ses livres Du Spirituel dans l’Art et Regards sur le passé. L'année suivante, il peint la première œuvre abstraite réalisée à partir d’une conviction profonde et dans un but clairement défini : substituer à la figuration et à l’imitation de la « réalité » extérieure du monde matériel une création pure de nature spirituelle qui ne procède que de la seule nécessité intérieure de l’artiste. Ou pour reprendre la terminologie du philosophe Michel Henry, substituer à l’apparence visible du monde extérieur la réalité intérieure pathétique et invisible de la vie.

Le Cavalier bleu (1911-1914)

Les peintures de cette période comportent de grandes masses colorées très expressives évoluant indépendamment des formes et des lignes qui ne servent plus à les délimiter ou à les mettre en valeur, mais se combinent avec elles, se superposent et se chevauchent de façon très libre pour former des toiles d’une force extraordinaire.[15]

La musique a eu une grande influence sur la naissance de l’art abstrait, étant abstraite par nature et ne cherchant pas à représenter vainement le monde extérieur mais simplement à exprimer de façon immédiate des sentiments intérieurs à l’âme humaine. Kandinsky utilise parfois des termes musicaux pour désigner ses œuvres : il appelle beaucoup de ses peintures les plus spontanées des improvisations, tandis qu’il nomme compositions quelques unes parmi les plus élaborées et les plus longuement travaillées, un terme qui résonne en lui comme une prière.[16]

En plus de la peinture elle-même, Kandinsky se consacre à la constitution d’une théorie de l’art. Il a contribué à fonder l’association des Nouveaux Artistes de Munich dont il devint le président en 1909. Le groupe fut incapable d’intégrer les approches les plus radicales comme celle de Kandinsky du fait d’une conception plus conventionnelle de l’art, et le groupe se dissout fin 1911. Kandinsky fonde alors une nouvelle association, Le Cavalier bleu (Der Blaue Reiter) avec des artistes plus proches de sa vision de l’art tels que Franz Marc. Cette association réalise un almanach, appelé L’Almanach du Cavalier Bleu qui connut deux parutions. Davantage de numéros étaient prévus, mais la déclaration de la première guerre mondiale en 1914 mit fin à ces projets, et Kandinsky retourna chez lui en Russie via la Suisse et la Suède.

Son premier grand ouvrage théorique sur l’art, intitulé Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, paraît fin 1911. Il expose dans ce court traité sa vision personnelle de l’art dont la véritable mission est d’ordre spirituel, ainsi que sa théorie de l’effet psychologique des couleurs sur l’âme humaine et leur sonorité intérieure. L’Almanach du Cavalier Bleu est publié peu de temps après. Ces écrits de Kandinsky servent à la fois de défense et de promotion de l’art abstrait, ainsi que de démonstration que toute forme d’art authentique était également capable d’atteindre une certaine profondeur spirituelle. Il pense que la couleur peut être utilisée dans la peinture comme une réalité autonome et indépendante de la description visuelle d’un objet ou d’une autre forme.

Retour en Russie (1914-1921)

Durant les années 1918 à 1921, Kandinsky s’occupe du développement de la politique culturelle de la Russie, il apporte sa collaboration dans les domaines de la pédagogie de l’art et de la réforme des musées. Il se consacre également à l’enseignement artistique avec un programme reposant sur l’analyse des formes et des couleurs, ainsi qu’à l’organisation de l’Institut de culture artistique à Moscou. Il peint très peu durant cette période. Il fait la connaissance en 1916 de Nina Andreievskaïa qui deviendra son épouse l’année suivante. Kandinsky reçu en 1921 pour mission de se rendre en Allemagne au Bauhaus de Weimar, sur l’invitation de son fondateur, l’architecte Walter Gropius. L’année suivante, les soviétiques interdirent officiellement toute forme d’art abstrait car jugé nocif pour les idéaux socialistes.[17]

Le Bauhaus (1922-1933)

Le Bauhaus est alors une école d'architecture et d’art novateur qui a pour objectif de fusionner les arts plastiques et les arts appliqués, et dont l’enseignement repose sur la mise en application théorique et pratique de la synthèse des arts plastiques. Kandinsky y donne des cours dans le cadre de l’atelier de peinture murale, qui reprennent sa théorie des couleurs en y intégrant de nouveaux éléments sur la psychologie de la forme.[18] Le développement de ces travaux sur l’étude des formes, en particulier le point et les différentes formes de lignes, conduit à la publication de son second grand ouvrage théorique Point et ligne sur plan en 1926.

Les éléments géométriques prennent dans son enseignement comme dans sa peinture une importance grandissante, en particulier le cercle, le demi-cercle, l’angle et les lignes droites ou courbes. Cette période est pour lui une période d’intense production. Par la liberté dont témoigne chacune de ses œuvres, par le traitement des surfaces riches en couleurs et en dégradés magnifiques comme dans sa toile Jaune – rouge – bleu (1925), Kandinsky se démarque nettement du constructivisme ou du suprématisme dont l’influence était grandissante à cette époque.

Les formes principales qui constituent cette grande toile de deux mètres de large intitulée Jaune – rouge – bleu sont un rectangle vertical jaune, une croix rouge légèrement inclinée et un grand cercle bleu foncé, tandis qu’une multitude de lignes noires droites ou sinueuse et d’arcs de cercles, ainsi que quelques cercles monochromes et quelques damiers colorés contribuent à sa délicate complexité.[19],[20] Cette simple identification visuelle des formes et des principales masses colorées présentes sur la toile ne correspond qu’à une première approche de la réalité intérieure de l’œuvre dont la juste appréciation nécessite une observation bien plus approfondie non seulement des formes et des couleurs utilisées dans la peinture, mais également de leur relation, de leur position absolue et de leur disposition relative sur la toile, de leur harmonie d’ensemble et de leur accord réciproque.

Confronté à l’hostilité des partis de droite, le Bauhaus quitta Weimar pour s’installer à Dessau-Roßlau dès 1925. Suite à une campagne de diffamation acharnée de la part des nazis, le Bauhaus est fermé à Dessau en 1932. L’école poursuit ses activités à Berlin jusqu’à sa dissolution en juillet 1933. Kandinsky quitte alors l’Allemagne pour venir s’installer à Paris.[21]

La grande synthèse (1934-1944)

A Paris, il se trouve relativement isolé, d’autant que l’art abstrait, en particulier géométrique, n’est guère reconnu : les tendances artistiques à la mode étaient plutôt l’impressionnisme et le cubisme. Il vit et travaille dans un petit appartement dont il a aménagé la salle de séjour en atelier. Des formes biomorphiques aux contours souples et non géométriques font leur apparition dans son œuvre, des formes qui évoquent extérieurement des organismes microscopiques mais qui expriment toujours la vie intérieure de l’artiste. Il recourt à des compositions de couleurs inédites qui évoquent l’art populaire slave et qui ressemblent à des ouvrages en filigrane précieux. Il utilise également du sable qu’il mélange aux couleurs pour donner à la peinture une texture granuleuse.[22]

Cette période correspond en fait à une vaste synthèse de son œuvre antérieure, dont il reprend l’ensemble des éléments tout en les enrichissant. Il peint en 1936 et 1939 ses deux dernières grandes compositions, ces toiles particulièrement élaborées et longuement mûries qu’il avait cessé de produire depuis de nombreuses années. Composition IX est une toile aux diagonales puissantes fortement contrastées et dont la forme centrale évoque un embryon humain dans le ventre de sa mère.[23],[24] Les petits carrés de couleurs et les bandes colorées semblent se détacher du fond noir de Composition X comme des fragments ou des filaments d’étoiles, tandis que d’énigmatiques hiéroglyphes aux tons pastels recouvrent la grande masse marron qui semble flotter dans le coin supérieur gauche de la toile.[25],[26]

Dans les œuvres de Kandinsky, un certain nombre de caractéristiques sautent immédiatement aux yeux tandis que certaines sonorités sont plus discrètes et comme voilées, c’est-à-dire qu’elles ne se révèlent que progressivement à ceux qui font l’effort d’approfondir leur rapport avec l’œuvre et d’affiner leur regard. Il ne faut donc pas se contenter d’une première impression ou d’une identification grossière des formes que l’artiste a utilisées et qu’il a subtilement harmonisées et mises en accord pour qu’elles rentrent efficacement en résonance avec l’âme du spectateur.

Gloire posthume

A partir de la mort de Vassily Kandinsky et durant une trentaine d’années, Nina Kandinsky n’a cessé de diffuser le message et de divulguer l’œuvre de son mari. L’ensemble des œuvres en sa possession ont été léguées au Centre Georges Pompidou, à Paris, où l’on peut voir la plus grande collection de ses peintures.

Ecrits théoriques sur l’art

Les analyses de Kandinsky sur les formes et sur les couleurs ne résultent pas de simples associations d’idées arbitraires, mais de l’expérience intérieure du peintre qui a passé des années à créer des peintures abstraites d’une incroyable richesse sensorielle, à travailler sur les formes et avec les couleurs, observant longuement et inlassablement ses propres toiles et celles d’autres artistes, constatant simplement leur effet subjectif et pathétique sur son âme d’artiste et de poète d’une très grande sensibilité aux couleurs.

Il s’agit donc d’une forme d'expérience purement subjective que chacun peut faire et répéter en prenant le temps de regarder ses peintures et de laisser agir les formes et les couleurs sur sa propre sensibilité vivante. Il ne s’agit pas d’observations scientifiques et objectives, mais d’observations intérieures radicalement subjectives et purement phénoménologiques qui relèvent de ce que le philosophe Michel Henry appelle la subjectivité absolue ou la vie phénoménologique absolue.

Du spirituel dans l’art

Kandinsky compare la vie spirituelle de l’humanité à un grand Triangle semblable à une pyramide et que l’artiste a pour tâche et pour mission d’entraîner vers le haut par l’exercice de son talent. La pointe du Triangle est constituée seulement de quelques individus qui apportent aux hommes le pain sublime. Un Triangle spirituel qui avance et monte lentement, même s’il reste parfois immobile. Durant les périodes de décadence les âmes tombent vers le bas du Triangle et les hommes ne recherchent que le succès extérieur et ignorent les forces purement spirituelles.[27]

Lorsque l’on regarde les couleurs sur la palette d’un peintre, un double effet se produit : un effet purement physique de l’œil charmé par la beauté des couleurs tout d’abord, qui provoque une impression de joie comme lorsque l’on mange une friandise. Mais cet effet peut être beaucoup plus profond et entraîner une émotion et une vibration de l’âme, ou une résonance intérieure qui est un effet purement spirituel par lequel la couleur atteint l’âme.[28]

La nécessité intérieure est pour Kandinsky le principe de l’art et le fondement de l’harmonie des formes et des couleurs. Il la définit comme le principe de l’entrée en contact efficace de la forme et des couleurs avec l’âme humaine.[29] Toute forme est la délimitation d’une surface par une autre, elle possède un contenu intérieur qui est l’effet qu’elle produit sur celui qui la regarde avec attention.[30] Cette nécessité intérieure est le droit de l’artiste à la liberté illimitée, mais cette liberté devient un crime si elle n’est pas fondée sur une telle nécessité.[31] L’œuvre d’art naît de la nécessité intérieure de l’artiste de façon mystérieuse, énigmatique et mystique, puis elle acquiert une vie autonome, elle devient un sujet indépendant animé d’un souffle spirituel.[32]

Les premières propriétés qui sautent aux yeux lorsque l’on regarde la couleur isolée, en la laissant agir seule, c’est d’une part la chaleur ou la froideur du ton coloré, et d’autre part la clarté ou l’obscurité de ce ton.[33]

La chaleur est une tendance au jaune, la froideur une tendance au bleu. Le jaune et le bleu forment le premier grand contraste, qui est dynamique.[34] Le jaune possède un mouvement excentrique et le bleu un mouvement concentrique, une surface jaune semble se rapprocher de nous, tandis qu’une surface bleue semble s’éloigner.[35] Le jaune est la couleur typiquement terrestre dont la violence peut être pénible et agressive.[36] Le bleu est la couleur typiquement céleste qui évoque un calme profond.[37] Le mélange du bleu et du jaune produit l’immobilité totale et le calme, le vert.[38]

La clarté est une tendance vers le blanc et l’obscurité une tendance vers le noir. Le blanc et le noir forment le second grand contraste, qui est statique.[39] Le blanc agit comme un silence profond et absolu plein de possibilités.[40] Le noir est un néant sans possibilité, il est un silence éternel et sans espoir, il correspond à la mort. C’est pourquoi toute autre couleur résonne si fortement à son voisinage.[41] Le mélange du blanc et du noir conduit au gris, qui ne possède aucune force active et dont la tonalité affective est voisine de celle du vert. Le gris correspond à l’immobilité sans espoir, il tend vers le désespoir lorsqu’il devient foncé et retrouve un peu d’espoir en s’éclaircissant.[42]

Le rouge est une couleur chaude très vivante, vive et agitée, il possède une force immense, il est un mouvement en soi.[43] Mélangé au noir, il conduit au brun qui est une couleur dure.[44] Mélangé au jaune, il gagne en chaleur et donne l’orangé qui possède un mouvement d’irradiation sur l’entourage.[45] Mélangé au bleu, il s’éloigne de l’homme pour donner le violet, qui est un rouge refroidi.[46] Le rouge et le vert forment le troisième grand contraste, l'orangé et le violet le quatrième.[47]

Point et ligne sur plan

Kandinsky analyse dans cet écrit les éléments géométriques qui composent toute peinture, à savoir le point et la ligne, ainsi que le support physique et la surface matérielle sur laquelle l’artiste dessine ou peint et qu’il appelle le plan originel ou P.O.[48] Il ne les analyse pas d’un point de vue objectif et extérieur, mais du point de vue de leur effet intérieur sur la subjectivité vivante du spectateur qui les regarde et les laisse agir sur sa sensibilité.[49]

Le point est dans la pratique une petite tache de couleur déposée par l’artiste sur la toile. Le point qu’utilise le peintre donc n’est pas un point géométrique, il n’est pas une abstraction mathématique, il possède une certaine extension, une forme et une couleur. Cette forme peut être carrée, triangulaire, ronde, en forme d’étoile ou plus complexe encore. Le point est la forme la plus concise, mais selon son emplacement sur le plan originel il va prendre une tonalité différente. Il peut être seul et isolé ou bien être mis en résonance avec d’autres points ou avec des lignes.[50]

La ligne est le produit d’une force, elle est un point sur lequel une force vivante s’est exercée dans une certaine direction, la force exercée sur le crayon ou sur le pinceau par la main de l’artiste. Les formes linéaires produites peuvent être de plusieurs types : une ligne droite qui résulte d’une force unique exercée dans une seule direction, une ligne brisée qui résulte de l’alternance de deux forces possédant des directions différentes, ou bien une ligne courbe ou ondulée produite par l’effet de deux forces qui agissent simultanément. Une surface peut être obtenue par densification, à partir d’une ligne que l’on fait pivoter autour d’une de ses extrémités.[51]

L’effet subjectif produit par une ligne dépend de son orientation : la ligne horizontale correspond au sol sur lequel l’homme se repose et se meut, au plat, elle possède une tonalité affective sombre et froide semblable au noir ou au bleu, tandis que la ligne verticale correspond à la hauteur et n’offre aucun point d’appui, elle possède au contraire une tonalité lumineuse et chaude proche du blanc ou du jaune. Une diagonale possède par conséquent une tonalité plus ou moins chaude ou froide selon son inclinaison par rapport à la verticale ou à l’horizontale.[52]

Une force qui se déploie sans obstacle comme celle qui produit une ligne droite correspond au lyrisme, tandis que plusieurs forces qui s’opposent et se contrarient forment un drame.[53] L’angle que forme une ligne brisée possède également une sonorité intérieure qui est chaude et proche du jaune pour un angle aigu (triangle), froide et similaire au bleu pour un angle obtus (cercle) et semblable au rouge pour un angle droit (carré).[54]

Le plan originel est en général rectangulaire ou carré, il est donc composé de lignes horizontales et verticales qui le délimitent et qui le définissent comme un être autonome qui va servir de support à la peinture en lui communiquant sa tonalité affective. Cette tonalité est déterminée par l’importance relative de ces lignes horizontales et verticales, les horizontales donnant une tonalité calme et froide au plan originel, tandis que les verticales lui communique une tonalité calme et chaude.[55] L’artiste possède l’intuition de cet effet intérieur du format de la toile et de ses dimensions, qu’il va choisir en fonction de la tonalité qu’il souhaite donner à son œuvre. Kandinsky considère même le plan originel comme un être vivant que l’artiste « féconde » et dont il sent la « respiration ».[56]

Chaque partie du plan originel possède une coloration affective qui lui est propre et qui va influer sur la tonalité des éléments picturaux qui seront dessinés dessus, ce qui contribue à la richesse de la composition qui résulte de leur juxtaposition sur la toile. Le haut du plan originel correspond à la souplesse et à la légèreté, tandis que le bas évoque plutôt la densité et la pesanteur. Il appartient au peintre d’apprendre à connaître ces effets afin de produire des peintures qui ne soit pas l’effet du hasard, mais le fruit d’un travail authentique et le résultat d’un effort vers la beauté intérieure.[57]

Ce livre comporte une multitude d’exemples photographiques et de dessins issus d’œuvres de Kandinsky qui offrent la démonstration de ses observations théoriques, et qui permettent au lecteur d’en reproduire en lui l’évidence intérieure pour peu qu’il prenne le temps de regarder avec attention chacune de ces images, qu’il les laisse agir sur sa propre sensibilité et qu’il laisse vibrer les cordes sensibles de son âme et de son esprit. Kandinsky met néanmoins son lecteur en garde contre une contemplation trop longue, qui conduirait l'imagination à prendre le dessus sur l'expérience intérieure immédiate :

« Pour ce genre d'expérience, il vaut mieux se fier à la première impression, car la sensibilité se lasse vite et cède le champ à l'imagination.[58] »

Livres de Vassily Kandinsky

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  • Vassily Kandinsky, Du spirituel dans l'art et dans la peinture en particulier, éd. Denoël, collection "Folio Essais", 1989
  • Vassily Kandinsky et Franz Marc (éd.), L’almanach du "Blaue Reiter" : Le Cavalier bleu, éd. Klincksieck, 1987
  • Vassily Kandinsky, Regards sur le passé et autres textes 1912-1922, éd. Hermann, 1974
  • Vassily Kandinsky, Point Ligne Plan, éd. Gallimard, collection "Folio Essais", 1991
  • Vassily Kandinsky, Point Ligne Surface. Contribution à l'analyse des éléments picturaux, traduit de l'allemand par Christine Boumeester, Paris, Éditions de Beaune, Les nouveaux manifestes n°4, in-8 broché, 126 pp + 26 planches d'illustrations hors-texte, 1963.
  • Vassily Kandinsky, Écrits complets (tome I) : La synthèse des arts, éd. Denoël-Gonthier, 1975
  • Vassily Kandinsky, Écrits complets (tome II) : Point ligne plan - La grammaire de la création - L'avenir de la peinture., éd. Denoël-Gonthier, 1970
  • Vassily Kandinsky, Interférences, traduit en français par Armel Guerne, Delpire, 1959

Ouvrages sur Kandinsky

Ouvrages philosophiques

  • Michel Henry, Voir l’invisible. Sur Kandinsky, Bourin-Julliard, 1988, PUF, collection "Quadridge", 2005
  • Philippe Sers, Kandinsky. Philosophie de l'art abstrait: peinture, poésie, scénographie., éd. Skira, 2003
  • Alexandre Kojève, Les peintures concrètes de Kandinsky, La lettre volée, 2002.

Témoignages et correspondances

  • Nina Kandinsky, Kandinsky et moi, éd. Flammarion, 1978
  • Schoenberg - Busoni, Schoenberg - Kandinsky, correspondances, textes, Éditions Contrechamps, Genève, 1995

Reproductions de ses oeuvres

  • Jéléna Hahl-Fontaine, Kandinsky, Marc Vokar éditeur, 1993
  • François le Targat, Kandinsky, éd. Albin Michel, collection "Les grands maîtres de l’art contemporain", 1986
  • Hajo Duechting, Kandinsky, éd. Taschen, 1990
  • Pierre Volboudt, Kandinsky, éd. F. Hazan, 1984
  • V. E. Barnett et A. Zweit, Kandinsky. Dessins et aquarelles, éd. Flammarion, 1992
  • A. et L. Vezin, Kandinsky et le cavalier bleu, éd. Terrail, 1991

Catalogues d'expositions

  • Kandinsky. Rétrospective, Fondation Maeght, 2001
  • Kandinsky. Œuvres de Vassily Kandinsky (1866-1944), Centre Georges Pompidou, 1984

Ouvrages d'histoire de l'art

Notes et références

  1. Le découpage en périodes proposé dans cette section est repris du livre de Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990. Le titre donné à chacune des périodes artistiques de Kandinsky a cependant été modifié et simplifié.
  2. Kandinsky, Regards sur le passé, éd. Hermann, 1974, pp. 87 et 114
  3. Kandinsky, Regards sur le passé, éd. Hermann, 1974, p. 98
  4. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, p. 10
  5. Kandinsky, Regards sur le passé, éd. Hermann, 1974, p. 101
  6. Kandinsky, Regards sur le passé, éd. Hermann, 1974, pp. 107-108
  7. Kandinsky, Du spirituel dans l’art, éd. Denoël, 1989, p. 112
  8. Kandinsky, Regards sur le passé, éd. Hermann, 1974, pp. 96-97
  9. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, p. 13
  10. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, reproduction p. 9
  11. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, reproduction p. 6
  12. François le Targat, Kandinsky, éd. Albin Michel, 1986, reproduction n° 11
  13. François le Targat, Kandinsky, éd. Albin Michel, 1986, reproduction n° 8
  14. François le Targat, Kandinsky, éd. Albin Michel, 1986, reproduction n° 18
  15. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, pp. 37-56
  16. Kandinsky, Regards sur le passé, éd. Hermann, 1974, p. 105
  17. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, pp. 57-63
  18. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, pp. 64-77
  19. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, reproduction p. 75
  20. François le Targat, Kandinsky, éd. Albin Michel, 1986, reproduction n° 87
  21. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, pp. 70 et 76
  22. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, pp. 78-91
  23. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, reproduction p. 82
  24. François le Targat, Kandinsky, éd. Albin Michel, 1986, reproduction n° 112
  25. Hajo Düchting, Vassili Kandinsky, éd. Taschen, 1990, reproduction p. 88
  26. François le Targat, Kandinsky, éd. Albin Michel, 1986, reproduction n° 117
  27. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 61-75
  28. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 105-107
  29. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 112 et 118
  30. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 118
  31. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 199
  32. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 197
  33. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 142
  34. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 142-143
  35. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 143
  36. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 148
  37. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 149-150
  38. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 150-154
  39. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 143
  40. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 155
  41. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 156
  42. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 157
  43. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 157
  44. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 160
  45. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 162
  46. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 162-163
  47. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, pp. 163-164
  48. Kandinsky, Point et ligne sur plan, éd. Gallimard, 1991, p. 143
  49. Kandinsky, Du spirituel dans l'art, éd. Denoël, 1989, p. 45 : "Les idées que je développe ici sont le résultat d'observations et d'expériences intérieures" c'est-à-dire purement subjectives. Cela vaut également pour Point et ligne sur plan qui en est "le développement organique" (avant-propos de la première édition, éd. Gallimard, 1991, p. 9).
  50. Kandinsky, Point et ligne sur plan, éd. Gallimard, 1991, pp. 25-63
  51. Kandinsky, Point et ligne sur plan, éd. Gallimard, 1991, pp. 67-71
  52. Kandinsky, Point et ligne sur plan, éd. Gallimard, 1991, pp. 69-70
  53. Kandinsky, Point et ligne sur plan, éd. Gallimard, 1991, pp. 80-82
  54. Kandinsky, Point et ligne sur plan, éd. Gallimard, 1991, p. 89
  55. Kandinsky, Point et ligne sur plan, éd. Gallimard, 1991, pp. 143-145
  56. Kandinsky, Point et ligne sur plan, éd. Gallimard, 1991, pp. 145-146
  57. Kandinsky, Point et ligne sur plan, éd. Gallimard, 1991, p. 146-151
  58. Kandinsky, Point et ligne sur plan, éd. Gallimard, 1991, p. 170

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