- Vagues scélérates
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Vague scélérate
Les vagues scélérates sont des vagues océaniques très hautes, soudaines et qui étaient considérées comme très rares, même si aujourd’hui on sait qu’elles apparaissent pratiquement au cours de toutes les tempêtes d’une certaine importance.
Jusqu’au début du XXe siècle, les vagues scélérates semblaient appartenir au folklore maritime, à une rumeur légendaire — jusqu’à ce qu’un certain nombre de témoignages de rencontres de ces vagues par de gros navires modernes, ainsi que des mesures océanographiques, ne convainquent les scientifiques de la réalité et de la fréquence du phénomène.
Sommaire
Caractéristiques
Contrairement aux vagues de raz-de-marée (tsunami, en japonais) qui sont des vagues de grande longueur d’onde et qui ne s’élèvent qu’à l’approche des côtes, les vagues scélérates font partie de trains d’ondes de l’état de la mer et ont à peu près la même longueur d’onde que leurs voisines, mais au profil beaucoup plus abrupt que celui des autres vagues. L’état de la mer étant irrégulier, des vagues de grande hauteur sont toujours possibles, mais de moins en moins probables. On parle de vague scélérate pour des hauteurs du creux à la crête de plus de 2,1 fois la hauteur significative des vagues Hs[1]. Les vagues scélérates se forment sans raison évidente. Elles sont souvent décrites comme un mur d’eau qui vient heurter le navire, contrairement aux vagues « normales » qui montent en pente relativement douce, permettant aux navires de passer par dessus. Des vagues scélérates ont été observées dans tous les océans du monde, qu’il y ait ou non des courants importants en surface.
Les vagues scélérates peuvent atteindre des hauteurs crête à creux de plus de 30 mètres et des pressions phénoménales. Ainsi, une vague normale de 3 mètres de haut exerce une pression de 6 tonnes/m2. Une vague de tempête de 10 mètres de haut peut exercer une pression de 12 tonnes/m2. Une vague scélérate de 30 mètres de haut peut exercer une pression allant jusqu’à 100 tonnes/m2. Or, aucun navire n’est conçu pour résister à une telle pression[2].
Il existe aussi le phénomène des « trois sœurs ». Il s’agit de trois vagues scélérates successives, et donc, d’autant plus dangereuses, car un bateau quelconque qui aurait eu le temps de réagir correctement aux deux premières, n’aurait en aucun cas les possibilités de se remettre dans une position favorable pour la troisième.
Théories explicatives
Il convient d’abord de distinguer les grandes vagues des vagues scélérates. Les plus grandes vagues observées sont généralement présentes dans un état de mer déjà fort, soit dans de fortes tempêtes, soit dans des zones de courants contraires, comme dans la zone du courant des Aiguilles[2], le long de la côte est de l’Afrique du Sud. Dans ce cas, il s’agit d’un simple phénomène de réfraction qui augmente la hauteur significative Hs, sans que nécessairement cela donne des vagues de hauteur H supérieure à 2,1 Hs.
Les observations indiquent que ce seuil de 2,1 Hs est atteint beaucoup plus souvent que ce que prévoit la théorie linéaire de la propagation des vagues. Pour des vagues en canal à houle, se propageant dans une seule dimension il peut y avoir 100 fois plus de vagues scélérates que ce que prévoit la théorie linéaire. La fréquence d’apparition des vagues scélérates est donc nécessairement liée au caractère non-linéaire des vagues, connu depuis le XIXe siècle, mais avec des conséquences qui sont encore incomprises. Ainsi, dans un train de houle, la vague scélérate apparaît en empruntant l’énergie contenue dans ses voisines, avant de la leur rendre en disparaissant ou de la perdre en déferlant. On parle de modulation d’amplitude.
Ces vagues sont prévues comme solutions particulières d’équations non linéaires, telles que l’équation de l’onde de Boussinesq ou l’équation de Korteweg et de Vries par exemple. Mathématiquement, elles correspondent au soliton, c’est-à-dire des vagues à forme singulière qui se propagent sans que leur forme ne change. Cette évolution non-linéaire est bien vérifiée dans un canal à houle pour des vagues se propageant dans une seule direction[3]. Mais la complexité de telles équations rend difficile la résolution dans le cas à deux dimensions.Dans le cas de propagation de vagues dans des directions différentes, il semblerait que certaines circonstances encore mal définies puissent provoquer non pas la diminution, mais l’accumulation des ondes de houle, provoquant une vague scélérate.
Détection
La mesure des vagues est, depuis les années 1990, faite avec des lasers, radars ou bouées, qui mesurent l’élévation de la surface en un point[4]. De telles mesures sur la plate-forme Draupner, en mer du Nord, ont fourni les premières preuves irréfutables de l’existence des vagues scélérates. Alors que la détection des vagues scélérates par satellite est encore hors de portée en 2009, plusieurs travaux utilisant des radars de navigation embarqués sur des navires essayent de reconstruire la forme de la surface à partir du fouillis de mer[5] pour, entre autres, détecter des vagues scélérates avant que le navire ne les rencontre. Ces développements n’en sont encore qu’à leurs balbutiements.
Accidents notables
Plusieurs observations et accidents l'attestent :
- L’Astrolabe, navire conduit par Jules Dumont d’Urville, vagues qualifiées de monstrueuses près des côtes de la Nouvelle-Zélande et de la Nouvelle-Guinée en 1828.
- Journal de bord et récit d’Ernest Shackleton de l’Expédition Endurance qui revint de l’Île de l’Éléphant à bord du James Caird, un canot de sauvetage, en avril 1916.
- Plate-forme pétrolière de Draupner, vague de 25,6 m de haut alors que la hauteur significative n’atteignait que 10,8 m, mesurée en mer du Nord le 1er janvier 1995[6].
- Queen Elizabeth 2, vague de 29 m dans l’Atlantique Nord en février 1995[2].
- Bremen et Caledonian Star, trois vagues de 30 m dans le Pacifique Sud en février 2001[2].
- Aube Norvegian, vague de 21 m au large de la Caroline du Sud en avril 2005.
- Le Pont-Aven, le 24 mai 2006, a rencontré une vague d’une hauteur d’environ 20 m au large d’Ouessant.
Aujourd’hui[Quand ?], et après avoir ré-étudié des catastrophes inexpliquées à la fin des années 1990, et sur les 20 années précédentes, on considère qu’il y a probablement eu une vingtaine de pertes majeures liées à ces vagues.
La réalité des vagues scélérates est maintenant parfaitement démontrée et documentée, et peut avoir des conséquences sur la sécurité maritime et la conception des grands navires marchands, notamment les minéraliers et les vraquiers qui ne sont pas conçus pour résister à des impacts hauts au-dessus de la ligne de flottaison, et qui coulent en quelques minutes.
Si un tanker (ou tout bateau long) rencontre une telle vague de face (ou par l’arrière), cela pose deux problèmes :
- La masse de l’eau en mouvement représente une énergie au moins doublée par rapport aux vagues habituelles qui va percuter le bateau par sa proue (par exemple). Il n’est pas rare qu’une vague scélérate ait une hauteur au moins égale à celle du château.
- L’effet cumulé de la hauteur exceptionnelle des vagues et de la longueur d’onde peut littéralement soulever le bateau par les deux extrémités. La partie centrale du bateau se retrouve alors dans le vide, ou tout au moins se retrouve moins portée par l’eau, et va donc être soumise à des contraintes énormes (surtout si les soutes sont pleines) qui peuvent casser le bateau en deux.
Si la vague frappe le bateau par le côté, elle peut le faire chavirer.
Notes et références
- ↑ Certains auteurs utilisent un seuil à 2 fois au lieu de 2,1.
- ↑ a , b , c et d (en) Chris Hall, « Freak Waves », dans Beacon, no 185, juin 2005 [[pdf] texte intégral].
- ↑ (en)On the extreme statistics of long-crested deep water waves: Theory and experiments, Mori, N., M. Onorato, P. A. E. M. Janssen , et al., 2007, J. Geophys. Res. 112 (C9): C09011.
- ↑ (en)Haver S (5 August 2003). Freak wave event at Draupner jacket January 1 1995. (PDF)
- ↑ (en)Sea Surface Elevation Maps Obtained with a Nautical X-Band Radar – Examples from WaMoS II Stations [pdf], Hessner, K., et K. Reichert, 2007: 10th International workshop on wave hindcasting and forecasting, North Shore, Oahu, Hawaii, 11-16 novembre 2007.
- ↑ (en)Site de K. Dysthe et H. Krogstad, H. Socquet-Juglard et K. Trulsen, chercheurs norvégiens.
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- (en) Christian Kharif, Efim Pelinovsky et Alexey Slunyaev, Rogue waves in the ocean, Springer, Berlin, 2009, 216 p. (ISBN 978-3-540-88418-7)
- (en) Efim Pelinovsky et Christian Kharif (dir.), Extreme ocean waves, Springer, Londres, Dordrecht, 2008, 196 p. (ISBN 978-1-402-08313-6)
- (fr) Julien Touboul, Étude de l’interaction entre le vent et les vagues scélérates, Institut de recherche sur les phénomènes hors équilibre, Université d’Aix-Marseille, Marseille, 2007, 168 p. (thèse de doctorat de Systèmes Complexes)
Liens externes
- (fr) Information sur le site de Futura-Sciences, un article proposant une nouvelle approche pour modéliser les vagues scélérates.
- (en) Modélisation mathématique des vagues scélérates, page Web d’universitaires norvégiens.
- (fr) [image] Animation tirée de l’article précédent qui montre que (en haut) il peut y avoir un « paquet de vagues » qui, en se superposant à une mer agitée (vague du milieu) donne (en bas) une sérieuse résultante la fameuse vague scélérate.
- (fr) Présentation générale de Michel Olagnon (Ifremer).
- (fr) Article de l’académie de Rouen.
- (fr) « La vague scélérate : une théorie pour expliquer les mystérieuses disparitions dans le Triangle des Bermudes ? ».
- (fr) Extraits d’un documentaire de l'émission Thalassa du 2 novembre 2007.
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Catégorie : Océanographie
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