Traité de la musique

Traité de la musique

Dans son ouvrage Traité de la Musique (De Musica), Saint Augustin a écrit sur la musique comme science.

Le traité de la musique se divise en deux parties :

  • une partie technique (5 premiers livres) qui renferme une exposition complète des règles de la rythmique et de la métrique ; elle comprend les cinq premiers livres
  • une partie plus philosophique (1 livre) qui forme en quelque sorte la morale de l'ouvrage ; l'auteur analyse les mouvements du cœur et de l'esprit humain, les mouvements des corps et de l'univers, remonte d'harmonie en harmonie, comme par une échelle mystique, jusqu'à l'harmonie éternelle et immuable, Dieu, principe de tous les mouvements et auteur de la loi qui les assujettit à l'ordre, en d'autres termes auteur de l'harmonie à tous ses degrés.

Sommaire

Le traité

La première partie est une suite de préceptes, à part quelques détails gracieux, quelques réflexions profanes qui révèlent dans le métricien, tout occupé, ce semble, à mesurer des syllabes, le vigoureux philosophe et le brillant orateur: mais elle offre au plus haut degré l'intérêt qu'elle comportait. Nulle part l'alliance de la poésie et de la musique, ce problème si agité par les érudits, n'apparaît sous une forme plus simple; on ne scande pas, on entend, j'allais dire, on chante le vers antique; les iambes, les spondées, les dactyles font place à des mesures musicales dont la raison et l'oreille sont juges; et cette harmonie n'est pas aussi perdue qu'on le croit: elle a laissé des traces et comme un écho dans la mélopée de nos églises. Dès le début de l'ouvrage, il s'élève entre le Maître et l'élève une discussion en apparence plus métaphysique que musicale; mais qu'on ne s'y trompe pas , elle découvre les principes qui ont dirigé l'auteur, dans la composition de son traité; elle en contient toute la substance. Il s'agit de définir la musique, telle que l'auteur la comprend et veut la faire comprendre. La musique a pour objet de déterminer les durées successives qui divisent un mouvement et le rapport qui les ordonne entre elles. Je dis mouvement en général; la danse comme le chant est du domaine de la musique : car la danse consiste en des mouvements susceptibles de se mesurer et de se résoudre en cadences régulières; les sons ne forment également un accord musical que parce qu'ils sont susceptibles de se diviser en intervalles réguliers que l'on peut mesurer par un battement. La Musique est donc la science des belles modulations ou des mouvements bien ordonnés; pour découvrir la succession de ces mouvements et leur symétrie, le musicien doit remonter jusqu'à la théorie des nombres, examiner leurs rapports et leur progression: c'est sur ce modèle qu'il détermine l'échelle des sons et leurs différentes combinaisons. Les nombres sont le symbole de l'accord musical; ils le représentent au même titre que les mots expriment la pensée, et les plaisirs de l'oreille supposent des rapports tout mathématiques. On reconnaîtra sans peine ici les principes du système musical tel que l'ont fondé en Grèce les Pythagoriciens. La musique est donc une science: elle repose sur une théorie absolue , celle des nombres. Elle n'est pas, comme la prosodie, un ensemble de connaissances tout empiriques et par là elle se distingue de la grammaire qui, pour fixer la quantité des syllabes, se borne à consulter l'usage et l'exemple des grands poètes. Comme ses principes, sa méthode est toute rationnelle : elle déduit des rapports numériques , par une conséquence nécessaire, les rapports qui flattent l'oreille. On comprendra dès lors la portée des passages fort nombreux où l'auteur réclame, au nom de la raison, contre la routine des grammairiens: on ne s'étonnera plus de le voir apprendre la musique à un élève qui ignore les règles de la quantité. Les mots et leur quantité représentent des notes, les pieds, des mesures musicales.

Les histrions et les danseurs de métier sont-ils des musiciens ? Non, l'auteur les exclut du chœur (394) des musiciens, au même titre que Platon bannit les poètes de sa république ou refuse le nom d'orateurs à ces discoureurs qui ne savent pas allier la philosophie à l'éloquence. Leur art n'est qu'une pure imitation : la science et ses principes éternels leur échappent. Ils sont artistes, à peu près comme le rossignol; ce sont des gosiers sonores que l'exercice assouplit et que fait mouvoir l'amour d'un vil salaire ou de vains applaudissements. Telles sont les conclusions de cette longue discussion où l'on retrouve la dialectique, les principes et parfois la grâce des dialogues de Platon.

Entrant alors dans les détails de son sujet, l'auteur fixe d'après les propriétés même des nombres, les durées dans le mouvement, leur progression, leurs rapports; il détermine les limites où s'arrêtent ces mouvements susceptibles, comme les nombres qui les expriment, de s'étendre à l'infini. Cette discussion en apparence subtile ou aride met dans tout son jour le système pythagoricien sur les lois mathématiques des soirs et des accords: à ce titre, elle offrira le plus vif intérêt à tous ceux qui voudraient étudier le principe du pythagorisme en dehors de ses applications erronées à la morale ou à la métaphysique, je veux dire dans sa simplicité première et dans sa pureté. Accoutumés à scander, nous ne voyons dans les pieds que des combinaisons de brèves et de longues plus ou moins artificielles. Il n'en est rien : « Les pieds, selon l'expression de M. Vincent, sont identiquement la même chose que nos mesures musicales. » Ils se composent de temps rendus sensibles à l'oreille par le battement de la mesure. Le mélange des pieds rie peut avoir lieu qu'à la condition qu'ils offrent des durées égales et qu'ils se mesurent par le même battement. L'amphibraque ne peut se combiner avec aucun autre pied parce que, divisé dans un rapport de 3 à 1, il trouble le battement de la mesure et comme dit l'élève, écorche les oreilles. En résumé, le pied exprime une mesure musicale dont les syllabes sont les notes, et la combinaison des pieds doit se faire dans un rapport tel que le levé et le posé, le temps faible et le temps fort, reviennent à des intervalles constants et réguliers. Ce partage du pied en levé et en posé, caractérise essentiellement le rythme, qui n'est qu'une suite de mesures musicales sans fin déterminée. Les hymnes de Pindare, les chœurs des tragiques sont en général des rythmes où les paroles se succèdent selon les exigences de l'air créé ou adopté par le poète. La théorie du rythme, telle qu'on la trouve dans saint Augustin, précise, lumineuse et manifestement appuyée sur une connaissance profonde des conditions de la poésie lyrique dans l'antiquité, offre, selon nous, les véritables principes pour apprécier cette poésie, aujourd'hui assez obscure et par là même difficile à goûter. Nous sentons l'harmonie de Virgile qui peut se flatter de sentir celle de Pindare? C'est qu'il y a dans les vers de Virgile une cadence tout à fait étrangère aux rythmes de Pindare. Nous n'avons plus, si j'ose ainsi parler, que le libretto des odes de ce grand musicien. Le mouvement, la passion, la clarté même que le chant répandait à travers ses paroles, comme un souffle puissant, ont disparu pour nous avec la musique. Pindare a eu le sort de ces statues de la Grèce, qui, transportées sous un climat étranger, perdent avec la transparente lumière du ciel oriental la grâce de leurs proportions et le mouvement de leurs traits. La véritable traduction de Pindare serait une traduction en musique. Loin de nous sans doute la pensée d'assimiler à un faiseur de libretto moderne, un Pindare, un Sophocle ! Mais nous ne pouvons nous résoudre à attribuer uniquement à l'inspiration « leur beau « désordre, » ces tours brusques, ces alliances de mot hardies, cette absence de transition, qui déconcertent le grammairien. La musique animait les paroles; elle les interprétait à l'oreille et au cœur, comme elle interprète dans nos églises la sublime terreur du Dies irae. Qu'on lise saint Augustin : le rôle tout secondaire de la parole dans le rythme est tellement un principe à ses yeux, qu'il nous avertit de faire abstraction des mots pour ne considérer que les sons, et que les exemples qu'il donne offrent plutôt un son agréable à l'oreille qu'un sens clair à l'esprit, tant il est vrai que le poète lyrique, dans l'antiquité, n'aurait jamais marché, comme dit Bossuet, par vives et impétueuses saillies, s'il n'avait été soutenu et guidé dans ses élans par les mouvements réguliers et « bien ordonnés » de la musique. Le mètre se distingue du rythme en ce qu'il admet une fin déterminée, au déjà de laquelle il recommence. Nous n'insisterons pas sur cette distinction malgré son importance : nous voulons appeler l'attention du lecteur sur la manière dont l'auteur enseigne à mesurer le mètre par le battement. Son système est fort simple et repose sur ce principe : chaque mètre a un pied principal, c'est-à-dire, une mesure fondamentale composée d'un nombre de temps déterminé. Cette mesure, une fois reconnue et adoptée doit se retrouver partout : si un ou plusieurs temps manquent, on les remplace par des silences dont le battement fait sentir la durée. C'est ainsi que dans la musique moderne on remplace les notes par des pauses, des demi-pauses ou des soupirs. Par exemple, ce mètre : segetes meus labor peut se mesurer de deux façons différentes; cela dépend du pied que l'on choisit pour mesure fondamentale. Adopte-t-on le diiambe (U¯¯U¯¯) ? On trouve segetes | meus labor. Mais le diiambe ayant 6 temps et segetes étant un anapeste ou pied de 4 temps, il faut remplir les deux temps vides par un silence d'égale durée. La mesure est alors de 6 temps pour chaque pied. Veut-on, au contraire, prendre pour point de départ le ditrachée (¯¯U¯¯U) on aura : Sege tes meus la | bor : en revenant de la fin du mètre, c'est-à-dire, la syllabe bor, au commencement, Sege, on ne trouve que 4 temps; il faut donc un silence de 2 temps. Marquons, si on nous le permet, les silences, par des soupirs 7, signe qui, dans la Musique moderne, équivaut à une brève ou à un temps, nous verrons de nos propres yeux l'égalité de ces deux mesures : Segetes meus labor 7 7 | Malgré la routine, l'auteur mesure l'hexamètre par anapestes, ce qui met les accents en relief, chose si importante dans le vers, qu'il soit français, grec ou latin Arma virumque cano Trojae qui primus ab oris. La fin rapprochée du commencement formant 4 temps et la mesure fondamentale étant l'anapeste ou 4 temps, il n'y aura pas de silence complémentaire > On remarquera que l'hémistiche est le trait distinctif du vers ancien. Le vers n'est vers que parce qu'il admet une coupure qui le partage en deux membres, liés entre eux par le rapport d'égalité le plus étroit. Augustin. trouve un rapport d'égalité merveilleux dans les deux membres du vers Hexamètre qui ont un nombre de demi-pieds tel que si on les élève au carré, on obtient le nombre identique de 25. Les anciens étaient bien plus que nous, sensibles à ces propriétés des nombres qui peuvent devenir, en musique, une jouissance pour l'esprit et doubler ainsi le plaisir de l'oreille. On ne voit pas sans surprise que les critiques si nombreuses et si mal fondées qu'on a faites de notre alexandrin, s'appliquent en grande partie à l'Hexamètre Latin : lui aussi est partagé en deux hémistiches et cela, dit notre auteur, d'un bout à l’autre de l'Enéide. Si saint Augustin s'est brouillé il y a tant de siècles avec les Romantiques, j'ai bien peur que leur système, qui consiste à mettre l'alexandrin en pièces sous prétexte d'en rompre la monotonie, ne réponde ni aux besoins de l'oreille, ni « aux propriétés essentielles des nombres» et de l'harmonie. C'est ainsi que l'on retrouve les lois de l'esprit humain sous les formules du philosophe : son ouvrage n'a pas vieilli, parce que la raison et les principes de l'art ne vieillissent jamais. Nous arrivons au VIe livre : et nous nous empressons d'offrir au lecteur « une planche sur cette mer immense, » une analyse fidèle et enthousiaste de M. Villemain. La partie esthétique de ce beau livre y est saisie dans toute son élévation. Le lecteur nous permettra donc d'insister sur la partie philosophique et d'y appeler son attention. Devancier de Descartes et de Malebranche qui ont creusé un abîme entre le corps et l'âme, Augustin, guidé par le sens chrétien, refuse au corps le pouvoir de modifier l'âme. Le corps ne produit pas dans l'âme une impression, une peine, un plaisir, non; à propos des impressions que le corps reçoit du dehors ou des modifications qu'il éprouve dans ses organes, l'âme devient attentive, prend conscience des mouvements corporels, et, selon qu'elle s'y associe ou qu'elle s'y oppose, qu'elle s'y conforme ou qu'elle y résiste, elle ressent de la peine ou du plaisir. La peine est une fonction pénible des organes remarquée par l'âme, le plaisir, une opération facile dont elle a conscience. Cette théorie est d'autant plus originale que d'ordinaire, on regarde l'âme comme purement passive dans le phénomène de la sensation : Augustin n'y voit qu'un mode de l'activité de l'âme, une réaction contre les impulsions venues du dehors et auxquelles l'âme reste libre de s'associer. Il rattache sa théorie au dogme chrétien du péché originel. Dans l'état de grâce et de félicité, le corps était en parfaite union avec l'âme : l'âme ne prêtait aucune attention à ses mouvements et était tout entière tournée vers Dieu, son Seigneur, elle était insensible au même titre que nous le sommes encore, quoique d'une manière infiniment moins parfaite, dans la santé. Car, dans la santé, le jeu des organes est si régulier, si facile, que l'âme ne s'en occupe pas et peut se livrer sans distraction comme sans peine, à la contemplation de la vérité. Mais, par une conséquence du péché, la chair n'obéit plus qu'à l'aiguillon du plaisir: l'âme, contrainte de fixer son attention sur ces mouvements de concupiscence, ou lutte péniblement pour y résister, ou se laisse entraîner et préfère à l'insensibilité ou apathie, qui est la suite de la santé, le désordre des voluptés. Cette théorie d'un spiritualisme si élevé est exposée avec éclat dans le chapitre Ve et domine le livre entier. Aidée de la grâce, l'âme renonce peu à peu à la chair : elle subordonne, par une hiérarchie toute divine, les mouvements que le corps la contraignait à produire, soit pour aller au-devant de ses besoins, soit pour lutter contre ses tendances grossières, à ces mouvements que règle le jugement, qu'inspire la raison; elle s'épure, elle se tourne tout entière vers les choses du ciel. Ainsi les harmonies d'ici bas de plus en plus hautes selon qu'elles ont pour principe, les sens, le jugement, la raison, l'acheminent peu à peu et comme par degrés à l'harmonie tout intellectuelle de la vérité. Elle reprend sa dignité, en reprenant son existence première, la contemplation de Dieu. Si au contraire elle se renferme dans l'harmonie des sens, dans la beauté des objets matériels, elle se lie à une harmonie, celle du péché; car le mal (396) étant la punition du péché, devient une harmonie la réparation du désordre est le retour à l'ordre; sa dégradation est alors achevée : la loi qu'elle n'aime pas l'asservit et l'enchaîne. Donc, la sensibilité n'étant que le pouvoir de réagir contre les impressions du corps, l'âme est dans l'alternative ou de ne prêter attention qu'aux harmonies célestes, ce qui fait sa dignité et son bonheur, ou de s'enfermer dans les harmonies d'ici-bas, ce qui cause sa dégradation et son malheur. De ce point de vue élevé, Augustin considère tous les mouvements de l'âme et du corps, toujours harmonieux, quoique à différents degrés, puisqu'ils sont une conséquence des lois divines. Et il invite l'âme à remonter de beautés en beautés jusqu'à la beauté souveraine en se dégageant de plus en plus des entraves de la mortalité. La forme de ce traité est celle du dialogue l'élève répond peut-être trop souvent par oui et par non; mais c'était la un défaut inévitable dans un aussi long entretien. D'ailleurs, c'est vraiment un élève; il se trompe, son maître le laisse s'égarer, puis le ramène à la vérité en lui indiquant avec grâce le point précis qui a été la cause de son erreur. De là vient qu'il faut souvent lire un chapitre tout entier pour le bien comprendre, Ajoutons qu'il est curieux et questionneur au point de fatiguer son maître, volo tandem tibi parce. (Liv. II.) Quant au maître, on peut reconnaître à chaque instant le brillant professeur de rhétorique et de philosophie, mieux encore le disciple de Platon qui avait appris à interroger les esprits, et savait le secret, non-seulement d'instruire et de plaire, mais encore de faire deviner la vérité. Les allusions à sa vie passée et à sa conversion, surtout dans le sixième livre, viennent à chaque instant surprendre, attendrir même le lecteur. Nous n'en signalerons qu'une pour terminer par une citation; elle marque a la fois la tendresse de cœur et le sincère repentir d'Augustin . « L'adultère, dit-il, en tant qu'adultère est une œuvre coupable; mais de l'adultère, il naît souvent un homme, c'est-à-dire d'une œuvre coupable de l'homme, une œuvre excellente de Dieu. » Qui ne reconnaîtrait à ces mots cet Adéodat, fruit du péché et toutefois présent magnifique de Dieu, par son génie précoce, sa foi, sa tendresse filiale?

Sources

Voir aussi

Autres œuvres


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