Sylvain Gouguenheim

Sylvain Gouguenheim

Sylvain Gouguenheim, né le 6 août 1960[1], est un historien médiéviste français.

Sommaire

Biographie

Après avoir rédigé une thèse de doctorat à l'Université de Paris X-Nanterre consacrée, sous la direction d'André Vauchez[2], à la mystique rhénane Hildegarde de Bingen, il a été maître de conférences à l'Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et membre du LAMOP (Laboratoire de médiévistique occidentale de Paris) avant de devenir professeur des universités à l'ENS Fontenay-Saint-Cloud (ENS LSH de Lyon) de Lyon[3].

Après sa thèse de doctorat, S. Gouguenheim s'est spécialisé dans l'étude des ordres religieux militaires créés en relation avec les croisades au Moyen Âge, et tout particulièrement à l'ordre Teutonique, au sujet duquel il a publié plusieurs ouvrages érudits (dont l'un tiré de sa thèse d'habilitation à diriger des recherches). Depuis septembre 2010, il fait partie de l'Internationale Kommission zur Erforschung des Deutschen Ordens qui regroupe les spécialistes de l'histoire de l'ordre Teutonique et dont il est le seul membre français[4].

En 2008, son livre Aristote au Mont-Saint-Michel[5] met radicalement en cause l'idée selon laquelle le monde musulman aurait joué un rôle important dans la transmission de la science et de la philosophie grecques à l'Occident au Moyen Âge. Pour Sylvain Gouguenheim, la langue arabe n'est d'ailleurs pas propice au développement de la pensée rationaliste. La promotion du livre dans la presse, notamment par des recensions très positives de Roger-Pol Droit dans Le Monde (18 avril 2008) puis par Jean-Yves Grenier dans Libération, provoque une polémique[6]. Sa thèse est proche de celle de Jacques Heers et, au plan philosophique, des positions de Remi Brague. Il a été soutenu par Claude Gauvard. La thèse de Sylvain Gouguenheim a été mise en doute par de nombreux historiens, notamment par les spécialistes du monde musulman qui appartiennent au laboratoire de recherche auquel il était rattaché au moment où il a rédigé son livre (le CIHAM, basé à Lyon). L'auteur, s'il connaît le grec classique, ignore cependant l'arabe et n'est pas un spécialiste du monde musulman ni des chrétiens orientaux ; son livre est fondé sur une lecture de la littérature secondaire et non sur un travail des sources[7]. Pour sa part, S. Gouguenheim juge que les réactions critiques concernant son livre ont été démesurées ; il les attribue aux enjeux idéologiques de sa théorie dans le contexte actuel de tensions autour de l'islam.

Thèses de Aristote au Mont-Saint-Michel

Article détaillé : Aristote au Mont-Saint-Michel.

La thèse centrale de l'ouvrage de l'auteur est que l’héritage grec s’est transmis à l’Europe occidentale directement par Byzance, ce qui tend à réduire le rôle de l'intermédiaire arabo-musulman.

L'auteur soutient que l'abbaye, dès le XIIe siècle, a été le théâtre d'un important travail de traduction, directement du grec en latin, de la plupart des œuvres disponibles d'Aristote. Si l'on sait peu de choses de l'équipe de traducteurs (dont Jacques de Venise aurait fait partie, qui vécut à Constantinople et fit un long travail de traduction de 1127 à 1150), on sait que la diffusion de ces traductions fut considérable :

  • une centaine de manuscrits de la Physique, dispersés à travers toute l'Europe,
  • des Seconds Analytiques dont on recense 289 exemplaires du Vatican à Toulouse,
  • les Métaphysiques utilisées par saint Thomas d'Aquin et par Albert le Grand.

L'auteur note ensuite que Averroès et Avicenne ne connaissaient pas le grec, que les traductions arabes d'Aristote dont ils disposaient avaient été faites par des arabes chrétiens (syriaques), que le savoir a régulièrement circulé entre Byzance et l'Occident, bien mieux qu'entre la civilisation islamique et l'Occident, et ceci avant tout pour des questions de facilité de traduction, le passage d'une langue sémitique à une langue indo-européenne étant censé être particulièrement ardu. Ceci n'empêcha cependant pas la traduction de textes à portée scientifique.

Les thèses de Sylvain Gouguenheim ont été vivement contestée par des historiens médiévistes spécialistes de l'histoire culturelle et codicologique dans plusieurs articles et ouvrages[8]. Thomas Ricklin, professeur à l’Université Ludwig Maximilian à Munich, a rappelé en mai 2011 dans la revue franco-allemande en ligne Trivium que "la grande majorité de la communauté scientifique" considère Aristote au Mont-Saint-Michel "tel qu'il est, c'est-à-dire comme un ouvrage scientifiquement malhonnête". Th. Ricklin souligne aussi que "rarement un historien contemporain a si peu respecté les règles élémentaires de notre métier"[9].

Dans une présentation de l'ouvrage Les Grecs, les Arabes et nous[10], "qui non seulement constitue une réponse aux thèses et aux arguments de Gouguenheim, mais montre aussi de quoi son livre était le nom", A. Robert note "la fausseté historique avérée de nombreuses thèses centrales" de l'ouvrage de Gougenheim, dans le quel on peut y voir "le reflet d’enjeux qui dépassent largement la querelle d’érudits". Il note que l'ouvrage de Gouguenheim adopte un point de vue islamophobe et "entend prendre le contre-pied d’un savoir déjà constitué par des spécialistes, tout en ne s’adressant pas à ces derniers":

« Non seulement, on trouve dans n’importe quelle bonne (et même mauvaise) encyclopédie une notice sur Jacques de Venise, mais les critiques ont négligé la fin du livre dans laquelle apparaissent les thèses essentialistes sur l’Islam (civilisation incapable d’assimiler le savoir grec et de s’ouvrir aux autres cultures) et sur la langue arabe (inapte à traduire le grec et à rendre un discours philosophique). Les médias ont ainsi pris position en faveur de l’historien isolé et victimisé, reconduisant ainsi les clichés sur les représentants de la doxa universitaire et ses mandarins. »

À propos de la polémique sur son travail, l'auteur relève bien que la façon de présenter l'histoire revêt aujourd'hui une importance particulière :

« Sous l'influence de l'actualité, le sujet a pris une dimension politique. Les enjeux, on le devine, ne sont pas minces en ce début du XXIe siècle. Ils s'inscrivent dans le long face à face entre l'Islam et l'Occident [...] C'est pourquoi, à l'heure où l'on se propose de rectifier les manuels scolaires afin de rappeler la place de l'Islam dans le patrimoine européen comme y invite un rapport récent (2002) de l'Union européenne, une tentative de clarification est apparue nécessaire. »

Œuvres

Œuvre de collaboration
  • Jean-Patrice Boudet, Sylvain Gouguenheim et Catherine Vincent, L'Europe occidentale chrétienne au XIIIe siècle : études et documents commentés (avec une préface de Michel Parisse), éditions SEDES, coll. « Regards sur l'histoire », série « Histoire médiévale », Paris, 1995, 318 p., (ISBN 2-7181-9210-0), (notice BNF no FRBNF37019574n).
Œuvre collective
  • L'Allemagne au XIIIe siècle : de la Meuse à l'Oder (sous la direction de Michel Parisse ; avec la collaboration de Sylvain Gouguenheim, Pierre Monnet et Joseph Morsel), éditions Picard, Paris, 1994, 231 p., (ISBN 2-7084-0471-7), (notice BNF no FRBNF35729236d).

Notes et références

  1. Source : notice d'autorité personne «  Gouguenheim, Sylvain (1960-....) », dans le catalogue général de la Bibliothèque nationale de France.
  2. http://www.sudoc.abes.fr/DB=2.1/SET=1/TTL=1/SHW?FRST=9
  3. Page Sylvain Gouguenheim sur le site de l'ENS
  4. L'information a été donnée par le site de l'ENS le 17 janvier 2011, mais n'est restée accessible que 24 h. Elle ne figure même plus dans les archives du site [1]. On peut la trouver en cache sur [2]
  5. Le titre est emprunté à un article de Coloman Viola paru en 1967
  6. « Un historien au service de l’islamophobie » par Alain Gresh, « Landerneau terre d'Islam » par Alain de Libera
  7. Jaques Verger, « Sylvain Gouguenheim, Aristote au mont Saint-Michel. Les racines grecques de l'Europe chrétienne », dans Cahiers de civilisation médiévale, vol. 51, 2008, p. 182–184.
  8. Max Lejbowicz (dir.), Jean Celeyrette, John Tolan, Jean Jolivet, Abdelali Elamrani-Jamal, Marie-Geneviève Balty-Guesdon, Régis Morelon, Louis-Jacques Bataillon et Sten Ebbesen, L'Islam médiéval en terres chrétiennes : Science et idéologie, Villeneuve d'Ascq, Presses universitaires du septentrion, coll. « Les savoirs mieux », 2009, 176 p. (ISBN 978-2-7574-0088-3) [lire en ligne] [présentation en ligne]  ; Philippe Büttgen (dir.), Alain de Libera (dir.), Marwan Rashed (dir.) et Irène Rosier-Catach (dir.), Les Grecs, les Arabes et nous : Enquête sur l'islamophobie savante, Fayard, coll. « Ouvertures », 2009 (ISBN 978-2-213-65138-5) [présentation en ligne] 
  9. Thomas Ricklin, Le cas Gouguenheim, Trivium. Revue franco-allemande de sciences sociales et humaines, 2011 [présentation en ligne] 
  10. Aurélien Robert, « L’islamophobie déconstruite », La Vie des idées, 16 avril 2010. ISSN : 2105-3030. URL : [3].

Liens externes



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