- Serment du jeu de paume
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Serment du Jeu de paume
Le serment du Jeu de paume est un engagement d’union pris le 20 juin 1789 à la salle du Jeu de paume, à Versailles, par les 578 députés du tiers état lors des états généraux de 1789. Face aux pressions du roi de France Louis XVI, ils firent serment de ne pas se séparer avant l’élaboration d’une Constitution. Si ce serment n’a pas de portée juridique, son impact symbolique est très fort puisqu'il fut le prélude de la souveraineté nationale et de la séparation des pouvoirs. Il aménera la réunion des trois ordres (Noblesse, Clergé, Tiers-Etats) en une "Assemblée nationale constituante", dont sera issu l'abolition de la féodalité (4 août 1789), la déclaration des droits de l'homme et du citoyen (26 août 1789), et les grands principes de la Constitution (fin 1791).
Sommaire
Genèse
Au début de la Révolution française, une épreuve de force s’engage entre les représentants du tiers état d’une part, le roi et les ordres privilégiés d’autre part. La réunion des premiers états généraux depuis 1614 suscite d’immenses espoirs dans la bourgeoisie pétrie des idées des Lumières. Elle espère des réformes profondes qui lui permettront d’accéder au pouvoir : souveraineté nationale, fin de la société d’ordres, égalité devant l’accès aux emplois publics, grandes libertés, garanties judiciaires. Le désenchantement est à la mesure de ces attentes. Le roi ne semble se préoccuper que de réformes fiscales. Le tiers état sait qu’il ne pourra faire triompher ses vues que si l’ancestrale organisation des états généraux est modifiée. Traditionnellement, chaque ordre possédait une voix. Il y avait donc deux voix pour les privilégiés, et une pour les non-privilégiés qui représentent à l’époque 97 % de la population française. Le tiers état et les députés réformistes de la noblesse et du clergé réclament le vote par tête. Si chaque député dispose d’une voix, tout parait possible.
Le 6 mai 1789, les députés du tiers état aux états généraux refusent de se réunir séparément des représentants des deux autres ordres. Après un mois de discussion et de négociation, ils décident de prendre l’initiative en invitant leurs collègues à se joindre à eux pour une vérification bailliage par bailliage des pouvoirs des élus des trois ordres. Le 16 juin, dix élus du clergé répondent à leur nom lors de l’appel quotidien. Les députés du tiers sentant leur heure venue, adoptent une motion faisant d’eux l’Assemblée nationale, la seule à pouvoir consentir l’impôt. Les députés du clergé, majoritairement de simples curés, soutiennent ce coup d’État sans violence et décident le 19 juin de se joindre à eux. L’heure du triomphe semble proche.
Louis XVI décide alors de résister. Il prévoit de réunir, le 22 juin, les députés des trois ordres lors d’une séance royale où il casserait toutes les décisions du Tiers. En attendant, il lui faut empêcher tout débat et toute nouvelle décision. Le 20 juin 1789, sous prétexte de réparations à faire pour la prochaine séance, les gardes interdisent aux députés du tiers état l’accès à la salle de l’hôtel des Menus Plaisirs, où se tenaient les états généraux.
Les députés se réunissent alors dans la salle du Jeu de paume, à Versailles. Aidé par le député Jean-Joseph Mounier, l'abbé Emmanuel-Joseph Sieyès s’empresse de rédiger la célèbre formule du serment du Jeu de paume, « de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides ». Ce texte est lu par Jean-Sylvain Bailly. Il ne s’agit rien moins que d’emporter la décision des hésitants et de les contraindre en quelque sorte à aller de l’avant. Ce serment est voté à l’unanimité moins une voix, celle de Martin-Dauch de Castille.
Le 23 juin, le tiers montre sa volonté de tenir son serment. Prenant la parole devant l’Assemblée, Louis XVI casse les décisions du tiers et interdit aux trois ordres de siéger en commun. Il promet pourtant quelques réformes (égalité devant l’impôt, abolition de la taille, des corvées, des lettres de cachet, etc.) et conclut en enjoignant aux représentants de se retirer.
Le souverain parti, les gardes semblent vouloir disperser par la force les députés du Tiers qui refusent d’obéir. Quelques députés de la noblesse, dont La Fayette mettent la main à l’épée. C’est à ce moment que Mirabeau aurait prononcé la fameuse phrase, dont plusieurs versions existent: « Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple et que nous ne quitterons nos places que par la force des baïonnettes ! » [1]
Le roi capitule. « Eh bien, dit-il, s’ils ne veulent pas s’en aller, qu’ils restent ! » Le 27 juin, il ordonne aux privilégiés des deux autres ordres de se joindre au tiers, en une chambre unique.
Texte du serment
Jean-Baptiste-Pierre Bevière (1723-1807) est célèbre pour avoir rédigé le serment du Jeu de Paume. Constituant rallié à l’Empire, il est enterré au Panthéon de Paris.
« L’Assemblée nationale, considérant qu’appelée à fixer la constitution du royaume, opérer la régénération de l’ordre public et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu’elle continue ses délibérations dans quelque lieu qu’elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin, partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale ;
Arrête que tous les membres de cette assemblée prêteront, à l’instant, serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides, et que ledit serment étant prêté, tous les membres et chacun d’eux en particulier confirmeront, par leur signature, cette résolution inébranlable.
Lecture faite de l’arrêté, M. le Président a demandé pour lui et pour ses sécrétaires à prêter le serment les premiers, ce qu’ils ont fait à l’instant ; ensuite l’assemblée a prêté le même serment entre les mains de son Président. Et aussitôt l’appel des Bailliages, Sénéchaussées, Provinces et Villes a été fait suivant l’ordre alphabétique, et chacun des membres * présents [en marge] en répondant à l’appel, s’est approché du Bureau et a signé.
[en marge] * M. le Président ayant rendu compte à l’assemblée que le Bureau de vérification avait été unanimement d’avis de l’admission provisoire de douze députés de S. Domingue, l’assemblée nationale a décidé que les dits députés seraient admis provisoirement, ce dont ils ont témoigné leur vive reconnaissance ; en conséquence ils ont prêté le serment, et ont été admis à signer
le procès verball’arrêté.Après les signatures données par les Députés, quelques uns de MM. les Députés, dont les titres ne sont pas [….] jugés, MM. les Suppléants se sont présentés, et ont demandé qu’il leur fût permis d’adhérer à l’arrêté pris par l’assemblée, et à apposer leur signature, ce qui leur ayant été accordé par l’assemblée, ils ont signé.
M. le Président a averti au nom de l’assemblée le comité concernant les subsistances de l’assemblée chez demain chez l’ancien des membres qui le composent. L’assemblée a arrêté que le procès verbal de ce jour sera imprimé par l’imprimeur de l’assemblée nationale.
La séance a été continuée à Lundi vingt-deux de ce mois en la salle et à l’heure ordinaires ; M. le Président et ses Sécrétaires ont signé.
»Députés présents lors du serment
Iconographie
- Le Serment du Jeu de paume à Versailles, le 20 juin 1789, dessin de Prieur, musée Carnavalet
- Les Députés entrent au Jeu de paume, le 20 juin 1789, aquatinte de Janinet
- Serment du Jeu de Paume à Versailles le 19 juin 1789. Dessiné par C. Monnet, Peintre de l’Académie et gravé par Helman, de l’Académie des Arts de Lille en Flandre, Dessin et gravure, 47 * 62.5, AE II 2900.
Le tableau de David
Afin de célébrer l’événement, une souscription nationale est organisée par la Société des Amis de la constitution, dite club des Jacobins. La réalisation du tableau est confiée à Jacques-Louis David. Mais en 1793, il n’a achevé que l’esquisse du tableau. Or en 1793, la vie politique française ne correspond plus du tout au tableau.
Mirabeau, un des héros de l’année 1789, est devenu l’ennemi de la Révolution. Sa correspondance secrète avec le roi a été découverte. Aux yeux de l'opinion publique, il est devenu un traître. Un grand nombre des députés de l’Assemblée nationale constituante sont identifiés aux factions ennemies du Gouvernement de Salut Public. David abandonne donc le travail. C’est un de ses disciples qui entreprend de terminer cette œuvre à partir de l’esquisse réalisée par son maître.
Le peintre s’attache à traduire le mouvement d’unanimité en faisant converger vers Bailly le regard de tous les députés présents. L’attitude figée du seul opposant au serment, Martin-Dauch, en bas à droite, vient en contrepoint de l’enthousiasme général. David prend soin aussi de dessiner les visages pour que chaque protagoniste puisse être reconnu individuellement. Les participants à cette journée acquièrent ainsi la stature de héros nationaux. Le peintre a dessiné des fenêtres larges et placées en hauteur. La présence du peuple de Versailles aux fenêtres symbolise le soutien du peuple au serment. Les rideaux sont soulevés par des bourrasques de vent, représentant le souffle de la liberté qui envahit la France.
- Interprétation symbolique
Au XVIIIe siècle, le serment a une valeur sacrée. Il apporte une garantie de fidélité à la parole donnée. Jacques-Louis David s’était fait connaître par la toile Le Serment des Horaces. En 1789, George Washington prête serment à la Constitution des États-Unis. Les serments collectifs sont considérés pendant la Révolution française comme facteur d’unité nationale, voire d’unanimité nationale. Ceci explique pourquoi les révolutionnaires ont voulu mettre en avant cet épisode. Effusion pré-romantique, unanimité – seul un député a refusé de prêter serment –, ferveur des députés, presque tous des bourgeois, absence de violence populaire, tout était réuni pour faire de cette journée le porte-drapeau de la révolution de 1789. Il montre aussi que c’est la volonté particulière de chaque individu qui fait la souveraineté nationale.
Le tableau de David comporte une scène de fraternisation entre le moine chartreux, Dom Gerle, et le pasteur protestant, Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne, ce qui symbolise une ère nouvelle, celle de la tolérance religieuse.
Anecdotes
C’est le député Guillotin, connu pour une célèbre machine à décapiter sans douleur les condamnés à mort, qui a indiqué la présence de la salle du Jeu de paume, non loin du château de Versailles.
Ressources
Références
- ↑ http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/mirabeau.asp La phrase exacte est plus probablement « Cependant, pour éviter tout équivoque et tout délai, je déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes », mais la version emphatique est la plus connue
Bibliographie
- Michel Péronnet, Les 50 mots clefs de la Révolution française (1983), nouvelle édition, Privat, Toulouse, 2005, 314 p. (ISBN 2-7089-0812-X)
- Michel Vovelle, La Chute de la monarchie (1787–1792), vol. 1 de la « Nouvelle Histoire de la France contemporaine » (1972), édition revue et mise à jour, Éditions du Seuil, coll. « Points / Histoire » nº 101, Paris, 1999, 312 p. (ISBN 2-02-037519-2)
- Albert Soboul, Histoire de la Révolution française, vol. 1 De la Bastille à la Gironde (1962), rééd., Gallimard, coll. « Idées » nº 43, Paris, 1983, 384 p. (ISBN 2-07-035043-6)
- Jean Starobinski, 1789, les emblèmes de la raison (1973), réédition, Flammarion, coll. « Champs », Paris, 1993 (ISBN 2080810502)
Voir aussi
- Sur Wikisource : Le Jeu de Paume, poème d’André Chénier sur la journée du 20 juin 1789
Liens externes
- Animation de l’académie de Nantes à partir de la gravure de David, identifiant les députés au premier plan
- La salle du Jeu de paume sur le site de la mairie de Versailles
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