- Sentiment océanique
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Notion de psychologie inventée par Romain Rolland, le sentiment océanique se définit comme la volonté de faire un avec le monde hors de toute croyance religieuse.
Sommaire
Notion
L'expression paraît dans une lettre de Romain Rolland à Sigmund Freud le 5 décembre 1927[1] :
« Mais j'aurais aimé à vous voir faire l'analyse du sentiment religieux spontané ou, plus exactement, de la sensation religieuse qui est (...) le fait simple et direct de la sensation de l'éternel (qui peut très bien n'être pas éternel, mais simplement sans bornes perceptibles, et comme océanique). »
La référence à l'éternel est une allusion à Spinoza, qui recommande de voir les choses « sous l'aspect de l'éternité » (sub specie aeternitatis) : « Nous connaissons clairement par là en quoi notre salut, c'est-à-dire notre Béatitude ou notre Liberté consiste ; je veux dire dans un Amour constant et éternel envers Dieu, ou dans l'Amour de Dieu envers les hommes. Cet Amour ou cette Béatitude, est appelé dans les livres sacrés Gloire, non sans raison » (Éthique, V, proposition 36, scholie).
Selon Sigmund Freud, qui débattit de cette notion dans son Malaise dans la civilisation, il n'est pas à l'origine du besoin religieux parce que celui-ci provient plutôt des sentiments de désaide infantile et de désirance pour le père, remplacés plus tard par l'angoisse devant la puissance du destin.
Pour André Comte-Sponville[2], ce sentiment correspond à un état de conscience qui ne relève pas nécessairement de la religion :
« Au fond, c'est ce que Freud décrit comme « un sentiment d'union indissoluble avec le grand Tout, et d'appartenance à l'universel ». Ainsi la vague ou la goutte d'eau, dans l'océan... Le plus souvent, ce n'est qu'un sentiment, en effet. Mais il arrive que ce soit une expérience, et bouleversante, ce que les psychologues américains appellent aujourd'hui un altered state of consciousness, un état modifié de conscience. Expérience de quoi ? Expérience de l'unité, comme dit Swami Prajnanpad : c'est s'éprouver un avec tout.
Ce « sentiment océanique » n'a rien, en lui-même, de proprement religieux. J'ai même, pour ce que j'en ai vécu, l'impression inverse : celui qui se sent « un avec le Tout » n'a pas besoin d'autre chose. Un Dieu ? Pour quoi faire ? L'univers suffit. Une Église ? Inutile. Le monde suffit. Une foi ? À quoi bon ? L'expérience suffit. »Dans les philosophies ou religions tendant à l'éveil spirituel (Zen, Vedanta, etc.), on trouve fréquemment la comparaison entre l'océan (l'univers) et la vague (l'individu), le sentiment océanique correspondant à une prise de conscience non-duale de la nature de l'Être :
« Au-dessous du monde des perceptions sensorielles et de l'activité mentale, il y a l'immensité de l'être. Il y a une vaste étendue, une vaste immobilité, et une petite activité frémissante à la surface, qui n'est pas séparée, tout comme les vagues ne sont pas séparées de l'océan. »
— Eckhart Tolle, Le Pouvoir du moment présent, Ariane, 2000
Références
- Romain Rolland, lettre à Sigmund Freud, 5 décembre 1927, in, Un beau visage à tous sens. Choix de lettres de Romain Rolland (1866-1944), Paris, Albin Michel, 1967, p. 264-266.
- L'Esprit de l'athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, 2006
Voir aussi
Liens externes
- Francis Rousseaux, « Le sentiment océanique »
- Mona Chollet, « Le “sentiment océanique” à l'assaut du rationalisme »
- Revue Le Grognard "Autour du sentiment océanique", n°19, septembre 2011,[1]
Bibliographie
- Romain Rolland, Un beau visage à tous sens. Choix de lettres de Romain Rolland (1866-1944), Paris, Albin Michel, 1967, p. 264-266.
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