Règle de saint Benoît

Règle de saint Benoît

La règle de saint Benoît fut écrite par Benoît de Nursie pour guider ses disciples dans la vie monastique communautaire (cénobitisme). La rédaction commença vers 540

Benoît avait fondé vers 529 une communauté de moines sur le Mont-Cassin en Italie. Au cours des siècles qui suivirent, cette règle fut progressivement adoptée par un nombre croissant de monastères en Occident ; au-delà de sa grande influence religieuse, elle eut une grande importance dans la formation de la société médiévale, grâce aux idées qu'elle amenait : l'idée d'une constitution écrite, du contrôle de l'autorité par la loi, et de la désignation du détenteur de cette autorité par élection, Benoît ayant voulu que l'abbé soit élu par les frères[1]. Encore aujourd'hui, plusieurs milliers de moines et moniales à travers le monde s'inspirent de la Règle de Saint Benoît.

Saint Benoît expliquant la règle (miniature du XIVe siècle)

Sommaire

La vie de Benoît

Article détaillé : Benoît de Nursie.

Benoît de Nursie laisse de côté le confort de la vie d'étudiant à Rome vers l'an 500 pour la recherche de Dieu dans la solitude : il s'établit d'abord à Subiaco. Fuyant de trop nombreux visiteurs attirés par sa réputation de sainteté, et suite à un conflit avec un prêtre du lieu, il se retire vers 529 avec quelques disciples sur le Mont-Cassin, sur l'emplacement d'un ancien temple d'Apollon. Le nombre de ceux qui désirent vivre comme lui et avec lui augmentant, il doit organiser de façon plus précise la vie de sa communauté naissante : il rédige alors sa règle, appelée à un grand succès (voir ci-dessous). On suppose qu'il est mort vers 547.

La règle

St. Benoît écrivant les règles, portrait (1926) par Hermann Nigg (1849-1928)

Les sources

En écrivant sa règle, Benoît n'a pas cherché à créer une œuvre originale. Pour élaborer une règle de vie pour sa communauté, il n'hésite pas à s'appuyer sur les trésors d'une tradition monastique encore jeune à nos yeux mais déjà riche. Sa source principale est une règle monastique probablement issue d'Italie à la même époque : la règle du Maître [2]. Mais il reprend, en les modifiant, des passages entiers de Cassien et de nombreuses idées d'Augustin (par exemple : l'abbé doit servir plus que présider : prodesse magis quam præesse[3]). Il s'appuie aussi sur saint Basile, le législateur du monachisme oriental, qu'il mentionne explicitement à la fin de sa règle.

La vie quotidienne selon la règle de saint Benoît

Le modèle de la vie monastique d'après saint Benoît est la famille dont l'abbé est le père (Abba) et où tous les religieux sont frères. À l'époque de Saint Benoît, le sacerdoce semble avoir été relativement rare chez les moines[4] et il semble que Benoît lui-même n'ait pas été prêtre[5].

La journée du moine est réglée en fonction de ce que Saint Benoît appelle « Œuvre de Dieu » (Opus Dei) : c'est la liturgie des heures qui huit fois par jour rassemble la communauté pour prier en commun, à partir des Psaumes et de la Bible. Ces offices liturgiques sont de durée variable : les trois grands offices de Vigiles, Laudes et Vêpres étant plus longs, les autres offices (« Petites heures ») sont plus courts : Prime, Tierce, Sexte, None et Complies. Pour Saint Benoît, c'est très important : On ne préférera rien à l'Oeuvre de Dieu[6].

La journée commence à « la huitième heure de la nuit », avec les Vigiles nocturnes[7]. Avant l'arrivée des bougies de cire -au XIVe siècle-, cet office était dans l'obscurité ou très peu d'éclairage, ce qui n'avait guère d'importance car les moines apprenaient par coeur les psaumes et les autres textes de la liturgie. Les Vigiles sont suivies d'un temps de lecture. Puis au lever du jour viennent les Laudes[8]. Les offices de Prime, Tierce, Sexte, None se situent comme leur nom l'indique respectivement à la première, la troisième, la sixième et la neuvième heure du jour (à l'époque de Saint Benoît, les horaires étaient définis d'après le soleil, donc en fonction de la longueur saisonnière du jour). Les Vêpres (Vespera), comme leur nom l'indique également, sont l'office du soir. Après le repas et une lecture en commun, c'est le dernier office de la journée, les Complies. Elles sont suivies par le grand silence de la nuit[9].

En dehors des offices, les moines s'adonnent au travail manuel : car, dit Benoît, c'est alors qu'ils seront vraiment moines, lorsqu'ils vivront du travail de leurs mains, à l'exemple de nos pères et des Apôtres[10]. Le travail doit être organisé de telle sorte qu'il n'oblige pas les frères à sortir de la clôture du monastère : Le monastère doit, autant que possible, être disposé de telle sorte que l'on y trouve tout le nécessaire : de l'eau, un moulin, un jardin et des ateliers pour qu'on puisse pratiquer les divers métiers à l'intérieur de la clôture. De la sorte les moines n'auront pas besoin de se disperser au-dehors, ce qui n'est pas du tout avantageux pour leurs âmes[11].

Du temps est aussi réservé à la lecture, étude de l'Écriture et des Pères de l'Église, qui est une vraie nourriture spirituelle : c'est la lectio divina. Celle-ci a une importance toute particulière en Carême[12]. La répartition du travail et de la lecture, les horaires des repas sont variables selon les saisons et le temps liturgique[13]. Ainsi, en Carême, les frères prennent un seul repas le soir après Vêpres[14].

La règle décrit non seulement les divers offices et le travail, mais aussi les modalités des repas, de l'habillement, de l'accueil, du choix des responsables, des voyages à l'extérieur, etc. ... Mais Benoît n'est pas tatillon et affirme souvent que c'est à l'abbé, en fonction de la communauté, des contraintes du lieu et du temps, de régler les détails. La Règle s'intéresse donc surtout à l'aspect spirituel de la vie monastique.

La spiritualité de la Règle de saint Benoît

Benoît ayant placé sa Règle sous le patronage des grands auteurs de la vie monastique (cf. ci-dessus), on n'est pas surpris d'y retrouver les ingrédients traditionnels du monachisme. Benoît, en Romain, met en place une vie communautaire solidement structurée, sous l'autorité d'un père spirituel, l'abbé. Il organise la vie des moines à travers trois activités principales : la prière commune, qui s'exprime surtout dans l'Eucharistie[15] et l'office divin (en latin Opus Dei, œuvre de Dieu, encore appelée Liturgie des Heures), la lecture priante de l'Écriture Sainte ou d'auteurs spirituels (C'est la lectio divina) et le travail manuel. Comme dans toutes les traditions monastiques, la prière occupe une place centrale. Benoît privilégie la prière communautaire qui s'exprime surtout dans la Liturgie des Heures (ou Opus Dei) ; mais la prière personnelle n'est pas exclue. Il limite également les exigences ascétiques, qui visent à une recherche de Dieu plus intense par la prière avec larmes, la lecture, la componction du cœur et le renoncement [16]. Il encourage également les vertus monastiques traditionnelles : l'obéissance conduit à l'humilité [17], qui conduit à la charité[18]. Le moine s'éloigne du monde pour chercher Dieu et la clôture monastique lui permet de se concentrer sur ce but[19]. En fait, Saint Benoît indiqua à ses disciples comme objectif fondamental et même unique de l'existence, la recherche de Dieu[20].

Le succès de la Règle de saint Benoît

À sa mort vers 550-560, Benoît laisse à la postérité une communauté : le monastère du Mont-Cassin, et sa Règle. Mais le monastère fut détruit par les Lombards et abandonné par ses moines un quart de siècle plus tard, vers 580. La Règle, déjà copiée et diffusée, ne fut pas perdue[21]. Peu après, le pape Saint Grégoire le Grand allait donner une publicité décisive à Benoît et à son œuvre, par la rédaction des Dialogues[22], compilation de vies de saints parmi lesquels celui qui allait devenir le patriarche des moines d'Occident : Benoît de Nursie.

La Règle de Saint Benoît se diffuse dès lors dans toute la partie chrétienne de l'Europe. À la fin du VIe siècle, le pape Grégoire le Grand envoie un bénédictin ré-évangéliser l'Angleterre : c'est le futur Augustin de Cantorbéry. La Règle de Benoît est signalée en Gaule dès 625[23]. Son succès n'est pas étonnant car, en comparaison des autres règles monastiques existant à l'époque, celle de Benoît fait preuve d'une certaine modération : si l'office divin prend une place importante, il n'est pas exagérément lourd, et elle ne comporte pas de pénitences extraordinaires comme celle de Saint Colomban[24].

Mais c'est au IXe siècle que la règle de Benoît va prendre une importance décisive. En effet, l'empereur Louis le Pieux décide avec le conseil de l'abbé bénédictin Benoît d'Aniane de l'imposer à tous les monastères de l'Empire, c'est-à-dire pratiquement à tous les monastères d'Europe occidentale. Le synode d'Aix-la-Chapelle, en 817, entérine cette décision[25]. Jusqu'au XIe siècle, les moines d'Occident seront tous bénédictins[26].

Au cours des siècles suivants, de nombreuses fondations et réformes, qui sont autant de retours à la Règle de Benoît, témoignent de la pertinence de ce style de vie et de la vitalité des fils spirituels de Benoît. En 910, la Bourgogne voit surgir une des plus célèbres abbayes bénédictines, qui va donner naissance à l'ordre du même nom : Cluny sera l'un des grands symboles de la vie bénédictine. En 1098, encore en Bourgogne, Cîteaux naît du désir de quelques moines bénédictins de suivre, plus fidèlement et de façon plus parfaite, la Règle du très saint Benoît[27]. L'Ordre cistercien naissant verra la fondation de plusieurs centaines de monastères de moines et de moniales dans toute l'Europe. Ce sont aussi les Ordres de Camaldoli (1012), celui de Vallombreuse (1039), l'Ordre du Mont-Olivet (1313) ; les réformes de Saint-Vanne (1604), Saint-Maur (1621), La Trappe (1662, en 1892 Ordre des cisterciens réformés de Notre-Dame de la Trappe puis Ordre cistercien de la stricte observance). En 1833, dom Prosper Guéranger restaure l'Ordre bénédictin en France, à Solesmes, bientôt tête de la congrégation du même nom. En 1843, la congrégation de Subiaco voit le jour, à laquelle s'affiliera l'abbaye de la Pierre-qui-Vire et de nombreuses autres en France. Aujourd'hui, près de 24 000 bénédictin(e)s [28] et 6 400 cistercien(ne)s [29] suivent encore la Règle de saint Benoît.

Ordres monastiques vivant sous la règle de saint Benoît

Notes

  1. Règle de Saint Benoît, chapitre 64,1.
  2. Pour tout ce paragraphe, voir « La règle de Saint Benoît », introduction, traduction et notes d'A. de Vogüé, Cerf, 7 volumes ; notamment le t. I, p. 33 et suivantes.
  3. Saint Augustin, Cité de Dieu, XIX, 19 et Lettre 134 ; Règle de Saint Benoît, 64, 8
  4. Cf. le chapitre 62 de la Règle de Saint Benoît, où Benoît imagine le cas où l'abbé désirerait un prêtre pour son monastère.
  5. Cf. ibid. et les Dialogues de Saint Grégoire, unique source que nous ayons sur la vie de Saint Benoît, où il n'est pas question d'ordination.
  6. Règle de Saint Benoît, 43,3.
  7. Règle de Saint Benoît, 8,1.
  8. Règle de Saint Benoît, 8,4.
  9. Règle de Saint Benoît, chapitre 42.
  10. Règle de Saint Benoît, 48,8.
  11. Cf. Règle de saint Benoît, ch. 66, 6-7
  12. Règle de Saint Benoît, 48,14-16.
  13. Règle de Saint Benoît, chapitres 48 et 41.
  14. Règle de Saint Benoît, 41,7. Cette pratique très exigeante semble n'être plus observée par aucun des monastères qui suivent la Règle de Saint Benoît au XXIe siècle. Il semble que les trappistes aient été les derniers à l'abandonner à la fin du XIXe siècle.
  15. Il semble que pour Saint Benoît, l'Eucharistie était hebdomadaire.
  16. Règle de Saint Benoît, 49,4.
  17. Règle de Saint Benoît, 5,1
  18. C'est la célèbre finale du chapitre sur les 12 degrés d'humilité : Après avoir gravi tous ces degrés d'humilité, le moine parviendra bientôt à cet amour de Dieu, qui, devenu parfait, chasse la crainte. Règle de Saint Benoît, 7,67
  19. Règle de saint Benoît, 66, 6-7 : « Le monastère doit, autant que possible, être disposé de telle sorte que l'on y trouve tout le nécessaire : de l'eau, un moulin, un jardin et des ateliers pour qu'on puisse pratiquer les divers métiers à l'intérieur de la clôture. De la sorte les moines n'auront pas besoin de se disperser au-dehors, ce qui n'est pas du tout avantageux pour leurs âmes. »
  20. Benoît XVI, Angelus du 10 juillet 2005
  21. Adalbert de Vogüé, Saint Benoît, homme de Dieu, éditions de l'Atelier, 1993, p. 101.
  22. Traduction de référence : Dialogues de Grégoire le Grand (introduction, bibliographie et cartes par Adalbert de Vogüé, moine de la Pierre-qui-Vire), éditions du Cerf, collection sources Chrétiennes n°251,260,265.
  23. Adalbert de Vogüé, Saint Benoît, homme de Dieu, op. cit., ibid.
  24. Cf. notamment Adalbert de Vogüé, Histoire littéraire du mouvement monastique dans l'antiquité, Cerf, tome IX, 2005, p. 340 et suivantes.
  25. À ce sujet, voir Ph. Schmitz, Histoire de l'Ordre de Saint Benoît, éditions de Maredsous, tome I, 1942, p. 95 et suivantes.
  26. Jusqu'à la fondation de Grandmont et de la Chartreuse qui s'éloigneront de la Règle de saint Benoît. Cf. dom Guy-Marie Oury, Les moines, Desclée, 1987, p. 134.
  27. Petit Exorde de Cîteaux, 2. Cf. [1]
  28. Source : confédération bénédictine http://confoederatio.osb-international.info/OSB_Confederazione/OSB_Struttura.html#fr
  29. Sources : Ordre de Cîteaux : http://www.ocist.org/statistik2007.htm ; ordre cistercien de la stricte observance : http://www.ocso.org/HTM/net/stats07m.htm (moines), http://www.ocso.org/HTM/net/stats07n.htm (moniales)

Références

  • La règle de Saint Benoît, introduction, traduction et notes d'Adalbert de Vogüé, osb, Cerf, 7 tomes.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes


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