Psychothérapie institutionnelle

Psychothérapie institutionnelle

Psychothérapie dans le cadre d'une institution (hôpital, clinique), datant de la moitié du vingtième siècle. « Le club » (club des malades de l'hôpital, clinique ou de l'institution) en est une structure fondamentale et complémentaire. L'indistinction entre les soignants et les soignés est une caractéristique de ce mouvement thérapeutique. Les lieux emblématiques en France sont : l'hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (autour du docteur François Tosquelles), les cliniques de La Borde (docteur Jean Oury) et de La Chesnaie (docteur Claude Jeangirard).

Sommaire

La psychothérapie institutionnelle

Le syntagme apparaît pour la première fois en 1952, dans un article intitulé « La psychothérapie institutionnelle française », publié dans la revue Anais Portugueses de Psiquiatria, écrit par deux psychiatres français : Georges Daumezon (qui en a fait la proposition) et Philippe Koechlin. Il s'agit du début d'un long processus de théorisation, qui court encore aujourd'hui, d'une pratique psychiatrique remontant aux années de la Seconde Guerre mondiale. Il n'est pas possible de donner une origine à ce qui s'est mis en place, peu à peu, sans concertation, dans différents lieux. Il n'y a pas d'inventeur, pas d'acte de naissance. On pourrait remonter jusqu'à Philippe Pinel[1]. Arbitrairement, on choisira ici, comme lieu d'origine, l'hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère, et comme fondateur, le psychiatre catalan François Tosquelles.

Ce dernier, républicain marxiste de sensibilité libertaire, a déjà eu l'occasion de transformer la pratique médicale en Espagne, pendant la guerre civile. Il a, par exemple, embauché des prostituées comme personnel soignant, celles-ci s'y connaissant, en matière d'hommes (voir le film réalisé sur François Tosquelles : Politique de la folie). Condamné à mort par le régime de Franco, il se réfugie en France à l'hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère, avec dans ses bagages, deux livres : Celui d'Hermann Simon (Hermann Simon, Aktivere Krankenbehandlung in der Irrenanstalt ; c'est dans ce livre que l'on trouve la thèse qu'un établissement est un organisme malade qu'il faut constamment soigner) et la thèse de Jacques Lacan (Jacques Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité), dont il fait réaliser pendant la guerre des éditions clandestines par l'imprimerie du club des malades de l'hôpital. Il participe alors à la transformation de Saint-Alban-sur-Limagnole.

Tosquelles sera d'abord rémunéré comme psychiatre par le Mexique, le seul État qui ne reconnaîtra jamais le régime de Franco. Tosquelles devra recommencer en France toute sa formation, repassant par les statuts d'infirmier, d'interne, pour devenir médecin-chef de l'hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole en 1952[2]

À l'époque, « les hôpitaux gardaient, en général, une structure concentrationnaire » [3]

Pour avoir de plus amples informations sur l'histoire et sur les pratiques actuelles en psychothérapie institutionnelle, le lecteur pourra se référer à l'ouvrage de Joseph Mornet[4].

Transformer les relations

L'élan presque fondateur, c'est la prise de conscience, chez certains membres des équipes soignantes, qu'ils se comportent avec les malades un peu comme les gardiens des camps avec les prisonniers. Il s'agit alors de modifier l'institution, entendons ici la structure de l'établissement, pour modifier les rapports soignants / soignés.

La psychothérapie institutionnelle tente alors de « ...profiter au maximum des structures existantes afin d'essayer d'exploiter tout ce qui peut servir à ‹ soigner › les malades qui y vivent » (Jean Oury, « La psychothérapie, de Saint-Alban à La Borde », op. cit.). L'institution est intégrée à l'arsenal thérapeutique. L'hôpital cesse d'être le lieu où l'on est soigné (et enfermé !) pour devenir le lieu par lequel on est soigné.

Dès le départ, la richesse des références est une des caractéristiques de ce mouvement : la psychiatrie bien sûr, mais aussi Karl Marx, Célestin Freinet (un instituteur ; Freinet prête son imprimerie à l'hôpital de Saint-Alban). Plus tard, les techniques de groupe nord-américaines (Kurt Lewin, Jacob Levy Moreno) sont introduites à Saint-Alban par M. Monod qui y est psychologue, la psychanalyse, le surréalisme. Le directeur, Lucien Bonnafé, orchestre cette activité, il reçoit Paul Éluard qui transforme Saint-Alban en plate-forme d'édition clandestine, ainsi que d'importants agents de liaison de la Résistance comme Georges Sadoul ou Gaston Baissette[5] . Tout cela pour fonder sur le terrain une pratique qui prenne en compte la souffrance psychique.

Comme le rappelle Jean Oury, « ... il est impossible de parler de la psychothérapie institutionnelle si on ne parle pas de la psychose, c'est inséparable de la théorisation que l'on fait, de façon permanente, de la psychose, de ce qu'on appelle la psychose ou les psychoses ; sinon cela n'a pas de sens. » [6]

En 1947, Jean Oury arrive comme interne à Saint-Alban, il y restera jusqu'en 1949 quand il partira dans le Loir-et-Cher, à la clinique de Saumery – il voulait se rapprocher de Paris pour faire une analyse avec Jacques Lacan. Son frère Fernand, qui est instituteur Freinet, lui demande de recevoir un jeune homme qu'ils connaissent depuis l'adolescence puisqu'il a été l'élève de Fernand : Félix Guattari. Ce dernier collaborera épisodiquement avec Jean Oury à Saumery, puis de façon systématique, jusqu'à sa subite disparition en 1992, dans la clinique que fondera ce dernier en 1953 à Cour-Cheverny, La Borde, qui deviendra un haut lieu de la psychothérapie institutionnelle.

D'autres établissements existent (La Chesnaie, également en Sologne). Le mouvement a essaimé peu à peu en France (Pierre Delion en est un des éminents représentants) et dans le monde. Il a par ailleurs eu une grande importance dans la création de la psychiatrie de secteur en France.

Il n'est pas question ici de tenter de retracer une histoire de la psychothérapie institutionnelle, ni de tenter une synthèse théorique. Il s'agit juste de donner quelques repères.

Gardons en tête « qu'il n'est plus simplement pris en compte le patient, mais aussi le lieu dans lequel il vit, qu'il s'agit de lui permettre d'être actif, non pas simplement un objet de soins », qu' « il faut traiter les autres comme des sujets, non comme des objets ». Quand on entend ça de façon polémique, on ne peut pas être contre ; mais ça n'empêche pas de penser que, si on traitait les autres « comme on traite les objets qui tiennent à cœur, ce serait un progrès fantastique ! » [7]

Notons également une prise en compte du niveau politique. Tosquelles déclarera un jour que la psychothérapie institutionnelle doit marcher sur deux jambes : Karl Marx et Sigmund Freud, dont les œuvres permettent de penser les deux aliénations, l'une psychopathologique, l'autre sociale.

Citation

« Quand un atelier marchait bien, je me souviens qu’avec Félix Guattari on restait sur la réserve. Parce que dès qu’il y a mise en place d’une instance, ou d’un atelier, ceux qui y sont ont tendance à se regrouper, à se coller les uns aux autres dans un système de cooptation imaginaire, clos. Et il y a création d’un territoire. C’est une tendance dite naturelle. Plus on travaille bien dans un atelier, plus ça se ferme. Ce que j’appelle « la loi » doit intervenir pour casser ces territoires, ou du moins pour les ouvrir.[…] Donc, il y a ce tas de gens. L’institution, quand ça existe, c’est un travail, une stratégie pour éviter que le tas de gens fermente, comme un pot de confiture dont le couvercle a été mal fermé. La mise en place d’un club, c’est un opérateur pour éviter que ça fermente, sans se contenter de résoudre le problème par le cloisonnement et l’homogénéité. Or le problème est comparable quel que soit le tas de gens ; une école, une prison, une usine, un bureau. C’est pour ça que ce qu’on a appelé la psychothérapie institutionnelle – j’ai du mal à prononcer ce mot – est une instance critique de la société dans sa globalité. Eviter la dégradation d’un tas de gens par non-vigilance, ça demande du sérieux. Le sérieux, disait Kierkegaard, ça ne peut pas se définir. Le sérieux, c’est le sérieux.[…] Ce genre de travail est une façon de singulariser les gens qui sont là, de transformer, comme disait Gabriel Tarde, la foule en public, d’avoir affaire à l’hétérogène sans essayer de l’écraser. Ça, c’est l’exercice de la loi. Ça ne peut venir de l’établissement, qui ne peut produire que des règles. C’est un travail énorme parce que la loi, comme disait Lacan, c’est le désir. C’est ce qui structure l’ambiance, ce qui autorise une attention commune, une sympathie, une « attitude collective ». La mise en place concrète se fait par une structure de partage. « Partage est notre maître », comme disait Pindare. Si seulement… » (Jean Oury)

Éléments de psychothérapie institutionnelle

Le psychotique ayant un « transfert dissocié », il est nécessaire de lui proposer des possibilités multiples de transfert. Par conséquent, il faut alors la création de lieux, d'institutions variés, il faut assurer au patient la liberté de circulation, pour qu'il puisse aller d'un lieu à un autre. Dans le même esprit, les soignants ne sont pas recrutés spécifiquement dans le secteur sanitaire, certains sont artistes, agriculteurs. La « distinctivité » (Jean Oury) augmente d'autant. À la place d'un ensemble de personnel ayant la même formation, la même expérience, se trouvent des personnes ayant chacune un vécu propre. C'est autant de possibilité de points communs, de rencontres, et de transferts, pour les patients qui, dans leur immense majorité, sont issus d'un autre milieu que la psychiatrie. Avec la renommée grandissante de Félix Guattari, des philosophes et autres intellectuels vont s'engager dans le collectif soignant

Cependant, à l'heure actuelle, avec l'évolution politique, ceci est de moins en moins possible, les organismes de tutelles imposant de plus en plus l'embauche d'infirmiers. Exit les philosophes et les psychanalystes.

Il y a par ailleurs, et repris notamment de Hermann Simon, la volonté que le patient soit partie prenante, activement, de ses soins. Cela peut se traduire par un investissement dans différentes institutions organisant le lieu de soins (ateliers, clubs, prise en charge du ménage, etc.). En contrepartie l'établissement verse régulièrement une somme, évaluant le travail réalisé, à une association interne, regroupant les soignés et les soignants.

Dans le bouillonnant travail de théorisation qu'a connu (et connaît encore) le mouvement de la psychothérapie institutionnelle, une des difficultés rencontrées a été la définition du terme institution. Il semble que dans son usage initial, il restait des relents anglo-saxons assimilant institution et établissement. Il est vrai que, dans cette perspective, l'établissement devient lui-même objet de soin et soignant, mais cela n'épuise pas le recours au vocable. Dans le premier numéro de la revue Psychothérapie institutionnelle, on voit les auteurs de l'article « Le contre-transfert institutionnel » (Chanoit Pierre-François, François Gantheret, Philippe Réfabert, E. Sanquer, Paul Sivadon, « Le contre-transfert institutionnel », in Psychothérapie institutionnelle, Paris, premier numéro, 1965, pp. 23-34) se débattre avec la question.

À propos d'une définition de « la notion d'institution », ces derniers écrivent « Il faut avouer, avec Ginette Michaud que cette définition est difficile, que la notion même est controversée ». Les auteurs font appel à différentes propositions. Ils citent Georges Gurvitch qui la juge « encombrante et nuisible », Gilles Deleuze pour qui « les institutions sont des systèmes organisés de moyens destinés à satisfaire les tendances ». Lévi-Strauss et Sartre sont également convoqués.

Les théoriciens de la psychothérapie institutionnelle sont avant tout des psychiatres, des psychanalystes, l'institution, elle, relève de la philosophie, du droit et de la sociologie. Aussi n'est-ce pas si étonnant qu'en tant que psychiatres, ils aient rencontré des difficultés avec cette notion qu'allaient travailler un peu plus tard des sociologues, philosophes de formation...

Notes et références

  1. (Jean Oury, « Psychiatrie et psychothérapie institutionnelles », dans L'Apport freudien : éléments pour une encyclopédie de la psychanalyse, sous la direction de Pierre Kaufmann, Paris, Bordas, 1993)
  2. (Jean Ayme, « Essai sur l'histoire de la psychothérapie institutionnelle », dans Actualités de la psychothérapie institutionnelle, Vigneux, Matrices, 1985).
  3. (Jean Oury, « La psychothérapie, de Saint-Alban-sur-Limagnole à La Borde », extrait d'une conférence faite à Poitiers le 15 mars 1970).
  4. "Psychothérapie institutionnelle, histoire et actualité" (éditions du Champ Social, 2007)
  5. Biographie Croisée Gilles Deleuze, Félix Guattari, François Dosse, Ed La Découverte. (2007) page 56
  6. (Jean Oury, dans Pratique de l'institutionnel et politique, Vigneux, Éditions Matrices, 1985, p. 16).
  7. (Jean Oury, L'aliénation, Paris, Galilée, 1992, p. 46).

Voir également

Articles connexes


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