Prorogation

Prorogation

Prorogations de guerre

Dans plusieurs pays européens, les prorogations de guerre ou prorogations pour faits de guerre sont (ou ont été) des extensions de la durée des droits d'auteur, accordées aux œuvres publiées avant ou pendant les conflits mondiaux du XXe siècle, et ajoutées à la durée normale de ces droits, afin de compenser les pertes d'exploitation occasionnées par ces guerres.

Sommaire

Durées

La durée de prorogation, correspondant à l'une ou l'autre des guerres mondiales, ou aux deux, a été calculée différemment dans chaque pays.

  • Belgique : 10 ans (introduite en 1921)[1]
  • Italie : 6 ans (introduite en 1945, abrogée en 1995)[2]
  • France : 14 ans et 272 jours (introduites en 1919 et 1951, non abrogées mais obsolètes, sauf pour les œuvres musicales et les « morts pour la France » – Voir ci-dessous)
  • Russie : 4 ans (introduite en 1993 et toujours en vigueur)[3]

Union Européenne : Effet de l'allongement de la durée normale du droit d'auteur

La directive européenne de 1993, entrée en application dans l'Union européenne le 1er juillet 1995, a allongé la durée normale des droits d'auteur (qui jusque-là était le plus souvent de 50 ans post mortem, conformément aux dispositions de la Convention de Berne) à 70 ans post mortem. L'effet de cet allongement est l'absorption des prorogations de guerre dans la nouvelle durée normale, puisque leurs durées étaient toutes inférieures à 20 ans. En conséquence, les lois nationales sur les prorogations de guerre ont été soit abrogées lors de la transposition de la directive (ainsi en Italie), soit, quoique techniquement toujours en vigueur, leur effet est rendu caduc par la nouvelle situation (cas de la France).

En France : situation particulière

Ce que dit la loi

En France, contrairement à la Belgique et à l'Italie, les prorogations, inscrites dans le Code de la propriété intellectuelle, n'ont pas été abrogées lors de la transposition de la directive européenne.

Prorogations de guerre, au sens propre

Seconde Guerre mondiale

« Les droits […] sont prorogés d'un temps égal à celui qui s'est écoulé entre le 3 septembre 1939 et le 1er janvier 1948, pour toutes les œuvres publiées avant cette date et non tombées dans le domaine public à la date du 13 août 1941. »[4]

Du 03/09/1939 au 01/01/1948, il s'est écoulé 8 ans et 120 jours (soit 3042 jours).

Première Guerre mondiale

« Les droits [...] sont prorogés d'un temps égal à celui qui s'est écoulé entre le 2 août 1914 et la fin de l'année suivant le jour de la signature du traité de paix pour toutes les œuvres publiées avant cette dernière date et non tombées dans le domaine public le 3 février 1919. »[5]

Après les traités de Versailles, de Saint-Germain et de Neuilly en 1919, les traités de Trianon et de Sèvres, en 1920, mettent fin au conflit.

Du 02/08/1914 au 01/01/1921, il s'est écoulé 6 ans et 152 jours (soit 2344 jours). Les œuvres publiées avant 1921 l'ayant aussi été avant 1948, cette durée se rajoute à la précédente, et donne une prorogation totale de 14 ans et 272 jours (soit 5386 jours).

Question de calcul

L'usage fait qu'on compte ces deux durées en années et jours, et qu'on les reporte ainsi. Mais, si on les compte et reporte en nombre de jours, on peut obtenir des variations de quelques jours dans le calcul de la durée de protection, du fait des années bissextiles.

Prorogation spéciale pour les auteurs morts pour la France

« Les droits [...] sont prorogés, en outre, d'une durée de trente ans lorsque l'auteur, le compositeur ou l'artiste est mort pour la France ».[6]

Ce que dit la jurisprudence

En France, la durée normale avait déjà été allongée, pour les seules « compositions musicales avec ou sans paroles », de 50 à 70 ans par la loi du 3 juillet 1985[7]. Logiquement, les prorogations étaient ajoutées à ces 70 ans.

Lorsque la directive européenne de 1993 a été transposée en droit français par la loi du 27 mars 1997[8], celle-ci n'abrogeant pas les prorogations de guerre, nombre de gens ont compris qu'il fallait appliquer aux œuvres non-musicales la même règle que celle déjà en vigueur pour les œuvres musicales : ajouter les prorogations de guerre à la nouvelle durée de 70 ans post mortem. Les différences d'interprétation ont amené à deux procès, conclus en 2005 par des décisions contradictoires de deux chambres de la Cour d'appel de Paris.

Enfin, le 27 février 2007 la Cour de Cassation, par deux arrêts (un de rejet, un de cassation), a donné la conclusion à ces procès, et clarifié la situation[9].

Conclusion

Ainsi, depuis 1995 les prorogations de guerre se trouvent absorbées par le délai normal de 70 ans et ne doivent donc plus être comptées.

  • Le seul délai de protection est donc de 70 ans post mortem.

Exception

L'exception ménagée par la loi, selon la Cour de Cassation, est constituée par « les cas où au 1er juillet 1995, date d’entrée en vigueur de la directive, une période de protection plus longue avait commencé à courir, laquelle est alors seule applicable. »

Ces cas sont :

Œuvres musicales

Le cas des œuvres musicales des compositeurs décédés avant le 1er janvier 1995, pour lesquels les prorogations de guerre s'ajoutent (depuis 1985) aux 70 ans post mortem ; la durée de protection est ainsi de :

  • 78 ans et 120 jours post mortem auctoris pour les œuvres publiées du 01/01/1921 au 31/12/1947 ;
  • 84 ans et 272 jours pma pour les œuvres publiées jusqu’au 31/12/1920 ;


  • Si le compositeur (mort avant le 1er janvier 1995) a été reconnu mort pour la France, la prorogation de 30 ans s'ajoute aux 70 ans post mortem et aux prorogations de guerre ; la durée de protection est alors de :
    • 100 ans pma pour les œuvres publiées à partir du 01/01/1948,
    • 108 ans et 120 jours pma pour les œuvres publiées du 01/01/1921 au 31/12/1947 ;
    • 114 ans et 272 jours pma pour les œuvres publiées jusqu'au 31/12/1920.

Œuvres non-musicales d'auteurs morts pour la France

Le cas des œuvres non-musicales des auteurs décédés avant le 1er janvier 1995 et reconnus morts pour la France n'a pas été explicitement traité par la Cour de Cassation.

Avant le 1er juillet 1995, les prorogations de guerre ainsi que la prorogation de 30 ans s'ajoutaient aux 50 ans post mortem ; la durée de protection était ainsi de :

  • 80 ans pma pour les œuvres publiées à partir du 01/01/1948,
  • 88 ans et 120 jours pma pour les œuvres publiées du 01/01/1921 au 31/12/1947 ;
  • 94 ans et 272 jours pma pour les œuvres publiées jusqu'au 31/12/1920.

Ces durées de protection étant toutes supérieures au nouveau délai de 70 ans, il paraît logique que, si elles avaient « commencé à courir » en 1995 elles soient toujours valables. Ainsi, les prorogations de guerre ainsi qu'une partie de la prorogation de 30 ans seraient absorbées par les 20 nouvelles années du nouveau délai normal.[10]

Ceci, à moins qu'il ne faille considérer la prorogation de 30 ans comme non absorbable par les 20 nouvelles années du délai normal ; en ce cas la durée de protection serait de :

  • 100 ans pma quelle que soit la date de publication.[11]

Application, en France, aux œuvres étrangères

Dans les cas où, en France, les prorogations de guerre subsistent au-delà de la durée normale de protection de 70 ans, s'appliquent-elles aux œuvres étrangères ?

  • Le cas des auteurs morts pour la France semble exclu de cette question, puisque, a priori, ils sont français (sauf cas des supplétifs, requis ou engagés à titre étranger en tant que membres des forces armées françaises)
  • Il reste le cas des œuvres musicales :
    • Les prorogations s'appliquent, naturellement, aux œuvres musicales de compositeurs français et/ou publiées en France ;
    • Les prorogations ne s'appliquent pas aux œuvres dont le « pays d'origine [...] au sens de l'acte de Paris de la convention de Berne, est un pays tiers à la Communauté européenne et [dont] l'auteur n'est pas un ressortissant d'un Etat membre de la Communauté » ; en effet dans ce cas, « la durée de protection est celle accordée dans le pays d'origine de l'œuvre sans que cette durée puisse excéder [70 ans]. »[12].
    • Pour ce qui est des œuvres musicales publiées (hors France) dans l'Union Européenne, ou dont le compositeur en est ressortissant, il ne semble pas actuellement clair si la durée de protection peut être prorogée ou non :
      • On peut plaider pour l'application des prorogations au même titre que pour les œuvres musicales françaises, en vertu des principes européens d'égalité de traitement ;
      • A contrario, comme, avant la Directive, les prorogations ne semblent pas s'être appliquées en France aux œuvres étrangères européennes (comme non-européennes), on peut constater qu'au 1er juillet 1995, « une période de protection plus longue » que 70 ans n'avait pas commencé à courir, et que donc c'est la durée normale (70 ans) qui prévaut.

Références et notes

  1. Introduite par la Loi portant prorogation, en raison de la guerre, de la durée des droits de propriété littéraire et artistique du 25 juin 1921, applicable à toutes les œuvres publiées avant le 4 août 1924 et non tombées dans le domaine public le 5 juillet 1921.
  2. Prorogation introduite par le décret législatif n° 440 du 20 juillet 1945, entré en vigueur le 16 août 1945 et applicable à toute œuvre publiée et qui n'était pas encore tombée dans le domaine public avant cette date ; abrogé par le décret législatif n° 356 du 28 août 1995, entré en vigueur le 29 août 1995.
  3. Pour les combattants de la Grande guerre patriotique (22 juin 1941 – 9 mai 1945) ainsi que pour des auteurs ayant travaillé pendant cette période, selon la loi russe de 1993 sur les droits d'auteur, §27(5) (en vigueur du 3 août 1993 au 31 décembre 2007) et la loi russe de 2006 sur les droits d'auteur, §1281(5) (entrée en vigueur le 1er janvier 2008). Voir Elst, M. : Copyright, Freedom of Speech, and Cultural Policy in the Russian Federation, p. 441, Martinus Nijhoff, Leiden/Boston, 2005 (ISBN 9-004-14087-5).
  4. Art. L. 123-9 du Code de la propriété intellectuelle, résultant de la codification de l'art. 1 de la loi n° 51-1119 du 21 septembre 1951 « concernant la prorogation, en raison de la guerre, de la durée des droits de propriété littéraire et artistique et abrogeant la loi validée du 22 juillet 1941 relative à la propriété littéraire »
  5. Art. L. 123-8 du Code de la propriété intellectuelle, résultant de la codification de la loi du 3 février 1919 « prorogeant, en raison de la guerre, la durée des droits de propriété littéraire et artistique »
  6. Art. L. 123-10 du Code de la propriété intellectuelle, résultant de la codification de la loi du 27 avril 1916, ainsi que de l'art. 2 de la loi n° 51-1119 du 21 septembre 1951.
  7. Loi n° 85-660 du 3 juillet 1985, art. 8.
  8. Loi n° 97-283 du 27 mars 1997
  9. Arrêts numéros 280 et 281 de la Cour de cassation, Civ. 1e du 27 février 2007 ; voir aussi le Communiqué de la Cour de Cassation. Pour toute cette affaire, consulter les articles Temps de guerres et droits d'auteur, par Calamo, ainsi que Durée de droits d’auteur et prorogations de guerre précédé par La durée de la protection des droits d’auteur en France, par Guillaume le Foyer de Costil ; également Guère plus que 70 ans post-mortem auctoris par PH.A.
  10. Les premiers auteurs morts pour la France (tels Charles Péguy en 1914) tomberaient donc dans le domaine public le 1er octobre 2009.
  11. En ce cas Charles Péguy ne tomberait dans le domaine public que le 1er janvier 2015.
  12. Art. L. 123-12 du Code de la propriété intellectuelle

Voir aussi

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