Progrès

Progrès

Le terme de progrès vient du latin progressus qui renvoie à l'action d'avancer. Ainsi le progrès désigne un passage à un degré plus important, à un état meilleur. Le concept de progrès est utilisé et discuté dans différentes disciplines telles que la philosophie, l'histoire, la politique, l'économie ou les sciences.

Sommaire

Histoire de la notion

La notion de progrès, qui semblait évidente voire « naturelle » aux hommes de la fin du XIXe siècle, est, en fait, une notion historiquement acquise et diversement comprise selon les temps, les lieux et les civilisations. C'est une notion plurielle et historiquement située.

Antiquité gréco-romaine

Deux écoles s'affrontent et se croisent : le primitivisme, qui voit la décadence, et le progressisme, qui voit le progrès. Mais certains auteurs voient le progrès comme une réaction à la décadence. Pour Sénèque (Lettres à Lucilius, 90), la décadence des moeurs entraîne l'invention de lois, comme celles de Solon. Hésiode, dans Les travaux et les hommes (VIIIe siècle av. J.‑C.), développe le mythe de l'Âge d'or. La perfection de la race humaine se situe à l'origine, et le progrès technique est signe de décadence.

« Quand les hommes et les dieux furent nés ensemble, d’abord les célestes habitants de l'Olympe créèrent l'âge d'or pour les mortels doués de la parole. Sous le règne de Saturne qui commandait dans le ciel, les mortels vivaient comme les dieux, ils étaient libres d'inquiétudes, de travaux et de souffrances ; la cruelle vieillesse ne les affligeait point ; leurs pieds et leurs mains conservaient sans cesse la même vigueur, et loin de tous les maux, ils se réjouissaient au milieu des festins, riches en fruits délicieux et chers aux bienheureux Immortels. Ils mouraient comme enchaînés par un doux sommeil. Tous les biens naissaient autour d'eux. La terre fertile produisait d'elle-même d'abondants trésors ; libres et paisibles, ils partageaient leurs richesses avec une foule de vertueux amis. Quand la terre eut renfermé dans son sein cette première génération, ces hommes, appelés les génies terrestres, devinrent les protecteurs et les gardiens tutélaires des mortels : ils observent leurs bonnes ou leurs mauvaises actions, et, enveloppés d'un nuage, parcourent toute la terre en répandant la richesse : telle est la royale prérogative qu'ils ont obtenue » (Les travaux et les hommes, 109 ss.).

Eschyle, dans Prométhée enchaîné (vers 460 av. J.-C.), de façon mythique, attribue le progrès dans les techniques et les sciences, à Prométhée, un Titan qui a apporté le feu aux hommes.

« Promètheus : Si tu veux écouter le reste, tu admireras combien d’arts et de ressources j’ai inventés. Voici le plus grand : Si quelqu’un, autrefois, tombait malade, il n’y avait aucun remède, aucune nourriture, aucun baume, ni rien qu’il pût boire. Ils mouraient par le manque de remèdes, avant que je leur eusse enseigné les mixtures des médicaments salutaires qui, maintenant, chassent loin d’eux toutes les maladies. J’instituai les nombreux rites de la divination. Le premier, je signalai dans les songes les choses qui devaient arriver, et j’expliquai aux hommes les révélations obscures. J’ai précisé aux voyageurs les hasards des chemins et le sens assuré du vol des oiseaux aux ongles recourbés, ceux qui sont propices, ceux qui sont contraires, le genre de nourriture de chacun, leurs haines, leurs amours et leurs réunions. J’enseignai aussi l’aspect lisse des entrailles et leur couleur qui plaît aux Daimones, et la qualité favorable de la bile et du foie, et les cuisses couvertes de graisse. En brûlant les longs reins, j’ai enseigné aux hommes l’art difficile de prévoir. Je leur ai révélé les présages du Feu, qui, autrefois, étaient obscurs. Telles sont les choses. Et qui peut dire avoir trouvé avant moi toutes les richesses cachées aux hommes sous la terre : l’airain, le fer, l’argent, l’or ? Personne. Je le sais certainement, à moins de vouloir se vanter vainement. Écoute enfin un seul mot qui résume : tous les arts ont été révélés aux Vivants par Promètheus » (Prométhée enchaîné, 505).

En revanche, Sophocle, dans Antigone (vers 440 av. J.-C.), cherche l'origine du progrès dans l'esprit humain, inventif.

« Beaucoup de choses sont admirables, mais rien n'est plus admirable que l'homme. Il est porté par le Notos orageux à travers la sombre mer, au milieu de flots qui grondent autour de lui ; il dompte, d'année en année, sous les socs tranchants, la plus puissante des Déesses, Gaias, immortelle et infatigable, et il la retourne à l'aide du cheval. L'homme, plein d'adresse, enveloppe, dans ses filets faits de cordes, la race des légers oiseaux et les bêtes sauvages et la génération marine de la mer ; et il asservit par ses ruses la bête farouche des montagnes ; et il met sous le joug le cheval chevelu et l'infatigable taureau montagnard, et il les contraint de courber le cou. Il s'est donné la parole et la pensée rapide et les lois des cités, et il a mis ses demeures à l'abri des gelées et des pluies fâcheuses. Ingénieux en tout, il ne manque jamais de prévoyance en ce qui concerne l'avenir. Il n'y a que le Hadès auquel il ne puisse échapper, mais il a trouvé des remèdes aux maladies dangereuses » (Antigone, 334-356).

La notion de progrès a été développée par les stoïciens, dès Zénon de Citium (vers 300 av. J.-C.) et surtout Posidonios d'Apamée. Sénèque considère le progrès technique - pas le progrès des connaissances - comme un danger pour la vie morale, puisque son moteur est l'amour du luxe et du plaisir[1].

Jacqueline de Romilly, dans Les Idées romaines sur le progrès d’après les écrivains de la République, Antoinette Novara met en lumière le développement de la philosophie du progrès (résumée dans le mot humanitas), notamment chez Lucrèce, Cicéron, Varron, Salluste, Virgile, et Horace[2].

Mathias Roriczer

On doit à Mathias Roriczer, selon E. Zilsel[3], la première apparition de l'idée d'un progrès continuel de l'artisanat et de la science. Son livre sur l'architecture (Von der Fialen Gerechtigkeit. Comment construire correctement des pinacles et des tours, Trèves, 1845) date de 1486. La science est considérée comme une coopération pour des fins non personnelles, avec la participation des gens du passé, du présent, du futur.

Francis Bacon et l'invention du progrès

En Europe, les premières théorisations de l'aptitude humaine à progresser, apparurent au XVIe siècle, au moment où précisément, s'affirmaient conjointement les capacités techniques de l'homme, c'est-à-dire ses capacités à modifier son environnement, et ses capacités à inscrire matériellement, concrètement, par le biais du livre et de l'imprimerie, les modalités de progression.

Pour Francis Bacon, le progrès humain est apparemment sans limites. Dans son ouvrage La Nouvelle Atlantide (1627), il imagine une cité parfaite dévolue à l'essor des sciences et des technologies.

« Notre Fondation a pour fin de connaître les causes et les mouvements secrets des choses et de reculer les frontières de l'empire de l'homme sur les choses, en vue de réaliser toutes les choses possibles » (La Nouvelle Atlantide, G.F., p. 119).

Un manuscrit inachevé (Les Merveilles naturelles) nous propose un aperçu de ce que les techniques apporteront aux hommes : « une jeunesse presque éternelle, la guérison de maladies réputées incurables, l'amélioration des capacités cérébrales, fabriquer de nouvelles espèces animales et produire de nouveaux aliments, etc. ». Ainsi, pour Bacon, le progrès humain consiste à réaliser toutes les choses possibles. Il faut ajouter que cette utopie technologique se prolonge jusqu'à l'espoir de vaincre la mort afin de permettre à l'homme de vivre comme il vivait jadis dans le jardin d'Eden. La foi de Bacon en le progrès n'est donc pas étrangère à la conception biblique originelle.

Les « pré-Lumières »

La fin du XVIIe siècle, en France et en Angleterre, marque un tournant dans l'histoire de l'idée de progrès, comme le montre Frédéric Rouvillois. La Querelle des Anciens et des Modernes voit s'affronter les tenants de la valeur indépassable des auteurs de l'Antiquité gréco-latine, menés par Boileau, et ceux qui, derrière Charles Perrault, pensent au contraire que le siècle de Louis XIV pouvait amener des perfectionnements, des progrès dans les arts et lettres. Par la suite, sous l'influence des idées cartésiennes et des améliorations techniques (dont le modèle est l'horloge), des auteurs comme Fontenelle et l'Abbé de Saint-Pierre jettent les bases d'une vision foncièrement optimiste (voire naïve) du Progrès humain, inéluctable, général, universel et linéaire, que l'on attribue généralement aux Lumières. Ce sont les "pré-Lumières".

Diderot : la descente dans l'atelier

Article détaillé : Denis Diderot.

Condorcet : La vision classique du Progrès

Avec son "Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain", écrit alors qu'il se cachait sous la Terreur de 1793, Nicolas de Condorcet livre la vision classique du Progrès de l'être humain. Il y résume, de mémoire, la plus grande partie du savoir de son temps, contenue dans l'Encyclopédie de Diderot, et se projette dans un avenir qu'il imagine progressivement éclairé par la Raison, l'éducation, les connaissances, les découvertes scientifiques et techniques. Cette vision du Progrès dominera tout le XIXème siècle.

XIXe siècle

En Europe, ce n'est que tardivement - c'est-à-dire au XIXe siècle - que le « progrès » est devenue une notion économique, puis scientifique. C'est plus tardivement encore qu'elle a rejoint la notion d'innovation, au point d'y être confondue. En termes d'archéologie du savoir, la culture technique pré-industrielle (le système eau/bois/vent) apprit lentement à théoriser la capacité des sociétés à progresser, et découvrit, non sans débats et désaccords, que le progrès pouvait être pensé comme une potentialité. La culture technique de la première industrialisation (système fer/charbon/vapeur), au contraire, s'est fondée sur la notion de progrès, en basculant de la potentialité à la puissance, et en assimilant le progrès à la science. La culture technique de la seconde industrialisation (système pétrole/électricité/alliages), qui s'est élaborée à partir des années 1880, franchit un pas supplémentaire en assimilant le progrès à l'innovation, à la capacité d'innover, ce qu'aucune société n'avait encore théorisé. L'intérêt de la période dans laquelle nous vivons actuellement, tient à ce que nous nous trouvons dans un même système technique, mais à des niveaux de développement différents, selon les lieux et les pays : post-industrialisation galopante dans le monde occidental et au Japon, industrialisation accélérée dans les pays neufs : Inde, Chine, Brésil, ... stagnation dans une situation « pré-industrielle » en Afrique, par exemple.

Domaines concernés

La conceptualisation du progrès s'est faite historiquement des techniques vers le reste de la société.

Progrès technique et scientifique

Articles détaillés : Progrès scientifique et Progrès technique.

Progrès moral

Article connexe : Morale.

Progrès social

Article détaillé : progrès social.

Approche philosophique et critique

Le Progrès est resté une conception dominante en Occident, de la Révolution Française à la première guerre mondiale. Jusqu'à cette date, les critiques, quoique nombreuses, émanant de milieux politiques ou artistiques, n'ébranlaient pas la conception dominante. Avec l'horreur des tranchées, l'Occident a découvert le caractère ambivanlent du progrès technique, qui augmente à la fois les moyens de sauver des vies humaines et les capacités de destruction de l'Homme. L'explosion de la première bombe atomique à Hiroshima, le génocide de millions de juifs par le régime nazis, ont alimenté une prise de conscience critique vis-à-vis du Progrès.

Pierre-André Taguieff dresse dans deux essais récents[4] un vaste panorama des analyses philosophiques, mais aussi sociologiques, de la notion de progrès, depuis Francis Bacon jusqu'aux auteurs contemporains[5].

Outre la présentation de sa propre analyse, critiquée[réf. nécessaire] pour son approche trop unilatérale et « dans l'air du temps », Taguieff revient en particulier sur la critique moderne de cette notion de progrès, aujourd'hui remise en cause dans le cadre des principes de développement durable, à la suite notamment des travaux du philosophe Hans Jonas (Le Principe responsabilité, en 1979), dont le propos visait en particulier à mettre en évidence les dangers associés au progrès technique.

Cette critique du progrès, nous rappelle Taguieff, ne se résume pas à une dénonciation des dangers écologiques du progrès technique. Est également visée la disparition d'un but assigné au progrès, qui n'aurait alors plus pour horizon que son propre déploiement. C'est ce que Taguieff appelle le « bougisme », également dénoncé par Jean Baudrillard et avant lui par Jacques Ellul, et qui renvoie à la notion de "présentisme" développée par François Hartog.

Est ainsi questionnée par ces différents auteurs la capacité du progrès, sous toutes ses formes, à prendre en compte l'intégralité des variables naturelles, matérielles, culturelles, économiques, qui contribuent à la structuration, au développement, voire à la régression des sociétés. C'est le cas du mouvement pour la décroissance présent en France et dans d'autres pays occidentaux, qui insiste sur l'aspect quantitatif du progès technique associé à la sur-consommation, se réalisant au détriment de l'aspect qualitatif.

Richard Layard, économiste anglais, exprime aussi que l'"On ne devrait pas compter comme progrès ce qui rend heureux aujourd'hui aux dépens de l'avenir"

Il semble donc y avoir parmi les économistes (Tim Jackson auteur du rapport « Prospérité sans croissance »), philosphes etc. une remise en cause de la notion de progrès. Est ce qu'alors les inventions techniques comme le moteur à combustion, la voiture, le plastique etc. constituent un progrès au sens large, au sens du futur ?

En religion

Le pape Paul VI a consacré son encyclique Populorum Progressio sur la notion chrétienne de progrès. Il encouragea le développement d'un humanisme intégral à l'exemple de celui proposé par le philosophe Jacques Maritain.

La question sociale avait initialement été abordée par Léon XIII dans Rerum Novarum. À l'époque du deuxième concile du Vatican, Jean XXIII avait écrit Mater et Magistra sur le même thème.

Au niveau du culte lui-même, le progrès liturgique est conçu comme allant de pair avec le développement du dogme selon la formule lex orandi lex credenti.

Notes

  1. Pierre Hadot, Le voile d'Isis, Folio, p. 194.
  2. article
  3. E. Zilsel, "The Genesis of the Concept of Scientific Progress", Journal of the History of Ideas, 1945, 6, p. 325.
  4. Du progrès. Biographie d'une utopie moderne, Librio, 2001; Le Sens du progrès. Une approche historique et philosophique, Flammarion, 2004;
  5. "Le sens du progrès" est en particulier accompagnée d'une très riche bibliographie ordonnée

Bibliographie

Voir aussi

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