Pont aux ânes

Pont aux ânes
Pont en « dos de mulet ».

Pont-aux-ânes (en latin pons asinorum) est une métaphore servant à fustiger un « quia » c'est-à-dire un refus imbécile de se rendre à l'évidence[1]. Elle qualifie un raisonnement, une proposition ou un ensemble de propositions qui, quoique parfaitement explicités, restent incompris de certains[2].

C'est une façon de signifier à ceux qui ne comprennent pas que s'ils ne comprennent pas, ce n'est pas faute d'explications, mais parce qu'eux mêmes manquent d'intelligence ou ne font pas assez d'efforts d'attention ou de concentration. Inversement, c'est une invitation ironique à ne pas s'arrêter à la difficulté d'un raisonnement[2] mais à considérer que cette difficulté est la solution elle même[2].

Sommaire

Emplois spéciaux

L'expression, familière dans le milieu scientifique, est utilisée habituellement en pédagogie pour désigner un obstacle apparent qui n'en est pas un, qui rebute les élèves quand ceux ci prennent l'explication d'un problème pour le problème lui même.

Elle a longtemps[2] été employée et continue d'être employée pour désigner particulièrement une proposition exemplaire de l'enseignement des mathématiques telle que le cinquième postulat des Eléments d'Euclide[2] ou le théorème de Pythagore[3].

Dans les milieux économiques, autre métaphore célèbre avec celle de la main invisible d'Adam Smith, elle désigne à la suite de John Stuart Mill[4] la loi des rentes[5] de David Ricardo à partir de laquelle celui ci établit que, dans un marché concurrentiel, le montant des rentes est fixé par les profits et non l'inverse[6].

Origine

La formule évoque l'analogie avec la situation d'un âne devant un pont à arche sans tablier horizontal : le centre du pont est donc plus haut que les parties qui sont situées sur chaque rive. L'âne peut avoir l'impression soit d'une côte, soit de ne pas savoir ce qu'il y a derrière cet obstacle, qui n'en est pas un réellement, puisqu'en fait le pont franchit le véritable obstacle, qui est la rivière. Ce qui permet de franchir l'obstacle est pris pour l'obstacle lui même.

La métaphore remonte à la fin du XVIe siècle[7], époque à laquelle furent enfin traduits des textes latins non religieux, précisément à l'emploi de l'allégorie cicéronienne des ânes pour désigner les hommes stupides[8] puis, dans le milieu latiniste de l'Université et du Collège de France se développant sous l'influence de Guillaume Budé, les élèves les moins doués.

Elle semble[9] venir du rapprochement de la forme triangulaire des ponts au Moyen Age avec la représentation figurée du cinquième axiome d'Euclide sur les triangles, qu'elle désignait plus particulièrement en géométrie mais pas exclusivement[2]. Dans l'enseignement de la géométrie scholastique, de la logique aristotélicenne et de la dialectique, le moyen terme d'un syllogisme était en effet comparé à un passage permettant de franchir un obstacle[10], de résoudre une démonstration ou même de transcender une aporie. Plus spécialement, le jargon Elefuga, signifiant échappatoire aux tourments, désignait ce cinquième axiome lui même, parce que moyen de nombre des démonstrations euclidiennes, depuis au moins l'époque de Roger Bacon[10].

La tête d'âne dessinée par les triangles de la démonstration d'Eléments I 5

Contre la tradition, le géomètre anglais H.S.M. Coxeter[11] désigne par pont aux ânes non pas le cinquième axiome mais la cinquième proposition du livre I des Éléments d'Euclide : Les angles à la base d'un triangle isocèle sont égaux entre eux ainsi que les angles externes entre eux formés avec celle ci par la prolongation des côtés égaux à cause de la figure de tête à oreilles d'âne qui illustre sa démonstration. Ainsi la métaphore, qui est d'un usage principalement oral, a glissé de celle d'une prémisse mineure utile aux ignorants à celle d'un moyen de démonstration en géométrie triangulaire, puis d'un passage en forme de pont triangulaire et enfin de triangles dessinant une tête d'âne pour illustrer une démonstration, sans cesser de désigner un truisme auquel les imbéciles n'accèdent pas. Si les locuteurs n'ont pas toujours su quel était le pont, ils ont toujours su quels ânes ils désignaient.

Pour les germanistes, c'est un faux-ami car le terme allemand Eselsbrücke (Esel = âne, Brücke = pont) sert à désigner tout moyen mnémotechnique du type mais-ou-et-donc-or-ni-car (« Mais où est donc Ornicar ? »), un pense-bête en quelque sorte.

Exemple

« Monsieur, vous ne passerez jamais le pont aux ânes » pourrait dire un professeur de mathématiques à l'un de ses élèves qui bloque sur la compréhension de choses élémentaires.

Raymond Queneau, dans son roman Odile, formule (par la bouche du narrateur Roland Travy) le reproche "d'être de ceux qui n'ont jamais passé le pont-aux-ânes", et qui plus est, "d'en être fier". Ceci est une attitude plutôt courante, lors des repas de famille, par exemple, on entend fréquemment quelqu'un amuser la salle sur le fait qu'il ou elle a eu 2 au baccalauréat à l'épreuve de mathématiques. Cette banalisation de l'auto-stigmatisation, qui conduit à l'auto-limitation des performances et des perspectives scolaires, est fermement critiquée par les didacticiens.

Des exemples souvent cités de difficultés apparentes de ce type sont le petit théorème de Fermat en maths et la machine d'Atwood en physique.

Note

  1. A. Oudin, Curiositez françoises, pour supplement aux dictionnaires ou Recueil de plusieurs belles propriétez, avec une infinité de Prouerbes & Quolibets, pour l'explication de toutes sortes de liures, p. 438, A. de Sommaville, Paris, 1640.
  2. a, b, c, d, e et f A. Furetière, Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts divisé en trois tomes, t. I, p. 142, A. & R. Leers, La Haye, 1690.
  3. A. Rey & J. Rey-Debove & alii, Le Petit Robert 1, p. 1482, Robert, Paris, 1987.
  4. H.D. Macleod (en), The Elements of Economics, vol. 2, p. 96, D. Appleton, 1886.
  5. D. Ricardo, Principes de l'économie politique et de l'impôt, ch. II, p. 48-49, Calmann-Levy, Paris, 1970.
  6. D. Ricardo, Principes de l'économie politique et de l'impôt, ch. II, p. 51, Calmann-Levy, Paris, 1970.
  7. A. Rey, Dictionnaire des expressions et locutions, Le Robert, Paris, 1997.
  8. M.T. Cicero, In L. Pisonem oratio, 73, Vascosan, Paris, 1543.
  9. H.S.M. Coxeter, (en) H.S.M. Coxeter, Introduction to Geometry [détail des éditions], p. 6.
  10. a et b A. F. West & H. D. Thompson, On Dulcarnon, Elefuga And Pons Asinorum as Fanciful Names For Geometrical Propositions, in The Princeton University bulletin, vol. 3, n° 4, p. 84, Princeton, 1891.
  11. (en) H.S.M. Coxeter, Introduction to Geometry [détail des éditions], p. 6

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