- Persécution des chrétiens sous Néron
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La persécution des chrétiens sous Néron, à la suite du grand incendie de Rome en 64, nous est connu par le récit qu'en fait, vers 115, l'historien romain Tacite dans ses Annales. Elle s'inscrit dans le cadre des Persécutions des chrétiens sous l'Empire romain.
Ce récit a fortement marqué la tradition chrétienne, qui y associera par la suite la mort des apôtres Pierre et Paul, et a notamment été popularisé à l'époque moderne par le roman Quo vadis ?, qui vaudra en 1905 le prix Nobel de littérature à Henryk Sienkiewicz.
Sommaire
Persécutions
Article détaillé : Persécutions des chrétiens.Le mot (diogmos en grec, persecutio en latin) désigne initialement simplement une poursuite judiciaire. Ce sont les auteurs chrétiens qui, dès le Nouveau Testament, vont lui donner, ainsi qu'au terme « persécuteur », un sens dépréciatif[1].
Ces persécutions, dans leur diversité, vont jouer un rôle fondamental dans le développement du christianisme et de sa doctrine[2]. L'historiographie chrétienne (et donc la très grande majorité des sources[3]), qui s'est développée en même temps que le culte des martyrs, a présenté ces persécutions comme une « politique d'intolérance religieuse, cohérente et systématique ».
En fait au cours des Ie et IIe siècles, le christianisme est persécuté de façon sporadique et non systématique dans le temps et l'espace par l'Etat romain. En dépit de leur dénomination traditionnelle (« persécutions de Domitien, de Trajan, de Marc Aurèle, de Septime Sévère »), après Néron, les empereurs romains n'ont pas été à l'initiative des condamnations et répression au cours des deux premiers siècles[4], et les motivations religieuses des persécutions se retrouvent souvent au second plan et sont assez imprécises[5].
Juifs et chrétiens à Rome
En l'an 19, l'empereur Tibère expulse tous les juifs de Rome, à la suite des crimes de quatre d'entre eux[6]. En 41 ou 49, l'empereur Claude les expulse à nouveau de Rome, sous le prétexte, selon Suétone, d'agitation « sous l'impulsion d'un certain Chrestus » [7]. On ne sait pas s'il s'agit de troubles provoqués parmi les juifs romains par la prédication des disciples de Jésus[8] ou d'autres juifs « messianisants » (c'est-à-dire dans l'attente imminente du Messie, Christ en grec)[9].
Les boucs émissaires : la persécution sous Néron
Vers 115, l'historien romain Tacite (qui avait moins de dix ans lors des faits), raconte qu'à la suite du Grand incendie de Rome en 64, l'empereur Néron soupçonné d'en être à l'origine, « pour apaiser ces rumeurs, [...] offrit d'autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens »[10]. Suétone (vers 121) mentionne cette persécution au milieu d’une liste de mesures prises par Néron : « on livra aux supplices les chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et dangereuse»[11]. On trouve peut-être une allusion à ces persécutions, sans date précise et sans lien avec l'incendie, dans la Lettre aux Corinthiens (95) de Clément de Rome[12].
L'authenticité des passages de Tacite et de Suétone a parfois été contestée, notamment par Polydore Hochart en 1884[13] et par le mythiste Prosper Alfaric[réf. souhaitée]. Polydore Hochart a par la suite soutenu que l'intégralité des Annales et des Histoires de Tacite seraient des faux écrits au XVe siècle par l'humaniste italien Le Pogge[14], notamment parce qu'ils constituent l'un des tout premiers témoignages non-chrétiens sur Jésus. Il est aujourd'hui admis par les historiens que ces passages, très défavorables aux chrétiens, ne constituent pas des interpolations[15].
Tacite rapporte qu'« on commença donc par poursuivre ceux qui avouaient, puis, sur leur dénonciation, une multitude immense [multitudo ingens], et ils furent reconnus coupables, moins du crime d'incendie qu'en raison de leur haine du genre humain »[16]. Il est difficile d'évaluer le nombre des victimes. L'apolégétique chrétienne amplifiera les chiffres (un texte chrétien du Ve siècle parle de « neuf cent soixante dix-sept saints ») [17], et certains historiens l'estiment à moins de 300 morts[18].
Les incendies graves étaient fréquents dans les villes, et tout aussi fréquemment imputés à des minorités : cela avait été le cas à Rome pour les Campaniens en -211 et des affranchis en -31, et le fut à Césarée en 70 pour les juifs[19]. Diverses hypothèses ont été avancées pour expliquer pourquoi en 64 les romains s'en prirent « spécifiquement aux chrétiens, à une toute petite minorité mal distinguée des juifs »[19] (le reproche que leur fait Tacite de « haine du genre humain » est aussi celui très général qu'il fait aux juifs). L'hypothèse généralement retenue est que du fait de leurs pratiques rituelles, et de la mécompréhension de leur langage, les chrétiens étaient considérés comme une secte secrète et criminelle, rappelant peut-être le scandale des Bacchanales en -176[20]. Une hypothèse plus récente est que les chrétiens de l'époque, très marqués par l'eschatologie, aient vu et salué l'incendie comme l'annonce du jugement dernier et de la fin des temps, qu'ils voyaient comme un embrasement général : leurs manifestations et leur prosélytisme leur auraient attiré l'hostilité de la population romaine[21]
Dans la tradition chrétienne, la mort des apôtres Pierre et Paul a été rattachée à cette persécution[22]. Pierre serait mort en 64 et Paul aurait été exécuté trois ans plus tard. Eusèbe de Césarée affirme que Pierre « fut crucifié la tête en bas, après avoir lui-même demandé de souffrir ainsi[23] ».
Ce rôle de bouc émissaire se retrouve dans l'exécution d'Ignace d'Antioche sous Trajan et les émeutes communautaires qui s'ensuivirent à Antioche, après le tremblement de terre de 115, et celles d'Asie mineure sous Marc-Aurèle, après celui de 178[24]
L'interdit contre les chrétiens
Un échange de lettres entre Pline le Jeune alors gouverneur de Bithynie et l'empereur Trajan montre que dès 112, il existe une interdiction légale d'être chrétien[25]. L'existence et la nature de cette interdiction a été l'objet de nombreuses discussion historiques. Selon Tertullien, écrivant à la fin du IIe siècle[26], Néron aurait alors institué une loi générale d'interdiction des chrétiens, l'institutum neronianum. On ne trouve cependant pas trace de cette interdiction et les magistrats romains ne semblent pas la connaître ; par ailleurs l'interdiction des associations relevaient à l'époque des prérogatives du Sénat et non de l'empereur[27], qui avait par contre la charge de la lutte contre les incendiaires[28]. D'après une hypothèse récente, cet édit d'interdiction aurait été émis par le Sénat, et serait passé progressivement dans les provinces sénatoriales puis impériales, sans que les attendus en aient été précisés ce qui expliquerait la perplexité des juges[29].
Notes et références
- Baslez 2007, p. 263, Maraval 1992, p. 5
- Baslez 2007, p. 263 « Dès les débuts, l'épreuve de la persécution apparaît constitutive du processus de christianisation et joue le rôle d'événement fondateur dans l'histoire des communautés locales. Le supplice d'Etienne, figure du protomartyr, ouvre la mission dans les Actes des Apôtres »
- Maraval 1992, p. 6
- Baslez 2007, p. 292-293
- compte rendu de Baslez 2007 Anna Van den Kerchove, Archives de sciences sociales des religions, 140 (2007) - Varia
- Flavius Josèphe Antiquités judaïques18, 84
- Suétone, Claude, 25 « impulsore Chresto »
- Simon, Benoît, Le judaïsme et le christianisme ancien, Paris, PUF, 4ème ed., 1994, p. 126.
- Les origines des premiers chrétiens, clio.fr, 2002. Justin Taylor
- Tacite, Annales, livre XV, 44
- Suétone, 'Vie des douze César, ↑ Clément de Rome épître aux Corinthiens, 5-6 cité par Maraval 1992, p. 15
- La persécution des chrétiens sous Néron Voir cette « étude historique » parue en 1884 dans les Annales de la Faculté des Lettres de Bordeaux :
- Henri Irénée Marrou, De la connaissance historique , Éd. du Seuil, coll. Points Histoire, 1975. p. 130-139 [1], voir aussi La question de Tacite lettre à M. Hochart par Paul Tannery « Cette hypothèse a rencontré la plus totale indifférence, manuels ou bibliographies ne la mentionnent même pas » :
- Guy Achard : « Pour ce qui est de la répression contre les chrétiens, elle est plus plausible : certains pourtant, surpris de n'en trouver témoignage que chez Tacite, où il s'agit de la première mention des sectateurs du Christ dans un texte païen, et étonnés de voir que ce passage n'avait pas été repris par les Pères de l'Eglise, ont pensé qu'il s'agissait d'une interpolation due à un chrétien, mais la critique de la religion nouvelle y est trop vive pour que le texte soit dû à quelque falsification » in Guy Achard, Néron, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1995, n° 3029.
- Maraval 1992, p. 8 Tacite, Annales, XV, 44. cité par
- Maraval 1992, p. 13 Martyrologue hiéronymien cité par
- « Le nombre des martyrs a été largement exagéré par la propagande chrétienne : la persécution de Néron, par exemple, a fait moins de 300 morts » Jean-Paul Thuillier (dir.), Dictionnaire de l'Antiquité grecque et romaine, Paris, Hachette supérieur, 2002, art. "Persécutions".
- Baslez 2007, p. 283
- Baslez 2007, p. 284 - E. A. Livingstone, Oxford Concise Dictionary of the Christian Church, Oxford University, revised 2d edition, 2006, art. "persecutions, early christians" : « Christianity at first appeared to the Roman authorities as a form of Judaism, which was tolerated, but Jewish agitation against the Christians revealed its separate identity. The secrecy of the early Christian rites and misunderstanding of Christian language (e.g. Jn 6:35) and of the agape and Eucharist led pagans to suppose them guilty of flagitia, promiscuity, incest, and cannibalism. This fact explain why Nero in 64 could make them scapegoats for the fire in Rome. From then the persecution continued intermittenly.» (« Le christianisme apparaît d'abord aux autorités romaines comme une forme du judaïsme, qui était toléré, mais l'agitation des juifs contre les chrétiens fit apparaître son identité séparée. Le secret des rites chrétiens et la mécompréhension du langage chrétien (par exemple Jean 6:35) et de l'eucharistie conduisit les païens à les croire coupables de "flagitia", de promiscuité, d'inceste et de cannibalisme. ce fait explique pourquoi Néron en 64 peut en faire les boucs-émissaires. À partir de là les persécutions continuèrent de façon intermittente »)
- Baslez 2007, p. 284 et Maraval 1992, p. 9 qui reprennent Adalberto Giovanini Tacite, l'"Incendium Neronis" et les chrétiens, Revue des études augustiniennes 30, 1984, pp 3-23 pdf en ligne
- Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, livre II, 25
- Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, livre III, 1
- Baslez 2007, p. 288
- Baslez 2007, p. 264
- Tertullien, Ad nationes (1, 7)
- Maraval 1992, p. 5-6
- Baslez 2007, p. 284
- Baslez 2007, p. 284 et Maraval 1992, p. 9 qui reprennent l'hypothèse de A. Giovannini, Tacite, l'"Incendium Neronis" et les chrétiens, Revue des études augustiniennes 30, 1984, pp 18-22 et L'interdit contre les chrétiens : raison d'État ou mesure de police ? , Cahiers du Centre G. Glotz, VII, 1996, pp 112-128.
Voir aussi
Bibliographie
- W.H.C. Frend Martyrdom and Persecution in the Early Church Oxford: Blackwell, 1965. Réimpression: Grand Rapids: Baker, 1981.
- Why were the early christians persecuted Articles de G. E. M. de Ste Croix, A.N Sherwin-White et W.H.C Frend in Studies in ancient society compilés par Moses I. Finley Routledge, 1974 sur googlebooks
- Geoffrey Ernest Maurice De Ste. Croix Christian persecution, martyrdom, and orthodoxy édité par Michael Whitby et Joseph Streeter, Oxford University Press, 2006, partiellement sur googlebooks
- Marie Françoise Baslez, Les persécutions dans l'Antiquité - Victimes, héros, martyrs, Fayard, 2007 compte-rendu par Anna Van den Kerchove, Archives de sciences sociales des religions, 140 (2007) - Varia
- Pierre Maraval, Les persécutions durant les quatre premiers siècles du christianisme, Desclée, coll. « Bibliothèque d'Histoire du Christianisme », 1992
- Jean Beaujeu L'incendie de Rome en 64 et les chrétiens 1960 [2]
Liens internes
Liens externes
- Néron et la persécution des Chrétiens d'après Tacite, Annales, XV, 44, par Ludovic Wankenne Professeur à l'Université de Louvain (†2000)
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