- Perspectives psychanalytiques et conséquences psychologiques de la circoncision
-
La circoncision, objet de controverses, a été étudiée par des psychanalystes mais il ne se dégage pas une position théorique faisant consensus qui appartiendrait au corpus des références communes. De plus, elle recouvre de multiples pratiques, religieuses, rituelles et/ou médicales on devrait donc dès lors parler de pratiques de la circoncision . La psychanalyse tente d'expliquer les motifs inconscients d'un phénomène chez tel ou tel patient.
Sommaire
Circoncisions et psychanalystes
Freud
Sigmund Freud s'est intéressé au sens inconscient de la circoncision, pouvant être vue comme un avatar de la castration, ou un début de réalisation de la castration et donc une menace de castration. Sur le plan anthropologique, Freud, dans Totem et Tabou, parle d'un reliquat de pratiques tribales anciennes. Cette pratique serait le reliquat d'une époque où les chefs de clan régnaient en maîtres absolus et avaient, entre autres, tous les droits sur toutes les femmes de la tribu. La circoncision, castration symbolique, représentait alors un acte de soumission envers l'autorité du père de la « horde »[1]. La circoncision est un substitut symbolique de la castration que le père primitif et omnipotent avait jadis infligée à ses fils. Quiconque acceptait ce symbole montrait par là qu'il était prêt à se soumettre à la volonté paternelle (...)[2]. C'est seulement dans une œuvre posthume, que très discrètement, en note de bas de page et par implication logique avec le corps du texte où il traite des menaces verbales de castration, il semble considérer la circoncision comme une menace de castration[3].
Freud : "… ce qui est particulièrement remarquable, c'est la présentation (dans le rêve) de l'onanisme, ou plutôt de sa punition, la castration, par la chute d'une dent et l'arrachage d'une dent, parce qu'on trouve un pendant en ethnologie, ce que ne savent sans doute que très peu de rêveurs. Il ne me semble pas douteux que la circoncision pratiquée chez tant de peuples, est un équivalent de la castration et vient en prendre le relais. On nous rapporte d'ailleurs qu'en Australie, certaines tribus primitives procèdent à la circoncision comme rite de puberté (pour la fête marquant l'entrée de la jeunesse dans l'âge d'homme), tandis que d'autres tribus, habitant tout près des premières, ont remplacé cet acte par l'extraction d'une dent." [4]
Bettelheim
Le psychanalyste Bruno Bettelheim en parle aussi dans son ouvrage Blessures symboliques en se distanciant des thèses de Freud. Bettelheim pense au contraire que lien symbolique entre castration et circoncision n'est pas établi; il considère en effet que la circoncision aurait été une pratique imposée par les femmes comme une sorte de sacrifice qui leur serait offert. Il mentionne Sephora, la tribu d'Afrique Kikuyu, pour appuyer ses hypothèses.
Lacan
À la suite des travaux de Jacques Lacan qui développe à sa manière les idées de Freud, certains estiment que la circoncision est dépendante de la loi symbolique qui dérive du complexe d'Œdipe. Lacan en vient ainsi à affirmer : "Rien de moins castrateur que la circoncision..." qu'il va jusqu'à qualifier d' "attention rituelle" (expurgé dans l'édition du Seuil) [5].
Roger Dommergue
L'endocrinologue Roger Guy Dommergue Polacco de Menasce, considéré comme antisémite, est l'auteur de travaux dans lesquels il associe la circoncision du huitième jour pratiquée rituellement par les juifs à un traumatisme ayant des conséquences sur le système endocrinien des bébés mâles et leur développement psychologique, qu'il estime être l'origine principale de l'identité juive et la raison pour laquelle celle-ci a su persister à travers les civilisations.
Le Caractère fermé du discours associé à la circoncision
Le problème de la névrose obsessionnelle est qu'elle ne donne pas un sens au réel, ni ne le prend en compte que dans un seul cadre : la névrose obsessionnelle. C'est ce qui donne, par exemple, ce côté fermé aux discussions par d'autres entrées, avec un religieux ou un obsessionnel, qui ne pourra entendre (que parce que c'est respectable du point de vue de Dieu, de la loi de Dieu) que les arguments validant son obsession ou un point de celle-ci.
La névrose obsessionnelle de l'homme au rat a paru particulièrement difficile à guérir par la parole. La névrose obsessionnelle est une névrose de transfert. Le psychanalyste travaille entre autres sur l’analité. Dont l'expression familière "être coincé du c.." rend parfaitement compte en ce qu'elle évoque une personne coincée, distante, à l'aspect froid, coupée du monde et d'elle-même (à sa propre sensibilité), n'écoutant qu'elle-même.
L'entrée dans le trauma
Le fait d'enlever la peau (si ce n'était que cela, ce ne serait rien) du sexe d'un enfant mâle n'a pas d'autre sens que ce que c'est : "enlever la peau du sexe d'un enfant mâle" mais devient pour l'obsessionnel le lien à Dieu, au père universel.
La douleur et la souffrance liés à cet acte, puis l'entrée de l'enfant dans la névrose collective au travers d'un enseignement le rattacheront au groupe. La douleur et l'instruction religieuse devant normalement permettre, par leur dépassement, d'aller "vers le père et de rejoindre la communautés des croyants".
Quand cela marche. force est de constater que certains s'éloignent ou se plaignent. Ce qui, dans une perspective psychanalytique, n'est qu'un père imaginaire, un acte réel douloureux, est une entrée dans le trauma qui sera partagé avec le reste du groupe pris dans une névrose obsessionnelle collective.
Le trauma
Dans L'Homme Moïse (1939) S. Freud souligne que les expériences traumatiques originairement constitutives de l'organisation et du fonctionnement psychique « Nous appelons traumatismes les impressions éprouvées dans la petite enfance, puis oubliées, ces impressions auxquelles nous attribuons une grande importance dans l'étiologie des névroses » peuvent entraîner des atteintes précoces du Moi et créer des blessures d'ordre narcissique.
L'argentin Moisés Tractenberg va encore plus loin que Freud dans la citation suivante : Une autre conséquence psychologique de la circoncision est qu'elle imprime dans l'esprit du nouveau-né une situation agressive et traumatique ... L'impossibilité de gérer une aussi terrifiante irruption d'agression dirigée vers l'intérieur peut conduire, a posteriori, à l'émergence de comportements psychopathes et violents ou, dans de nombreux cas, à l'émergence d'un masochisme extrême. [6]
Sándor Ferenczi s'attaque à la circoncision, vu comme une cause de traumatisme infantil[7].
Entrée dans la névrose
L'individu ainsi "agressé" ne peut plus — sauf à rejeter l'ensemble, à s'opposer, ou à être rejeté et être opposé — qu'accepter cet état de fait. Il peut prendre alors une "position de fierté" : « je fais partie du groupe » sans que le "sentiment réel de fierté" soit là. Puisqu'il s'agit d'une névrose obsessionnelle, il n'est pas question de sentiment réel mais de position intellectuelle. " L’obsessionnel n’est pas psychotique, il est aliéné à l’Autre, et il est pris dans le discours de l’Autre sur le mode même d’y figurer comme 'moins' " - Freud. En ce sens, la circoncision n'est que la formation d'une névrose de groupe de plus, une pratique "délirante et aliénante", entendus ici au sens clinique de la psychanalyse.
Georg Groddeck ira plus loin. Il voit fort justement dans la circoncision l'expression d'une négation — qu'il dénomme refoulement — de la bisexualité humaine et donc l'expression d'un masculinisme outrancier : "L'étrange pensée que le féminin n'appartiendrait pas en propre à l'homme, et le masculin à la femme, s'insinue dans les raisonnements et donne à croire qu'il s'agit là de quelque chose d'inconvenant, qui pourrait et devrait être surmonté. La réalité effective - l'actualité -, à savoir qu'il n'y a absolument pas d'homme séparé de la femme, que l'être humain est homme-femme et femme-homme, est refoulée. L'histoire universelle offre un exemple formidable d'un tel refoulement dans la circoncision juive … car le prépuce est féminin, il est le vagin dans lequel est fourré le gland masculin." [8]
N'est ce pas justement le contraire de ce qu'exprimait un Lacan rigoureusement anti-freudien : "... la circoncision,... ne peut, évidemment, qu'engendrer quelque chose de salubre quant à la division des rôles." (Séminaire L'angoisse")
Débats sur la circoncision
Alice Miller : "Les pratiques rituelles de circoncision et d'excision ont des effets qui atteignent non seulement l'individu et sa descendance mais même les autres hommes." [9], elles sèment aussi la folie dans l'esprit des voisins des peuples les pratiquant.
La psychanalyste Julia Kristeva souligne l'irréparable du handicap au yeux des non handicapés : "... (il) confronte chacun de ceux qui ne sont pas atteints par ces incapacités à l'angoisse de castration, à l'horreur de la blessure narcissique, et, au delà, à l'irrémédiable de la mort psychique ou physique : creusant ainsi la plus intraitable des exclusions." [10].
Notes et discussion
1. La position de certaines psychanalystes féministes sur la question allant dans le sens de Georg Groddeck :
- Elles dénoncent d'une part - l'exaltation du masculinisme et la fermeture à leur sensibilité chez certains hommes. On nomme cette part sensible ou féminine de l'homme l'anima. La fermeture à l'anima, est participante par "retour du refoulé" à la domination masculine dans les cultures machistes. En particulier lorsqu'il y a la non-reconnaissance de la douleur qui leur est infligée (quand certains hommes disent "j'ai même pas mal"), ce qui est une douleur supplémentaire que l'homme s'impose.
- Elles dénoncent d'autre part - l'aliénation et la collaboration d'une minorité de femmes par fermeture à leur masculinité (cf Article sur l'animus) En particulier, lorsqu'il y a la flatterie de la part d'ombre de l'égo. Ainsi il peut y avoir jouissance perverse à la douleur infligée aux hommes pour le bon plaisir de la femme. Quand par exemple, certaines femmes disent "mais si ça nous donne plus de plaisir pourquoi ne pas la généraliser". Ce qui est une aliénation (une souffrance aussi) de la femme à la culture phallocrate dominante (en ce qu'elle a d'initiation à la perversion) car la femme adhère à une opinion qu'elle croit être le désir d'une femme libre et adulte et croit ainsi penser librement ainsi alors qu'en jouissant de la souffrance de l'autre (au moins dans l'exemple intellectuellement) elle se déséquilibre, s'aliène et souffre aussi ou développe une pensée mortifère dont elle est aussi la victime.
2. Les travaux sur le rapport entre "sadique" et "analité" et les liens que cela pourrait avoir entre nazisme et judaïsme (Tobie Nathan affirme que l'initiation par le sadisme est une initiation au sadisme : "Himmler ignorait qu'il nourrissait des 'pulsions sadiques', c'est l'initiation qu'il a reçue au sein du corps des SS qui le lui a révélé." [11].
Bibliographie
- les travaux de Sándor Ferenczi sur le trauma, Freud sur la névrose obsessionnelle, Freud/Ferenczi ;
- Nathalie Zajde (maître de conférences de Psychologie clinique et pathologique à l'Université de Paris 8) "La névrose ou la poule" ;
- les notes ethnopsychanalytique sur le "petit homme-coq" (Ferenczi), les poulets de Kappara et la circoncision, et un texte sur le sujet paru dans la Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, N¡ 31, 1996, 35-52.
- Moïses Tractenberg, Psicanalise da circuncisao
Références
- La horde primitive in "Totem et Tabou" (1913)
- in "Moïse et le monothéisme" (1939)
- Freud S. Abrégé de psychanalyse. 1938. Paris : PUF ; 1978. p. 61, n.
- Leçons d'introduction à la psychanalyse, 1916-17, Paris : PUF ; 2000. O.C., XIV, 170.
- Séminaire L'angoisse
- Psychoanalysis of circumcision. New York : Denniston & al. Kluwer academic/Plenum publishers ; 1999. 213.
- Further contributions to the theory and technique of psycho-analysis, By Sándor Ferenczi, p. 228
- Nouvelle revue de psychanalyse, 1973, 7, 194. Bisexualité et différence des sexes. 1931.
- La connaissance interdite : affronter les blessures de l'enfance par la thérapie. Paris : Aubier ; 1990
- Aux frontières du vivant. Le magazine littéraire, février 2004 (428) ; 33-36
- Nouvelle revue d'ethnopsychiatrie. 1992, (18), 20 L'art de renaître, fonction thérapeutique de l'affiliation au moyen du traumatisme sexuel.
Catégories :- Controverse sur la circoncision
- Psychanalyse
- Psychologie masculine
Wikimedia Foundation. 2010.